Les Balkans occidentaux

Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro, Serbie
vendredi 21 février 2014, par Catherine Samary *

Un besoin d’Europe… L’élargissement de l’Union européenne (UE) se poursuit dans l’Europe du Sud-Est, en dépit d’une situation de turbulences socio-économiques et politiques sans précédent, à la fois dans l’Union et dans les Balkans : la Croatie, sans sortir du marasme depuis 2009, est devenue membre de l’UE le 1er juillet 2013, quittant ce faisant les « Balkans de l’Ouest » qui regroupent, pour l’UE, les candidats potentiels à l’adhésion. Le Kosovo a, quant à lui, gagné le droit d’en faire partie « officiellement ».

Même s’il n’est toujours pas reconnu comme État par la Serbie depuis son indépendance de février 2008 (ni par tous les membres de l’UE et de l’ONU), l’accord conclu avec elle fin avril 2013 marque un tournant : il facilite les rencontres internationales et ouvre la porte des négociations avec l’UE des deux côtés (pour un Accord de stabilisation et d’association – ASA – avec Pristina, alors que Belgrade entamera la dernière étape avant l’adhésion). L’hypothèse optimiste stimulant l’avancée de tels accords est que l’intégration de tous les pays des Balkans de l’Ouest dans un même cadre européen permettrait aux communautés, éclatées sur plusieurs pays membres, d’être dotées d’une citoyenneté européenne qui faciliterait les liens. Une telle perspective est sans doute aussi à l’arrière-plan de la défaite en Albanie de Sali Berisha, qui tenait le plus ouvertement un discours en faveur d’une « Grande Albanie », alors que les grandes puissances usent de la carotte de l’intégration européenne pour tenter de pacifier la région.

Cette perspective se heurte pourtant à l’état même de l’Union et à ses orientations tournées vers des politiques d’austérité et de concurrence qui aggravent les écarts et favorisent deux autres dynamiques conflictuelles. La première est la persistance de courants nationalistes qui se nourrissent de la dénonciation des relations de « périphérisation » des peuples balkaniques par les grandes institutions internationales et européennes. L’hostilité du mouvement Vetëvendojsa (« Autodétermination ») au Kosovo à l’égard des récents accords signés avec Belgrade en témoigne. Il en va de même des blocages nationalistes persistant en Bosnie-Herzégovine contre la remise en cause des divisions ethniques institutionnalisées à Dayton. La croissance de courants nationalistes xénophobes d’extrême droite au sein même de pays membres de l’Union – de la Hongrie à la France – et du racisme envers les peuples « paresseux » et laxistes du sud de l’Europe montre, malheureusement, que l’Union ne protège pas de ces évolutions.

… Une Europe, mais laquelle ?

Mais une autre tendance – troisième voie entre l’acceptation de l’UE comme telle et les replis nationalistes – se fraye difficilement son chemin depuis 2009, sans offrir pour l’heure d’alternative cohérente. Elle exprime à la fois une critique de la xénophobie et des désastreuses violences auxquelles ont conduit les projets d’États-nations ethniquement purs, mais aussi des désillusions croissantes envers l’intégration à l’UE telle qu’elle est : en partie « yougo-nostalgique » sans être passéiste, elle est portée par la radicalisation d’une nouvelle génération dans le contexte de la montée des grèves. De nouveaux mouvements sociaux expriment des exigences de « justice sociale » prévalant sur les conflits identitaires, dénonçant la corruption endémique, mais aussi les alternances électorales sans alternatives et choix réels. Ils questionnent la construction européenne.

La crise de la zone euro et les orientations institutionnelles et socio-économiques adoptées pour juguler la spéculation des marchés ont fait des dettes publiques le vecteur de politiques d’austérité durables à l’échelle de toute l’Union, qui doivent être traduites en « règles d’or » dans les constitutions nationales, y compris pour les futurs candidats à l’Union. Pourtant, ces dettes publiques sont, en Europe du Sud-Est (et de l’Est, en général), bien inférieures à celles de la « vieille Europe ». La « nouvelle Europe » a, en effet, joué un rôle « d’avant-garde » spécifique, radicalisant, après 1989, le tournant néolibéral de la construction européenne et l’unification allemande pesant sur l’application des critères de Maastricht de 1992 et les choix budgétaires de l’Union dans les années 2000. Les nouveaux candidats devaient s’y plier pour être reconnus dignes de « l’Europe ». Alors que l’élargissement vers les pays du Sud s’était accompagné d’une augmentation des fonds structurels de l’UE en direction des pays et régions les plus pauvres, celui vers la périphérie de l’Est s’est inscrit dans une logique de libre-échange non atténuée par le rôle social (démantelé) des États, ni par un budget redistributif de l’Union digne de ce nom. Ce dernier a, au contraire, été – et demeure – plafonné aux environ de 1 % de son PIB. Même les aides publiques de pré-adhésion étaient conditionnées par des privatisations et des accords de libre-échange et les principaux financements devaient être privés et orientés vers les investissements directs étrangers (IDE). Ce processus fut facilité par la privatisation des banques qui prit la forme prédominante de filiales de banques d’Europe occidentale. C’est ainsi que la part des actifs étrangers se situe dans les Balkans de l’Ouest entre 74 % (Serbie) et plus de 90 %, deux pays (Kosovo et Monténégro) utilisant de surcroît l’euro sans être membre de l’UE. Cette intégration financière, voire monétaire « organique », était jusqu’en 2009 perçue comme gage de stabilité et de croissance.

Dans la phase euphorique de « rattrapage » précédant 2009, les IDE furent attirés par un dumping fiscal et social et, après 1999, par les perspectives sécurisantes d’adhésion à l’UE. Toutefois, ils ont été accompagnés d’un fort endettement et de déséquilibres extérieurs. Comme il a été indiqué dans le même chapitre du TB 2012 – qui ne disposait pas des chiffres du WIIW (Institut de Vienne pour les Études économiques internationales) pour le Kosovo –, les récessions les plus graves de 2009 (de 7 % à 3 % du PIB) ont touché les pays où la croissance avait été la plus forte : Croatie, Monténégro et Serbie. Pour leur part, le Kosovo et l’Albanie ont été les seuls de la région à garder une croissance en 2009 : le premier, au lendemain de sa déclaration d’indépendance, grâce à de forts investissements publics soutenus par des bailleurs de fonds et les transferts de la diaspora ; le second, également par le soutien public de la demande interne dans un contexte électoral tendu et par le retour au pays, avec leur épargne, de populations immigrées touchées par le chômage dans le pays d’accueil. La région tout entière a peiné à sortir de la crise, avec une demande intérieure faible, une baisse des IDE et des crédits qui avaient alimenté la croissance avant 2009 (non sans créer des bulles immobilières comme au Monténégro ou en Croatie). C’est la coalition, dès 2010, des grandes institutions financières (dite “Initiative de Vienne”, renouvelée en 2011 et toujours en vigueur) qui a contenu le risque de rapatriement des fonds bancaires par les maisons mères que craignait la BERD, dans le contexte persistant de l’accumulation des créances douteuses dans les pays d’origine et d’accueil.

Le panorama de 2012 se détériore à nouveau dans l’ensemble des Balkans de l’Ouest. La croissance du Kosovo se ralentit en restant la plus forte, mais c’est le pays le plus pauvre. La récession frappe à nouveau la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie, et le WIIW a dû réviser à la baisse les pronostics de croissance concernant l’Albanie, en raison, notamment, d’une diminution majeure des investissements. Pèsent sur tous ces résultats la chute des exportations vers la zone euro, notamment au Sud, une demande intérieure privée faible alors que les pressions du FMI et des autorités européennes contraignent l’évolution des dépenses publiques, des cibles de dette publique inférieures à 45 % du PIB étant généralement fixées. Observons au passage que les dettes publiques demeurent largement en dessous de la moyenne de l’UE à 28 (environ 85 % du PIB), tout en dépassant 50 % en Serbie, au Monténégro et en Albanie, contre un niveau d’environ 6 % particulièrement bas au Kosovo. Les déficits courants avec l’extérieur (près de 20 % du PIB au Monténégro et aux environs de 10 % en Bosnie-Herzégovine, Serbie, Albanie, Kosovo) reflètent, pour leur part, les déséquilibres majeurs du commerce et les mouvements des revenus du travail (émigré) et du capital étranger.

Le fragile rebond des IDE (majoritairement européens dans les Balkans) en 2011, après une forte chute en 2008, ne s’est pas confirmé en 2012. Les déficits commerciaux se sont dégradés par suite de la hausse des prix des produits importés, sans que ceux-ci augmentent en volume, la demande interne restant faible. L’UE concentre 65 % des échanges extérieurs de la région dont le déficit augmente. Les pays s’efforcent de réorienter les flux commerciaux : parfois vers la Chine et les pays arabes et vers les Balkans au sens large, incluant la Bulgarie et la Roumanie. Mais cela reste modeste (inférieur à 12 % des échanges).

Notons que l’adhésion de la Croatie à l’UE aura pour effet de modifier la donne en élevant des barrières non tarifaires pour les produits importés en Croatie en provenance de la zone de libre-échange centre-européenne (CEFTA) à laquelle elle appartenait, mais qui en exclut les pays devenus membres de l’UE. Aussi le CEFTA ne comprend plus à ce jour, outre la Moldavie, que les pays des Balkans de l’Ouest (désormais sans la Croatie). C’est la Bosnie-Herzégovine qui sera la plus affectée, d’une part car elle devient la nouvelle frontière de l’UE, d’autre part car elle était concernée en 2011 par 12 % des exportations et plus de 3 % des importations croates, le bilan pouvant être partiellement modifié par des délocalisations d’entreprises croates vers la Bosnie-Herzégovine (BH).

Conséquence de la détérioration de la situation économique, le « social » est devenu au centre des préoccupations populaires dans les Balkans de l’Ouest. Le taux de chômage s’étale, en effet, entre 14 % (Albanie) et plus de 45 % au Kosovo et en BH, restant depuis plusieurs années au-dessus de 30 % en Macédoine, un chiffre vers lequel tend la Serbie où le taux a doublé depuis 2009. Plus de 40 % des 15-24 ans, en moyenne, sont chômeurs – un chiffre qui monte à 60 % en BH, au Kosovo, et à plus de 50 % en Serbie –, contre environ 40 % en moyenne dans l’UE. Le chômage de longue durée est lui aussi supérieur à la moyenne de l’Union (notamment en Macédoine et en BH où il atteint plus de 80 %). De surcroît, ce sont des chiffres qui sont sous-estimés en raison de la baisse de la population active (du fait du découragement des chercheurs d’emplois et du déploiement d’une économie informelle évaluée à 30 % du PIB contre 20 % en moyenne dans l’UE). Enfin, les salaires bruts moyens dans les Balkans occidentaux, comparés à une base 100 pour l’UE à 28, s’échelonnent, selon Eurostat, entre 9,7 en Albanie et 24,8 au Monténégro, bien en dessous de la moyenne des 11 nouveaux membres de l’Europe de l’Est (32,7). Une enquête rapportée par Courriers des Balkans du 30 juillet 2013 situe même les salaires minimaux en dessous de ceux de la Chine.

Globalement, les pronostics de croissance pour 2013, tout en étant meilleurs que l’année précédente, restent médiocres et fragilisés par les incertitudes touchant l’UE, notamment en ce qui concerne la baisse des fonds envoyés par les émigrés qui jouent un rôle très importants dans les Balkans de l’Ouest. Des différences tiennent aux évolutions spécifiques des principaux pays partenaires – le plus souvent l’Italie et la Grèce, mais plutôt l’Allemagne et la Suisse pour le Kosovo. La seconde « Initiative de Vienne » réunit à nouveau depuis 2011 toutes les grandes institutions financières internationales, la Commission européenne et des représentants des pays d’origine et d’accueil des banques commerciales massivement à capitaux étrangers en Europe du Centre, de l’Est et du Sud-Est. Son rapport de juillet 2013 rectifie l’évaluation plus optimiste du précédent ; il souligne que la deuxième vague de réduction des fonds par les maisons mères des banques locales, constatée en 2011, s’est poursuivie en 2013 dans toute cette région, accompagnée d’une faiblesse des crédits. Son comité directeur doit discuter plus précisément les implications pour les pays non-membres de l’Union (donc les Balkans occidentaux) des transformations en cours des mécanismes de supervision bancaire au plan européen : il s’inquiète de la montée des prêts non performants. La nouvelle orientation désormais préconisée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) est la substitution des dépôts domestiques aux financements extérieurs, le plus vite et autant que possible. Le rapport du WIIW de juillet 2013 reprend cette orientation et prône « un nouveau modèle de croissance » fondé sur la demande domestique de consommation et d’investissement. Mais il constate que ce « nouveau modèle » est loin d’être encore appliqué, « en particulier dans les Balkans ». Il s’interroge sur de possibles « révolutions à venir », compte tenu des pronostics pessimistes pour 2013.

Vers des « Printemps balkaniques » ?

Comme cela fut le cas depuis plusieurs décennies, la règle reste souvent l’éparpillement de grèves et manifestations parfois désespérées. Dans un contexte de montée de la grogne sociale contre la corruption et les privatisations frauduleuses, les luttes contre la privatisation des services publics, notamment de l’éducation, ont marqué, depuis 2009, l’entrée en scène d’une nouvelle génération dans plusieurs pays. Les « Indignés » de Roumanie et Bulgarie, mais aussi de Turquie marquent les consciences. Mais dans « l’espace yougoslave », les thèmes autogestionnaires qui sont abordés dans un ensemble de forums et réseaux sociaux ont aussi une certaine résonance. Des liens se nouent, à la fois verticaux (entre plus ou moins jeunes intellectuels et travailleurs en grève) et horizontaux (transnationaux, balkaniques). En témoignent le réseau « Balkan Student » qui s’est réuni pour la quatrième fois en décembre 2012 à Skopje (avec des participants de Serbie, du Kosovo, de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, de Macédoine), mais aussi le « Forum social des Balkans », organisé en Croatie pour la deuxième fois en mai 2013, dans le cadre du « Festival subversif », non sans rapport avec les jeunes animateurs des cycles de formation et discussion de l’« Université parallèle autogérée » de Ljubljana.

Au lendemain des conflits balkaniques des années 1990, les choix politiques offerts ont souvent été binaires : nationalismes contre « européismes » alignés sur les politiques de l’UE. Les nouveaux réseaux balkaniques expriment une critique sur ces deux plans et révèlent une crise générale de la démocratie représentative. Celle-ci se concrétise par la défiance croissante envers les partis politiques. La gestion collective des « communs » – dont l’étude a valu à Elinor Ostrom le « Nobel » d’économie en 2009 – émerge aussi comme réflexion nouvelle contre la privatisation des services publics ou d’anciennes propriétés collectives.

Les luttes étudiantes de 2011 au Monténégro, comme en Croatie ou en Serbie, ont, quelles qu’aient été leurs issues, durablement marqué une nouvelle génération utilisant largement les réseaux sociaux. La résistance à la privatisation de l’éducation entre en résonance avec les protestations contre les baisses des salaires et des pensions quand les tarifs des services publics augmentent et que s’enrichit un « État mafieux ». Ces dynamiques ont été perceptibles en Albanie lors de manifestations récurrentes, au Monténégro en 2012, à l’appel des syndicats, d’organisations anti-corruption et des étudiants, ou encore, depuis juin 2013, en Bosnie-Herzégovine, dans un mouvement d’ensemble « contre le népotisme et l’arrogance » de la classe politique. Dans ce dernier pays, la « révolution des bébés » (voir infra) a rapproché les citoyens de toutes origines, révulsés par les méfaits des conflits paralysants des partis nationalistes au pouvoir. Au cours de l’été 2013, des manifestations analogues ont eu lieu à Skopje, ou encore en Serbie où des milliers de chercheurs et étudiants manifestaient contre la marchandisation de l’éducation et de la recherche, mais aussi en solidarité avec les grandes entreprises privatisées de façon frauduleuse, et contre les partis de toutes étiquettes, rappelant celles des « Indignés » de droite et de gauche de Bulgarie.

La révolte se tourne contre toute la classe politique lorsque, quelle que soit leur étiquette, les partis au pouvoir ignorent les protestations populaires et prônent les mêmes politiques sous la pression des institutions internationales et européennes. Les clichés négatifs sur les haines fatales inter-ethniques balkaniques oublient la récurrence des rapprochements balkaniques du passé : l’attachement à la diversité des identités et des histoires nationales peut être davantage respecté si les frontières prennent moins d’importance et que les droits sociaux et politiques partagés augmentent dans le cadre commun. C’est bien la question majeure posée à la « construction européenne ».

Albanie

Depuis les élections législatives de 2009, les négociations de l’Albanie avec l’UE étaient suspendues pour cause de fraudes électorales, de violences policières et de corruption. Le Parti socialiste (PS) boycottait les travaux du Parlement pour contester la victoire du Parti démocratique (PD) de Sali Berisha. Les manifestations populaires se sont multipliées jusqu’aux élections législatives de juin 2013. Après des alternances qui ont vu la droite dominer au cours de treize années du quart de siècle écoulé dont les huit dernières, l’Albanie a alors basculé à gauche. La défaite de la coalition de droite, dominée par le PD, a été incontestable, avec une avance inattendue de 11 % de ses adversaires. Le Premier ministre sortant, Sali Berisha, n’avait pourtant pas lésiné sur des promesses d’augmentation des salaires et des pensions de retraites, improvisées à la veille du scrutin. Il avait aussi flirté avec le thème d’une « Grande Albanie », ce qui a pu davantage effrayer que convaincre, notamment dans le contexte de l’hostilité des grandes puissances à cette logique. Face à l’ampleur de sa défaite, il vient de renoncer à diriger le PD. Le nouveau Premier ministre, l’artiste et maire de Tirana, Edi Rama, jouit d’une certaine popularité pour sa créativité contre la grisaille de la capitale. Il affiche la volonté de bonnes relations avec tous les voisins, renforçant la probabilité d’une reprise des négociations avec l’UE d’ici 2014. Mais peut-il changer le “disque dur” du système infecté par le virus de la corruption généralisée ?

Selon le FMI, la résilience de l’Albanie vis-à-vis de la crise depuis 2008 reposait sur la part limitée du commerce extérieur dans sa croissance, l’importance des dépôts domestiques dans les banques étrangères et le retour des migrants rapatriant leur épargne. Le FMI ajoute à ces facteurs une politique publique de soutien de la croissance en 2009-2010, autant de causes ne relevant pas de ses préconisations. Mais la dette publique s’étant accrue (à près de 60% du PIB), le Fonds prône, désormais, son orthodoxie habituelle – tout en ayant des pronostics de croissance de l’ordre de 1 % pour 2013, plus pessimistes que ceux du WIIW.

Depuis 2012, l’Albanie voit sa croissance affectée par la chute des investissements et l’environnement négatif de ses principaux partenaires européens, Italie et Grèce. Ces derniers sont aussi les pays d’origine de plus de 30 % de ses actifs bancaires (dont, au total, plus de 90 % sont étrangers). La réduction du déficit commercial en 2012 vient d’une baisse des importations accompagnant celle de la demande intérieure. Des conflits ont opposé les partis dominants quant à la privatisation du secteur de l’énergie hydraulique ou aux projets d’autoroute dont « l’autoroute de la corruption » ou « chantier du siècle », reliant l’Albanie au Kosovo, dénoncé pour ses appels d’offre fictifs. Selon les pronostics de la BERD, le changement de majorité n’impliquera pas le renoncement aux projets de privatisation en cours. Celle-ci rappelle aussi les mesures de soutien aux banques en difficulté, via la mise en place d’une banque de défaisance des créances douteuses, sous condition de soumission des succursales de banques étrangères au contrôle du pays d’accueil. Mais elle indique que 55 % des banques albanaises estiment ces contraintes trop coûteuses et que 17 % versent des sommes « irrégulières » aux autorités de régulation (le montant le plus en hausse et le plus élevé de la région).

Bosnie-Herzégovine (BH)

Après deux ans de croissance anémique, le pays est retombé en récession en 2012 avec une demande intérieure de consommation et d’investissement faible ou nulle et une chute des exportations sous l’impact de la récession en Slovénie, en Italie et en Croatie. L’entrée de cette dernière dans l’UE en modifie les frontières. Les nouveaux postes frontaliers doivent se mettre aux normes. Mais il faut aussi aménager ponts, routes et places de stationnement pour les camions. Les conditions des échanges se modifient aussi (voir rapport sur la Croatie) – ce qui sera atténué par des délocalisations de quelques entreprises croates en BH.

Les crédits bancaires sont faibles et le secteur bancaire, à plus de 92 % dominé par des actifs étrangers – en provenance principalement d’Autriche et d’Italie –, est sous la pression des régulations visant à contrer les retraits des banques mères. Les prêts non performants se sont accrus substantiellement : selon la BERD, ils sont passés de 5,9 % de la totalité des prêts en 2009 à plus de 12 % en 2012. En septembre 2012, après la suspension d’un précédent accord avec le FMI dans le contexte de quinze mois de crise gouvernementale, un nouvel accord stand-by (SBA) a été conclu sous la condition de réformes structurelles et de politiques d’austérité intérieures.

Treize ans après les accords de Dayton/Paris, la fermeture du Bureau du Haut Représentant (BHR) reste conditionnée à la réalisation d’accords portant notamment sur la répartition des propriétés de l’État et des propriétés militaires, ainsi qu’à des modifications constitutionnelles. Ces dernières visent à élargir les droits civiques à tous les citoyens, ce qui se heurte toujours aux résistances des « entités ethniques » attachées aux accords de Dayton. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a émis un arrêt « Sedjic-Finci », du nom des citoyens bosniens respectivement d’origine rom et juive ayant déposé une plainte pour discrimination. L’arrêt n’est toujours pas appliqué La poursuite des négociations d’un accord de stabilisation et d’association (ASA), première étape pour devenir candidat à l’UE, dépend de la satisfaction de ces diverses conditions.

Le gouvernement central, constitué en février 2012, a été confronté à des scandales financiers et des remaniements. Il a adopté le budget 2013 en s’engageant auprès du FMI à réduire les dépenses publiques pour contenir la dette. En décembre 2012, le Parlement de la Republika Srpska (RS) – entité bosno-serbe – était confronté à d’importantes manifestations protestant contre la baisse des salaires des fonctionnaires de 10 %.

C’est dans ce contexte que, en 2013, a éclaté la « Révolution des bébés ». Le slogan « nous sommes tous ensemble » de ce réveil citoyen depuis juin 2013 s’est concrétisé d’abord par l’exigence d’un système unique d’immatriculation civile. En effet, l’incurie des partis nationalistes bloquait la délivrance de numéros d’enregistrement des bébés depuis février 2013, alors qu’une petite fille de trois mois devait se faire soigner en Allemagne. Il s’est agi des premières manifestations réunissant Bosniaques, Bosno-croates et Bosno-serbes depuis « l’insurrection pour la paix » en 1992. Le mouvement s’est étendu dans toutes les grandes villes de BH en combinant la plus grande diversité des revendications et l’envoi réciproque de messages de solidarité. À Sarajevo, les étudiants ont protesté contre le système universitaire et, à Banja Luka, les citoyens se sont opposés à la destruction d’un parc pour construire un centre commercial (comme en Turquie). Les élus ont essayé de diviser pour régner (en Republika Srpska, en qualifiant « d’anti-serbes » les manifestants), mais ils ont été la risée de la population. Ces dynamiques se sont aussi exprimées dans les préparatifs d’un vaste recensement débutant le 1er octobre, lourd d’enjeux : les minorités (roms, juifs) se déclareront-elles ? Verra-t-on se confirmer l’émergence d’une identité « citoyenne » (bosnienne, ou/et herzégovinienne) refusant les catégories ethno-nationales dont se revendiquent les partis nationalistes dominants ?

Le printemps est là, un peu en avance. C’est un printemps, une explosion sociale attendue [1], partie de Tuzla, la ville la plus industrialisée, et gagnant tout le pays, après des signes précurseurs depuis deux ans en Bosnie-Herzégovine comme dans le reste des Balkans [2] : comme nous le signalions de façon globale, dans toute cette région souvent réduite à ses affrontements nationalistes, « conséquence de la détérioration de la situation économique, le “social” est devenu au centre des préoccupations populaires » [3].

Entre 2000 et 2010, d’anciennes entreprises publiques qui employaient la majorité de la population, dont les usines Dita, Polihem (Hak), Guming, Konjuh et Aida, ont été vendues à des propriétaires privés qui ont cessé de payer les travailleurs, déposé le bilan et bradé les actifs. Les privatisations de ces sociétés ont été menées sous le contrôle de l’Agence cantonale pour la privatisation. Un grand nombre de travailleurs n’ont dès lors reçu aucun paiement de cotisations sociales. Ils sont aujourd’hui privés de tous droits sociaux, notamment dans l’impossibilité de prendre leur retraite, car un grand nombre d’entre eux ne possède désormais pas le nombre minimum d’années de travail. Dès le troisième jour de « révolte de la Bosnie-Herzégovine », les mots d’ordre politiques ont fait leur apparition. Dans les assemblées populaires qui se multiplient, ils exigent la démission immédiate des autorités cantonales et du gouvernement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la formation de gouvernements indépendants des partis politiques discrédités, et la libération de tous ceux qui ont été arrêtés, sans aucune poursuite judiciaire. Ces demandes sont le préalable avant de commencer d’envisager de mettre en place un gouvernement élu pour établir un ordre social plus juste pour tous.

Pour le mettre en place, les manifestants exigent la fin du pillage de la « transition », de la corruption, du népotisme, de la privatisation des ressources publiques, d’un modèle économique uniquement favorable aux riches et des arrangements financiers qui ont détruit tout espoir d’une société juste et de bien-être social. Ils élaborent des cahiers de revendications. Cet exercice inédit de démocratie directe s’exprime sur les réseaux sociaux, principalement sur Facebook, où circulent ces résolutions.

Les travailleurs et les citoyens de Tuzla appellent à :

  • maintenir l’ordre public et la paix par une coopération entre les citoyens, la police et la protection civile pour éviter la criminalisation, la politisation et la manipulation des manifestations ;
  • la mise en place d’un gouvernement technique, composé d’experts apolitiques, n’ayant jamais eu de poste gouvernemental. Ce gouvernement aura pour mission de diriger le canton de Tuzla jusqu’aux prochaines élections prévues en 2014. Ce gouvernement soumettra chaque semaine des rapports sur son travail et des propositions. Tous les citoyens intéressés pourront suivre le travail de ce gouvernement ;
  • la résolution, par une procédure rapide, de toutes les questions relatives à la privatisation des entreprises suivantes : Dita ; Polihem ; Poliohem ;Gumara et Konjuh. Le gouvernement pourra confisquer les propriétés acquises frauduleusement, prononcer l’annulation des accords de privatisation, rendre les usines aux travailleurs et recommencer la production dès que cela sera possible ;
  • l’égalisation entre les salaires des représentants du gouvernement avec ceux des travailleurs du secteur public et privé, la fin des primes de toutes sortes et l’arrêt du paiement des salaires des ministres et autres représentants dont le mandat a pris fin.

Déclaration des manifestants de Sarajevo et de Bihać :
« Nous qui sommes descendus dans la rue, nous exprimons nos regrets pour les blessures et les dommages causés, mais nous exprimons aussi nos regrets envers les usines, les espaces publics, les institutions scientifiques et culturelles, les vies humaines détruites par les actions de ceux qui sont au pouvoir depuis vingt ans ».

Kosovo

Le projet d’accord du 19 avril 2013 entre le Kosovo et la Serbie sous la pression de l’UE a été validé le 22 mai par leurs dirigeants respectifs. L’accord concerne la communauté des Serbes du nord du Kosovo (environ 40 000 personnes), avec l’abolition des institutions parallèles serbes dans cette région frontalière (moyennant une transition jusqu’aux élections du 3 novembre 2013) et la formation d’une association des municipalités serbes dotée d’une large autonomie. Il ne dit rien sur les Albanais de la vallée de Preševo en Serbie.

Le Kosovo a conservé une croissance positive, en moyenne la plus haute des Balkans de l’Ouest, depuis la crise, comme l’Albanie, mais ralentissant en 2012, tout en étant l’État le plus pauvre des Balkans occidentaux, avec un taux de chômage de près de 45 % (plus de 60 % pour les jeunes). Cette croissance a été accompagnée d’une forte inflation liée aux produits importés. Les conflits et le protectorat ont légué un pays aux structures productives très détériorées et qui importe la quasi-totalité de ses besoins. Le déficit commercial du Kosovo (40 % du PIB en 2012) s’est creusé depuis 2008, contribuant au déficit élevé de sa balance courante. Les Balkans de l’Ouest comptent pour plus de 30 % de ses échanges – avec une part majeure pour la Macédoine –, le reste se faisant surtout avec l’UE.

Le FMI souligne la fragilité de cette croissance, en raison de sa forte dépendance aux apports de fonds de la diaspora de Suisse et d’Allemagne. Le système bancaire, où dominent les banques étrangères, repose, plus que dans d’autres pays de la région, sur les dépôts domestiques – ce qui lui assure une certaine stabilité – et il connaît moins de créances douteuses. Il fait néanmoins l’objet de mesures de consolidation (fonds spécial, géré par la banque centrale, assurant des réserves prises sur les banques, celles-ci ayant, du coup, renchéri les crédits). L’accord technique de gestion de l’euro (monnaie « nationale ») prive la banque centrale de toute autonomie de politique monétaire en même temps que le budget est géré sous des contraintes étroites. La dette publique est particulièrement basse – en dessous de 7 % du PIB –, avec un déficit budgétaire de 1,2 % en 2012. L’ensemble ne répond pas aux besoins de substitution des productions locales aux importations et de remise à flot des services publics, des objectifs qui ne sont pas dans l’orthodoxie de l’agenda néolibéral.

Le mouvement « Autodétermination » (Vetëvendojse) dirigé par Albin Kurti a organisé des protestations contre la ratification de l’accord signé avec Belgrade en dénonçant le parrainage de l’UE. Troisième force parlementaire, ce mouvement, hétérogène mais favorable au regroupement des Albanais dans un seul État, avait dans le passé des liens avec le PS albanais. Or, le nouveau Premier ministre Albanais Edi Rama, après la victoire de la gauche en juin 2013, se tourne désormais vers le PDK (Parti démocratique du Kosovo), le parti nationaliste de droite d’Hashim Thaçi, dominant au Kosovo, avec lequel il partage davantage de flexibilité envers les exigences des grandes puissances. Pour l’heure, les liens entre le Kosovo et l’Albanie – concrétisés notamment par les investissements dans « l’autoroute de la corruption » entre les deux pays – s’établissent sous le patronage de l’UE.

Macédoine

Comme dans le reste de la région, 2012 est une année plus mauvaise que la précédente pour la Macédoine, qui rechute dans la récession (- 0.2%), dans le contexte d’un marasme de longue durée qui se traduit notamment par un taux de chômage supérieur à 30 %, peu sensible aux variations annuelles avant ou après récession. Mais la dette publique est stable et ne dépasse pas 36 % du PIB, le déficit de la balance courante étant, quant à lui, moindre que chez les voisins balkaniques grâce à d’importants envois de revenus de la population expatriée.

Les autorités ont, dans ce contexte, eu davantage recours au déficit budgétaire (qui est passé de 2,7 % du PIB en 2009 à 3,9 % en 2012) en favorisant l’investissement (passant de 3,2 % de croissance en 2011 à 7 % l’année suivante), mais non pas à la consommation des ménages qui a chuté. En 2013, des modifications dans la répartition des dépenses publiques devraient globalement respecter les plafonnements recommandés par le FMI.

Le commerce extérieur est privilégié comme source de croissance (en jouant sur la baisse des salaires, dans le cadre d’un taux de change rigide). Les exportations ont néanmoins régressé dans un environnement défavorable en 2012. L’Allemagne est le principal client du pays (près de 30 % des exportations), avant le Kosovo et la Serbie, avec une montée des achats de la Chine, passée de 30e client à 7e entre 2008 et 2012. Les importations proviennent principalement de Grèce (plus de 12 % du total) qui se situe devant l’Allemagne (moins de 10 %). La Macédoine est devenue de plus en plus dépendante des importations agro-alimentaires. Sont en cause les privatisations produisant la parcellisation extrême des terres, sans le soutien des capacités de production et de transformation des produits agro-alimentaires. Un nombre croissant de terres arables est en friche ou utilisé à d’autres fins, privées ou publiques, comme un projet de construction d’un aéroport de fret.

Les transferts de revenus des expatriés en 2012 sont évalués à 18 % du PIB, soit les trois quarts du déficit commercial. Le système bancaire macédonien est fragilisé par ses imbrications avec les banques de Grèce et de Serbie, bien que le FMI l’estime assez capitalisé et liquide pour faire face à l’augmentation constatée des prêts non performants, notamment en devises étrangères.

La proximité avec la Grèce continue à peser avec le veto persistant de celle-ci à l’adhésion du pays à l’UE ou l’OTAN. L’agressif projet « Skopje 2014 » (chiffré officiellement à 80 millions d’euros, mais 200 selon l’opposition) soulève bien des conflits « identitaires » tout en pesant sur la dette de l’État envers le secteur privé. Perçu par ses critiques comme un « kitsch nationaliste », ce faramineux projet qui est censé redorer le blason du pays en multipliant les statues (dont celle symbolisant Alexandre le Grand à cheval, de plus de 22 mètres de haut, et 60 statues de personnalités politiques), ponts, arcs de triomphes et opéra censés attirer les touristes, est irritant tant pour la population albanaise que pour les voisins grecs. À l’appel de l’Association des architectes de Macédoine, les habitants de Skopje ont formé le 14 juin 2013 une grande chaîne humaine autour du centre commercial (le Gradski trgovski centar – GTC) haut lieu de rencontres depuis sa construction en 1971, pour le sauver des « touches baroques » dont Skopje 2014 le menace. Les dépenses budgétaires ont fait l’objet, lors de leur adoption en décembre 2012, de protestations et d’affrontements. La coalition de centre droit au pouvoir depuis sept ans s’appuie à la fois sur des réflexes patriotiques et un contrôle musclé des médias. L’avenir proche dira si la population apprécie les retombées positives annoncées de ces dépenses ou si l’emporte la dénonciation de grands « projets inutiles », voire choquants.

Monténégro

Le Monténégro est à nouveau en récession en 2012 (- 0,5 %) après une reprise fondée sur le commerce extérieur et sans stimulant budgétaire. La chute majeure et continue des investissements productifs depuis 2009 (de 15 % en moyenne par an pendant trois ans) a entraîné une forte diminution de la production industrielle brute qui se poursuit en 2012. L’impact négatif du marché mondial a également affecté les exportations de la plus large entreprise exportatrice du Monténégro, le combinat d’aluminium de Podgorica (KAP). La désindustrialisation du pays s’accompagne d’une dépendance croissante vis-à-vis du tourisme. Si les IDE se sont en partie maintenus vers la côte, en dépit (ou profitant) de la bulle immobilière des années précédentes, de nombreux projets immobiliers périclitent, mettant certaines banques au bord de la faillite. De récentes lois ont introduit de nouvelles régulations pour stabiliser le système bancaire ; mais celui-ci demeure exposé à de nombreuses créances non recouvrables.

La majorité du parti du Premier ministre Milo Djukanoviċ, le DPS (Parti démocratique des socialistes), au pouvoir depuis 1989, est ébranlée par la crise. Elle s’est trouvée confrontée depuis 2011 à l’explosion d’un « printemps social » contre « l’État mafieux » (selon le dossier du Courrier des Balkans du 16 mai 2012). Des milliers de retraités, d’étudiants, de travailleurs ont dénoncé durant des mois, et sous l’impact d’autres mouvements d’« Indignés » dans le monde, les privatisations mafieuses, l’augmentation des droits d’inscription à l’université, le « crime organisé ». Il n’est dès lors guère sûr que la « stabilité gouvernementale » soit assurée, en dépit de la réélection de l’actuel président Filip Vujanoviċ le 7 avril 2013, avec une courte majorité contestée par l’opposition. Lors du référendum d’indépendance, en 2006, le dirigeant du DPS promettait un taux de chômage nul en quatre ans. Il est actuellement de près de 20 %. Les questions d’identité nationale et de rapport à la Serbie sont désormais secondaires par rapport à la baisse du niveau de vie et à la précarité qui rendent insupportables à la fois les suspicions de fraudes, les scandales liés à la corruption ou aux finances douteuses, ou la politique économique de compression des dépenses publiques. Retraites gelées, nouveaux impôts sur les salaires, hausse de la TVA et remontée de l’inflation avec hausse du chômage suscitent une grogne croissante.

Mais les 1200 emplois du combinat d’aluminium KAP qui seraient supprimés si la fermeture de l’usine se confirmait risquent de constituer une véritable poudrière. Un jeu de poker menteur se joue avec les oligarques russes. Ils ont acheté le KAP en 2005, mais le gouvernement monténégrin conteste les sommes prétendument investies, tout en étant forcé de couvrir les dettes de l’usine, comme prévu dans le contrat de vente, soit 400 millions d’euros. En outre, les factures dues pour l’électricité du Monténégro consommée ayant été impayées, l’usine a été déconnectée du réseau national et – avec le soutien du gouvernement, selon l’opposition – s’est frauduleusement branchée pendant des mois sur les réseaux d’électricité européens : le montant de ce vol serait de près de huit millions d’euros. « C’est la première fois que nous sommes confrontés à une telle situation en cinquante ans », déclarent les experts bruxellois (Courrier des Balkans du 17 juin 2013). Si se confirme l’implication gouvernementale dans cette opération, cumulée aux pertes d’emplois et aux coupes budgétaires drastiques pour rembourser les dettes, le Monténégro est entré dans des zones de hautes turbulences. La négociation de son adhésion à l’UE en sera-t-elle affectée ? Ou aidera-t-elle les pouvoirs en place à affronter les contestations populaires ?

Serbie

C’est dans le contexte d’une nouvelle récession de 1,7 % que le nouveau gouvernement de coalition serbe est confronté aux promesses d’austérité budgétaires faites au FMI lors de son élection en 2012 : le déficit budgétaire devait tomber à 3,6 %. Or, six mois après l’adoption du budget 2013, le déficit demeure entre 7 % et 8 % du PIB. Mais les mesures de gel des retraites et des salaires prônées par le FMI divisent la coalition, de même que la poursuite des privatisations ou l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le code du travail. La crainte des protestations sociales se fait sentir, compte tenu de l’ampleur du chômage déjà existant (près de 25 %), après une forte chute des investissements et de la consommation depuis 2009 dans un pays où le salaire minimum (de 188 euros) est plus bas qu’en Chine (200 euros, selon une étude rapportée par le Courrier des Balkans du 30 juillet 2013).

Globalement, la stratégie de croissance du gouvernement est tournée vers les « gains de compétitivité » engendrés par la baisse des salaires. Mais, dans l’état actuel de l’économie, l’apport des exportations nettes à la croissance reste insuffisant, compte tenu de l’ampleur du marasme intérieur, en dépit du lancement de la production de l’usine Fiat de Kragujevac. D’autant plus que la politique monétaire de la banque centrale, cherchant par la hausse des taux d’intérêt à baisser l’inflation, a produit une appréciation du taux de change défavorable aux exportations. Un an après l’élection de Tomislav Nikoliċ, l’été 2013 a été marqué par des tractations opaques et sans fin pour un nouveau remaniement ministériel, écartant pour l’instant l’éventualité d’élections anticipées. Selon le Courrier des Balkans du 13 juillet 2012, les partis de la nouvelle majorité se sont en fait partagé, lors de leur élection, le contrôle des grandes administrations et des entreprises publiques : au Parti progressiste serbe (SNS) seraient revenus Telekom Srbija et la Banque nationale de Serbie, tandis que le Parti socialiste de Serbie (SPS) se serait vu attribuer Electricité de Serbie, les assurances Dunav et La Poste. Selon la même source, il revenait à « Régions unies de Serbie » (URS) la Komercijalna Banka et les stations de ski de Serbie. Le dirigeant de l’URS, Mlađan Dinkiċ, grand argentier du gouvernement, est soutenu par les Émirats arabes unis, avec qui il a négocié d’importants contrats. C’est ainsi que la compagnie Ethiad des Émirats a acheté 49 % des parts de JAT Airways, devenue Air Serbia, et d’autres investissements sont escomptés.

En juin, la coalition s’est entendue pour ne pas introduire le gel des salaires, mais pour engager les privatisations de nombreuses entreprises publiques. Et elle a annoncé en août la nomination au ministère des Finances d’un jeune économiste de 29 ans, Lazar Krstiċ, employé du cabinet McKinsey. Il a annoncé un programme d’austérité ultra-libérale : liquidation ou vente de 179 entreprises publiques d’ici un an, réforme des pensions et du système de santé, flexibilité du travail, dans le cadre d’une coopération étroite avec le FMI et la Banque mondiale. L’ouverture des négociations de candidature avec l’UE d’ici janvier 2014, et l’arrivée en Serbie de DSK comme conseiller du gouvernement (confirmée en septembre) ont fort peu de chances d’atténuer le risque d’explosions sociales produit par un tel programme. « Tahrir, Taksim, Konj » proclamaient en juillet dernier des banderoles sur la place de la République dominée par un cheval (Konj). Alors que de nombreuses entreprises étaient en grève, 3000 jeunes chercheurs scientifiques exigeaient davantage de « justice sociale » devant une bannière reproduisant le nom des grandes entreprises publiques. Vers un Printemps des Balkans ?

Sources : WIIW (Institut de Vienne pour les Études économiques internationales) ; BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), FMI (Fonds monétaire international), Courrier des Balkans, Eurostat.

Notes

[3Cf. “Balkans occidentaux” dans ce numéro ; voir également l’article d’Igor Štiks et Srečko Horvat sur les nouvelles radicalités des Balkans.

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