De l’entreprise vers le commun

lundi 9 juillet 2018, par Benoît Borrits

La propriété collective des moyens de production a longtemps été la définition de l’alternative au capitalisme. Avec deux siècles de recul, ce projet a montré son incapacité à promouvoir une société émancipée. L’alternative ne serait-elle pas un dépassement de la propriété ? Si cette perspective avait été envisagée aux XIXe siècle par Proudhon, la pratique du commun nous permet aujourd’hui de lui donner corps. Cette disparition de la propriété pourra être réalisée par une articulation de différents communs, dans laquelle le commun productif codirigé par les travailleur.se.s et les usager.e.s s’articulera avec des communs de socialisation du revenu et de financement.

Dans l’économie capitaliste, l’entreprise est réduite à une société de capitaux, une réunion d’investisseurs mus par la valorisation de leur argent : l’objectif est d’obtenir une valorisation supérieure du capital investi. Cette nécessité de la valorisation du capital donne naissance à l’entreprise : les actionnaires sont bien obligés d’embaucher des travailleurs et de trouver un marché, donc des consommateurs, pour générer les bénéfices nécessaires à cette valorisation, et ce sont ces salariés et consommateurs qui forment la réalité de l’entreprise.

La coopérative, première étape vers le commun

La coopérative est une forme juridique beaucoup plus conforme à cette réalité. En France, une coopérative est une société commerciale disposant de règles dérogatoires de gestion du capital : celui-ci est réputé second par rapport à l’objet social (ce que va produire l’entreprise). Dans une société de capitaux classique, l’objectif premier est la valorisation du capital et l’objet social est au service de cette valorisation. Dans une coopérative, on a la relation exactement contraire : ce qui fonde la coopérative est l’objet social – ce pour quoi les coopérateurs se regroupent – et le capital est au service de cet objet social. C’est ainsi que dans une coopérative, les décisions se prennent sur la base d’une voix par personne, et non par action ou part sociale, et qu’en cas d’excédents de gestion – terme que l’on préférera à celui de bénéfices – ceux-ci ne peuvent être appropriés par les détenteurs de parts sociales : il y a donc constitution de réserves dites « impartageables » qui appartiennent à la coopérative en tant que telle et non aux différents sociétaires – terme préféré à celui d’actionnaires dans une coopérative – et forment ainsi une propriété collective.

Il est d’usage de classer les coopératives en deux catégories : les coopératives de travail (telles que les Scop en France) ou les coopératives d’usagers. Dans les premières, ce sont les travailleurs qui sont membres de la coopérative, dans les secondes, ce sont les usagers. L’avantage des premières est de permettre aux travailleurs de contrôler leur travail [1], mais elles exigent de ceux-ci de devoir trouver un marché, des consommateurs, pour pouvoir obtenir des rémunérations correctes. Ce problème est a priori réglé dans les secondes, puisque ce sont des consommateurs qui fondent l’entreprise – devenant ainsi usagers – et qui embauchent des travailleurs pour réaliser l’objet social. Si cette forme semble solutionner la question du marché, il n’en reste pas moins vrai que les travailleurs se retrouvent alors dans une position subordonnée assez proche de celle qui existe dans les entreprises capitalistes. Ces dernières années, des coopératives multi-collèges – telles que les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) – sont apparues, partageant les pouvoirs en différents collèges dont, au minimum, un pour les travailleurs et un autre pour les usagers. Dans la pratique, les modalités de gestion font que ces coopératives s’apparentent plus à des coopératives d’usagers dont on aurait associé les travailleurs à la gestion, le collège des travailleurs ayant généralement moins de 50 % du pouvoir [2]. Les pouvoirs entre travailleurs et usagers ne devraient-ils pas être différenciés plutôt que partagés en terme de pourcentage ?

Pierre Dardot et Christian Laval [3] définissent le commun comme un ensemble de pratiques démocratiques dans lesquelles les usagers contestent aux propriétaires un quelconque droit d’aliénation. La majeure partie des combats de l’altermondialisme peut donc être rangée dans cette catégorie : les batailles contre la privatisation de l’eau – comme à Cochabamba en Bolivie ou à Naples – et des services publics en général, les combats contre les nouvelles enclosures de la propriété, que ce soit à l’égard des ressources naturelles ou des connaissances. Il est intéressant de voir que Pierre Dardot et Christian Laval ont rangé sous la catégorie de commun le phénomène des entreprises récupérées argentines : des entreprises occupées par les travailleurs, qui en tant qu’usagers de l’outil de production, contestent aux propriétaires le droit de fermer l’entreprise et de disposer des machines.

Quand leur combat est victorieux, ces travailleurs finissent toujours par constituer une coopérative de travail. Or, cette forme juridique est ambiguë du point du vue du commun. L’histoire nous a montré que les coopératives de travail ont beaucoup plus de mal à se créer et à s’inscrire dans le temps que les coopératives d’usagers. Pire, lorsqu’une coopérative de travail réussit et se développe, le capital, qui est second juridiquement, tend à reprendre le dessus, ce qui banalise l’entreprise et provoque un phénomène de dégénérescence coopérative. L’exemple le plus typique de ce phénomène est celui de Mondragón, un groupe absolument extraordinaire de plus de 70 000 travailleurs réunis dans une centaine de coopératives. Si l’histoire coopérative et entrepreneuriale de cet ensemble est fabuleuse, il n’en reste pas moins vrai que, lors de l’internationalisation du groupe, les coopérateurs n’ont pas permis aux salariés d’entreprises rachetées d’accéder au sociétariat. La faute à la nature même de la coopérative, forme à mi-chemin de la propriété collective et de la propriété privée. Comment dès lors dépasser cette contradiction ? En se débarrassant définitivement du concept de propriété, privée comme collective, et ce, grâce à la pratique du commun.

La propriété collective est une impasse

Le capitalisme pouvant se définir par la propriété privée des moyens de production, l’alternative au capitalisme s’est naturellement définie par la propriété collective des moyens de production. Tel a été schématiquement l’horizon des socialismes des XIXe et XXe siècles avec une difficulté de taille : quelle est la collectivité propriétaire ? Comme nous l’avons vu, le mouvement coopératif a esquissé une propriété collective au niveau de l’entreprise au travers des réserves impartageables et des règles dérogatoires de détention des parts sociales qui devaient empêcher une gestion capitaliste de la propriété. Après la disparition de Charles Gide [4], le mouvement coopératif a cessé de se voir comme un projet de transformation de la société mais comme un tiers-secteur intermédiaire entre la propriété privée et la propriété étatique. La majeure partie des socialistes du XIXe siècle ont vite compris le caractère limitatif d’une propriété collective au niveau de la seule entreprise : une propriété, même collective, est excluante à l’égard de ceux qui ne sont pas propriétaires, et il convient donc de penser celle-ci à une plus grande échelle, l’échelon national étant alors le plus évident.

Cela signifiait que les moyens de production allaient devenir propriété de l’État et cela allait poser de nouveaux problèmes. Le premier est celui de l’échelle. Par définition, un propriétaire de moyens de production dirige en fonction de ses objectifs et planifie donc la production selon ses ordres. C’est exactement ce qui se passe dans les grands groupes privés, où la holding de tête détermine les objectifs de chacune de ses filiales et nomme l’encadrement qui aura en charge l’exécution du travail : cette façon de fonctionner est génératrice d’une lourde bureaucratie qui n’est économiquement viable que parce que ces groupes ont souvent une position monopolistique ou oligopolistique sur un marché donné. Dans le cadre d’un pays entier – comme cela a été le cas dans les pays du socialisme réel – cette bureaucratie s’est avérée omnipotente et inefficace, d’autant qu’en aval aucune sanction autre que le mécontentement des consommateurs n’était possible.

Cet écueil n’avait pas échappé à des socialistes tels que Marx ou Jaurès, qui envisageaient des coopératives sans propriété qui géreraient des moyens de production appartenant à l’État. C’est d’une certaine façon le schéma que les communistes yougoslaves ont tenté d’appliquer lors de leur rupture avec Staline. Dans un premier temps, ils ont appelé à la formation de conseils de travailleurs qui cogéreraient les entreprises avec les directions nommées par l’État. Si cette première phase a été économiquement couronnée de succès, très vite, les travailleurs ont demandé « plus d’autogestion » et le parti n’a jamais accepté de transférer les grands choix économiques aux travailleurs et à la population : il répondra en donnant plus d’autonomie aux entreprises en évoluant vers ce que l’on appellera un « socialisme de marché » qui favorisera, deux décennies plus tard, la privatisation générale de l’économie. D’une façon plus générale, comment des collectifs de travailleurs (ou d’usagers) épars peuvent-ils prendre des décisions qui engagent un propriétaire collectif ? On le comprend, l’exercice a des limites évidentes.

L’hypothèse de la non-propriété

Une autre voie a été esquissée par le mouvement libertaire, celle de la non-propriété. Celle-ci a été clairement exprimée par Pierre-Joseph Proudhon qui réfutait autant le capitalisme et sa propriété privée que le communisme et sa propriété collective. Si le concept de non-propriété n’a jamais été détaillé par son investigateur, son expérience de la Banque du peuple de 1849 peut nous donner une première approche : l’important pour les travailleurs n’est pas de « posséder » des outils de production mais d’y avoir accès grâce à du financement.

Durant la révolution espagnole de 1936, la notion de propriété ne s’était pas immédiatement posée : les travailleurs ont pris le pouvoir dans les unités de production face à des propriétaires en fuite ou qui avaient soutenu le putsch du général Franco. Ce sont donc les travailleurs, en tant qu’usagers des moyens de production, qui dirigent effectivement la production. Selon les libertaires, suivis en cela par les conseillistes d’inspiration marxiste [5], les travailleurs allaient spontanément s’entendre sur un plan commun de production qui, à l’inverse de la planification soviétique du haut vers le bas, allait se définir à partir des unités de production. Les reproches que l’on a pu faire sur la planification totale de l’économie restent, hélas, valides, même en partant de la base, et rien n’indique que des unités de production autonomes s’entendront sans divergence, ce que nombre d’auteurs libertaires reconnaîtront de façon implicite [6]. Qui dit divergence, dit retour des rapports marchands et avec eux, retour d’une certaine forme de propriété. Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’espoir ?

Assez curieusement, ce sont des innovations a priori faiblement révolutionnaires survenues au XXe siècle qui nous autorisent aujourd’hui à repenser l’hypothèse de la non-propriété. Les cotisations sociales d’abord. En 1910, la loi sur les retraites des travailleurs salariés est votée. La CGT est vent debout contre cette loi qui prive les travailleurs d’une fraction de leur salaire, d’autant que, statistiquement, seul un sur dix pourra atteindre l’âge des 65 ans et en bénéficier. À l’inverse, Jean Jaurès, conscient de ses imperfections, appelle ses camarades de la SFIO à voter cette loi pour pouvoir, le dispositif une fois acquis, en modifier les caractéristiques. L’histoire lui donnera raison, puisque ces cotisations sont aujourd’hui un axe fondamental de remise en cause de la propriété. En effet, elles contestent au propriétaire le droit d’organiser à sa guise le flux A-M-A’ que décrivait Marx dans le livre I du Capital  : l’employeur peut certes payer un salarié comme il l’entend, mais il doit assortir le paiement de la force de travail d’autres règlements destinés à du salaire différé pour le travailleur ou la travailleuse, du financement de services publics (santé) ou de la politique familiale.

Le second axe est le recours de plus en plus fort au financement des entreprises par endettement et non par fonds propres. Si ce recours est essentiellement motivé par une optimisation du rendement financier des fonds propres grâce à l’effet de levier obtenu, force est de constater que l’endettement ne génère pas de relations de propriété : un créancier est rémunéré par un taux d’intérêt fixe et n’intervient pas dans la gestion. Si nous ne pouvons que critiquer le fait que cet endettement soit source d’enrichissement et de spéculation pour des capitaux privés, il convient aussi de mentionner que le mouvement des Scop a récemment développé des fonds d’intervention en quasi-fonds propres (Socoden et Scopinvest) destinés à minimiser l’implication financière des salariés dans leurs entreprises qui vont, dans certains cas, jusqu’à financer 95 % du fonds de roulement. Si nous remplacions les créanciers privés par un système bancaire socialisé – que nous différencierons de l’étatisation – ne pourrions-nous pas envisager de financer la totalité de l’actif de l’entreprise par celui-ci aboutissant à la disparition des fonds propres et donc à la notion même de propriété ? C’est l’outil du commun qui nous permet aujourd’hui de l’envisager.

Socialisation du revenu

Nous pouvons considérer que la Sécurité sociale, telle qu’elle avait été conçue par ses promoteurs en 1945, constitue un commun : les travailleurs d’un territoire érigent leurs propres règles indépendamment de l’État pour gérer ensemble une ressource destinée à mettre en oeuvre un régime de santé publique, de retraites, ainsi qu’une politique familiale. Il s’agit donc d’une socialisation du revenu qui s’opère contre la notion même de propriété.

Aujourd’hui, la sécurisation des revenus des salariés est un autre champ possible de socialisation du revenu contre lequel le patronat est vent debout. Certains parlent de sécurité sociale professionnelle, d’autres de revenu universel, quand les propositions de Bernard Friot sur le salaire à vie ne posent pas d’emblée l’éviction des actionnaires. Au cœur de ces différentes propositions, une mutualisation des revenus générés par les entreprises afin de déconnecter les salaires du comportement marchand des unités de production. Tel est le sens de la proposition d’une péréquation du revenu disponible des entreprises (www.perequation.org). Le revenu disponible des entreprises est une notion proche de la valeur ajoutée, mais basée sur les flux de trésorerie [7] qui permettent de payer les salaires et actuellement les dividendes. L’idée est d’en extraire un pourcentage (30 %, 40 % ou plus) et de le redistribuer de façon uniforme en fonction du nombre d’équivalents temps plein par entreprise (une allocation par ETP). Dans une optique transitionnelle, l’objectif de cette mesure est de favoriser la hausse des cotisations dans les entreprises à faible valeur ajoutée en opérant des transferts des entreprises à forte valeur ajoutée vers les autres. Dans un contexte de socialisation du revenu, cette péréquation devient un outil pour permettre le débat entre salariés sur la façon de partager le revenu. Voulons-nous qu’une partie du revenu soit déconnectée de celui de l’unité de production dans laquelle on travaille ? Si oui, à quel pourcentage ? Si les citoyens souhaitent la mise en place d’un revenu universel, alors tout ou partie de l’allocation de la péréquation pourra être distribué de façon inconditionnelle, et non en fonction d’une présence dans une entreprise. Souhaitons-nous que cette allocation soit unique ou souhaitons-nous un système de grades ? On comprendra qu’en instaurant un système de grades et en poussant la péréquation à 100 %, on réalise alors le système de salaire à vie préconisé par Bernard Friot. Notre propos n’est pas de trancher entre revenu universel ou salaire à vie ou n’importe quelle autre formule : c’est aux citoyens et à eux/elles seuls de se déterminer et de multiples possibilités existent. Notre propos est au contraire de rester ouvert sur toute forme de socialisation du revenu que les citoyens détermineront et d’assurer l’unité de la classe salariée contre les actionnaires autour de la socialisation à laquelle ils et elles aspirent.

Socialisation du financement

Le principe du commun doit aussi être invoqué en ce qui concerne l’architecture du système financier socialisé. On n’insistera jamais assez sur la différence qui existe entre un système financier étatisé et un système financier socialisé. Dans le premier cas, un propriétaire censé représenter l’intérêt général intervient dans l’économie avec un poids prépondérant, voire parfois exclusif, ce qui n’est pas sans poser de problème, tant l’investissement est une question d’opinion sur le futur et que son approche doit être pluraliste. Dans le second cas, le système est déterminé dans ses grandes orientations par la population dans une logique de commun, et le pluralisme est garanti par la présence de multiples organismes de financement autogérés.

Dans l’hypothèse où un gouvernement progressiste arriverait au pouvoir, il serait possible d’établir un Fonds salarial d’investissements (FSI) qui siphonnerait les profits des entreprises. L’allocation de ce FSI serait alors directement déterminée par la délibération démocratique des citoyens en enveloppes budgétaires en fonction d’un mode d’intervention (prêt simple, prêt participatif, lignes de crédit…), d’un thème (reconversion écologique, bâtiment, mobilité…) ou même, de zones géographiques spécifiques si cela s’avère nécessaire dans une perspective de réduction des inégalités entre territoires. En fonction de cette délibération, ce FSI proposera alors à des banques autogérées des crédits avec des taux d’intérêt différenciés – qui pourront aussi bien être négatifs [8] que positifs – de façon à pouvoir réaliser les budgets que les citoyens ont décidés. Comme dans le système actuel, le rôle de ces banques autogérées est de financer l’économie en étudiant les différentes demandes des entreprises. La différence essentielle porte sur les méthodes de financement. Lorsqu’une banque prête à une entreprise – ou à un particulier – elle crée de la monnaie ex nihilo : ceci signifie que l’emprunteur dispose de monnaie immédiatement échangeable contre une dette qu’elle ne devra rembourser que plus tard. On dit que la banque crée du court terme contre du long terme, avec tous les risques que cela comporte. À l’heure actuelle, ce risque est couvert par les banques, en recourant aux marchés financiers par émission d’actions ou d’obligations, de produits dérivés ou encore en vendant les créances en les titrisant [9]. Ce FSI permet de se passer définitivement des marchés financiers, les banques pouvant dorénavant accorder des prêts de long terme immédiatement sécurisés.

L’objectif final de cette socialisation de l’investissement est de financer la totalité de l’actif des entreprises afin de faire disparaître les fonds propres et, par là même, la notion de propriétaires. Ceci n’est pas possible dans le cadre de notre économie capitaliste, dans la mesure où les détenteurs privés de patrimoine répugnent au risque. Notre système financier socialisé disposera des budgets nécessaires au financement de ce qui s’apparente au risque de fonds propres.

Vers le commun productif

Au final, l’entreprise n’est plus une propriété, mais un commun géré par ses travailleurs. On constate ici une différence de taille avec la coopérative de travail que nous avions évoquée au début : ce ne sont plus les membres propriétaires, certes travailleurs, qui décident mais tout simplement les travailleurs qui sont en poste dans l’unité de production. Il en est de même des usagers. Il est impensable qu’une unité de production soit exclusivement gérée par ses travailleurs si celle-ci est en position d’oligopole ou de monopole. De ce point de vue, la loi doit prévoir un droit imprescriptible de mobilisation des usagers pour pouvoir constituer un Conseil d’orientation de l’unité de production [10] qui disposera d’un droit de veto face au Conseil élu par les travailleurs, une solution bien différente de celle de la Scic et des coopératives multi-collèges qui expriment ces rapports de pouvoir en termes de pourcentage. Ici, les rôles sont différenciés : les travailleurs maîtrisent totalement l’organisation de leur travail, alors que les décisions en matière de quoi produire, comment et à quel prix, doivent être prises en consensus avec les usagers. Nous avons ici la naissance d’une entreprise sans propriété, un commun productif associant travailleur.ses et usager.e.s dans les décisions.

Cette disparition totale de la propriété n’a été possible que parce que d’autres communs – de socialisation des revenus et de financement – ont été présents. Ces communs ont la particularité d’être nés de la volonté d’une population sur une zone géographique donnée qui peut aussi bien être une région qu’un pays ou un ensemble plus vaste, ces différents niveaux géographiques pouvant parfaitement cohabiter [11]. Cette articulation de communs permet aujourd’hui d’envisager le dépassement de la propriété productive et une démocratie véritable par un équilibre des pouvoirs entre différentes entités.

Notes

[1On ne peut qu’être d’accord avec Thomas Coutrot (Libérer le travail, Pourquoi la gauche s’en moque et pourquoi cela doit changer, Seuil, 2018) sur le fait qu’hélas, les coopératives de travail n’ont que peu innové sur cette question.

[2C’est toujours le cas dans les Scic qui ont trois collèges minimum dont aucun ne peut statutairement disposer de plus de 50 % des voix.

[3Pierre Dardot & Christian Laval, Commun, Essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, 2014.

[4Charles Gide (1847, 1932), économiste et enseignant français, a été un dirigeant historique du mouvement coopératif français et un théoricien de l’économie sociale. Il défendait une transformation progressive de la société par la constitution d’une « République coopérative ». Il est l’oncle de l’écrivain André Gide.

[5Le conseillisme marxiste prend ses références dans le luxemburgisme allemand, les conseils ouvriers, de paysans ou de communes pratiqués en Russie en 1905 et en 1917, en Allemagne en 1918-1919, ou encore à Turin en 1919. Pour les conseillistes, les conseils ouvriers doivent être les seules structures organisant la société socialiste : les conseils ouvriers sont une forme de démocratie directe. Ce courant politique a été significativement présent en Allemagne (KAPD, Parti communiste ouvrier d’Allemagne, exclu du parti communiste allemand en 1920) et en Hollande (GIK, Groupe des communistes internationaux, plus tard Anton Pannekoek)

[6Daniel Guérin, « L’autogestion dans l’Espagne libertaire », in Collectif, Encyclopédie internationale de l’Autogestion, Syllepse, 2015 et Gaston Leval, Espagne libertaire, Éditions Tops/H. Trinquier, 2013, p. 246.

[7Alors que la valeur ajoutée est une donnée comptable.

[8Ce que ne peut nullement supporter le capitalisme.

[9Sous forme de CDO (Collateralized debt obligation).

[10Cette loi pourrait être proposée par les forces progressistes de façon à imposer aux entreprises, et tout particulièrement aux multinationales, la prise en compte des besoins des usagers.

[11Cela correspond exactement à la définition du District qui a été donnée par Emmanuel Dockès (Voyage en Misarchie, Essai pour tout reconstruire, Éditions du Détour, 2017).

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