Avant de reprendre ces cinquante dernières années, toute l’histoire des politiques bourgeoises en France, depuis sans doute bien longtemps, a constitué des ségrégations : pour les logements, les lieux de vie des personnes de « couleur » employées dans des fonctions subalternes. Qu’on pense aux foyers pour travailleurs immigrés de la 4e République et de la 5e. C’en est au point que se redoublait, dans les zones d’habitat populaire, une ségrégation des couches subalternes, originaires de régions françaises, comme des ex-colonies et d’autres pays européens, et notamment les Portugais, très nombreux dans les bidonvilles autour de Paris.
Il est tout de même extraordinaire d’en trouver, assez semblables, les descriptions et les analyses dans les livres d’Henri Lebebvre (Le Droit à la ville, mars 1968) ! Et de constater que ces mêmes quartiers, ont été développés et complétés quand la sortie des bidonvilles était en partie faite : ils ont hébergé, et isolé, les immigré.e.s arrivé.e.s entre temps, ainsi que leurs familles.
Nous savons bien la continuité de l’Empire français, depuis sa première colonie déjà sous Louis XIV, la Guyane, avec des expéditions de 1665 à 1685 (organisation du système esclavagiste et du ‘Code noir’)… Et, pour notre actualité immédiate, nous ne pouvons pas oublier que, de 1928 à 1962, l’Empire a été pour 35% le premier partenaire commercial de la France, après en avoir été le second depuis 1896. Les préjugés racistes tout au long du XXe siècle, les guerres imposées à des peuples pour leur refuser leur droit à l’indépendance même quand celui-ci, après 1946, faisait partie du Préambule de la Constitution [1]… Ainsi, une évidence : tout cela impose une grande place pour les combats antiracistes.
Ce rappel rapide vise à dégager les traits déterminants des phénomènes qu’il faut souligner : leur continuité aboutit à une spécificité. Les politiques d’État ont constitué des groupes humains auxquels le refus d’être traités au nom des « droits universels » a imposé qu’ils et elles construisent et consolident des solidarités et des comportements collectifs. Ce sont ainsi façonnées, à côté des habitant.e.s du pays, des minorités à prendre en compte en grande partie comme des « questions nationales » [2].
Nous devons donc, tout en leur reconnaissant tous les droits civiques et politiques comme « résident.e.s », prévoir des mesures de réparation, sur le plan social, culturel et économique pour affirmer que nous formons le même ensemble démocratique : reconnaître leur(s) langue(s), des moyens d’accès aux médias, leurs traditions culturelles et familiales.
Une première question est de comprendre ce qui a été produit et pour quelles raisons.
Nous sommes, en ce moment-même, devant un double phénomène : le rejet majoritaire des préjugés racistes, notamment chez les jeunes, parce que, fondamentalement, les études faites ensemble dans les collèges et lycées ont un effet politique [3] ; mais l’augmentation des actes racistes agressifs vient aussi nous solliciter si souvent ! Au demeurant, les nécessaires réactions devant les lois de Macron et son monde amènent à débattre sur le fond des questions, même si la politique des gouvernements successifs, depuis les années 1960, a été et est un objet de lutte [4]. Récemment, la loi Asile et migrations, si on n’y prend garde, nous enferme dans une naturalisation de fait raciste, injuste et profondément à l’opposé des principes de base de l’ONU. Ne laissons pas passer cette incitation à un effort de lucidité.
Une ligne sombre de Sarkozy-Hortefeux, puis de Hollande-Valls s’est poursuivie avec Macron-Collomb. Quand on songe à la campagne de 2017 et à ses torrents de bons sentiments…
Pourquoi le gouvernement cherche-t-il à ménager la droite, alors que les mouvements réels de solidarité sont importants ? Pourquoi est-elle écoutée, dans toutes ses composantes, classique, chauvine ou nationaliste et plus ou moins raciste ?
Les « étrangers », nos semblables
Refuser de consolider le principe du droit du sol, depuis 1962 et surtout, pour ce qui concerne la gauche, depuis 1981, a créé un panorama auquel nous sommes trop habitués : pourquoi faisons-nous comme si les étrangers d’origine ne partagent pas une communauté réelle, vivre ensemble, décider ensemble ? Il ne s’agit pas d’une « question sociale » parmi d’autres, même si les situations sociales, souvent dans l’urgence, requièrent notre attention. Politique, cette discussion est décisive en France comme en Europe et pour toutes les prochaines « échéances électorales » : elle a des racines et ne vient pas nous confronter à une surprise totale. Notre hypothèse situe deux ou trois repères.
Le premier repère est un texte de droit positif, vieux maintenant de soixante-dix ans : la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui a été signée le 10 décembre 1948. On lit en quelques lignes de l’article 13 (la DUDH) « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». L’ouverture des frontières reconnaît la légitimité de toute migration, et le droit à la mobilité de chacun.e. |
Mais l’obligation d’accepter les arrivées n’y est pas inscrite. D’où les combats idéologiques et politiques depuis des dizaines d’années. Entre les passeports permettant de circuler partout (États-Unis mais aussi nombre de pays d’Europe) et les autres pays avec des visas plus ou moins difficiles à obtenir, un tiers sans doute de la population mondiale a le droit à la mobilité. Qui sera étonné de lire que les visas des ressortissant.e.s des pays africains qui veulent venir en Europe sont de plus en plus difficiles à obtenir ? En forme d’engagement, le commentaire de la LDH est bien frappé : « Le droit de mobilité est un bien public mondial ». Nous le voyons : il s’agissait, en 1948, de définitions en réaction aux barbaries nazies et aux persécutions antisémites aussi en URSS, plus largement à tous les actes des xénophobies qui ont marqué l’histoire des États et des peuples depuis le début du XXe siècle. Le droit de circuler et donc le droit de trouver un accueil. Pourquoi des forces qui se veulent de gauche, d’autres se disent ‘humanistes’, pourraient-elles s’en abstenir ? Voient-elles que les refus font déjà le jeu des guerres d’extermination, à tout le moins de massacres [5], et de répressions ? Faut-il le souligner aux « belles âmes » élyséennes, la majorité des êtres humains peut comprendre les problèmes de leurs semblables et il y a même des dirigeants qui se disent et sont de droite mais veulent mettre en œuvre ces principes, chèrement acquis.
S’accrocher au droit objectif, né des expériences cruelles de notre histoire, a une importance vitale pour faire comprendre notre commune humanité.
Toutefois, deuxième repère, nous sommes confrontés à la définition que nous donnons de la citoyenneté commune pour notre propre pays, qui se réclame du « droit du sol » et non pas du « droit du sang ».
Un individu né en France de parents non français est français dès lors qu’il vit ici. Il en a le droit, et est inscrit sur les listes électorales, comme toutes et tous.
Résumons cette question, tout d’abord de principe, de philosophie et de culture politique commune. Nous avons une tradition nationale acquise par la Révolution de 1789, et défendue… ; il faudrait, pour une réflexion politique plus développée, en reprendre les diverses controverses durant tout le XIXe et une partie du XXe siècle.
Elle concerne directement les exilés, les migrants et les réfugiés… puisque, au-delà de l’asile, ils et elles peuvent parfaitement choisir de demander à rester sur cette terre qui leur sert d’accueil. Le droit à la mobilité est un élément de la DUDH de 1948, déjà rappelée.
Nous voilà donc, avec cette expression sibylline « droit du sol », sommés de dire avec précision la racine de la définition de la démocratie : des règles de vie commune qui permettent, sur le même territoire, de faire vivre pour le bien commun des familles et des histoires différentes [6]. Plus précisément, à la place de toutes les vaticinations plus ou moins à la mode autour du « populisme », trois aspects peuvent s’organiser différemment et installer la place d’une république démocratique, à l’opposé des formes d’État plus ou moins « nationalitaires », voire racistes, à base de « liens du sang » ou de foi religieuse donnant des encadrements « identitaires ».
Pour reprendre une solide tradition philosophique, distinguons les rapports entre le genos (unité de naissance, de liens de familles plus ou moins élargies et associées), l’ethos (éthiques, cultures communes, habitudes historiquement stabilisées) et le démos (celles et ceux qui vivent sur le même territoire). En ce sens, depuis les premières théorisations grecques, il y a l’idée de règles permettant sur un territoire habité en commun de vivre et décider en commun. Dans l’histoire des « Cités », tout en distinguant les sociétés et les époques, une « constitution » commune était nécessaire, instaurant une possibilité de vivre au-delà des différences des généalogies. Il faut ici, par réalisme, parler d’isonomie : l’égalité devant la loi laisse subsister toutes les autres questions de l’égalité… Ne les néglige pas, mais ne s’y confond pas.
Une nation, un peuple uni dans la démocratie
Pourquoi cette réalité d’une vie en commun n’a-t-elle pas été précisée d’une façon limpide, en 1981 [7], alors que les exils et les bouleversements des guerres coloniales menées par la France étaient terminés depuis 1962 ? La loi à promulguer était limpide : tout individu résidant en France a tous les droits civiques et politiques (au bout d’une ou deux ou trois années de résidence, par exemple !). Il ne doit pour cela faire aucune démarche en vue d’une demande de ‘naturalisation’ ; le plus souvent celle-ci pose en effet des problèmes compliqués, d’ordre psychologique et aussi juridique avec les pays d’origine, qui, dans le cas de naturalisation française, peuvent juger que leurs nationaux abjurent ainsi leur nationalité. On mesure ce qu’il en est pour des pays comme l’Algérie, car, même quand la double nationalité existe, il n’est pas si simple de devoir la demander individuellement au lieu d’en être doté de droit.
L’arrivée au pouvoir en 1981, après 23 ans de gouvernements de droite, aurait été un bon moment pour réaffirmer et préciser un principe, et ainsi montrer comment la gauche de gouvernement prenait acte de la fin des guerres coloniales et de la présence d’immigré.e.s en France. La gauche de 1981 ne devait pas se mouler dans l’héritage colonial de la 4e République. Le traitement infligé à ceux qui venaient travailler en France et repartaient dans leurs pays devait être corrigé, pour les Maghrébins comme pour les citoyens d’origine subsaharienne [8].
Les années 1970 sont des années d’effervescence pendant lesquelles la question des « travailleurs immigrés » prend une place importante. Les gouvernements, avec la montée du chômage, ont tenté de bloquer toutes les formes d’immigration et ils ont même tenté de renvoyer des milliers d’Algériens. En 1972, en liant titre de séjour et permis de travail, des milliers de travailleurs étrangers se sont retrouvés en situation irrégulière…
Ces luttes ont été portées par les travailleurs eux-mêmes, avec la participation de syndicats, mais aussi par l’engagement dans l’action de « …jeunes issus de familles ayant eu à connaître les effets de la xénophobie et de l’antisémitisme de la période 1930-45… » [9].
Différentes luttes protéiformes mettent au premier plan les problèmes auxquels les immigrés sont confrontés. Elles lient la condition ouvrière (cadences infernales, bas salaires, arbitraire des classifications, syndicats patronaux), aux conditions de vie (logement) et de société (xénophobie d’État, crimes racistes et vagues de ratonnades). Des usines Pennaroya, Renault, aux foyers Sonacotra, en passant par les grèves de la faim des demandeurs d’asile déboutés, ces luttes vont marquer les années 1970 par leur forme (grève des loyers, grève de la faim…), leur organisation (création de mouvements autonomes, indépendance vis-à-vis des partis et syndicats…), leur capacité à mobiliser (en nombre et dans le temps) [10].
En 1978, l’« arrêt Gisti » avait annulé des dispositions limitant les droits des immigrés à se regrouper en famille [11] : celles du décret du 10 novembre 1977. Un an plus tard – donc très rapidement par rapport aux délais habituels – le Conseil d’État annule ce texte, estimant qu’il contredit un principe général du droit selon lequel « les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale », le droit de travailler étant une condition nécessaire à l’exercice de ce droit.
Mais, du fait du reste de la politique du gouvernement, « cet arrêt du Conseil d’État a été l’acte fondateur de la transformation de l’immigration de travail en immigration de colonisation », selon la formule d’Abdelmalek Sayad [12].
Dès lors, en plus des foyers d’immigrés, des quartiers pour familles d’ouvriers immigrés se développent. Avec des phénomènes de cohabitation, de racisme, de relégation. On les traite en « main-d’œuvre » résidente et non en citoyens. Des quartiers coloniaux en « métropole » ! La Marche pour l’égalité et contre le racisme, dès 1983, portait ces protestations et ces exigences. Cependant, ce message porté par la Marche a été dévitalisé, détourné et instrumentalisé. Le mouvement ne parvient pas à « faire exister » socialement et politiquement les « jeunes issus de l’immigration » [13]. C’est ainsi que la revendication politique pour l’égalité et contre le racisme, dans une situation de division du mouvement, risque de se transformer en posture morale antiraciste [14].
Dans les années qui ont suivi, le clientélisme dans les quartiers populaires s’est généralisé en même temps que les inégalités et la stigmatisation de ses populations.
Peut-on oublier des actes politiques vieux de trente ans ? Sans aucun doute non. Puisque la gauche au pouvoir ne leur reconnaissait pas les droits politiques et civiques, leur sort fut fixé, ils étaient « d’ailleurs ». Une chose étrange est de voir qu’il leur est maintenant reproché de développer des comportements « communautaires ». Un tel jugement est une honte, au vu des « principes républicains » : la solidarité des migrants regroupés dans des quartiers de villes où leurs traditions culturelles servent de sécurité appelle en fait des efforts politiques de la société pour s’enrichir humainement de ses différences… Ce scandale, d’autant plus insupportable, dure sans corrections réelles. Il leur a été reconnu par la gauche le droit d’association, même pour des non-nationaux ; encore heureux qu’ils/elles aient le droit de l’utiliser !
Pourquoi la gauche mitterrandienne, avec ses héritiers, Hollande, Rocard, Jospin, Valls, Collomb… a-t-elle refusé une égalité de droits politiques ? Cette question est rendue plus vive par les réponses de Wauquiez lancé dans la compétition avec Marine Le Pen : « ils ne sont pas comme nous ! »
Qui a creusé le sillon des politiques racistes ? Qui a renoncé à dire simplement « ils vivent ici, ils sont d’ici et doivent avoir les mêmes lois que celles et ceux d’ici » ? Pour ne pas subir la dérive de Collomb, saisissons avec toutes les organisations de solidarité aux migrant.e.s l’occasion d’une option commune ; regroupons-nous sur une clarification indispensable : les pleins droits politiques pour les résident.e.s, en France et en Europe.
Les politiciens cruels et racistes qui maltraitent les migrant.e.s sont, malheureusement, dans la continuité d’un vieux pays colonial qui n’a pas opéré une rupture à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Ainsi ont été fabriqués sous nos yeux, en trente ans, des phénomènes sociaux dont il faut prendre la mesure : une question arabo-musulmane et une question noire…
Ne séparons pas le refus des xénophobies gouvernementales et la remise en cause de l’inégalité des droits civiques et politiques.
Le droit du sol n’a jamais été simple : les principes de la République de 1792-93 se poursuivent, objet de luttes et marquées par l’épanouissement colonialiste de la IIIe République. Ainsi, avant la loi Pasqua, les parents étrangers avaient le droit, s’ils étaient présents sur le territoire français depuis cinq ans, de demander la nationalité pour leur enfant à la naissance [15]. Auparavant, il fallait qu’ils demandent la nationalité à leur majorité à condition d’avoir vécu au moins 5 ans de façon continue en France depuis l’âge de 11 ans.
Faut-il s’étonner que ce déni des droits fondamentaux, maintenu en 1981, se paie cher ? Dans les années 1980, malgré des vagues limitées de « régularisations », les politiques migratoires sont conduites à l’enseigne de la « maîtrise des flux », la fermeture des frontières et la lutte contre l’immigration « clandestine ».
Or, c’est dans une logique d’hypocrisie que ces politiques sont affichées. Comme l’a constaté Emmanuel Terray [16], les sans-papiers ont un rôle fonctionnel dans l’économie française. Les secteurs dans lesquels ont trouve le plus de sans-papiers sont le BTP, le nettoyage, les services à la personne, l’hôtellerie et la restauration, l’agriculture, la confection. Ces métiers à visibilité raciale [17], pour lesquels les employeurs trouvent difficilement de « la main-d’œuvre française », permettent une forme particulière d’exploitation : la délocalisation sur place. Pour des raisons évidentes, un chantier du BTP ne peut pas se faire ailleurs : il est programmé et il en va de même pour la plonge dans un restaurant qui ne pourra pas se faire que là où il y a les clients. Toutefois, les employeurs ont les mêmes avantages d’une délocalisation dans les pays du Sud : bas salaires, absence de droits syndicaux, durée du travail illimitée, absence de protection sociale, conditions de travail d’hygiène et de sécurité déplorables.
Malgré un répit en 1984 avec le vote de la loi sur la « carte de résident », les lois sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers et sur la nationalité sont constamment durcies.
Ainsi, la loi de 1986 (première loi « Pasqua ») permet aux préfets d’ordonner la reconduite à la frontière sans jugement préalable, la « loi Méhaignerie » du 22 juillet 1993 réformant la nationalité introduit la « manifestation de volonté ». La deuxième « loi Pasqua », quant à elle, durcit les conditions d’entrée des étrangers, mais aussi elle resserre les possibilités du regroupement familial.
Le retour des socialistes au pouvoir, en 1997, ne remet pas en cause, de manière substantielle, ces orientations. C’est ainsi que la « loi Guigou » du 16 mars 1998 retouche le texte de 1993 mais sans en modifier le fond. Très en retrait par rapport aux déclarations pré-électorales de Jospin, qui s’était engagé à supprimer les lois Pasqua-Debré et à rétablir le code de la nationalité dans sa version républicaine, les changements introduits ne parviennent pas à masquer une continuité voulue sur beaucoup de points [18].
Voilà donc quel est notre héritage ! Le fond sur lequel se justifient, hors de toute légitimité, les « contrôles aux facies », les « brigades de sécurisation du territoire », l’absence d’égalité de fait dans l’accession aux études, au logement, aux emplois…
Cette bataille politique comportera un choix de méthode pour prendre les moyens de répondre à des « questions nationales ». Les résident.e.s doivent avoir les mêmes droits politiques et civiques ; et c’est avec elles/eux que doivent être prises en compte leurs demandes : apprentissage de leur langue et culture autant qu’il sera demandé, car c’est la meilleure voie pour aussi apprendre la culture française… Toute la culture arabo-berbère est concernée, comme des langues africaines, asiatiques, etc., tant pour leurs usages populaires que pour les langues écrites. Ces questions se posaient pour les Italiens, les Espagnols, les Polonais, les Portugais et devraient être prises en compte par les pouvoirs publics en ce qui concerne les Asiatiques…
Des exigences si actuelles !
Pensons que les inégalités à l’encontre des jeunes font aussi des inégalités quant aux possibilités des « reprises d’études » pour des « non-nationaux » ayant peu de droits sociaux… et n’ayant pas pu profiter de la scolarité obligatoire.
De nombreuses initiatives nationales ou locales participent à des engagements contre les discriminations, de même nombre d’associations ont une pratique locale en lien plus ou moins positif avec des municipalités, de nombreuses associations issues de l’immigration sont organisées [19]. Aujourd’hui se sont ajoutés les Collectifs sans papiers, la Fédération des Tunisiens des deux rives, FTCR, FASTI, AMF, ATMF, ACDA, Femmes Plurielles, Collectif j’y suis j’y vote, et les associations adhérentes du FALDI [20]). Avec les initiatives suivies de certains syndicats, cela fait des ressources sociales et politiques qui seraient très fortes grâce à une mobilisation culturelle et politique commune.
Pour changer cette « question nationale », il faut certainement au moins des décisions de trois ordres.
- Après tant de fausses promesses et de réformes promises pour rien, il faut une véritable rupture légale, une loi établissant que les résident.e.s ont les droits politiques et civiques [21]. Souvenons-nous que le droit de vote aux élections locales seulement…, comme première étape pour faire « mûrir » un pas en avant suivant, est un marronnier de toutes les élections depuis trente ans ! Nous proposons donc cette bataille pour les droits politiques : mettre fin à cette discrimination, comme Étienne Balibar l’a bien souligné, est « comparable aux discriminations qui ont frappé les femmes, ‘les serviteurs’ (c’est-à-dire les ouvriers), les ‘indigènes des départements, d’outre-mer et des colonies ». Il s’agit de faire cesser un refus du principe d’égalité [22].
Si une réforme de la Constitution a eu lieu pour « donner aux résidents des autres pays de l’UE le droit de vote aux élections locales et régionales », c’est parce qu’il fallait leur reconnaître « des droits de citoyens » sans leur reconnaître la plénitude des droits politiques et civiques. Le problème qu’il nous faut résoudre n’est pas d’établir des droits qui discriminent des électeurs possibles en fonction du type de scrutin et de leurs origines…
Pour reconnaître pleinement les droits civiques et politiques aux résident.e.s, il faut une volonté et une majorité à l’Assemblée nationale ; seulement cela ! Que de faux-semblants ne nous a-t-on pas répétés depuis 1981 !
L’Assemblée nationale est souveraine pour la définition des droits politiques définissant les citoyen-nes ; l’article 3 de la Constitution dit « tous les nationaux français sont électeurs ». Comme le fait remarquer Dominique Rousseau, constitutionnaliste, ce texte « n’exclut en rien que des non-nationaux aient, sous certaines questions fixées par la loi, le droit de vote. Une loi ordinaire pourrait donc suffire pour accorder le droit de vote aux étrangers » [23].
Nous proposons donc cette bataille pour les droits politiques. Une Assemblée voulant éradiquer un des éléments politiques xénophobes et aussi racistes peut décider que les résident.e.s (deux ans de séjour durable en France par exemple !) sont des citoyen-nes. N’allons pas nous perdre dans des exceptions « pour les élections locales » dont on voit les dangers au-delà des sentiments généreux d’une partie de leurs défenseurs : un droit avec des exceptions, en plus de ses défauts politiques, impose une réforme de la Constitution, alors que la précision sur la définition des citoyens relève d’une loi et des députés. Nous disons aussi non à cette fameuse procédure qui refuse de reconnaître un droit pour faire miroiter « plus de procédures de naturalisations facilitées » : celles-ci, quelles que soient les argumentations de ses auteurs, poursuit la position souverainiste franchouillarde pour nier un « droit politique et civique » et faire dépendre cela d’un examen « sur dossier individuel » des conditions de l’assimilation des étrangers…
D’où l’importance de l’Appel proposé en vue des élections européennes du 26 mai 2019 : c’est pour ces millions d’étrangers résidant dans l’Union que nous, organisations membres du collectif « j’y suis, j’y vote », citoyennes et citoyens venant de cinq pays réunis à Paris le 10 novembre 2018, vous demandons d’agir durant votre mandat européen et d’influer sur les instances décisionnelles pour que soit mise en place en Europe une véritable citoyenneté de résidence [24]. - Il faut aussi un débat politique associant toutes les associations des personnes d’origine diverses, pour qu’elles fassent connaître leurs expériences, leurs attentes, leurs apports. Les opérations d’excuses et de « repentance » sont bien inutiles : ce qui est décisif est que les intéressée.e.s eux/elles-mêmes définissent et animent les changements [25].
- En fonction des demandes et des réformes apparaissant nécessaires, il y aura, certes, besoin de batailles politiques complémentaires pour faire décider des réformes particulières.
Corriger la situation, dépasser les discriminations qui entretiennent les questions nationales créeront un contexte nouveau : une démocratie où l’égalité devant la loi permettra de mieux développer les échanges et les pluralités d’expériences culturelles.
Ne pas gommer les différences et lutter pour une véritable égalité démocratique devant la loi implique des politiques faites avec les gens de la moyenne… Le changement démocratique permettant un exercice commun du droit du sol, cela signifie que les décisions sont réfléchies et mises en œuvre par les personnes directement intéressées.
Parallèlement, sans que cela se confonde, mais sans attendre, nous devons reconstruire une Europe solidaire, accueillant dignement ceux qui fuient les guerres et la misère, ainsi que toutes les formes de violences. Elle suppose un accueil inconditionnel, la liberté de circulation et la reconnaissance de l’égalité des droits indépendamment du statut [26] et notamment du droit à la mobilité [27]. Dans cette perspective, nous devons sans doute interpeller les candidats aux prochaines élections européennes pour leur demander de se mobiliser pour un vrai droit d’asile européen harmonisé, une ouverture à la citoyenneté pour toute personne résidant sur le territoire de l’UE [28]
Cela doit se compléter d’une reconnaissance des droits des migrants et des réfugiés conformément aux conventions internationales, avec la signature de la convention sur les droits des travailleurs migrants. Comme le résume clairement Marie-Christine Vergiat, le droit de migrer est donc un droit à conquérir et non un droit existant.
Avec un grand merci à Fernanda Marrucchelli de la FASTI et à Marie-Christine Vergiat, député européenne, pour l’aide à la préparation de cet article, dont j’assume bien évidemment les limites.
7 janv2019