Changer l’entreprise ? Quand la montagne accouche d’une souris

À propos du rapport Notat-Senard sur la réforme de l’entreprise
lundi 9 juillet 2018, par Benjamin Coriat *

Cette fois le rideau est tombé. Après de longs mois de gestation, les arbitrages ont été faits et le projet de loi « PACTE » (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) – a été proposé et examiné en Conseil des ministres. Du coup, ont été arbitrées aussi les propositions tant attendues contenues dans le rapport Nicole Notat - Jean-Dominique Senard portant sur l’entreprise, rapport commandité dans le cadre de la préparation de la loi PACTE.

Comme il fallait s’y attendre, ce rapport, dès sa publication, avait suscité des commentaires nombreux et contrastés. Les plus déçus, ceux qui en espéraient beaucoup et avaient défendu l’idée de cette réforme avant même que le rapport ne soit publié, ont feint de s’y retrouver et se sont efforcés d’y trouver des « éléments positifs » [1]. D’autres, représentant des milieux d’affaires, et qui craignaient que ce rapport ne vienne bousculer des prérogatives et pouvoirs solidement installés dans le monde des actionnaires et des dirigeants d’entreprise, ne cachent pas leur soulagement. Mais ils annoncent qu’ils restent sur leurs gardes [2] : sait-on jamais, de dangereux réformateurs sociaux, dissimulés à l’Élysée, à Bercy, ou dans le groupe majoritaire La REM au parlement – et forcément ignorés de tous – ne vont-ils pas peser sur les arbitrages ultimes ?

Bref, compte tenu de ce qu’il défend, comme de ce qu’il tait, le rapport fait débat. Et une lecture critique des analyses et recommandations qu’il propose est nécessaire. Ce d’autant que, s’agissant d’une réforme de l’entreprise, c’est bien sûr d’une institution majeure de nos sociétés qu’il s’agit. Il est donc de première importance de comprendre la philosophie qui a animé les propositions de réforme, comme ce qui finalement en a été retenu pour être incorporé dans le projet de loi PACTE.

Aussi avant d’entrer dans le contenu du rapport et des arbitrages qui ont été faits des propositions qu’il contient – et pour pouvoir lever certaines ambiguïtés ou interpréter justement leur sens et portée – il nous paraît indispensable de resituer l’ensemble du débat sur la réforme de l’entreprise dans son contexte. Car ce rapport « ne tombe pas du ciel ». Il est, on l’a dit, le résultat d’une commande : celle en particulier du ministre de l’économie B. Le Maire : le rapport constitue l’un des matériaux venant alimenter un projet de loi (la loi PACTE) annoncée comme devant « lever les obstacles » à la croissance des entreprises. Enfin, last but not least, ce rapport fait partie, après les lois Travail, d’un nouveau « paquet Entreprise » du gouvernement Macron. Venant après la loi sur le « secret des affaires » [3], le rapport Notat/Senard avec la loi Pacte dont il vient nourrir la préparation, constitue le troisième volet du paquet Macron consacré à l’entreprise [4]. Sans entrer dans le détail des choses concernant ce projet de loi, il faut garder à l’esprit ce point essentiel que le rapport Notat/Senard s’inscrit dans une vague de déconstruction accélérée du rapport salarial et d’accentuation de la financiarisation des entreprises et de la société dont Emmanuel Macron a fait sa priorité depuis son installation à l’Élysée [5].

Le rapport lui-même (121 pages) est dense, et formule 20 propositions. Toutes évidemment ne sont pas de la même importance. Nous nous concentrerons ici sur trois d’entre elles, à notre sens largement principales. Mais auparavant et pour en saisir le sens et la portée, un préalable est nécessaire. Il a trait à ce qu’on peut considérer comme la toile de fond sur laquelle le débat sur l’entreprise se mène aujourd’hui en France.

Le contexte : entre RSE et refondation du statut des sociétés, quelle extension de « l’objet social » de l’entreprise ?

Disons pour commencer que le grand sujet sur lequel le rapport était attendu est celui de la réforme du statut juridique de l’entreprise, ce qui ne peut advenir qu’à partir de la redéfinition de ce qu’il est convenu de désigner comme « l’objet social » de l’entreprise. Il s’agit là en effet d’une question majeure, et en vérité d’une question quelque peu complexe. De quoi s’agit-il ?

Pour le comprendre il faut rappeler – et c’est là leur grand mérite – qu’un groupe de chercheurs a depuis longtemps fait observer qu’il y a un fort décalage entre l’entreprise, entité complexe, constituée de plusieurs parties prenantes (managers, salariés, actionnaires au premier chef…) et sa représentation juridique, très faible, fragmentaire et pour tout dire inadéquate [6]. « L’entreprise » en effet n’est pas définie comme telle dans le code civil. Elle n’apparaît – comme par incidence – que sous le registre et la forme de la « société » censée la représenter. Sur ce point l’article clé du code civil, l’article 1832 dispose : « La société est instituée par deux ou plusieurs membres qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens, ou leur industrie en vue de partager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». [7]

Cet article, en dépit des changements majeurs qui ont affecté la vie économique depuis 1804 (date de promulgation du code civil) ne sera jamais substantiellement modifié. Ainsi, après la création de la « société anonyme » et l’invention de la notion de « responsabilité limitée » des apporteurs de capitaux, cet article va servir de base à une interprétation selon laquelle les actionnaires [8], sont à la fois « propriétaires » de l’entreprise et peuvent donc décider de ses orientations, capter les bénéfices dont elle est à l’origine et, en cas de difficultés (pertes ou faillite) ne voir leur responsabilité n’être engagée que de manière « limitée » : à hauteur seulement des fonds investis dans la société [9]. Cette situation de rêve : droit à tout le bénéfice, responsabilité sur une partie seulement des pertes, explique pourquoi le grand juriste libéral Georges Ripert (1909) a pu écrire que « la société anonyme est le merveilleux instrument du capitalisme moderne  ».

Avec le temps, les choses ont pris un tour encore plus accentué. Les « associés » désignés par le code civil – au départ de simples personnes physiques – ne sont plus guère pour l’essentiel, lorsqu’il s’agit d’entreprises commerciales que des fonds de pensions ou des fonds spéculatifs, entrant et se retirant en fonction des perspectives de rentabilité. Et, dans tous les cas, en maintenant les entreprises sous une pression folle pour des rentabilités de plus en plus élevées. 15 % de ROE [10] est la norme qui s’est établie au cours des dernières décennies, ce qui explique les versements de dividendes astronomiques (et passablement indécents), auxquels on assiste désormais, tout spécialement en France.

Pour tenter de limiter les effets dévastateurs de cette financiarisation [11] accélérée des entreprises, deux voies ont été suggérées ou favorisées par certains courants réformateurs du capitalisme.

  • La première, depuis quelque deux ou trois décennies, s’effectue sous l’étendard de la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Elle se caractérise par le fait de ne surtout rien toucher au statut de l’entreprise et à ses obligations légales et contractuelles, tout en espérant et en attendant que l’entreprise, restée pleinement inscrite dans sa logique de recherche du profit, s’ouvre à de nouveaux objets et préoccupations, en particulier de caractère environnemental et/ou social. La présentation la plus avancée de cette approche est celle de l’entreprise conçue comme un ensemble de « parties prenantes » (R. Freeman, 2010). Au-delà des seuls actionnaires (à l’intérêt desquels on peut aujourd’hui associer dans les grandes entreprises ceux des hauts managers), il faudrait ajouter et prendre en compte les intérêts des salariés mais aussi ceux des clients, des grands sous-traitants…, plus généralement de tous ceux concernés ou impactés par l’activité de l’entreprise [12]… Des recommandations (sans valeur d’obligation légale, répétons-le), sous forme de « codes de bonne conduite » ou de normes à suivre… ont ainsi été codifiées, diffusées par des canaux multiples pour inciter les entreprises à se conformer à ces nouvelles valeurs. Tout ici repose sur de l’incitation à bien faire, ou simplement à faire un peu autrement, en s’appuyant sur les ressources d’une (très) soft law conçue et pensée pour favoriser des glissements successifs mais toujours volontaires du management et des actionnaires qui le contrôlent.
    La RSE a ses défenseurs. Mais disons-le nettement : même les plus convaincus d’entre ses partisans, restent, et pour cause, modestes. Sans force légale, la RSE reste en effet une option, une « activité volontaire » des dirigeants d’entreprise, et donc de leurs actionnaires. Dès lors, nombre d’observateurs ont pu montrer qu’elle consiste – lorsqu’elle existe – avant tout en une activité de « washing  » c’est-à-dire de « nettoyage », ou de « blanchiment », en déportant l’attention du public sur une activité marginale permettant de changer l’image globale de l’entreprise : ainsi des fonds environnementaux TOTAL [13]
  • L’autre orientation qui s’est développée, d’abord et surtout aux États-Unis, consiste au contraire à intervenir sur le statut juridique de l’entreprise, en introduisant dans ses statuts un objet social et/ou environnemental explicite, distinct de l’objectif de recherche du profit et appelé à coexister avec lui. Aux USA, où ce courant s’est d’abord développé sous le nom de FPC (Flexible Purpose Corporation) ou de BC (Benefit Corporation), l’enjeu était majeur. En effet, dans ce pays la jurisprudence a établi que du fait des « financiary duties  » (obligations financières), auxquelles ils sont soumis, les managers sont tenus de poursuivre l’objet de maximisation du profit et s’ils s’en écartent peuvent être poursuivis en justice par les actionnaires. Dans ce contexte, introduire dans la société des « flexible purposes  » (objets multiples) et faire voter cette disposition par une majorité des deux tiers des actionnaires garantissent les managers contre les poursuites éventuelles et du coup ouvre à l’entreprise la possibilité de se mêler d’objets sociaux ou environnementaux non rapportables à la stricte recherche du profit. En France, un groupe de chercheurs réunis autour de Mines Paristech et du Collège des Bernardins a beaucoup œuvré pour rendre disponibles les expériences menées aux États-Unis et conduire la discussion sur leur signification. Ce groupe est même à l’origine d’une proposition de statut nouvelle et originale pour l’entreprise : le SOSE, « société à objet social étendu » [14]. D’ores et déjà en France une dizaine de sociétés (dont Nutriset et la Camif) ont adopté ce statut.
    C’est dans ce contexte [15] et entre ces deux eaux, que navigue le rapport Notat-Senard. Cote (très) mal taillée, il opère entièrement d’un côté – celui de la RSE – tout en donnant à croire (par les propositions concernant les précisions apportées à la notion d’objet social) qu’il agit sur le versant du renouvellement du statut de l’entreprise. Le malaise que ressent parfois le lecteur vient de là. Le rapport est au fond conçu et pensé comme un instrument visant la consolidation de la RSE, alors qu’il affiche ouvertement une prétention à intervenir dans le débat sur le renouvellement du statut juridique de l’entreprise.

Qu’on en juge. Nous nous proposons ici – au-delà du détail des analyses et des recommandations – de revenir sur trois grands sujets traités dans le rapport, et qui tous à un degré ou à un autre revêtent une grande importance pour l’avenir de notre capitalisme. Sur chacun de ces sujets nous indiquerons aussi ce qui a été retenu par le projet de loi PACTE désormais disponible après sa présentation au Conseil des ministres du 18 Juin 2018.

La réforme annoncée du code civil : beaucoup de bruit pour rien ?

La réforme était annoncée à grand bruit. Des indiscrétions l’avaient préparée. On allait voir ce qu’on allait voir, c’est le code civil, la notion même de « société » qu’il institue, et objet de nombreuses critiques, qui allaient être modifiés.

Las !… Sur ce sujet majeur, celui où le rapport était le plus attendu, la proposition apparaît comme bien timorée. Déception majeure pour nombre d’observateurs : l’article 1832, celui qui au cours du temps a été interprété comme donnant tous pouvoirs aux actionnaires est conservé tel quel [16]. L’innovation du rapport consiste seulement à proposer une adjonction, non à l’article 1832, fondateur, mais à l’article 1833, qui en est un simple prolongement. À cet article 1833 qui dispose que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », Nicole Notat et Jean-Dominique Senard proposent d’ajouter un second alinéa ainsi rédigé : « La société doit être gérée selon son intérêt propre en considérant les enjeux sociaux et environnementaux ».

Deux ajouts, qu’il convient de commenter, sont ainsi introduits dans la proposition Notat- Senard.

- Apparaît une notion « d’intérêt propre » de l’entreprise, supposé distinct de celui des « associés », ce qui serait un progrès si l’on précisait : i) en quoi consiste cet intérêt propre et ii) qui (hors les associés actionnaires) en est le dépositaire ; toutes précisions que le rapport n’apporte pas.

- Au nom de cet « intérêt propre », il est aussi suggéré – et c’est là le second ajout – l’idée que l’entreprise doit être gérée « en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux ». Comme on l’aura compris, il n’y a ici nulle mention d’une contrainte à caractère légal pesant sur les « associés », lesquels en tout état de cause restent maîtres du jeu. De même aucune implication n’est tirée de l’introduction de cette notion « d’intérêt propre » en matière de gouvernance. Comme le note le rapport du Club des juristes (2018) : « une telle formulation –celle retenue par le rapport Notat-Senard [17] – a pour objectif d’éviter de faire référence aux parties prenantes dans le texte même de la loi » (p.102) [18].

Les adjonctions proposées sont ainsi pensées pour n’avoir aucune implication « statutaire ». La philosophie qui prévaut et qui a inspiré la rédaction de ces adjonctions est celle – qui laisse tous pouvoirs aux dirigeants et actionnaires – de la RSE. Au demeurant, les auteurs avaient pris soin d’annoncer d’emblée et clairement que l’ambition du rapport était de « consacrer dans notre droit la dynamique de la RSE » (p. 6).

Fidèle à l’esprit qui anime cette proposition et pour lever toute ambiguïté, la proposition de loi PACTE va trancher, le mot « intérêt propre » disparaît. Lui est substitué celui « d’intérêt social ». On reste ainsi parfaitement en ligne avec la conception classique de l’entreprise telle que saisie par les articles 1832 et 1833, « historiques » et que la jurisprudence a consacrée.

Exit le rêve de certains de voir le rapport Notat-Senard conforter la conception « partenariale » de l’entreprise. Ce ne sera pas pour cette fois. Beaucoup de bruit pour rien donc. La « société » de l’article 1832 reste celle de l’article 1832, même si quelques fioritures ajoutées à l’article 1833 vont venir alimenter la machine à rêves des partisans de la RSE, dont la conviction est que seuls de (très) petits pas sont possibles, des petits pas qui ne peuvent résulter que du bon vouloir des dirigeants et de leurs actionnaires qu’il convient d’inciter à faire différemment, mais sans bâtir le moindre contre-pouvoir.

Afin de prendre une dernière mesure de l’extrême timidité des propositions faites et retenues, rappelons qu’au moins deux propositions alternatives ont pendant la période récente, été avancées.

La première et la plus riche de sens et d’implication émane du Club des juristes. Ceux-ci, parmi les nombreuses propositions qui jalonnent la discussion menée, retiennent pour l’article 1833 la formulation suivante : « Toute société doit avoir un projet d’entreprise licite et être gérée dans l’intérêt commun des associés et des tiers prenant part, en qualité de salariés, de donneurs de crédit, de fournisseurs, de clients ou autrement, au développement de l’entreprise qui doit être réalisé dans des conditions compatibles avec l’accroissement ou la préservation des biens communs. » Comme le fait remarquer le Club lui-même cette proposition présente plusieurs avantages, elle reprend les trois thèmes : « projet d’entreprise, parties prenantes et biens communs sans hiérarchiser les intérêts des associés et des parties prenantes » [19].

Une autre proposition, moins audacieuse, émane de la fondation Terra Nova [20], auteure d’un rapport sur « l’Entreprise contributive », qui en vérité porte sur le même objet que le rapport Notat-Senard. Terra Nova propose quant à elle une réécriture de l’article 1832 qui stipulerait désormais : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent d’affecter des actifs, sous la forme d’apports en numéraire, en nature ou en industrie, à une entreprise commune en vue de développer un projet d’entreprise qui prend en considération différentes parties prenantes, de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie susceptibles d’en résulter ». Malgré ses limites, une telle proposition présente au moins le mérite d’être doublement explicite. On y pose que « la société » est bien constituée de « différentes parties prenantes » et qu’il convient donc qu’elles « partagent » les bénéfices qui résultent de leur activité combinée. Il faut s’y résoudre, cette conception de l’entreprise n’est pas retenue par le rapport Notat-Senard. Sa logique reste celle d’une recherche d’une implication « volontaire » des associés-actionnaires vers des objectifs sociaux ou environnementaux, étant posé qu’en tout état de cause rien dans le statut de l’entreprise ne peut leur être opposé.

Atteste encore de l’esprit de conservatisme qui a présidé aux travaux l’incroyable « timidité » du rapport en matière de gouvernance. La seule proposition qui retient ici l’attention est celle concernant la représentation des salariés dans les CA. Il s’agirait de rajouter un représentant supplémentaire des salariés au CA des entreprises de plus de 1000 salariés. Une mesure cosmétique, qui en rien ne modifiera l’état des rapports de force dans les CA et la domination sans partage qu’y exercent les actionnaires. Sans surprise le projet de loi fait sienne cette proposition et l’adopte.

L’introduction d’une « raison d’être » de l’entreprise et sa signification

Toujours dans l’esprit de « renouveler », sans rien changer au fond, est introduite dans le rapport une autre nouveauté. Il s’agit de la question dite de la « raison d’être » des entreprises. En appui et relais aux propositions concernant « l’objet social de l’entreprise », on confierait aux conseils d’administration et de surveillance la tâche de formuler une « raison d’être » de l’entreprise, laquelle serait alors supposée servir de référence à sa stratégie au regard de ses enjeux sociaux et environnementaux.

Ici, le changement suppose une modification, non du code civil, mais du seul code du commerce. Un nouvel article y serait introduit qui pourrait selon les propositions du rapport, être formulé comme suit : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société en référence à la raison d’être de l’entreprise, et veille à leur mise en œuvre, conformément à l’article 1833 du code civil. »

À travers cette proposition inattendue de « raison d’être » qui n’a guère d’antécédents dans le droit français [21], il s’agirait d’introduire l’idée que si la poursuite des intérêts financiers des actionnaires reste bien l’objectif des entreprises, tout pourrait ne pas s’y réduire entièrement, puisque les entreprises seraient légitimes à poursuivre ce qu’elles ont défini elles-mêmes comme leur « raison d’être ».

On notera cependant sur ce point que la valeur de « rupture » de cette disposition nouvelle avec l’existant est bien faible. Et que nombre d’entreprises d’ores et déjà récusent (au moins formellement) l’idée qu’elles sont au seul service des actionnaires, y compris pour ce qui concerne les plus discutables de leurs pratiques. Ainsi, par exemple, les licenciements prononcés dans des entreprises pourtant rentables (Michelin, ou Lu, alors entreprise du groupe Danone), ont été annoncés en leur temps comme destinés à protéger « l’intérêt supérieur de l’entreprise », présenté alors comme consistant à assurer sa propre survie et servir ses clients.

Le commentaire donné à la proposition d’introduire une « raison d’être », par l’un des auteurs du rapport, Mr Senard du groupe Michelin est édifiant. Mr Senard déclare en effet (dans un article du journal Le Point) « Chez Michelin, la raison d’être peut se résumer par la formule suivante (…) : ‘offrir à chacun une meilleure façon d’avancer’. Cela sonne comme un slogan publicitaire, mais c’est de nature, précise Jean-Dominique Senard, à traduire sa volonté de faire de Michelin le ’leader de la mobilité durable’. Et cela concerne aussi les salariés, assure-t-il. » [22]

En clair, cela signifie que pour autant que de la formation est dispensée dans l’entreprise, celle-ci est fondée à licencier sans entraves, qu’elle soit ou non rentable. Sa « mission » : « favoriser la mobilité durable » ayant été remplie du fait des sessions de formation dispensées par l’entreprise à ses salariés.

Le grand souci du Medef était que la formulation choisie n’ouvre la voie à de possibles revendications des « parties prenantes » (par exemple, des riverains lésés par des rejets de déchets ou des nuisances…), pouvant donner lieu à des recours juridiques. Les auteurs du rapport confient là encore avoir consulté moult éminents juristes pour proposer finalement une formulation qui permet d’éviter toute ouverture de contestation ou de contentieux. Au demeurant, il faut rappeler que « l’intérêt propre » [23], que l’on propose d’inscrire dans le code civil, de l’entreprise est de fait déjà reconnu par la jurisprudence française. À quoi on peut ajouter que, dès 1995, le fameux rapport Viénot [24], qui exprimait alors un consensus patronal, décrivait l’entreprise « comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers, dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise  » …

Clairement la notion de « raison d’être » annoncée comme le grand changement du rapport ne fait peur à personne. D’une certaine manière le rapport Viénot que l’on vient de citer est plus audacieux dans sa définition de l’entreprise que celle que véhicule la notion de « raison d’être ». Point confirmé par le fait que l’AFEP – ce gardien sourcilleux et très actif dans le monde du lobbying des intérêts des actionnaires des grandes entreprises, s’est fendue d’un communiqué affirmant que : « Les entreprises de l’AFEP prennent acte du souci qui a animé les rédacteurs du rapport dans la recherche d’un juste équilibre : d’un côté, la volonté de répondre aux attentes exprimées sur le rôle de l’entreprise vis-à-vis de son environnement et de traduire dans la loi la volonté partagée d’un développement axé sur le long terme ; de l’autre, le souhait de maintenir la stabilité juridique indispensable aux entreprises sur les textes fondateurs du contrat de société.  [25] »

C’est tout juste si, comme pour prendre date en cas d’évolutions imprévues, une vague réserve était formulée : « Il importera toutefois d’examiner la portée de notions nouvelles comme celle de « raison d’être » appliquée à l’entreprise », ajoute-t-elle dans son communiqué.

Sur ce point encore, le lobbying de l’AFEP aura porté ses fruits. Car si la loi Pacte retient bien la proposition de modifier l’article 1835 du code du commerce pour rendre possible l’inscription « d’une raison d’être », cette inscription ne sera plus « obligatoire », mais seulement facultative. Ici encore et plus que jamais, la proposition de loi ramène le rapport à sa philosophie en faisant des nouveautés proposées des « options », des choix volontaires des entreprises, en supprimant toute obligation. Certains commentateurs ont fortement regretté cette mutation de « l’obligatoire » en « facultatif », mais peut-on faire boire un âne qui n’a pas soif ? Il est parfaitement illusoire d’imaginer qu’un conseil d’administration d’une société résolument « for profit  » et qui n’a pas l’intention de bouger de là définisse une « raison d’être » (s’il est obligé de le faire) qui le contraindrait et ouvrirait un risque de contentieux ! Reconnaissons cela aux hommes de communication et de marketing que, sans difficulté aucune, ils auraient su se charger de définir une « raison d’être » à la fois « parlante » et séduisante en termes d’images, tout en n’obligeant en rien l’entreprise qui n’aurait pas souhaité accepter des contraintes autres que celles existantes.

L’ouverture d’une option vers des « entreprises à mission » dans le rapport Notat-Senard : promesses et menaces

Quoique s’inscrivant entièrement dans les eaux très inoffensives de la RSE, le rapport ne pouvait totalement ignorer la discussion, venue des États-Unis et désormais vivante en France, sur l’opportunité de modifier véritablement le statut de l’entreprise, en intervenant sur la définition de sa mission même.

Le rapport, là encore très attendu, consacre de longs développements à ce sujet. Il procède en deux temps, qui correspondent aussi à deux recommandations successives.

La première (recommandation n° 11) consiste à rendre possible (par un ajout à l’article 1835 du code civil) la possibilité de faire figurer la fameuse « raison d’être » dans les statuts d’une société, (quelle que soit la forme juridique préexistante) pour rendre possible la promotion d’un nouveau type d’entreprises dites « entreprises à mission »  [26]. Une fois l’inscription de la raison d’être dans les statuts, obtenue par un vote à la majorité des deux tiers, ceux-ci ne pourraient être modifiés que par un vote de même ampleur.

Dès lors, l’entreprise considérée (ayant fait figurer dans son objet social, sa « raison d’être »), bénéficierait du statut, nouveau dans le droit français, d’entreprise à mission ». Celle-ci (recommandation n°12) accessible à toutes les formes juridiques de société (SA, SAS, SARL…), ne pourrait être désignée comme telle que si quatre critères étaient satisfaits [27], dont le principal est la création d’un « comité d’impact », sur lequel nous allons revenir plus bas.

On bascule ici dans l’autre branche de l’alternative évoquée en introduction de cet article. Il ne s’agit plus comme dans la RSE et les articles 1832 et 1833 (ce dernier, même amendé) de s’inscrire dans le « bon vouloir » des entreprises, mais de créer un nouveau statut juridique (évidemment optionnel) ouvrant « statutairement » à l’entreprise la possibilité de s’orienter vers des objets distincts de la recherche du profit.

Dans ces entreprises serait alors installé un « comité d’impact » doté de moyens pour vérifier que l’action de l’entreprise est conforme à sa raison d’être. Ce comité pourrait inclure des représentants des parties prenantes (ONG, territoire sur lequel l’entreprise est présente, fournisseurs, clients…), mais rien de très précis n’est dit sur ce point [28]). Un rapport de « performance extra-financière » devra être alors réalisé, sur le modèle de ce qui se pratique déjà pour les entreprises de plus de 500 salariés dans le cadre de la RSE. Tous ces éléments sont introduits pour imposer une sorte d’obligation de résultat par rapport à « la mission » propre à l’entreprise. [29]

Dans le communiqué publié après la publication du rapport, « l’AFEP se félicite que la création d’entreprises à mission passe par des modifications statutaires, garantissant ainsi le respect de la liberté de choix de chaque entreprise  ». Ici encore la finance – dont l’AFEP est une représentante patentée – salue le fait que le statut actuel de l’entreprise (ou ce qui en tient lieu) qui garantit son pouvoir, ne soit pas altéré et que les « entreprises à mission » – mêlant objectifs de profit et préoccupations environnementales et sociales – ne soient que des exceptions, ne correspondant qu’à des choix volontaires d’entrepreneurs particuliers.

Au-delà de cette satisfaction exprimée par la grande finance sur la place accordée aux entreprises à mission dans le rapport, il faut aller plus loin et s’interroger sur la portée d’un changement qui, s’il peut permettre à certaines entreprises d’échapper aux contraintes de profit de court terme, leur ouvrant ainsi un espace d’action par l’intégration d’objectifs sociaux ou environnementaux, peut aussi – dans le contexte d’aujourd’hui constituer une lourde menace pour l’avenir.

Sur ce point, un remarquable article de Bertrand Valiorgue et Xavier Hollandts [30] publié sous le titre « Le jour où Bayer Monsanto deviendra une entreprise à mission » [31] met les points sur les i et tire les sonnettes d’alarme.

Dans cet article, après avoir rappelé que dans le cadre des entreprises à mission peut être incorporée une « mission d’intérêt général » telle que « protection de l’environnement, lutte contre les formes abusives de travail, revitalisation d’une région » ; les auteurs envisagent quelques-uns des scenarios possibles [32]. Ils indiquent alors que « Certaines missionsd’intérêt général pourraient finir par être sous-traitées par des entrepreneurs politiques sans que cela’ n’ait été formellement décidé par aucun organe représentatif placé sous le contrôle citoyen ». Ils poursuivent « À la différence des pouvoirs publics, qui sont mandatés et évalués par les citoyensqui va mesurer et évaluer (la) contribution Elisabeth, ’l’intérêt général’ ? [33] ». Le risque majeur pointé par les auteurs et auquel expose l’opportunité ouverte de créer des entreprises à mission telles que définies dans le rapport, est de voir se lever de nouveaux « entrepreneurs politiques » appuyés sur la finance et lancés comme des machines de guerre contre les services publics.

L’exemple donné est celui de Bayer Monsanto. À ce propos, les auteurs écrivent : « L’Union européenne vient de valider le rapprochement de Monsanto et de Bayer, faisant émerger un nouveau leader mondial des semences et des pesticides. Qu’adviendrait-il si cette entreprise décidait de devenir une entreprise à mission ? ». Afin de se lancer dans les projets pharaoniques dont elle est coutumière, la firme, en se déclarant « à mission », se donnerait de l’air par rapport à la pression de court terme des actionnaires et pourrait s’engager dans des recherches et actions de très long terme pour redessiner le futur à son idée. « Elle pourrait (alors) inscrire au cœur de ses statuts sa volonté de « mettre les sciences du vivant au service du progrès sociétal et environnemental.  ». Ce serait là sa « raison d’être », une raison d’être qui la mettrait en compétition et rivalité directe avec le service public.

Et nos auteurs de conclure : « Cette entreprise, dont les activités et les avancées scientifiques sont d’ores et déjà difficilement contrôlées par les pouvoirs publics, écarterait ainsi la pression et la régulation des marchés financiers [34]. Qui plus est, certains fonds de pension, voire certains fonds souverains, ont la capacité de rentrer dans le capital d’une hypothétique entreprise à mission Bayer-Monsanto. Celle-ci aurait ainsi des moyens juridiques et financiers d’ampleur inégalée pour mener des projets de recherche et développement dans le domaine des semences et des pesticides.  » Terminator [35], la célèbre technologie exploitée aujourd’hui par Monsanto, et qui a tant fait parler d’elle, ne serait finalement qu’un petit ballon d’essai au regard de ce que la firme pourrait désormais s’attribuer comme « mission(s) ».

Bref, en ces temps de mise en cause généralisée des services et des entreprises publics, l’ouverture vers le nouvel entreprenariat politique que représenteraient de telles « entreprises à mission » libérées à la fois du contrôle des marchés et du contrôle citoyen fait craindre le pire [36].

Favoriser le type d’entreprenariat politique dont nous venons d’esquisser la possible émergence ne fait certes pas partie des objectifs et intentions explicites du rapport. Mais à force de jouer sur les ambiguïtés sans poser de garde-fous suffisants [37], il en ouvre bel et bien la possibilité.

Silence et ambiguïtés de la loi Pacte sur les entreprises à mission

À la surprise générale, compte tenu de ce qui vient d’être dit le projet de loi Pacte se montre silencieux sur les entreprises à mission. La proposition du rapport Notat-Senard n’est pas reprise dans le projet de loi et aucune mention n’est faite explicitement à la notion d’entreprise à mission. On peut cependant supposer que dans l’esprit de la loi, les entreprises à mission pourraient voir le jour à partir des entreprises qui auront fait le choix de préciser leur « raison d’être ». Du débat et du travail législatif sont encore à venir pour que l’on sache vraiment ce qu’il en sera des entreprises qui auront fait le choix d’inclure une « raison d’être » dans leurs statuts et dans quelle mesure elles pourront (ou non) revendiquer un statut d’entreprise à mission. De même, on ne sait pour l’heure rien des degrés de liberté (par rapport aux actionnaires) ou des contraintes (via l’installation d’un « comité d’impact ») qui seront associés à ces entreprises ayant choisi de déclarer leur « raison d’être ».

Il demeure que, compte tenu des enjeux, le silence de la loi PACTE sur ce point a surpris. Mieux encore, il a déçu. Clairement, il alimente de fortes frustrations, et ce, jusque dans les milieux patronaux. Au point qu’une pétition d’entrepreneurs a été mise en ligne. Sous le titre « Pour la reconnaissance de « l’entreprise à mission dans la loi PACTE  » [38], une première vague d’une cinquantaine de chefs d’entreprise ou de représentants d’associations patronales demandent l’introduction explicite d’un statut d’entreprise à mission dans la loi. L’argument mis en avant est très clair. Les pétitionnaires écrivent en effet en conclusion de leur texte : « Nous sommes à ce moment historique, où un très grand nombre d’entreprises, de toute taille, de tous secteurs d’activité, de toutes formes juridiques s’unissent pour le dire haut et fort : la loi doit aider les entreprises à placer au cœur de leur projet la résolution des enjeux de société, sociaux et environnementaux  » L’argument en toutes lettres est bien celui qui fait craindre le pire. C’est celui du brouillage de frontières et de la transgression des objectifs privés de recherche de profit que l’on entend désormais « placer au cœur de… la résolution des enjeux de société, sociaux et environnementaux ».

L’affaire n’est donc pas close et on peut s’attendre à ce que finalement la loi PACTE, après débat et vote au parlement, ouvre un espace pour ces « entreprises à mission » tant souhaitées par une partie au moins du monde patronal.

Pour conclure : une occasion manquée ?

Pour l’heure, force est de constater que la montagne que constituait le bruit fait autour du rapport n’a accouché que d’une souris. L’extrême conservatisme du MEDEF et de l’AFEP l’ont emporté. Au point que les très timides propositions formulées dans le strict esprit de la RSE (inciter par des dispositions relevant de la seule soft law) ont elles-mêmes été affadies : l’adjonction à l’article 1833 a vu la notion « d‘intérêt propre » – elle-même bien timide – être réduite au très classique et inoffensif « intérêt social » et l’introduction d’une « raison d’être » n’est plus qu’un élément « facultatif ». Pour une loi conçue pour compléter la loi Travail du gouvernement Macron et celle sur le secret des affaires, pouvait-on sérieusement espérer autre chose ?

Le problème demeure donc entier. Que faire de l’entreprise ? Quelles « réformes » est-il possible d’envisager ?

Dans un précèdent article, nous avons (avec d’autres) formulé une série de recommandations pour sortir l’entreprise de la financiarisation. Nous ne pouvons ici que réitérer ces propositions qui n’ont rien perdu de leur pertinence. Dans leur esprit, ces propositions (comme celles formulées par exemple par Aufray et al, 2018) visent à faire reconnaître l’entreprise comme entité collective, et à établir de manière statutaire les droits et obligations des différentes parties prenantes qui composent l’entreprise, tout en proposant des mesures immédiates pour rendre possible sa dé-financiarisation [39].

À quelques années d’intervalle, nous pouvons cependant encore ajouter ceci. Plus que jamais la transition écologique s’impose comme une obligation [40]. Or, qui peut feindre d’ignorer que ce ne sont certes pas les entreprises du CAC – qui de différents côtés ont assis leurs profits astronomiques sur l’économie carbonée – qui vont assurer cette transition ?

Dans ces conditions, peut-être que le plus sage et le plus avisé serait, plutôt que de viser des réformes grandiloquentes et sans grande consistance, de s’attacher (le cas échéant en s’inspirant de formes juridiques existantes au sein du monde des entreprises de l’ESS), à favoriser et à promouvoir un type d’entreprise à mission dont la vocation sociale et environnementale serait garantie par de l’expertise scientifique et citoyenne et qui dès lors verrait ses activités – en échange d’engagements clairs et vérifiables – bénéficier d’aides publiques et d’avantages financiers et fiscaux clairs et suffisamment attractifs pour rendre possible un investissement véritable et durable dans la transition écologique. La contribution de telles entreprises – en termes d’économies externes positives et d’amélioration du bien commun – paierait alors largement l’avance ou les aides qui leur auraient été consenties. L’engagement dans la transition écologique serait ainsi assuré, créant une dynamique positive pour l’ensemble des acteurs concernés, y compris les entreprises qui jusqu’ici, ne croyant pas à cette perspective, s’en tiennent à l’écart. Faute de s’être inscrit dans cette perspective, le rapport Notat-Senard apparaîtra-t-il finalement comme une occasion manquée ?

Si l’occasion était saisie d’introduire des « entreprises à mission » du type de celles que nous appelons de nos vœux dans ce texte, l’économie comme la société trouveraient l’un des supports essentiels dont elles ont besoin pour faire face aux défis – toujours plus pressants – du changement climatique et de la transition écologique. Et, l’entreprise alors, oui, serait mise en situation de contribuer au bien commun.

Benjamin Coriat est professeur des universités, Université Paris 13-Sorbone Paris Cité, coriat@club-internet.fr

Ce texte a été proposé comme note aux Économistes atterrés, 1er juillet 2018.

Ouvrages cités

Auvray T., Dallery T., et Rigot S. (2016), L’entreprise liquidée : La finance contre l’investissement, Michalon.

Baudoin R (Éd.) 2012, L’entreprise, formes de la propriété et responsabilité sociale, Éd. Collège des Bernardins, Lethielleux.

Baummier S., Reouard C. (2018), L’entreprise comme commun. Au-delà de la RSE, Éd. Charles Léopold Mayer.

Club des juristes (2018) « Le rôle sociétal de l’entreprise,
éléments de réflexion pour une réforme », Groupe de travail présidé par
Antoine Frérot, Président-Directeur Général, Véolia et Daniel Hurstel, Avocat, Willkie Farr & Gallagher LLP.

Coriat B., Coutrot T., Perez R., Weinstein O. (2012), « Entreprises (Sortir de la financiarisation) », in Les Économistes atterrés, Changer d’économie, Éd. Les Liens qui libèrent.

es Économistes Atterrés (2012), Changer d’économie, Éd. Les Liens qui libèrent.

Les Économistes Atterrés (2017), Changer d’avenir, Éd. Les Liens qui libèrent.

Freeman Robert. E, Jeffrey S. Harrison et Andrew C. Wicks, (2010), « Stakeholder Theory : The State of the Art », Yale University Press.

Lantenois C., Coriat B. (2011), « Investisseurs institutionnels non-résidents, corporate governance et stratégies d’entreprise. Évaluation et analyse à partir d’un panel de firmes françaises et allemandes (1999-2007) », Revue d’économie industrielle.

Notat N., Senard, J-D. (2018), « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », Rapport aux ministres de la transition écologique et solidaire, de la justice, de l’économie et des finances, du travail, La Documentation française.

Robé P. (1999), L’entreprise et le droit, PUF.

Segrestin B. (2009), « L’entreprise, une invention moderne en attente de droit ? », Entreprises et Histoire, 2009, 4/57

Segrestin B., Hatchuel A. (2012), Seuil, La République des idées.

Segrestin B, Levillain K, Vernac S., Hatchuel A., (2015), « La société à objet social étendu : Un nouveau statut pour l’entreprise », Presses École des Mines.

Sudreau P. (1974), Rapport du Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise. La Documentation française.

Weinstein O. (2010), Pouvoir, finance et connaissance. Les transformations de l’entreprise capitaliste entre XX et XXI siècles, La Découverte.

Notes

[1Voir par exemple les commentaires de Frank Aggeri qui salue « le pragmatisme de l’approche et le symbole politique fort qu’elle représente » dans la rubrique qu’il consacre au rapport dans Alternatives économiques (cf. Aggeri F. « Réforme de l’entreprise : le pragmatisme du rapport Notat-Senard », Chronique dans Alternatives économiques, 18/04/2018). Dans le même esprit et même si le rapport est jugé globalement « décevant », voir l’article de M. Capron qui écrit que le rapport « est un texte intéressant. Solidement documenté, il présente des analyses et des problématiques dans lesquelles la société civile au sens large peut se retrouver. Il tranche notamment avec les discours laudatifs et sans consistance qu’on rencontre trop souvent lorsqu’il est question des entreprises » (Alternatives économiques, du 29/03/2018).

[2Cf. en particulier les déclarations et communiqués de l’AFEP (Association française des entreprises privées) cités et commentés plus bas dans cet article. Rappelons que l’AFEP regroupe pratiquement tous les patrons du CAC 40 ainsi que l’essentiel des grandes sociétés françaises ou étrangères ayant une présence sur le territoire français. En 2016, les 112 entreprises adhérentes totalisent un chiffre d’affaires consolidé de 2 600 milliards d’euros et emploient 8,5 millions de personnes dans le monde.

[3Cette loi fortement critiquée, sous prétexte de protéger les secrets de fabrication des entreprises (ce qui serait légitime, mais est fait par ailleurs…), consiste à prévenir la possibilité de dénonciation des pratiques litigieuses des entreprises en matière fiscale ou environnementale par exemple. Et ce en raison notamment de l’inversion de la charge de la preuve installée par la nouvelle loi. Il reviendra désormais au lanceur d’alerte de prouver ce qu’il avance et non plus à l’entreprise d’établir la licéité de ses pratiques. Pour ne donner que cet exemple, avec la nouvelle loi, la dénonciation des pratiques faites autour du « Luxleaks » ne serait plus possible.

[4Ce point est souligné par les documents sur la loi Pacte mis en ligne sur le site du Ministère de l’économie. La loi Pacte y est présentée comme prolongeant et complétant les lois déjà publiées sur le travail et l’entreprise.

[5Parmi les arbitrages finaux effectués dans le projet de loi on peut lire sur le site du Ministère de l’économie que sont programmées des mesures telles que l’abaissement ou la suppression des seuils sociaux, le développement de l’intéressement (y compris dans les PME) et plus généralement les formes de rémunération liées à la performance. Ainsi est annoncée la suppression du forfait social sur les dispositifs d’épargne salariale (intéressement et participation) dans les entreprises de moins de 250 salariés. Cette mesure est une incitation pour les employeurs à privilégier l’intéressement au détriment du salaire, et va coûter un demi-milliard d’euros à la Sécurité sociale. Sont encore annoncées des mesures facilitant l’accès des PME aux marchés boursiers, un « plan épargne actions pour les jeunes » (sic), ainsi qu’une accélération des privatisations.

[6Voir notamment Robé (1999), B. Segrestin (2009) ; B. Segrestin et A. Hatchuel (2012), B. Segrestin et al (2015), ainsi que les travaux conduits en relation avec le Collège des Bernardins édités par R. Baudoin (2012).

[7Il faut noter ici, ce qui ne contribue pas à la clarté des choses, que le terme générique utilisé dans cet article du code civil vise toute forme de société  : de la société commerciale à l’association.

[8Par « associés » sont en fait désignés (cf. article 1833 cité plus bas) les apporteurs de capitaux, c’est-à-dire encore les actionnaires.

[9Sur cette conception de l’entreprise dite « actionnariale » et sa critique voir O. Weinstein (2010).

[10ROE désigne le return on equity, c’est-à-dire le taux de rendement du capital placé en actions. Plus prosaïquement, il s’agit du bénéfice par action. Sur ce sujet voir Lantenois, Coriat (2011).

[11Sur la financiarisation des entreprises, voir l’ouvrage récent de Auvray et al (2016) ainsi que le chapitre 7 de Changer d’économie (2012), publié par les Économistes atterrés, qui formule aussi quelques recommandations pour dé-financiariser l’entreprise.

[12L’ISO (norme ISO 26000) donne de la notion de partie prenante la définition suivante : « Les parties prenantes sont des organisations ou des individus qui ont un ou plusieurs intérêts dans une décision ou activité quelconque d’une organisation (entreprise). Du fait que ces intérêts peuvent être affectés par l’organisation (entreprise), il se crée un lien avec celle-ci. »

[13On trouvera une analyse détaillée de la notion de RSE dans ses différentes dimensions, financières, sociales, environnementales et politiques dans l’ouvrage récent de S. Bommier et C. Renouard (2018). L’ouvrage appuyé sur nombre d’études de cas dresse un tableau sans complaisance de la RSE, et appelle à en sortir afin de créer des cadres légaux différents capables de permettre d’autres comportements des entreprises que ceux qui prévalent aujourd’hui.

[14Outre l’ouvrage de B. Segrestin et Hatchuel (2012) déjà cité, il faut se reporter ici tout spécialement au livre de synthèse publié par B. Segrestin et al (2015).

[15Pour ne rien dire ici de la longue et ancienne histoire qui depuis le rapport Sudreau (1974) a scandé la discussion en France sur le thème de la réforme de l’entreprise.

[16Certains ont avancé que modifier l’article 1832, fondateur et à vocation générale (il vise toute forme de « société » de la SA à l’association), n’était pas envisageable, car porteur d’effets par trop déstabilisateurs. L’argument peut être entendu. Pourquoi alors ne pas avoir procédé sous forme d’adjonction à l’article 1832, en introduisant un complément qui n’aurait visé que les sociétés à vocation commerciale ? Choix au demeurant (celui de l’adjonction) qui a été fait pour l’article 1833, ce qui montre bien qu’il n’était pas absent de l’horizon des auteurs.

[17La mention « entre tirets » est ici rajoutée par nous, mais elle est explicite aussi dans le rapport des juristes.

[18Confirme encore l’idée que prévaut la continuité installée par l’article 1832, le fait que la notion de « partie prenante », qui ici aurait fait la différence si une mention explicite avait été faite, n’apparaît dans le rapport Notat-Sénard lui-même que dans une partie du rapport consacrée à des recommandations « facultatives ». La proposition de constituer « un comité de parties prenantes » relève en effet des actions «  optionnelles  » de l’entreprise, non, comme c’est le cas pour l’article 1833, des mesures législatives proposées comme s’imposant à tous.

[19Les auteurs notent cependant à propos de cette rédaction : « Cette absence totale de hiérarchie entre associés et tiers pourrait placer les organes sociaux dans une situation délicate lors de la prise de décisions supposant de faire prévaloir les intérêts de certaines de ces parties prenantes sur ceux des autres ». Elle suppose donc des précisions complémentaires permettant d’introduire une hiérarchie et donc une sécurité juridique plus grande pour chacun des partenaires de l’entreprise comme pour l’entreprise elle-même conçue comme entité propre.

[20Cette fondation, dont les travaux sont consultables sur son site a ceci de particulier que depuis de nombreuses années, elle est à l’origine de pratiquement toutes les propositions visant à renforcer les bases « sociales libérales » du PS français. 

[21Ni même, à notre connaissance, dans des droits étrangers.

[22Article publié dans Le Point du 09/03/2018 sous le titre « Un rapport pour révolutionner l’entreprise » par Marc Vigniot.

[23Reformulé en « intérêt social » dans la proposition de loi PACTE, comme on l’a indiqué plus haut.

[24En 1995, Marc Viénot, alors Président de la Société générale, avait été chargé par le CNPF et l’AFEP de réfléchir sur le fonctionnement des conseils d’administration des sociétés cotées. Ce rapport portant sur « La gouvernance des entreprises » fait toujours référence.

[25Ce dernier membre de phrase « le souhait de maintenir la stabilité juridique indispensable aux entreprises sur les textes fondateurs du contrat de société » est un satisfecit donné aux auteurs du rapport sur le fait que la signification de l’article 1832 qui sert de base au pouvoir des actionnaires n’est pas altérée (par l’adjonction d’une « raison d’être »), apportant la « sécurité juridique  » qu’espéraient les actionnaires.

[26Pour ce faire on adjoindrait un alinéa à l’article 1835 du code civil qui stipulerait : « L’objet social peut préciser la raison d’être de l’entreprise constituée ». Rappelons que dans le régime général envisagé si les organes de délibération collective de toute société commerciale doivent se prononcer sur la raison d’être de l’entreprise, il n’est pas obligatoire de la faire figurer dans les statuts. Ce ne sera obligatoire que pour les « entreprises à mission ».

[27Selon le rapport, ces quatre critères sont (1) l’inscription de la raison d’être de l’entreprise dans ses statuts ; (2) l’existence d’un comité d’impact doté de moyens, éventuellement composé de parties prenantes ; (3) la mesure par un tiers et la reddition publique par les organes de gouvernance du respect de la raison d’être inscrite dans les statuts ; (4) la publication d’une déclaration de performance extra-financière comme pour les sociétés de plus de 500 salariés.

[28Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes. Comme on le verra dans un instant, les « entreprises politiques » d’un nouveau type auxquelles peut donner lieu le concept d’entreprises à mission tel que suggéré dans le rapport Notat-Senard, échapperaient alors à tout contrôle véritable. Cf. infra pour de plus amples précisions sur ce point.

[29Notons que la création de ce comité d’impact est la simple reprise d’une disposition de la loi américaine (sur les FPC en particulier). En l’absence de « financiary duties  » il s’agit toujours de mettre les managers sous contrôle, en vérifiant qu’ils ne s’écartent pas de la « raison d’être » inscrite dans l’objet social.

[30Respectivement : Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - Titulaire de la chaire alter-gouvernance, Université Clermont Auvergne et Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business School .

[31Cet article repris dans la Tribune a d’abord été publié sur le site The Conversation où il est toujours disponible.

[32Ainsi par exemple, indiquent-ils... « la coopérative Limagrain, (groupe coopératif créé et dirigé par des agriculteurs) dont l’une des vocations principales est de fournir des semences de qualité aux agriculteurs, pourrait donc demain être concurrencée par une entreprise à mission située sur le même créneau, sans être pour autant gouvernée de manière démocratique par les acteurs qui bénéficient des services apportés  ».

[33Rappelons que l’institution habilitée à prononcer la conformité aux missions est le « comité d’impact » dont les conditions de formation et de nomination sont extrêmement floues et en pratique dans la main des actionnaires et des dirigeants de l’entreprise à mission.

[34Les auteurs veulent signifier par là que « l’entreprise à mission » dont ils craignent la venue échapperait à la fois à la pression du profit à court terme imposée par les marchés financiers et au contrôle citoyen qu’implique l’entreprise ou le service public. Aucune connotation positive n’est donc ici attachée à la notion de pression et régulation des marchés financiers employée par les auteurs, ici dans un contexte très particulier.

[35Les technologies surnommées « Terminator » sont des technologies utilisées pour rendre les plantes génétiquement modifiées stériles. Ces technologies permettent de stopper la dissémination des plantes dans la nature. Elles permettent aussi d’empêcher l’utilisation des graines obtenues pour une nouvelle semence (semences de ferme). Ces technologies, ont été développées par une équipe du ministère américain de l’agriculture et la firme Delta & Pine Land, qui ont déposé un brevet en mars 1998 sur un système de « contrôle de l’expression génétique chez les plantes ». Depuis, Monsanto a racheté Delta & Pine Land et commercialise différentes semences basées sur cette technologie.

[36L’inquiétude est d’autant plus de mise, que, comme il faut le remarquer, c’est à Davos, c’est-à-dire dans le temple des multinationales les plus puissantes et les plus prédatrices de la planète, qu’Emmanuel Macron a choisi de faire référence de manière appuyée à la nécessité d’œuvrer pour le « bien commun ».

[37Les « garde-fous » pour empêcher les dérives dont on a montré la possibilité doivent porter à la fois : i) sur l’étendue et la nature des « missions » que se fixent les entreprises, dont la cohérence avec les moyens mis en œuvre et la crédibilité doivent pouvoir être vérifiées par des autorités indépendantes incontestables, ii) sur la composition et les pouvoirs du « comité d’impact » chargé de vérifier la conformité des actions avec la mission proclamée, qui lui aussi doit pouvoir être totalement indépendant des actionnaires et du CA de l’entreprise.

[38Cf. La Tribune du 19 juin 2018.

[39cf. Coriat et al (2015) dans Changer d’économie, op. cit.

[40Sur ce point voir l’ouvrage des Économistes atterrés, Changer d’avenir, Ed. Les Liens qui libèrent, 2017.

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