On peut prendre connaissance de Global Carbon Budget Highlights et accéder à un diaporama expressif. Selon les chiffres de GCP, le monde aura émis en 2013, 40 milliards de tonnes de CO2, en augmentation, par rapport aux émissions de 2012, de plus de 2 % (près de 1 milliard de tonnes). Chacune des planches du diaporama est instructive. On verra sur la diapo 6 un graphique représentant, pour la période 1960-2010, les émissions des quatre plus gros émetteurs qui, en 2012, émettent 58 % du total mondial des émissions de CO2, soit 27 % pour la Chine (qui compte pour 71 % de la croissance 2012 des émissions), 14 % pour les États-Unis, 10 % pour l’Union européenne et 6 % pour l’Inde. On remarquera la diminution des émissions européennes au cours des deux dernières décennies. Les États-Unis restent le plus gros émetteur par personne (4,4 tonnes de carbone/an) ; la Chine ayant rejoint l’Union européenne (1,9). La diapo 13 illustre l’évolution des émissions sur la période 1870-2012. Aujourd’hui, les émissions de l’ensemble des pays en voie de développement représentent 20 points de plus que celles des pays développés ; lors de la signature du Protocole de Kyoto en 1990, c’était près de 20 points de moins. Les diapos 20 et 21 indiquent les émissions selon le scénario retenu jusqu’en 2100 et montrent que, dans la pire des prévisions, l’augmentation de température, par rapport à la période préindustrielle, se situerait entre 3,2°C et 5,7°C, alors qu’il serait nécessaire de ne pas dépasser 2°C.
Le rapport 2013 du GCP établit clairement que l’humanité se situe, maintenant, dans le pire des scénarios construits par les experts. C’est, tout aussi brutalement, la survie de l’humanité qui est en cause. On voit mal comment, dans ces conditions, le climat pourrait ne pas constituer un bien public mondial et, dès lors, il faut exiger les financements et interdictions qui en découlent. À ceux qui prétendent que parvenir à un tel accord est, tout simplement, inaccessible, on peut demander s’ils ont présent à l’esprit que 2100 est tout proche, et qu’un assez grand nombre des êtres humains d’aujourd’hui devraient encore être là à cette époque. Mais les processus suicidaires par aveuglement sont fréquents dans l’histoire. Au mitan du 19e siècle, dans Les luttes de classes en France, Marx, évoquant le suicide de la bourgeoisie, écrivait « Les fractions coalisées de la bourgeoisie sont déjà condamnées du fait même qu’elles désertent la seule forme possible de leur pouvoir commun, la forme la plus puissante et la plus complète de leur domination de classe, la République constitutionnelle, et retournent à cette forme inférieure, incomplète et plus faible qu’est la monarchie ». Plus tard, la « pulsion de mort » du capitalisme, et son exigence d’accumulation, seront aussi abordées par Keynes, qui ne cachera pas le grand intérêt qu’il porte aux travaux de Freud. Ainsi en 1930 dans Perspectives économiques pour nos petits-enfants, et mû par un optimisme dont il n’est guerre coutumier, il écrit « Quand l’accumulation de la richesse ne sera plus d’une grande importance sociale, de profondes modifications se produiront dans notre système de moralité. Il nous sera possible de nous débarrasser de nombreux principes pseudo-moraux qui nous ont tourmentés pendant deux siècles et qui nous ont fait ériger en vertus sublimes certaines caractéristiques les plus déplaisantes de la nature humaine. Nous pourrons nous permettre de juger la motivation pécuniaire à sa vraie valeur. L’amour de l’argent comme objet de possession, qu’il faut distinguer de l’amour de l’argent comme moyen de se procurer les plaisirs et les réalités de la vie, sera reconnu pour ce qu’il est : un état morbide plutôt répugnant, l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales. Nous serons enfin libres de rejeter toutes sortes d’usages sociaux et de pratiques économiques touchant à la répartition de la richesse et des récompenses et pénalités économiques, et que nous maintenons à tout prix actuellement malgré leur caractère intrinsèquement dégoûtant et injuste parce qu’ils jouent un rôle énorme dans l’accumulation du capital ».
Naomi Klein publie dans NewStatesman du 29 octobre 2013 « How science is telling us all to revolt », traduit sous le titre « Comment la science nous appelle tous à la révolte ». Elle fait référence à des communications présentées lors de la conférence annuelle de 2012 ; cette conférence, organisée chaque année à San Francisco par American Geophysical Union, réunit quelque 25 000 scientifiques du monde entier. Naomi Klein cite, entre autres, cette charge violente de Kevin Anderson et de sa collègue Alice Bows, « A new paradigm for climate change », publiée par Nature [Nature Climate change]. L’un et l’autre appartiennent au très renommé britannique Tyndall Centre for Climate Change Research. Ils écrivent crûment : « dans l’élaboration de scénarios d’émissions, les scientifiques ont à plusieurs reprises et gravement sous-estimé les implications de leurs analyses. Quand il s’agit d’éviter une augmentation de 2°C, "impossible" est traduit en "difficile mais faisable", tandis que "urgent et radical" devient "difficile" - tout ça pour apaiser le dieu de l’économie (ou, pour être plus précis, celui de la finance). Par exemple, pour éviter de dépasser le taux maximum de réduction des émissions dicté par les économistes, des premiers pics d’émissions sont présumés "impossibles", tout en présentant des notions naïves sur la "grande" ingénierie et les rythmes de déploiement d’infrastructures à faible émission de carbone. Plus inquiétant encore : tandis que les marges de manœuvre diminuent, la géoingénierie est de plus en plus sollicitée pour faire en sorte que le diktat des économistes demeure incontesté ».
La Banque mondiale et le GFDRR (Global Facility for Disaster Reduction and Recovery) ont publié le 18 novembre 2013 Building resilience : Integrating climate and disaster risk into development.
Le GFDRR est un partenariat conclu entre 41 pays et 8 organisations internationales qui vise à réduire la vulnérabilité aux catastrophes naturelles et à renforcer l’adaptation au changement climatique. On remarquera la figure A dès le résumé de cette étude. Elle retrace, pour chacune des trente-deux années de la période 1980-2012, les pertes (calculées en milliards de dollars 2012) résultant des catastrophes liées au climat. Le rapport les chiffre sur la période à 3800 milliards de dollars ($ 2012), dont plus de 400 milliards pour 2011. Il n’est pas inutile de comparer ce montant de 2011 à celui du total de l’aide publique au développement (APD) – 141 milliards – de la même année, ou encore au PIB de ce que le PNUD dénomme « Petits États insulaires » – 54 millions d’habitants – évalué en 2011 à 222 milliards $PPA.
Le rapport Stern estimait en 2006 la réduction de la consommation par tête entre 5 % et 20 % due à la dégradation climatique. Il précisait cependant que, en raison des sous-estimations et de la non-prise en compte (dans le modèle utilisé) de plusieurs données, il était raisonnable de retenir une baisse de 20 %. Huit ans plus tard, les craintes exprimées dans le rapport sont, au moins, confirmées. Pour pallier cette chute, le rapport estimait « Resource cost estimates suggest that an upper bound for the expected annual cost of emissions reductions consistent with a trajectory leading to stabilisation at 550ppm CO2e is likely to be around 1% of GDP by 2050 ». 1 % du PIB mondial, c’était, selon les auteurs, fort peu pour éviter la catastrophe.