Les inégalités mondiales analysées par Branko Milanovic

mardi 21 mai 2019, par Jacques Cossart *

Branko Milanovic a été, pendant plus de vingt ans, économiste au département de recherche de la Banque mondiale. Au cours de toutes ces années, les inégalités ont constitué le point nodal de ses préoccupations et investigations. Il publiait en 2016 Global inequality [1]. L’édition française, Inégalités mondiales [2] est préfacée par Thomas Piketty. En 2016, le livre fut classé dans le 12 top books du Financial Times, journal qui, pourtant, s’est récemment répandu en louanges de la politique à venir de Jair Bolsonaro [3] !

Disons d’emblée que l’ouvrage de Milanovic est considérable, ne serait-ce que par la quantité et la qualité des données qu’il offre. L’auteur organise son analyse en cinq chapitres qui s’appuient sur un très grand nombre de courbes et graphiques dont beaucoup dont été établis par lui-même avec, ou non, Christoph Lakner, lui aussi économiste à la Banque qui travaillait avec lui sur les inégalités ; il fait appel également à des références mondiales comme Maddison ou Atkinson.

1 - Émergence de la classe moyenne mondiale et des ploutocrates mondiaux

En parlant de Milanovic, on cite souvent un graphique désormais connu sous l’appellation courbe de l’éléphant, depuis que Paul Krugman l’avait désigné ainsi en 2014 dans le New York Times [4], « graphique de l’année.

La courbe de Milanovic doit particulièrement son nom à la forme du dernier centile où se concentrent, au niveau mondial, les individus les plus fortunés, que figurerait la trompe de l’animal. D’après les données de WID [5], ceux-ci avaient capté plus de 20 % du revenu mondial en 2016 et absorbé 27 % de la croissance. Ils se sont accaparé 20,4 % de la richesse et grâce au ruissellement – mais inversé – la moitié de l’humanité, la plus pauvre de la population mondiale, a dû se contenter en 2016 de 9,7 % de ce même revenu.

BM a souvent pris comme référence pour présenter ses calculs la période située entre les années 1988 et 2008, dans la mesure où il remarque que les données nécessaires sont disponibles pour ces vingt années, qu’il situe, à peu près, entre la fin de l’Union soviétique et le système qu’elle avait établi d’une part, et la Grande Récession d’autre part.

Sur le graphique 1 [6], reproduit ci-dessous, figurent, en différents points de la distribution mondiale des revenus exprimés en dollars PPA [7] de 2005, les gains relatifs des ménages (en pourcentage) distribués du centile le plus pauvre à celui le plus riche. Proches du centile 5, sont les plus pauvres, oubliés de la distribution de la croissance, puis autour du centile 50 – point A sur le graphique – ceux qui ont vu leur revenu le plus augmenter en pourcentage, en particulier grâce à la progression des revenus chinois. Ensuite, autour du centile 80 – point B sur le graphique – où se situe la classe moyenne inférieure des pays riches, dont les gains descendent jusqu’à obtenir 0 % de la croissance, avant d’atteindre, pour les très riches, la « trompe » où, au point le plus élevé – point C sur le graphique – les ultras-riches voient leurs gains réels croître de plus de 60 %.

« Ce graphique montre les gains relatifs (en pourcentage) des revenus réels (en dollars internationaux de 2005) des ménages (par tête) entre 1988 et 2008 à différents points de la distribution mondiale des revenus (du fractile le plus pauvre, à 5, jusqu’au plus riche, à 100). Les gains de revenus réels ont été les plus élevés pour les personnes situées autour du 50e centile de la distribution mondiale (la médiane située au point A) et les plus riches (le centile supérieur, au point C). Ils ont été les plus faibles pour les personnes situées autour du 80e centile mondial (point B), la plupart faisant partie de la classe moyenne inférieure du monde riche. »

Graphique 1 : Qui sont les gagnants de la mondialisation ?

Gains relatifs en revenus réels par tête par fractiles de revenus mondiaux, entre 1988 et 2008

Source C. Lakner et B. Milanovic, « Global Income Distribution : From the Fall of the Berlin Wall to the Great Recession », 2015.

Il convient de garder à l’esprit que si, au point C, la croissance relative est de l’ordre indiqué, en valeur absolue, les montants concernés absorbent, dans les pays de l’OCDE, en moyenne, plus de 10 % du total, et aux États-Unis, ce sont plus de 20 %. Il faut aussi se souvenir que la courbe de Milanovic présente les gains relatifs de revenu, au niveau mondial. Cela veut dire qu’au point A (percentile 55) la population concernée, avec son gain annuel 500 dollars PPA 2005, est seulement sortie de l’extrême pauvreté comme l’atteste la Banque mondiale [8], qui estime que le taux dit d’extrême pauvreté (1,90/jour dollar PPA 2011) s’appliquait à quelque 36 % de la population mondiale en 1990 et à 10 % en 2015 – soit encore plus de 700 millions d’êtres humains, 11 fois la population française – après cette date, l’amélioration a ralenti principalement en raison de la situation sur le continent africain. En France, en 2017, 0,1 % de la population avait perçu un revenu de plus de 530 000 euros [9]. Retenons que la courbe de Milanovic présente les gains relatifs de revenu au niveau mondial.

BM précise dans son encadré 1 qu’il n’existe, au niveau mondial, aucune donnée sur les revenus des individus ; pour les obtenir, il faut recueillir le maximum possible d’enquêtes nationales menées à partir de ménages tirés au sort. C’est d’ailleurs à partir de ce programme de comparaison internationale que sont établis les taux de change PPA. En comparaison, les enquêtes conduites à partir des relevés fiscaux excluent d’un côté, tous ceux qui ne sont pas fiscalisés, et, de l’autre, les ultra-riches, qui minimisent systématiquement une partie de leurs revenus. Ces enquêtes – sans alternatives à ce jour – ne permettent pas d’établir une distribution mondiale fiable. BM fait remarquer qu’elles présentent aussi deux biais impossibles à corriger : les très pauvres risquent encore de ne pas apparaître parmi ceux qui sont tirés au sort, parce que non atteignables, et les très riches ont tendance, davantage encore que dans le cadre fiscal, à minimiser leurs revenus. En conséquence, les écarts présentés risquent davantage d’être sous-évalués plutôt que surévalués. Milanovic tire de l’analyse des données qu’il a établies une première observation de portée générale. « Pour le dire vite, les grands gagnants ont été les pauvres et la classe moyenne en Asie, et les grands perdants, les classes moyennes inférieures de monde riche [10]. » Une telle affirmation ne surprendra pas grand monde aujourd’hui, mais elle en aurait surpris plus d’un si elle avait été avancée à la fin des années 1980. Les responsables politiques occidentaux, qui ont milité en faveur d’une plus grande dépendance aux marchés dans leurs propres économies et à travers le monde après la révolution de Reagan et Thatcher, pouvaient difficilement [11] s’attendre à ce que la mondialisation tant vantée se révèle finalement incapable d’apporter des bénéfices palpables à la majorité de leurs citoyens – c’est-à-dire précisément à ceux qu’ils essayaient de convaincre des avantages des politiques néolibérales par rapport à des modèles sociaux plus protectionnistes » [12]. Il précise sa pensée, toujours à partir des données chiffrées, en remarquant que « une conséquence évidente de tout cela est que les écarts de revenus entre le haut et le bas de la distribution se sont creusés au sein du monde riche, et que la mondialisation a favorisé ceux qui, dans les pays riches, étaient déjà les mieux lotis. Ce n’est pas surprenant non plus, puisqu’il est généralement admis que les inégalités nationales dans le monde riche ont augmenté au cours des vingt-cinq ou trente dernières années » [13].

Le graphique 1 est éclairant de bien des points de vue mais, pour autant, comme tout travail portant sur des valeurs relatives en pourcentage, il ne renseigne pas sur les valeurs absolues, ce qui n’est pas son objet. C’est pourquoi BM montre, en l’illustrant avec son graphique 2 reproduit ci-dessous, combien les observations fournies jusque-là sont, malheureusement, confortées. Il note fort pertinemment que cet autre aspect de l’analyse « conforte, à plus d’un titre, les conclusions que nous avions tirées pour les 1 % ou 5 % les plus riches, car leurs énormes gains relatifs semblent encore plus impressionnants en valeur absolue » [14]. Quoi de commun, en effet, entre les travailleurs situés entre le 50e et 60e centile dans les pays émergents, désignée comme « classes moyennes » de ces pays et les salariés des pays de l’OCDE qui seraient, sur un graphique qui leur serait réservé, repérés aux mêmes centiles ?

Graphique 2 : Gains absolus au sein de la distribution mondiale des revenus

Pourcentage de gain absolu du revenu réel par tête par vingtiles ou percentiles de revenus mondiaux, entre 1988 et 2008.

Source : Lakner et Milanovic (2015)

« Ce graphique montre la part des gains, en revenus réels par tête (mesurés en dollars internationaux de 2005) obtenus par les ménages entre 1988 et 2008 à différents points de la distribution mondiale des revenus. La hausse totale des revenus mondiaux étant ramenée à 100, nous calculons quelle est la part de cette hausse reçue par différents vingtiles (groupes de 5 % de la population) ou centiles de la distribution mondiale des revenus. Le graphique montre que les gains de revenus absolus sont surtout allés aux 5 % les plus riches de la population mondiale. Les 1 % les plus riches ayant obtenu 19 % de la hausse. »

Milanovic recommande d’ailleurs de ne « pas confondre les classes moyennes des économies de marché émergentes (qui regroupent des gens dont le revenu annuel par tête est, approximativement, compris entre 1 000 dollars et 2 000 dollars) et les classes moyennes inférieures du monde riche (dont le revenu annuel par tête après impôt se situe entre 5 000 dollars et 10 000 dollars environ ; tous ces chiffres étant donnés en dollars internationaux de 2005) » [15]. On observera, sur le graphique 2, le caractère « impressionnant » en effet, de la part du gain, en valeur absolue, du 1 % la plus riche de la population mondiale – quelque 75 000 individus – qui s’approprie 19 % de la richesse produite dans le monde et la fraction de la population mondiale comprise entre 2 % et 5 % la plus riche – autour de 300 millions – qui s’en approprie le quart. Réalise-t-on alors que ce sont plus de 7 milliards d’êtres humains qui voient leur part du gâteau réduite à quelque 56 % de ce qu’ils produisent ? Le monde des ultra-riches est bien fait quand même, il exonère la quasi-totalité de la population mondiale d’avoir à se préoccuper de quoi faire de cet argent !

Aux yeux de Milanovic, la mondialisation est ambivalente, elle serait génératrice du meilleur et du pire. Pour tenter d’échapper à toute ambiguïté, pourquoi ne pas user de l’expression mondialisation capitaliste qui, alors serait « le pire ». Mais « le meilleur » est à portée de luttes ; comment en effet ne pas tout faire pour que de nombreux biens communs – éducation, santé, ressources énergétiques, climat et bien d’autres – entrent dans une mondialisation vertueuse ?

L’accroissement des inégalités dans le monde n’est pas linéaire, mais parfaitement illustré par les graphiques 1 et 2. Ce sont, selon la terminologie de BM, les classes moyennes asiatiques, et tout particulièrement en Chine au cours de la période 1988-2011, qui ont enregistré la croissance relative la plus forte, « explosant » jusqu’au point A sur le graphique 1. Mais c’est bien davantage encore, sur la même période, l’enrichissement du dernier centile jusqu’au point C du même graphique 1 qui marque l’explosion des inégalités en faveur des ultra-riches. À l’inverse des quelques dizaines de milliers constituant ce dernier centile qui, eux, obtiennent une croissance de leurs revenus se chiffrant en centaines de milliards de dollars, tandis que pour les milliards d’êtres humains cette fois, qui peuplent le point C, il s’agit de quelques centaines de dollars par an. [16]

Les deux graphiques 6 et 8, reproduits ci-après, illustrent parfaitement, pour le premier l’évolution chinoise, et pour le second la place prise par ceux que Milanovic désigne, en anglais comme en français, sous le terme clair de ploutocrates [17], et pour lesquels la mythologie grecque n’adoucit guère la perception. Le graphique 8 affine les données relatives à la place prise par les milliardaires. En 1987, la part de la fortune de ceux-ci n’atteignait pas 3 % du PIB mondial, en 2013 elle dépasse 6 % [18].

Milanovic présente ces deux graphiques dans un paragraphe qu’il intitule « Les effets de la crise financière ». Pour la crise de 2008, il conteste l’appellation de crise mondiale pour deux raisons principales. D’une part, il remarque que cette crise financière marque « une rupture majeure dans l’histoire économique du monde ». En effet la récession a touché l’Amérique du Nord et l’Europe, que BM désigne comme l’économie de l’Atlantique [19]. D’autre part, sur la même période l’économie asiatique (chinoise, en premier lieu), a poursuivi le rééquilibrage des revenus [20]. Pour cette région, il ne s’agit donc pas d’une rupture, mais de la poursuite – voire du renforcement – des rattrapages précédents. Milanovic a dressé un graphique 3 établi cette fois en PPA 2011 (page 41), qui n’est pas reproduit dans cette note, où l’on voit que sur la courbe 1988-2011 le point A monte jusqu’à une croissance des revenus réels de 120 %, alors qu’elle s’établissait à un peu plus de 60 % sur la courbe 1988-2008.

Mais d’où proviennent donc tous ces montants hallucinants que le riches parviennent à mettre à l’abri ? Sont-ce des paradis fiscaux qui, selon Gabriel Zucman, recueillent 40 % des profits des transnationales ? Ces terres hospitalières et supposées ensoleillées ne sont pas seulement, tant s’en faut [21], quelque île lointaine, mais sont tout autant Londres, Luxembourg et autre Delaware, qui constituent de précieuses cachettes pour les riches. Cependant, ceux-ci ont su concevoir de nombreuses sources, de plus en plus abondantes, pour gorger lesdites cachettes. On a un excellent compte rendu, mis à jour annuellement, des inégalités dans le monde et leur évolution avec la dernière version du World inequality report WID déjà mentionné, lancé et entretenu notamment par Thomas Piketty, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez.

Branko Milanovic a chiffré pour la période 1988-2008 – à partir d’un registre considérable de données fiscales – que le 1 % des plus riches de la planète avait absorbé 19 % de la croissance. L’équipe constituée notamment autour de Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman a poursuivi, sur la période 1980-2016 – à partir de minutieuses enquêtes – les travaux entrepris par Milanovic et parvient à une absorption de 25 % [22]. Quels que soient les chiffres réels, on constate que la prédation est considérable.

Le graphique 6 met en évidence, sur les deux décennies prises en compte, pour les États-Unis la faible croissance des revenus pour le deuxième décile, et, pour la Chine, la forte croissance des revenus pour le huitième décile des milieux urbains. « Ce graphique montre l’évolution des revenus annuels (mesurés en dollars internationaux de 2005) des ménages (par tête) après impôts entre 1988 et 2011 pour les personnes appartenant au deuxième décile de la distribution des revenus aux États-Unis, et au huitième décile urbain de la distribution chinoise (à partir des enquêtes sur le revenu des ménages). Même si le deuxième décile américain (relativement pauvre selon les standards du pays) restait plus loti que les membres du huitième décile chinois en 2011, l’écart s’est réduit. »

Graphique 6 : La convergence des revenus chinois et américains 1988-2011

Source : Milanovic

Dans le tableau ci-dessous, on verra l’évolution en pourcentage, du PIB chinois comparé à celui du monde et à celui des États-Unis ; il montre la place prise par la Chine :

19602017
Monde 17,00% 99,00%
États-Unis 0,04% 0,28%

Le graphique 8 « montre la fortune totale des ultra-riches en part de PIB mondial. Les ultra-riches sont définis comme les personnes dont les personnes dont le patrimoine dépasse un milliard de dollars en prix de 1987 aux États-Unis (ce qui correspond à 2 milliards de dollars en prix 2013). Nous constatons que leur fortune, rapportée au PIB mondial, a augmenté entre 1987 et 2013. »

Pour établir son graphique 8, BM définit les ploutocrates comme les ultra-riches dont le patrimoine dépasse 2 milliards de dollars 2013. Si, d’après les rapports Forbes, leur nombre a presque quadruplé entre 1987 et 2013, ils n’étaient cependant, cette année là, que 1 426 et pas beaucoup plus de 2 200 en 2018.

Graphique 8 : Fortune des ultra-riches par rapport au PIB mondial, en 1987 et 2013

Source : calculs Milanovic à partir des publications Forbes

Les vrais ploutocrates mondiaux : les milliardaires

2 - Les inégalités au sein des pays

Milanovicse montre assez sensible à l’analyse des cycles de Simon Kuznets où il voulait montrer que les inégalités étaient faibles dans les pays à faibles revenus, puis s’accroissent avec le développement pour finalement décroître dans les pays à hauts revenus. « Les fluctuations à long terme des inégalités de revenu doivent être considérées comme faisant partie d’un processus plus large de croissance économique, et mises en relation avec des mouvements similaires dans d’autres domaines » [23]. Milanovic ne pouvait guère se satisfaire de ces cycles au cours desquels étaient supposées se succéder croissance et décroissance des inégalités sans que les rapports sociaux n’interviennent. Aussi, BM préfère-t-il évoquer les vagues de Kuznets pour lesquelles il précise « j’avancerai que la période moderne, couvrant les cinq derniers siècles, est caractérisée par des vagues de Kuznets alternant des phases de croissance et de recul des inégalités [24] » ! Il poursuit cependant « en détournant le célèbre adage de Karl Marx suivant lequel les prolétaires n’ont pas de patrie, on pourrait dire qu’à notre époque le capital et les capitalistes n’ont pas de patrie. Le capital est donc devenu beaucoup plus difficile à contrôler et à taxer. Cela a exacerbé la hausse des inégalités » [25].

BM consacre tout ce chapitre à décrire, à travers siècles et continents, ces vagues. Mais rétif qu’il est à reconnaître la prééminence des mouvements sociaux, il préfère souvent mettre en avant les données techniques. Toutefois, il conclut : « Un changement technologique favorable aux travailleurs peu qualifiés irait à rebours des innovations qui, historiquement, leur ont été préjudiciables [26], et qui caractérisent le capitalisme depuis ses débuts. On pourrait pourtant avancer que si l’évolution technologique tend à remplacer le travail humain, c’est en partie au moins parce qu’elle a été utilisée comme mode de disciplinarisation de la main-d’œuvre, et que, pendant les périodes de lutte des classes, les capitalistes trouvent plus commode d’être moins dépendants du travail. Une machine sera toujours plus docile qu’un travailleur. Mais, comme le pouvoir des organisations de travailleurs décline et comme les luttes de classes reculent, les capitalistes pourraient moins craindre de stimuler des innovations favorables aux travailleurs moins qualifiés. Quoi qu’il en soit, cette supposition demeure purement spéculative, et je ne sais pas vraiment quels espoirs il est raisonnable d’y placer » [27].

Milanovic désigne sous l’appellation TOP (technologie, ouverture, politique) ce qui soutient et accroît la mondialisation ; chacun de ces éléments agit en totale symbiose. Cette remarque paraît parfaitement fondée.

Il termine ce chapitre en identifiant les cinq forces qui pourraient s’opposer à la croissance des inégalités :

  • changements politiques qui pourraient, par exemple, modifier la fiscalité alors que jusqu’ici, c’est à une baisse de celle-ci, notamment pour les plus riches à laquelle on assiste ;
  • augmentation de l’offre de main-d’œuvre qualifiée par l’accroissement de ses compétences au détriment de l’éducation de tous ;
  • réductions des rentes, principalement grâce au progrès technique à la disposition de tous ;
  • convergence des revenus au niveau mondial. Le moins que l’on puisse dire est que, le chemin est très long et qu’on ne voit guère comment il pourrait être parcouru sous l’empire du capitalisme. Le graphique 1, le graphique 3 (non reproduit dans cet article) et le graphique 6 (sur lequel est figuré le décile 2 aux États-Unis encore bien supérieur au décile 8 en Chine), le montrent assez.
  • progrès technologique favorisant les travailleurs les moins qualifiés. BM, ne se montre guère optimiste pour que cette condition permette d’atteindre le but énoncé. On peut le comprendre ! Il faut ajouter, à propos de ce cinquième facteur de réduction des inégalités que, comme pour les quatre autres d’ailleurs, c’est l’état actuel des rapports de force qui ne permet pas de porter atteinte aux privilèges des propriétaires du capital. On se souvient de l’observation, il y a une quinzaine d’années déjà, de Warren Buffett, alors qu’il était déjà milliardaire depuis longtemps : « il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».

3 - Les inégalités parmi les nations

Le chapitre 3, que Milanovic sous-titre De Karl Marx à Frantz Fanon, pour revenir à Marx ?, montrant une fois encore et sa culture étendue et sa fine acuité, est illustré avec le graphique 33 reproduit ci-dessous ; il mesure de 1800 à la période présente, à partir du coefficient de Gini [0 traduirait une égalité parfaite et 1 (ou ici 100), une inégalité totale], les inégalités dans le monde et aux États-Unis.

Graphique 33 Inégalités dans le monde et aux États-Unis 1820-2011

Source sur les États-Unis indice de Gini à partir des tables sociales créées par Lindert et Wiliamson (2012) ;1929 à partir de Radner et Hinrichs (1974) ; 1931 et 1993 à partir de Smolensky et Plotnick (1992) ; de 1935 à 1950 à partir de Goldsmith et alii (1954) : après1950, à partir de US Census Bureau ; données sur le revenu brut ajustées afin de refléter le revenu disponible. PIB/habitant tiré du Madison Project (2013).

Les inégalités mondiales de 1820 à 2011

BM fait observer que, mesurées avec l’indice de Gini à propos duquel il convient, dit-il, d’être prudent, les inégalités mondiales ont baissé de quelque 5 points de Gini entre 1988 et 2011. Au-delà des réserves évoquées par Milanovic, rappelons que, calculé en dollars constants de 2010, le produit brut mondial, tel qu’indiqué par la Banque mondiale, est passé de 19 000 milliards à 73 000 milliards. BM insiste à nouveau sur le fait que la baisse des inégalités telles qu’elle apparaît à partir de celle de ce coefficient, est évidemment sensible à la quantification des revenus les plus élevés. Or, fait-il observer à nouveau, les revenus des 1 % les plus riches et plus encore les 0,1 % – ceux observés dans la trompe de l’éléphant – sont, dans les enquêtes aussi bien que dans les données fiscales, sensiblement sous-estimés parce que dissimulés par les intéressés. La grande quantité d’informations révélées dans les Paradise papers, montre assez, en effet, l’ampleur du phénomène que redoute Milanovic.

À ce stade, il s’interroge à propos de ce qu’il nomme inégalités de classe ou inégalités de lieu. Sans surprise, il montre qu’il s’agit bien de la première hypothèse. Il a conduit, autour de 2008, une étude relative aux revenus par tête des ménages répartis en centiles dans 118 pays ; il disposait ainsi de 11 800 centiles-pays. Il constate que, à centile équivalent, les résidents fortunés des pays riches tendent à avoir des revenus plus élevés que ceux des pays pauvres, ce qui n’est guère étonnant, une part du revenu est dépendant, pour plusieurs raisons, du pays de résidence. En revanche, pour les centiles du bas de la distribution, ce qu’il appelle la « prime de citoyenneté » joue pleinement. Il prend comme étalon de base le Congo et établit que la prime moyenne est, pour les États-Unis, de quelque 9 200 % et de 300 % pour le Yémen. Mais le paysage change pour les deniers centiles, en particulier ceux situés dans la trompe : pour eux, c’est la classe qui compte en premier. Les rapports Forbes montrent désormais, parmi les winners, d’autres noms que des patronymes états-uniens.

Concernant la détérioration climatique, une étude de la Banque mondiale parue en mars 2018 [28] note que trois régions du monde – Afrique subsaharienne, Asie du Sud, Amérique latine – pourraient être à l’origine de quelque 140 millions de migrants internes dans leur propre pays d’ici à 2050 ; cependant, ce nombre pourrait être réduit de 100 millions pour autant que la réduction de gaz à effet de serre soit sensiblement augmentée ; en outre, l’étude établit, dans ce contexte, une cartographie des zones d’émigration et d’immigration, précieuse pour la conduite de mesures d’ampleur. On comprend aisément que, outre les raisons de sécurité, celles qui conduisent les individus et les familles à migrer dans d’autres pays, où les perspectives d’espérer doubler, voire décupler, leur revenu quotidien, constituent une puissante incitation poussant les plus pauvres à tenter d’atteindre, dans les conditions que l’on sait, des zones moins inhospitalières.

BM soulève enfin la question des migrations qui, ne laisse que trois options :

  • permettre une totale et libre circulation de la main-d’œuvre et un traitement égal pour tous ;
  • permettre des flux migratoires limités, mais plus importants qu’aujourd’hui, et introduisant des différence de traitements définis par la loi entre locaux et étrangers ;
  • maintenir un flux migratoire à un niveau défini en inventant une fiction d’égalité de traitement de tous les résidents, tout en autorisant une inégalité de traitement pour les migrants en situation irrégulière.
    Milanovic estime la première solution irréaliste tandis que la troisième est, tout simplement celle, détestable, que le monde connaît aujourd’hui ; reste donc la seconde, qui est, à ses yeux, acceptable mais exige que les gouvernements, et leurs mandants, définissent une citoyenneté forgée hors le comportement et « l’opinion publique actuelle anti-immigration ».Les inégalités mondiales, durant ce siècle et le prochain

BM dresse alors le graphique 36, reproduit ci-dessous, à partir duquel il s’interroge pour savoir si la croissance des revenus des pays pauvres sera plus rapide que celle des pays riches au cours de ce siècle et à l’avenir.

Graphique 36 Inégalités mondiales de revenu entre pays, 1960-2013, pondérées ou non suivant la population

Source : Calcul Milanovic à partir de indicateurs Banque mondiale (WDI)

L’économiste de la Banque a eu l’idée de dresser sur le même graphique deux courbes pour mesurer de 1960 à 2013 les inégalités mondiales de revenu entre les pays, mesurées par l’indice de Gini [29]. En abscisse, on note les années d’observation, tandis qu’en ordonnée, sont reportées les valeurs Gini indiquées en pourcentage (en 1960, la valeur Gini est d’un peu plus de 50 % de Gini pour s’établir à 55 % de Gini vers 1995, montrant ainsi une augmentation des inégalités). La première, dite non pondérée, tracée en pointillé, pour laquelle la valeur brute de l’indice est relevée indépendamment de l’importance du pays ; la seconde, tracée en continu, pour laquelle le poids de chaque pays est pondéré en fonction de la population de celui-ci.

On observe sur la courbe en pointillé (qui reprend la valeur brute du PIB moyen/habitant pour tous les pays) que, jusqu’aux années 2000, c’est-à-dire au cours du développement d’une mondialisation supposée mettre au service des pays pauvres un accès aux meilleures politiques économiques, pourtant, on remarque de 1980 à 2000 une forte montée des inégalités. Que se passe-t-il quand le poids de chaque pays est pondéré en rapport à sa population ? La courbe tracée en continu traduit une baisse continuelle des inégalités, qui va s’accentuant à partir des années 2000. BM, ayant exclu la Chine de la représentation, explique de manière parfaitement plausible, que « la convergence (pondérée en fonction par sa population) ne dépend plus de l’évolution économique et sociale d’un seul et grand pays ». Il n’examine pas l’hypothèse qui suit, mais on peut légitiment se demander si la réduction des inégalités, devenant un bien public mondial [30], n’ouvrirait pas la seule voie conduisant à une véritable élimination de la pauvreté. Ce ne sont plus les marchés, organisés et contrôlés par les propriétaires du capital pour préserver leurs privilèges, mais les peuples, dans le cadre d’une Organisation des Nations unies totalement refondée [31], qui détermineront l’organisation et les priorités mondiales !

Milanovic s’interroge alors sur l’évolution des « inégalités dans les économies riches et émergentes » que sont les États-Unis et la Chine. Dans ce dernier pays, il observe une très forte augmentation de inégalités à partir de 1978 – correspondant aux réformes menées par Deng Xiaoping – jusqu’à la fin des années 1990 [32] ; il illustre cette observation par son graphique 39 [33] non reproduit ici. À partir de 2000, les inégalités, mesurées en PIB/habitant (en dollars PPA constants 1990), demeurent à un niveau élevé mais n’augmentent plus. Bien que refusant toutes prédictions, parce qu’erronées « à 99 % », il s’interroge alors sur ce qui pourrait advenir dans ce pays comptant 20 % de la population mondiale. Il remarque que, sur les 2 800 ans de l’histoire chinoise très bien documentée par les historiens, moins de 1 000 seulement ont vu un pays unifié. Il fait alors observer que la corruption et la concurrence, notamment, entre les autorités provinciales et locales, sont susceptibles de provoquer des mouvements centrifuges qu’il ne prétend absolument pas prédire. On peut à ce sujet se reporter à La Chine en mouvements [34].

Les États-Unis sont l’autre nation prise en référence. Pour ces derniers, il remarque que l’on dispose de données bien plus complètes que pour la Chine d’une part, d’autre part affirme-t-il, les forces susceptibles de faire baisser les inégalités dans ce pays, ne semblent pas y exister. Au contraire, il identifie cinq facteurs de hausse de inégalités :

  • forte élasticité capital/travail ;
  • revenus du capital très concentrés ;
  • revenus du capital et revenus du travail vont de plus en plus aux mêmes ;
  • bénéficiaires de hauts revenus (du travail et du capital) vivant de plus en plus entre eux ;
  • concentration des revenus favorisant la centralisation des pouvoirs politiques [35], en particulier le rôle de l’argent dans toutes les élections, à commencer par l’élection présidentielle [36].
    BM souligne que la conséquence la plus « pernicieuse » de l’extravagance des inégalités est le tarissement de la classe moyenne (entre les points A et B du graphique 1). « Ce danger est toutefois couplé à sa Némésis [37], une révolte des classes populaires, qui tend à prendre la forme du populisme ou du nativisme [38] » [39]. S’agira-t-il seulement de la colère de dieux ? Werner Herzog, il y a plus de quarante ans, montrait magnifiquement comment le personnage d’un Klaus Kinski brutal et ambitieux pouvait conduire au désastre ; il vrai cependant que Herzog n’avait eu recours qu’à un seul Dieu, souvent plus efficace en la matière ! Milanovic fait observer que ceux qu’il désigne comme les ploutocrates sont d’autant plus à l’aise que les pauvres délaissent les élections ; à partir des données établies par le US Census Bureau, il a calculé que, aux États-Unis, 80 % du décile supérieur votaient contre 40 % pour le décile inférieur.

4 - Que faire ?

Milanovic ne prétend pas indiquer ce qui va se passer dans l’avenir mais, plus modestement, articule une sorte de conclusion à son ouvrage autour de dix réflexions :

  • Quelles forces sont en présence pour influer sur les inégalités mondiales au XXIe siècle ? On se souvient que BM montrait, assez facilement au regard de l’histoire, que l’hypothèse de Kuznets selon laquelle les inégalités étaient d’abord faibles dans les pays à faibles revenus, pour croître avec l’augmentation de ceux-ci et finalement décroître dans les pays à hauts revenus, se révélait fausse. C’est la raison pour laquelle il a forgé l’expression vagues de Kuznets, alternant des phases de croissance et de décroissance des inégalités. Ces vagues et la convergence économique sont déterminantes pour ce siècle sur un fond du déplacement de gravité vers l’Asie.
  • Que vont devenir les classes moyennes les plus riches ? Elles sont prises dans une sorte d’étau les enserrant dans un espace où, d’un côté, elles ne peuvent espérer bousculer les ploutocrates et, de l’autre, elles sont contraintes par les classes moyennes émergentes, moins rémunérées qu’elles. Dans le nouveau capitalisme, les riches ont, pour eux, résolu le dilemme, ils contrôlent capital et travail. Pour les autres, ce risque d’être une sorte de loterie distribuée par la naissance.
  • Quid des inégalités dans les États-providence riches ? Le XXe siècle semble être la seule longue période enregistrant une hausse du revenu moyen et une baisse des inégalités. Son renouvellement au XXIe siècle ne pourrait être envisageable qu’à travers une forte augmentation fiscale sur le capital ; selon lui, cette hypothèse n’est guère envisageable dans l’état actuel de la société.
  • Milanovic se demande si les gagnants continueront à rafler toute la mise. Il soulève ici la question du caractère extensible (jusqu’à quelle limite ?) des biens et services. Il montre les limites de l’exercice avec l’exemple de son n°1 de tennis et du 150e, dont les revenus seront sans commune mesure, et sans rapport avec le savoir-faire de l’un et de l’autre. Il met aussi en évidence comment la mondialisation et la technique changent la donne ; un pianiste virtuose et connu pourra être entendu et rémunéré dans le monde entier. Se posera alors la question du nombre d’activités extensibles.
  • Sur les dangers d’une focalisation sur les inégalités existentielles ou catégorielles au détriment des inégalités de revenus ou de patrimoines, il fait observer que les sociétés riches parviennent beaucoup plus facilement à réduire les premières (ethniques, de sexe, etc.) que les secondes. D’une part, il y a beaucoup à dire en la matière, d’autre part, les propriétaires du capital accepteront toujours plus facilement de reconnaître, légalement, qu’il n’y a pas de différence entre un blanc et un noir, que d’abroger les monstrueuses inégalités de revenus et de patrimoines qui, sont la source de leurs privilèges. Mais il souligne trois raisons à ce qu’il désigne comme l’erreur de ne retenir que la lutte contre les inégalités existentielles. En premier lieu, cette politique « se traduit très vite par des politiques identitaires » [40]. C’est, ensuite, ne pas traiter la problème à la racine ; il retient, à cet égard, la prostitution qui, abordée sous le seul angle de genre, passe sous silence le fait que ceux qu’il nomme les « travailleurs du sexe » le sont, très majoritairement pour des raison de revenus. Enfin, réclamer et même établir une égalité catégorielle est toujours plus facile et même peut se révéler politiquement « payant ».
  • Le travail est-il un facteur de production comme un autre ? Il observe que, sur les questions « de travail et de migration, la gouvernance mondiale est presque totalement absente » [41], alors qu’il existe plusieurs institutions mondiales sur d’autres questions (Banque mondiale, FMI, Organisation mondiale de la santé, OMC). Pendant ce temps, l’Organisation internationale du travail a peu de pouvoir quant à l’organisation internationale des migrations, elle se voit cantonner à tenir des statistiques.
  • Quid de la croissance ? BM se montre sévère à l’égard des critiques de la croissance qui, pour lui, demeure « l’instrument le plus puissant pour réduire la pauvreté et les inégalités mondiales » [42]. Il se révèle sans pitié – à juste titre – envers ceux qui réclament, sans autre forme de procès, la décroissance tous azimuts, dont il compare la pratique « à celle qui consistait jadis à acheter des indulgences pour expier ses pêchés dans l’Église catholique » [43]. Il réclame que soit largement documentée, ce qui est très simple selon lui, la démonstration que « plus de la moitié des toutes les émissions [de GES] sont le fait des 10 % les plus riches du monde » [44]. C’est pourquoi il est tout à fait indispensable de « trouver un subtil équilibre entre trois variables : le taux de croissance des pays pauvres (et peuplés), les flux migratoires et la soutenabilité environnementale » [45].
  • La question des inégalités demeure un point central du champ de l’économie. L’hétérogénéité fait partie de ses préoccupations qui, dès lors, traitent des inégalités qui ne sont pas que de patrimoine et de revenus.
  • Pourquoi l’État-nation devient-il moins pertinent ? La référence aux États est parfaitement compréhensible, tant c’est à partir d’eux que sont étudiées, jusqu’ici, de nombreuses variables. Mais, pour Milanovic, l’euro et Union européenne sont là pour montrer que les références statistiques peuvent vite changer. Cependant, il n’est pas impossible de rêver à un autre changement radical qui conduirait à une UE qui abandonnerait le néolibéralisme !
  • Les inégalités peuvent-elles disparaître ? Non, en raison de la distribution de ses gains de plus en plus inégale.

Même si l’ouvrage de Branko Milanovic mérite interrogations, voire contestations – comment pourrait-il en aller autrement – il s’agit d’un travail de première importance tant pour la réflexion économique à laquelle il se réfère qu’à la masse considérable d’informations – parfois inédites ou peu connues – qu’il livre et explique. Il a chiffré pour la période 1988-2008 – à partir d’un registre considérable de données fiscales – que le 1 % des plus riches de la planète avait absorbé 19 % de la croissance. L’équipe constituée notamment autour de Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman a poursuivi, sur la période 1980-2016 – à partir de minutieuses enquêtes – les travaux entrepris par Milanovic et parvient à une absorption de 25 % [46]. Quels que soient les chiffres définitifs, on constate que la prédation est considérable.

Il a le grand mérite de largement documenter les risques mondiaux que font courir les inégalités, à commencer, bien entendu par ceux qui les subissent. Milanovic déplore à juste titre que si la communauté internationale a bâti des organismes internationaux visant à prévenir les crises économiques et financières, elle reste souvent muette, ou presque, sur d’autres sujets d’importance. Il y a plus de trente ans, sur l’initiative du Programme des Nations unies pour l’environnement, était créé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui compte aujourd’hui 193 pays. Selon le Global carbon Project, les émissions de CO2 ont augmenté en 2017 et 2018 conduisant, selon le PNUE à fin 2017, à 49 milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère

Ainsi, il est établi qu’un réchauffement moyen de la planète supérieur à 1,5° C par rapport à la période préindustrielle signifierait une mise en danger, y compris de mort, d’une partie de l’humanité. Les processus conduisant à cette catastrophe sont nombreux et largement documentés : élévation de la température de surface, précipitations et cyclones, fontes des glaces provoquant l’élévation du niveau des mers, altération des écosystèmes, baisse des ressources et dégradation de la santé humaine constitueraient le résultat de cette élévation de 1,5 ° C qui, sur la trajectoire actuelle, devrait intervenir en 2030.

Devant une telle démonstration on ne peut que s’interroger sur ce qui peut bien pousser un être humain à poursuivre comme si de rien n’était. Cependant, ce n’est pas l’être humain en général qui est visé ici mais les quelques ploutocrates de Milanovic. Revient alors en mémoire ce qu’écrivait, il y aura bientôt 90 ans, Keynes à ses petits-enfants : « l’amour de l’argent comme objet de possession […] sera reconnu pour ce qu’il est, une passion morbide plutôt répugnante, une de ces inclinations à moitié criminelles, à moitié pathologiques, dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes de maladies mentales ». 

Notes

[1Branko Milanovic, Global inequality : a new approach for the age of globalization, Cambridge, Harvard University press, 2016.

[2Branko Milanovic, Inégalités mondiales – Les destin des classes moyennes, les ultra-riches et l’égalité des chances, Paris, La Découverte, 2019.

[3Bolsonaro’s reforms in Brazil begin with a bang, éditorial FT du 24 février 2019.

[4The New York Times, January 1, Recent history in one chart.

[5WID, World inequalitty database a été élaboré par Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, et Gabriel Zucman à l’École d’économie de Paris et édite tous les ans un Rapport sur les inégalités mondiales ; le premier étant paru fin 2017.

[6Présenté page 22 de l’ouvrage publié en français.

[7La PPA, parité de pouvoir d’achat, vise à s’affranchir de l’impossibilité des parités officielles de change d’offrir des comparaisons pertinentes entre les différents pays du monde ; elle s’appuie sur le prix d’un panier de biens et services retenus comme étant supposés offrir la même qualité de vie aussi bien à New-York qu’à Bamako.

[9Observatoire des inégalités, « Combien gagnent les très riches ».

[10.Le mouvement des Gilets jaunes en France a, sans doute consciemment ou non, fait sien ce constat.

[11On peut, à l’inverse, penser qu’ils connaissaient très précisément les conséquences de leurs décisions. En tout cas, leurs mandants, les propriétaires du capital, faisaient adopter de telles décisions en vue d’augmenter leur profits. Pari gagné puisque selon le Global dividend index, ils devraient atteindre en 2019, quelque 1500 milliards de dollars après avoir, sur les deux années 2017 et 2018, augmenté respectivement de 7,7 % et 9,3 %.

[12Page 31.

[13Page 33.

[14Page 36.

[15Page 37

[16Chaque année, The Conference Board publie un graphique montrant une tendance longue à la diminution de la progression de la productivité du travail à travers le monde. Pour les pays émergents seuls, la productivité du travail s’accroît fortement sur la période qui correspond, à peu près, à celle retenue par BM pour établir son propre graphique 1. On peut consulter cette courbe sur le « Total Economy Database Summary Tables ». Elle a été utilisée dans plusieurs articles récents pour analyser les transformations et la crise du capitalisme contemporain, notamment par M. Husson, « Economic crisis and global disorder, An increasingly chaotic globalization », Europe solidaire sans frontières, 23/12/2018, et plus anciennement par J.-M. Harribey, « L’impact cumulé des crises sociale et écologique du capitalisme sur le devenir de la croissance : la fin programmée de celle-ci ? », Colloque de Recherche et Régulation, 10-12 juin 2015.

[17Ploutocratie dont l’étymologie grecque renvoie à Ploutos, divinité de la richesse et à Kratos divinité du pouvoir, de la puissance.

[18En 2013, le produit brut mondial était estimé par la Banque mondiale à 77 000 milliards $ courants et 17 000 milliards en 1987.

[19Selon une étude de la Federal rerserve, la richesse médiane de la famille américaine est passée de 139 dollars courants en 2007 à 83 dollars courants en 2013.

[20Selon les données de l’Université de Sherbrooke (Perspective monde), le PIB/habitant en Chine, exprimé en $PPA courant, est passé de 6 864 en 2007 à 12 368 en 2013.

[21On pourra se reporter aux comptes rendus des investigations menées par l’International consortium of investigative journalists dont les Panama papers et autres Paradise papers ont rassemblé et mis à dispositions une masse considérable de données jusque-là secrètes.

[22[F. Alvaredo, L. Chancel, T. Piketty, E. Saez, G. Zucman, « Global Inequality and Policy, The Elephant Curve of Global Inequality and Growth », AEA Papers and Proceedings, 2018, 108, p. 103-108.

[23Citation de Kuznets par BM, page 57.

[24Page 61.

[25Page 67.

[26Et donc favorables aux capitalistes.

[27Page 128.

[29L’indice de Gini, mesure statistiquement, ici la répartition des revenus au sein de la population mondiale. C’est un nombre compris entre 0 et 1, où 0 traduirait une égalité totale et 1 signifierait une inégalité intégrale. La Banque mondiale, et Milanovic, font souvent référence à des pourcentages de Gini.

[31Collectif Attac, Une autre ONU pour un autre monde, Paris, Tribord, 2010.

[32En 2018, toutes les entreprises – 66 millions d’entrepreneurs individuels et 27 millions d’entreprises – ne relevant ni de l’État ni d’une collectivité, auraient contribué à hauteur de 60 % de la valeur ajoutée chinoise.

[33Page 192.

[34Émilie Frenkiel et Jean-Louis Rocca, La Chine en mouvements, Paris, PUF, 2013.

[35On peut lire à ce sujet, Patrick Artus Le retour de rentes d’oligopole, la concentration croissante des entreprises, Flash économie Natixis, janvier 2019.

[36Le coût de la présidentielle 2016 approcherait 3 milliards de dollars et, avec l’élection au Congrès, s’établirait à 7 milliards.

[37Fait notamment référence à la déesse Némésis, instrument de la colère des dieux.

[38De nativism, idéologie hostile à l’immigration et aux populations qui en sont issues.

[39Page 206.

[40Page 243.

[41Page 245.

[42Page 245.

[43Page 247.

[44Page 248.

[45Page 248.

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