Controverses dans la sociologie française : Autour du Danger sociologique de Gérald Bronner et Étienne Géhin (2017)

mercredi 4 avril 2018, par Philippe Corcuff *

La sortie du livre des sociologues Gérald Bronner et Étienne Géhin, Le danger sociologique, en octobre 2017, qui a été significativement relayée au niveau médiatique, a suscité une polémique parmi les sociologues français, hors des publications du champ proprement académique. C’est dans une revue « généraliste », le numéro de novembre-décembre 2017 du Débat, dirigé par Pierre Nora et Marcel Gauchet chez Gallimard, et dans la presse, particulièrement dans un dossier du journal Le Monde daté du 24 novembre 2017, situé directement dans le sillage du numéro du Débat, que les divergences se sont exprimées. Pour l’instant, les revues scientifiques ne s’en sont pas saisies.

On peut faire l’hypothèse que deux causes, touchant aux ambivalences du milieu académique aujourd’hui, ont pu, avec d’autres, se combiner pour générer cette indifférence universitaire, en tout cas jusqu’à présent, l’une positive et l’autre négative. Tout d’abord, les deux auteurs ne sont pas largement considérés comme des figures de la sociologie actuelle et le monde universitaire résiste légitimement à l’imposition de ce qui peut être perçu comme des « modes » venant des médias. D’ailleurs, les deux personnalités les plus reconnues en sociologie au numéro du Débat, Dominique Schnapper, sociologue historique, et Pierre-Michel Menger, professeur au Collège de France, s’expriment en termes nuancés, à distance de la logique principalement polémique du reste du numéro. Car l’accent polémique est, par contre, martelé par Nathalie Heinich, Olivier Galland et, bien entendu, Gérald Bronner et Étienne Géhin.

Je vais essayer de repérer quelques saillances dans les controverses suscitées par le livre, le numéro du Débat et le dossier du Monde, en fournissant quelques repères de mise en perspective, à distance de la seule immédiateté. Les lecteurs altermondialistes et de la gauche radicale retrouveront une opposition entre pensée critique et conformisme, voire conservatisme, qui leur est familière, mais qui devra être nuancée et compliquée car, contrairement à une attente militante courante que tout puisse être projeté sur un seul axe, l’autonomie des champs intellectuels fait que les enjeux et les débats académiques et politiques révèlent des différences, même quand des similitudes semblent pointer des identités. Les lecteurs engagés dans la contestation radicale devront donc aussi accepter d’être dérangés dans leurs évidences comme, sur un autre plan, les lecteurs universitaires qui partageraient les préjugés corporatifs quant à une stricte « neutralité axiologique » (ou neutralité du point de vue des jugements de valeur) des sciences sociales. Ce double effet de perturbation raisonnée et argumentée sur des croyances militantes et académiques prend appui sur la double expérience hybride d’enseignant-chercheur en science politique et de militant altermondialiste qui est la mienne.

1. Le danger sociologique : une logique polémique globalement manichéenne et peu informée

Tout d’abord, le titre du livre apparaît quelque peu gonflé, car le fameux « danger » n’apparaît pas imminent, ni très menaçant. Et le livre se termine même sur le caractère « nécessaire » de la sociologie (Bronner, Géhin, 2017, p. 226). Le titre revêt donc surtout une portée marketing. Il s’agit plutôt d’une polémique visant « la vulgate ’bourdieuso-foucaldienne’ » (ibid., p. 51), « la tradition qui s’est auto-désignée pensée critique et dont se réclame une partie des sociologues » (ibid., p. 209), « certains sociologues critiques » (ibid., p. 215) ou « les sociologues critiques » (ibid., p. 225).

1) Critique (non-critique ?) de la critique sociologique et sociologie analytique (non-critique ?)

La galaxie de la sociologie critique est jugée « (sur)déterministe » (ibid., pp. 21-24, 27-29, 110, 119-121, 188-192 et 211-220), « holistique » (ibid., p. 53), « hyperculturaliste » (ibid., pp. 88-91 et 96), trop focalisée sur le décryptage des inégalités sociales et des discriminations de genre (ibid., pp. 11-20). Il lui est également reproché, au nom de la « neutralité axiologique », qui serait inspirée d’un auteur classique de la sociologie allemande, Max Weber (1864-1920), de valoriser le « Bien (…) aux dépens du Vrai » (ibid., p. 208), en ne veillant pas « à ce que la sphère des jugements de valeurs et celle des jugements de science restent étanches l’une pour l’autre » (ibid., p. 222). Sur ces diverses questions, Bronner et Géhin ne connaissent pas suffisamment précisément les auteurs qu’ils mettent en cause, les appuis épistémologiques qu’ils revendiquent et les problèmes qu’ils sont censés traiter. Cependant, de loin, dans le brouillard, pour des journalistes peu au fait de la complication des aspects épistémologiques et théoriques abordés, cela peut éventuellement passer pour des arguments sérieux, voire des « vérités dérangeantes », dans l’attrait à la fois médiatique et conservateur actuel pour le « politiquement incorrect »…

À l’épouvantail de la sociologie critique, ils opposent une « sociologie analytique », appuyée sur « l’individualisme méthodologique » (attribué à Weber encore une fois !), qui est surtout l’appui épistémologique de l’économie néolibérale dominante. À cette sociologie analytique est associée la démarche « compréhensive » du même Weber. La figure contemporaine de ce cadre alternatif aux supposées dérives critiques est le sociologue Raymond Boudon (1934-2013). Le conservatisme politique modéré ayant irrigué la sociologie (pas très « neutre » !) de Boudon ne l’a d’ailleurs pas empêché d’éclairer sociologiquement mieux que des sociologues progressistes certains aspects de la réalité sociale, comme, par exemple, les limites évolutionnistes de nombre de théories du changement social (Bourdon, 1991). Il n’y a point-là de miracle de la divine et improbable stricte « neutralité », mais un apport de la plus humble autonomie relative du « jeu de connaissance » sociologique par rapport à des préoccupations directement politiques. Mais aussi parce que les sentiments moraux et politiques des sociologues ne sont pas uniquement des obstacles, en tant que préjugés, à la connaissance scientifique, mais peuvent aussi constituer des stimulants pour cette connaissance. Un conservateur peut ainsi plus facilement être conscient des impensés des schémas évolutionnistes qu’un progressiste. Bien loin du mythe d’une séparation rigide des jugements de fait et des jugements de valeur, Weber a lui-même défendu le recrutement universitaire d’un anarchiste comme juriste, non pas bien qu’il soit anarchiste, mais parce qu’anarchiste, car, « situé en dehors des conventions et suppositions qui paraissent si évidentes à nous autres », il serait susceptible de « découvrir dans les intuitions fondamentales de la théorie courante du droit une problématique qui échappe à tous ceux pour lesquels elles sont par trop évidentes » (Weber, 1965c, p. 411). Bronner et Géhin, n’ayant guère le souci des nuances épistémologiques, conduisent un bulldozer aplatissant le sol des complications, à la manière de ce qu’ils reprochent à la catégorie bien trop générale et exclusive de « déterministes ». L’habituel « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » des polémiques intellectuelles les plus bâclées…

Pour Bronner et Géhin, la sociologie devrait avoir comme principal interlocuteur, à la place de la critique sociale, les neurosciences. Bref, la sociologie devrait devenir une sous-traitante d’autres « jeux de connaissance » supposés plus « durs » dans le fantasme d’une science unifiée, écrasant les spécificités des différents registres de savoir sur le plan épistémologique, méthodologique et de leurs histoires propres. De moins en moins critiques et de moins en moins sociales, les futures « sous-sciences sociales », en dehors de l’économie dominante toujours appréciée des « décideurs » malgré sa « dureté » bien « molle », appelées de leurs vœux par nos sociologues analytiques risquent de perdre les fragiles – et sans arrêt menacés – espaces pluralistes d’interrogations réglées, rationnellement argumentées, souvent empiriquement étayées, qu’elles ont difficilement conquis dans les sociétés contemporaines.

2) Incohérences, méconnaissances, dénigrement

Les axes argumentatifs du livre Bronner et Géhin ne sont pourtant guère à la hauteur de leurs prétentions.

Tout d’abord, ils n’apparaissent guère suivre avec rigueur le principe d’« étanchéité » entre « jugements de valeurs » et « jugements de science » qu’ils imputent indûment à Weber. Deux exemples d’intersections entre logique scientifique et logique normative chez eux :

- le « (sur)déterminisme » supposé de Pierre Bourdieu et d’autres est notamment critiqué parce qu’il risquerait de « déresponsabiliser les individus » (Bronner, Géhin, 2017, p. 214) et même, plus largement, de dévitaliser « les notions de mérite, de responsabilité et de moralité » (ibid., p. 211), notions qui touchent aussi à l’éthique et à la politique ;

- leur critique du « récit sociologique déterministe » met en avant la « résolution à réussir » des enfants issus de l’immigration (ibid., p. 215) ; caractéristique qui a des affinités avec l’anthropologie philosophique portée par le néolibéralisme économique et mêlant de manière ambiguë le constatif et le normatif.

Encore une fois : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! »…

En plus d’une vision simpliste de la notion de « neutralité axiologique » chez Weber et de son usage à géométrie variable, sur lesquels je reviendrai à propos de Nathalie Heinich, Bronner et Géhin manifestent une connaissance bien approximative de ce qu’ils critiquent. La valeur du Vrai, posée légitimement comme hiérarchiquement supérieure dans la démarche scientifique (Bronner, Géhin, 2017, p. 221), ne s’incarne guère dans leurs arguments et on repère des écarts importants entre principe et pratique. Quelques exemples significatifs :

- Les auteurs que Bronner et Géhin critiquent le plus comme Pierre Bourdieu (1930-2002), Michel Foucault (1926-1984), Bernard Lahire ou Geoffroy de Lagasnerie ne s’inscrivent pas dans un holisme méthodologique (partant de la société conçu comme un tout qui surplomberait les acteurs indépendamment de leurs représentations et de leurs actions), sans pour autant verser dans l’individualisme méthodologique (appréhendant les formes collectives comme le résultat de l’agrégation des comportements individuels), mais dans un relationnalisme méthodologique, faisant des relations sociales la catégorie logiquement première, par rapport aux formes individuelles et collectives logiquement secondes, qu’ils semblent méconnaître malgré son importance pour les courants contemporains des sciences sociales (Corcuff, 2011b) [1].

- La sociologie compréhensive de Weber apparaît davantage relationnaliste que pionnière de l’individualisme méthodologique. Ainsi, quand il définit le cœur de cette compréhension sociologique, la prise en compte du « sens subjectif visé par l’agent », il précise immédiatement : « relatif au comportement d’autrui » (Weber, 1965b, p. 330), c’est-à-dire dans un cadre immédiatement relationnel.

- La sociologie compréhensive de Weber est associée à une critique de la domination (Weber, 2015), et n’est pas constituée par lui comme une alternative à la critique de la domination.

- Le déterminisme de la sociologie de Bourdieu – et dans son sillage celui Lahire et de Lagasnerie –, ne constitue pas un déterminisme mécanique, mais un déterminisme probabiliste adossé à un outillage statistique. Partant, repérant des probabilités de comportements, et non des nécessités mécaniques, il laisse ouvertes des marges de jeux, individuelles et collectives, pour les agents sociaux. C’est ce qui a conduit Bourdieu à « se dresser à la fois contre le volontarisme irresponsable et contre le scientisme fataliste » en dessinant un « utopisme rationnel, capable de jouer de la connaissance du probable pour faire advenir le possible » (Bourdieu, 1980b, pp. 77-78). Par ailleurs, le langage déterministe n’est pas le seul utilisé par les sociologies critiques contemporaines pour analyser les contraintes sociales structurelles. Norbert Elias (1897-1990), qui constitue une référence importance de ces sociologies, parle quant à lui d’« interdépendances », de « configurations d’interdépendances » et de « chaînes d’interdépendances » (Elias, 1981). On peut, d’autre part, dessiner une approche critique mettant en rapport des contraintes normatives structurelles et des formes d’autonomisation subjective, en s’inspirant de Foucault, sans parler de « déterminations sociales » des comportements (voir sous des modalités différentes : Eribon, 1999 ; Butler, 2007 ; Corcuff, 2013). Dernier exemple : Luc Boltanski a ouvert récemment un programme de recherche à la fois critique et pragmatique, liant critique de la domination et prise en compte des capacités des acteurs, sans passer par un langage déterministe (Boltanski, 2009).

3) Bronner et Géhin en zone marécageuse : Bourdieu et le conspirationnisme

Enfin, il faut signaler que Bronner et Géhin s’égarent à un moment sur un terrain marécageux où la critique manichéenne fait signe du côté du dénigrement et où la méconnaissance déborde sur la malveillance. Bronner et Géhin pointent avec justesse la logique bien peu sociologique ainsi que les risques politiques des théories du complot qui prolifèrent aujourd’hui sur internet et dans les réseaux sociaux. L’honneur de Gérald Bronner est d’ailleurs de s’être publiquement engagé, tout à la fois en tant que sociologue et que partisan de valeurs démocratiques, contre les conspirationnismes, j’y reviendrai à la fin de mon texte.

Dans Le danger sociologique, Bronner et Géhin poussent le bouchon plus loin, un peu trop loin… Ils posent ainsi des parentés et même une continuité entre les critiques sociologiques de configurations porteuses de domination (et tout particulièrement « la théorie de la domination » formulée par Bourdieu), par exemple au moyen des concepts de « capitalisme » ou de « néolibéralisme », et les conspirationnismes :

« Il existe un continuum cognitif ou, si l’on veut, une pente glissante entre la convocation inconséquente d’entités collectives, le biais d’agentivité [l’attribution d’une intentionnalité unifiée à de telles entités], le finalisme [confondant dans l’action les effets et les fins visées], les arguments cui prodest (à qui profite le crime) et les théories du complot. » (Bronner et Géhin, 2017, p. 207)

Á l’appui de cette thèse, ils mobilisent un extrait d’une intervention politique de Bourdieu en 2000 à un Forum international sur la littérature (Bourdieu, 2001b, pp. 88-89) – reproduite de manière inexacte d’ailleurs [2] – où Bourdieu a des formulations ambiguës, avec notamment les figures polémiques et littéraires du « Big Brother » et des « maîtres du monde » (Bronner et Géhin, 2017, pp. 206-207). Et, tout en prenant des précautions (« Sans doute serait-il injuste d’accuser Bourdieu de conspirationnisme : sa pensée critique mérité mieux que cela. », ibid., p. 207), ils jouent eux-mêmes des ambiguïtés par une sorte de contiguïté contaminante :

« la théorie de la domination qu’il a en partie constituée est aussi une matrice dans laquelle certains peuvent trouver les moyens de donner à des constructions idéologiques les apparences de la scientificité. » (ibid.)

Et ils vont jusqu’à fournir l’extrait d’un texte du site d’extrême droite, conspirationniste et antisémite, « Égalité et réconciliation », animé par Alain Soral, où Bourdieu est cité positivement… aux côtés de Sartre et de Camus (ibid., p. 208). Ils ne bâtissent cependant pas de « continuum cognitif » entre la philosophie existentialiste et les conspirationnismes ou le prix Nobel de littérature et les complotismes ! En revanche, on commence à entrer dans le domaine du salissement par contiguïté contaminante… Ils tendent ainsi à accrocher, dans un biais finaliste… qu’ils récusent chez les autres, les usages sociaux d’une théorie et sa configuration proprement intellectuelle, en suggérant implicitement la figure d’un évolutionnisme… déterministe, du type « le ver est dans le fruit ». Mazette, tant d’incohérences dans si peu de pages !

Plusieurs oublis marquent leur raisonnement cabossé :

- Il y a, il est vrai, quelques rares formulations, aux tonalités polémiques et littéraires, ambiguës du point de vue du conspirationnisme dans des interventions politiques de Bourdieu, mais cela n’est pas grand-chose par rapport au roc anti-conspirationniste de sa sociologie, comme j’ai pu le démontrer précisément ailleurs (Corcuff, 4 juillet 2009b). Ainsi, chez Bourdieu, le thème de « l’orchestration sans chef d’orchestre », quel que soit le jugement que l’on peut porter sur ce type d’analyse, pointe une tendance à la mise en cohérence objective et impersonnelle des systèmes sociaux, débarrassée du primat conspirationniste de l’intentionnalité cachée d’une élite. Et cette mise en cohérence tendancielle vient se heurter à une contre-tendance : la double théorie de la pluralité des champs sociaux autonomes et de la pluralité des dominations spécifiques non intégrés a priori.

- Loin de réifier les concepts en les confondant avec la réalité observable, Bourdieu a souvent mis en garde contre l’imprudence de certains usages à travers la pente du « réalisme de l’intelligible (ou la réification des concepts) » (Bourdieu, 2001a, p. 297). Cela a été particulièrement le cas pour le concept d’habitus, fréquemment dans le viseur de Bronner et Géhin : « Il faudrait pouvoir éviter complètement de parler des concepts pour eux-mêmes, et de s’exposer ainsi à être à la fois schématique et formel. Comme tous les concepts dispositionnels, le concept d’habitus (…) vaut peut-être avant tout par les faux problèmes et les fausses solutions qu’il élimine, les questions qu’il permet de mieux poser ou de résoudre, les difficultés proprement scientifiques qu’il fait surgir. » (Bourdieu, 1980a, p. 89, note 2). Bourdieu rejoint, ce faisant, Boudon, quand ce dernier met en cause « le piège du réalisme » interprétant « comme des propriétés des choses ce qui n’est que schéma d’intelligibilité » (Bourdon, 1991, pp.230-231). Les deux sociologues ne puisent-ils pas dans ce cas dans le Marx méthodologique de 1857, distinguant le « concret pensé », propre à la conceptualisation du réel en tant que « reproduction du concret par la voie de la pensée », et « le concret » immédiatement observable (Marx, 1965, pp. 254-256) ?

- Quant à la suggestion salissante d’une contamination soralienne a posteriori, Bronner et Géhin ne savent-ils pas ce qu’a écrit Alain Soral sur la sociologie de Bourdieu ? « Pierre Bourdieu – pourtant médaille d’or du CNRS (sic) – et qui malgré des milliers de pages d’enfonçage de portes ouvertes sur la ’domination’, n’a jamais pondu une ligne sur le sujet [l’« omniprésence de la franc-maçonnerie »] ; raison pour laquelle, sans doute, malgré l’indigence de son œuvre, il finit professeur titulaire de la chaire de Sociologie au Collège de France… » (Soral, 2011, p. 108) Je ne tirerai pas, du simple fait que tant Bronner et Géhin que Soral critiquent Bourdieu, la conclusion selon laquelle il y aurait « un continuum cognitif » entre eux et lui !

Méconnaissance, généralisations abusives, amalgames, contiguïtés et glissements salissants : la belle cause du Vrai a beaucoup de ratés chez Bronner et Géhin ! Pourtant, la présentation non signée du dossier de la revue Le Débat les passe sous silence pour se concentrer sur les adversaires « critiques » constitués comme ennemis de la science. On y parle ainsi d’« une ’science militante’, où la connaissance sociologique, à l’enseigne de la ’critique’, est purement et simplement au service des choix politiques », en célébrant, à l’opposé, Bronner et Géhin comme faisant partie des apôtres d’« une sociologie sachant distinguer entre les options idéologiques et la démarche scientifique » (Le Débat, novembre-décembre 2017, p. 113). La contribution de Bronner et Géhin au Débat ne constitue d’ailleurs qu’une reprise de quelques passages du Danger sociologique agencés un peu différemment sous le titre « Les prophéties autoréalisatrices de la sociologie déterministe ». Marcel Gauchet comme parrain d’une sociologie manichéenne et marécageuse ?

Nicolas Truong apparaît nettement plus équilibré dans le dossier du Monde, dans sa présentation – « Divergence épistémologique, politisation, rivalité, attaques récurrentes contre la ’pensée 68’ sans cesse réactivées depuis les années 1980, mais aussi crise d’identité. » (Le Monde, 24 novembre 2017, p. 20) – comme dans la pluralité des points de vue sollicités, avec à côté des extraits des textes du Débat de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Olivier Galland, Dominique Schnapper et Nathalie Heinich, un long entretien avec Bernard Lahire et une réponse de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre.

2. Autour de « la neutralité axiologique » : impensés, tensions, dérives dans les sciences sociales contemporaines

Le schéma d’une stricte « neutralité axiologique » constitue un lieu commun corporatif bien présent en sociologie en France, quoique peut-être pas majoritaire, et plus nettement dominant en science politique. Ce n’est pas le cas dans nombre d’autres pays, où la question apparaît davantage controversée. Ce lieu commun est rarement argumenté de manière précise, en fonctionnant le plus souvent comme une évidence, et s’appuie fréquemment sur une méconnaissance des complications de Max Weber sur la question (sur ces complications, voir notamment Corcuff, 6 juillet 2011a ; Geay, 2 novembre 2015 ; Mathieu, 2 novembre 2015). La sociologue de l’art Nathalie Heinich est une des rares à avoir tenté d’argumenter systématiquement cette position depuis son livre de 1998 Ce que l’art fait à la sociologie. Elle est aussi une des contributrices les plus violemment polémiques du dossier du Débat, avec un texte intitulé « Misères de la sociologie critique » où elle stigmatise un récent livre de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise (2017a) – dont elle cite plusieurs passages sans en indiquer étrangement ni le titre ni les auteurs (voir la réaction de Boltanski et Esquerre, 2017b) – comme « implicitement complotiste » et « l’équivalent de la pensée créationniste » (sic) (Heinich, novembre-décembre 2017b, p. 125). Au-delà de l’outrance de ce dernier texte, qui suffit à disqualifier le propos, il est intéressant de revenir sur les faiblesses épistémologiques de l’argumentation neutraliste d’Heinich, à cause justement de la rareté d’une telle justification d’un lieu commun professionnel. On notera d’ailleurs que la radicalisation de son neutralisme en sociologie s’est accompagnée d’une évolution intellectuelle allant de la sociologie critique (elle a fait sa thèse sous la direction de Bourdieu) à sa haine actuelle de la sociologie critique et d’une évolution politique allant de la gauche critique (elle a été membre du Comité de parrainage du club de réflexions sociales et politiques Maurice Merleau-Ponty créé en février 1995, aux côtés notamment de Pierre Bourdieu, de Luc Boltanski ou de Daniel Bensaïd) à des positions ultra-conservatrices. Cependant, ce n’est pas le seul cas de figure, et on envisagera ensuite des usages académiques d’une stricte « neutralité axiologique » non accompagnés de conservatisme politique.

1) Nathalie Heinich : misère de « la neutralité » mal argumentée et radicalisée

J’ai déjà développé ailleurs une analyse critique des arguments de Ce que l’art fait à la sociologie (Corcuff, 6 juillet 2011a) et je n’en reprendrai ici que quelques éléments. La sociologue y défend « une neutralité engagée » (Heinich, 1998, pp. 71-82) prétendant suspendre « tout discours sur la nature ou la valeur des choses » (ibid., p. 77), associée à une « posture a-critique » (ibid., pp.23-29). Or, on se trouve ici à l’écart des nuances et des tensions de Weber, qu’elle passe sous silence, quant à la fameuse « neutralité axiologique ».

Weber combat tout d’abord la thèse d’une science sociale « sans présuppositions », car « une portion seulement de la réalité singulière prend de l’intérêt et de la signification à nos yeux, parce que seule cette portion est en rapport avec les idées de valeurs culturelles avec lesquelles nous abordons la réalité concrète » (Weber, 1965a, p.163). D’où l’idée d’un « rapport aux valeurs » dans « la sélection et la formation de l’objet d’une recherche empirique » (Weber, 1965c, p.434). Ce que Julien Freund a traduit initialement comme « neutralité axiologique » (« Wertfreiheit ») se présente alors comme « l’exigence extrêmement triviale qui impose au savant ou au professeur de faire absolument la distinction, puisque ce sont deux séries de problèmes tout simplement hétérogènes, entre la constatation des faits empiriques (...) et sa propre prise de position évaluative de savant qui porte un jugement sur des faits » (ibid., pp.416-417). On observe donc chez Weber une tension entre la reconnaissance d’un « rapport aux valeurs » du savant et l’importance accordée à la distinction « constatation des faits »/« jugement sur des faits ». La nouvelle traduction proposée par Isabelle Kalinowski du terme « Wertfreiheit » par « non-imposition des valeurs » (Kalinowski, 2005, p. 199) s’accorde davantage avec les nuances wébériennes et nous oriente sur une autre piste. On aurait affaire avant tout chez Weber à une mise en garde (et d’abord, de manière réflexive, vis-à-vis de lui-même) contre les effets d’une position d’autorité pédagogique. C’est pourquoi il n’interdit pas aux savants « d’exprimer sous forme de jugements de valeur les idéaux qui les animent », mais à condition de « porter scrupuleusement, à chaque instant, à leur propre conscience et à celle des lecteurs, quels sont les étalons de valeur qui servent à mesurer la réalité et ceux d’où ils font dériver le jugement de valeur » (Weber, 1965a, p. 133). Weber apparaît mû ici par une exigence de distinction réflexive entre analyse des faits et prises de position directement axiologiques, et non par la thèse d’une séparation nette entre les deux.

On est éloigné du vocabulaire de Heinich : « suspendant tout discours sur la nature ou la valeur des choses » (Heinich, 1998, p. 77). Vocabulaire repris par elle (2017a, p. 18) et même souvent durci dans un récent livre consacré aux valeurs, sans d’ailleurs être mieux informée sur les analyses de Weber lui-même pourtant toujours mobilisé comme caution : « abstention de toute prise de position » (ibid., p. 17), « règle de neutralité axiologique » (ibid.), « l’obligation de ’neutralité axiologique’ énoncée (…) par Max Weber » (ibid., p. 58), « exigence de neutralité » (ibid., p. 59), « un impératif de ’neutralité axiologique’ » (ibid., p. 106), « distinction tranchée » (ibid., p. 107), « une injonction à la neutralité communément considérée comme la norme académique » (ibid., p. 113) ou « faire abstraction de son opinion personnelle sur les objets qu’il étudie » (ibid., p. 115). Ce durcissement est proche des formulations de Bronner et Géhin sur la nécessité que « la sphère des jugements de valeurs et celle des jugements de science restent étanches l’une pour l’autre » (Bronner, Géhin, 2017, p. 222).

Cependant, les deux sphères ne sont pas étanches, même chez Heinich. Par exemple, le « rôle social », qu’elle attribue à « la neutralité engagée » dans Ce que l’art fait à la sociologie – « un rôle de médiation, de construction de compromis entre les intérêts et les valeurs en jeu, voire de refondation d’un consensus » (Heinich, 1998, p. 81) ‑ a des accointances avec une certaine conception normative de la politique et de la démocratie, plus proche de la philosophie politique de « l’agir communicationnel » de Jürgen Habermas, visant le consensus, que de celle de « la mésentente » de Jacques Rancière valorisant la conflictualité. Dans sa contribution au Débat, sa critique du « discrédit jeté sur tout ce qui pourrait atténuer ou dépasser les conflits – visée de neutralité, visée d’universalité – par la réduction à des stratégies de domination » (Heinich, 2017b, p. 121) révèle aussi des composantes normatives, dans la défense (légitime, mais controversable) de la « visée de neutralité » et de la « visée d’universalité ».

Par ailleurs, dans cette vision stricte de « la neutralité axiologique », la place des genres hybrides, associant analyses savantes et prises de position éthiques et/ou politiques, n’apparaît pas clairement garantie. Ce sont pourtant des styles d’écriture qu’Heinich a pu elle-même pratiquer récemment dans une orientation ultra-conservatrice. Cela a été, par exemple, le cas, encore dans Le Débat, contre le mariage pour tous (Heinich, 2014), dans le sillage de ses prises de position contre le PACS en 1999 (Eliacheff, Garapon, Heinich, Héritier, Naouri, Veyne, Wismann, 27 janvier 1999). Et, à la différence de 1999, on n’a pas eu affaire en 2014 à une position exclusivement citoyenne et extra-scientifique, mais à un mélange entre argumentations savantes et positionnement moral et politique.

2) Bernard Lahire/Geoffroy de Lagasnerie : tensions dans la sociologie critique

La question de « la neutralité axiologique » a aussi révélé des tensions dans le camp de la sociologie critique au cours de la récente controverse. C’est particulièrement le cas entre Geoffroy de Lagasnerie et Bernard Lahire, en rapport avec des positionnements antérieurs.

Bernard Lahire est aujourd’hui une des figures d’une sociologie critique de qualité, au carrefour d’ambitions théoriques et de recherches empiriques, située au cœur de l’institution universitaire. Dans sa réaction légitime et solidement argumentée au dossier du Débat, il révèle toutefois en pointillés des amorces d’intersections avec ses adversaires : sa critique de leur « moralisation » de certaines questions, son insistance à ne pas « confondre science et politique » ou « critique scientifique et critique sociale », ou le fait d’avancer que la critique sociologique « n’a rien à voir avec un quelconque militantisme » (Lahire, 24 novembre 2017, p. 21).

Ces éléments, peu explicités dans l’entretien du Monde, s’éclaircissent si on les met en relation avec des analyses formulées dans un livre, défendant légitimement la sociologie contre les stigmatisations publiques dont elle fait l’objet, publié en 2016 : Pour la sociologie. Il y met en avant « deux plans distincts : le premier plan, non normatif, qui est le propre de la connaissance scientifique d’une part, et le second, normatif, qui est propre à la justice, à la police, à la prison, etc., d’autre part » (Lahire, 2016, p. 35). Et il revient à Weber, de manière toutefois plus nuancée qu’Heinich : « ce que Max Weber s’efforçait à juste titre de distinguer, à savoir le ʺjugement de valeurʺ et le ʺrapport aux valeursʺ : si le chercheur manifeste toujours son ʺrapport aux valeursʺ par le choix de ses objets d’étude et la manière dont il les envisage, son travail en tant que tel ne consiste pas à dire ce qui est ʺbienʺ et ce qui est ʺmalʺ. » (ibid., p. 39). Dans la conclusion du livre, il met l’accent sur le lien historique entre sciences sociales et Lumières, comme sur le lien actuel entre sciences sociales et démocratie (ibid., pp. 117-128). Cependant, au bout du compte, la problématisation des rapports compliqués entre le scientifique et le normatif demeure rudimentaire et peu explicité, dans le sillage de la lecture corporative dominante de « la neutralité axiologique ».

Jeune penseur critique, à la fois sociologue et philosophe, situé à la périphérie de l’institution universitaire mais bénéficiant d’une certaine reconnaissance dans des espaces publics non spécifiquement académiques, Geoffroy de Lagasnerie a réagi sur Facebook (Lagasnerie, 29 septembre 2017a) et sur Mediapart (Lagasnerie, 4 octobre 2017b) au livre de Bronner et Géhin qui, selon lui, « recycle tous les poncifs de la doxa réactionnaire contre la sociologie » (Lagasnerie, 29 septembre 2017a). Il met en avant un rapport étroit entre sociologie et politique, sans pour autant récuser le caractère scientifique de la sociologie : « l’idéologie conservatrice se loge à l’inverse dans les entreprises qui dépolitisent le savoir sociologique. La fausse neutralité est idéologique et est un militantisme pour le conservatisme » (Lagasnerie, 4 octobre 2017b). Il avance, partant, que « s’il est vrai qu’il existe des vérités neutres, il existe aussi des vérités oppositionnelles dans un monde faux » (ibid.). Ce qui l’amène à se distinguer de Lahire : « se méfier notamment de l’« escapism » dans la neutralité et du consensus mou d’un Lahire qui vide la sociologie de son sens et de sa valeur oppositionnelle » (Lagasnerie, 29 septembre 2017a). Il prône, comme alternative, « l’autonomie de la production d’avant-garde pour ne pas régresser » (ibid.).

Dans un livre de 2007, L’empire de l’université. Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme, Lagasnerie a explicité des appuis épistémologiques qui éclairent sa prise de position de 2017. Il y critique des travers de l’autonomisation scientifique freinant l’inventivité intellectuelle : « distribution universitaire des pouvoirs » en tant que facteur de « conservatismes » (Lagasnerie, 2007, p. 61), « effets de censure » (ibid., p. 64), « routines disciplinaires » (ibid., p. 75), « pratique autarcique et routinière d’une discipline » (ibid., p. 82)…Il a prolongé ces pistes épistémologiques plus récemment, « au nom des valeurs de la connaissance et de la science » (Lagasnerie, 2016, p. 274), en mettant en cause « l’accroissement de la normalisation universitaire et des logiques disciplinaires » (ibid., p. 273), associé à « la réapparition d’une éthique de la neutralité » (ibid., p. 275).

Lagasnerie nous aide à mieux saisir en quoi une ouverture des champs des sciences sociales à des interrogations extérieures, dont des engagements militants ou artistiques, peut contrebalancer des tendances conformistes générées par les institutions universitaires. Il se situe, sur ce plan, dans la continuité des réflexions du sociologue américain Charles Wright Mills (1916-1962) invitant à « stimuler l’imagination sociologique » (Mills, 2006, p. 216) contre « la bureaucratisation de la sociologie » (ibid., p. 121), « les spécialisations arbitraires des départements universitaires » (ibid., p. 137) et « les cloisonnements disciplinaires » (ibid., p. 143).

Cependant, Lagasnerie tord souvent le bâton dans l’autre sens, en affaiblissant ainsi sa critique des points aveugles de l’autonomisation universitaire. Il peut même flirter avec le relativisme épistémologique : « il faut rompre avec l’idée qu’il y aurait des différences de nature, et donc de valeur, entre un livre de recherche, un traité philosophique, un essai, une intervention dans la presse, voire une manifestation ou un tract politique. » (Lagasnerie, 2007, p. 102), ou produire une critique trop unilatérale de la place de l’enquête empirique en sciences sociales (Lagasnerie, 2016, pp. 267-296), comme si ce n’était pas un des deux poumons du travail scientifique, certes bridé par les spécialisations disciplinaires, dans le va-et-vient avec l’élaboration théorique !

Il serait plus nuancé et pragmatique de reconnaître tout à la fois que les institutions universitaires et les règles disciplinaires protègent une certaine autonomie et une certaine rigueur intellectuelles, tout en freinant l’imagination sociologique par leurs tendances conformistes. De ce point de vue, je suivrai Norbert Elias, pour qui la distanciation scientifique a vocation à devenir le pôle dominant de la sociologie, tout en continuant à se nourrir de la variété des implications des chercheurs dans la cité, car « leur propre participation, leur engagement, conditionnent par ailleurs leur intelligence des problèmes qu’ils ont à résoudre en leur qualité de scientifiques. » (Elias, 1993, p. 29).

3) Une tentation hard parmi les nouvelles générations de social scientists : éteignons les Lumières et bye bye émancipation !

Un récent article paru dans la Revue française de science politique constitue un indice de dérapages générés dans quelques secteurs des nouvelles générations des social scientists par une certaine radicalisation du lieu commun corporatif de « la neutralité axiologique », dans une logique extrême de purification sans cesse relancée d’un « normatif » appréhendé comme une pollution éliminable, plutôt que celle suggérée par Weber d’une réflexivité sur des composantes axiologiques et politiques difficilement éliminables, afin de mieux délimiter le domaine de validité des analyses produites, et donc améliorer leur rigueur scientifique : « La ’petite’ critique, la ’grande’ et ’la’ Révolution. Pour une acception non normative de la critique » d’Elsa Rambaud (juin 2017). À la différence du cas de Heinich, cela n’est pas corrélé à un cadre politique conservateur, mais s’inscrit dans une logique principalement interne aux champs académiques. Elsa Rambaud est une jeune docteure en science politique qui a effectué une thèse sur l’ONG humanitaire Médecins sans frontières (voir Rambaud, août 2009). Elle prétend, dans le texte de juin 2017, proposer un dépassement de limites supposées partagées entre la sociologie critique de Bourdieu et la sociologie pragmatique de Boltanski, malgré leurs différences et leurs oppositions. Quelles seraient ces limites partagées ? Elles garderaient des liens avec les Lumières, l’émancipation, la Révolution, la gauche et la lutte des classes. Cela les empêcherait de prendre pour objet une variété de critiques dans la société ne correspondant pas aux Lumières, à l’émancipation, à la Révolution, à la gauche et à la lutte des classes. C’est pourquoi il faudrait que les sciences sociales en finissent définitivement avec les Lumières, l’émancipation, la Révolution, la gauche et la lutte des classes, alors que les sociologies de Bourdieu et de Boltanski seraient encore contaminées par un tel « normatif » à purifier. Drôle de façon de fêter par avance les cinquante ans de Mai 68 !

Sur le plan théorique, l’argumentation apparaît marquée par des failles d’ampleur. Tout d’abord, l’article tend à confondre, chez Bourdieu comme chez Boltanski, le niveau épistémologique des propriétés d’une théorie en sciences sociales, discutable dans un espace de discussion scientifique, et le niveau de l’objet analysé au moyen de cette théorie. Or, une théorie se nourrissant axiologiquement d’une référence aux Lumières et à l’émancipation peut tout à fait prendre au sérieux, dans l’analyse du monde social, des critiques conservatrices ou même racistes très éloignées de ces valeurs (voir, par exemple, Boltanski, Esquerre, 2014). Par ailleurs, il est faux de considérer que les œuvres de Bourdieu et de Boltanski sont toujours et uniformément adossées aux Lumières, à l’émancipation, à la Révolution, à la gauche et à la lutte des classes. Des écrits fort disparates sont ici amalgamés de manière non suffisamment documentée.

En même temps que ses défaillances théoriques, l’article de Rambaud porte des risques politiques particuliers à un moment où des schémas ultra-conservateurs tendent à dynamiser la critique sociale sur une base discriminatoire et nationaliste dans des espaces publics, profitant de la fragilisation des liens historiques entre critique sociale et émancipation (Corcuff, hiver 2017). On a là une forme d’éthique d’irresponsabilité – pour forger une notion inverse à celle d’« éthique de responsabilité », soucieuse des conséquences de son action sur la réalité, avancée par Weber (2003) – générée par une généralisation abusive et mal construite d’une exigence localisée légitime d’extension de l’espace de la science sociale des critiques. Cette éthique d’irresponsabilité pourrait contribuer à distendre un peu plus les liens entre critique sociale et émancipation, en facilitant involontairement le processus ultra-conservateur par une caution savante supplémentaire.

Le plus stimulant scientifiquement chez Rambaud, bien amorcé dans son travail sur MSF (Rambaud, août 2009), n’avait pourtant pas besoin de tout cet échafaudage, faible du point de vue de l’argumentation et dangereux politiquement, pour consolider l’élargissement souhaitable de l’espace des critiques analysées par les sciences sociales.

3. Une complication supplémentaire : lucidité bronnerienne sur les théories du complot, timidité lahirienne

On a plutôt vu Bronner jusqu’à présent sous l’angle du bad guy en sociologie, Lahire apparaissant plus rigoureux, avec toutefois certaines limites. Sur les théories du complot, Bronner devient plus intéressant et Lahire moins lucide, en dehors de l’égarement du Danger sociologique dans un certain lien posé entre la sociologie critique de Bourdieu et les conspirationnismes.

Lahire est ainsi signataire d’une tribune dans Libération, avec d’autres enseignants et chercheurs [3], ambiguë quant à la résistance intellectuelle face aux théories du complot, en s’opposant aux mesures gouvernementales mobilisant les enseignants contre les conspirationnismes (Lahire et al., 23 juin 2016). On y stigmatise « la lutte contre le complotisme » comme « nouvelle marotte du moment », « rééducation mentale » et « contre-propagande », en relativisant l’écho du complotisme en milieu scolaire.

Or, le conspirationnisme contribue aujourd’hui à donner une tournure manichéenne à la critique sociale, en rupture avec les complications propres à la critique sociologique (Corcuff, 2009a). Ce qui devrait davantage inquiéter des sociologues. Par ailleurs, c’est un des principaux tuyaux rhétoriques de l’extrême droitisation idéologique et politique en France actuellement (Corcuff, 2014). Une expérience personnelle vient étayer ces analyses : depuis l’après 11 septembre 2001, il est rare que, lors de déplacements à l’invitation d’associations, en milieu urbain ou rural, dans des grandes villes ou dans des petites villes, en centres villes ou en banlieues, je n’ai pas été alerté par des enseignants de collèges ou de lycées à propos de l’écho des discours conspirationnistes, via les réseaux sociaux et internet, sur leurs élèves. J’ai même assuré une demi-journée de formation sur les théories du complot à destination des professeurs de philosophie de l’enseignement secondaire de l’Académie de Grenoble à leur demande le 12 janvier 2017.

Bronner est cosignataire [4], quant à lui, d’une contre-tribune à celle de Lahire et al., rappelant que, « depuis des années maintenant, les commentaires et discours à teneur conspirationniste se retrouvent dans les bouches et les copies d’élèves », ce qui appellerait une vigilance et la mise en place de dispositifs proprement pédagogiques (Bronner et al., 1er juillet 2016). Et, dans ce texte, la sociologie critique n’est pas du tout associée au complotisme.

Conclusion

L’analyse des controverses sociologiques autour du livre de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Le danger sociologique, pointe un risque de délégitimation publique de la sociologie critique, issu de secteurs minoritaires de la sociologie elle-même. Ce qui est également inquiétant pour les autres modalités de la critique sociale, en particulier au sein de mouvements sociaux déjà souvent sur la défensive. Elles nous montrent également que le lieu commun corporatif peu ou mal argumenté d’une stricte « neutralité axiologique », y compris chez nombre de partisans de la critique au sein des sciences sociales, participe à affaiblir un peu plus le lien critique sociale/émancipation. Or, des conceptions plus nuancées de l’autonomie de la connaissance scientifique, non scientistes (le scientisme, au sens de l’illusion de sciences sociales sans présupposés et sans insertions socio-historiques, étant à distinguer de la nécessaire autonomie des sciences sociales), pourraient constituer des appuis pour une résistance à l’amenuisement actuel de ce lien historique, sans pour autant instaurer une dépendance morale et/ou politique de la production des connaissances sociales. Ces controverses révèlent aussi que des sociologues conservateurs peuvent parfois être davantage lucides sur certains plans (ici les théories du complot) que des sociologues progressistes. Les champs académiques ne constituent donc pas une simple expression des conflits politiques et on se doit d’être attentifs à une variété de modalités d’intersections et d’interactions entre champs scientifiques, espace des mouvements sociaux et champ politique.

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Notes

[1Dans « formes collectives », l’adjectif « collectif » qualifie des entités stabilisées (sociétés, institutions, groupes et classes, États, nations, etc.) distinguées des individus. Dans « relations sociales », l’adjectif « social » est pris dans une acception plus large, pour laquelle tant les individus que les entités collectives sont nécessairement inscrits dans le cours de relations sociales et sont fabriqués à partir de relations sociales.

[2Même si cela n’altère pas fondamentalement les ambiguïtés conspirationnistes de quelques formulations à tonalités littéraires et polémiques d’un discours plus directement politique que sociologique, il apparaît, en comparant le texte originel de Bourdieu (2001b, pp. 88-89) et la citation qu’en donnent Bronner et Géhin (2017, pp. 206-207) que l’exactitude ne constitue pas toujours une exigence pratique forte dans leur supposé souci de la prédominance du Vrai. Ainsi quand Bourdieu écrit : « (…) les grandes firmes multinationales et leurs conseils d’administrations internationaux, les grandes organisations internationales, OMC, FMI et Banque mondiale aux multiples subdivisions désignées par des sigles et des acronymes compliqués et souvent imprononçables, et toutes les réalités correspondantes, commissions et comités de technocrates non élus, peu connus du grand public, constituent un véritable gouvernement mondial invisible, inaperçu et inconnu en tout cas du plus grand nombre, dont le pouvoir s’exerce sur les gouvernements nationaux eux-mêmes. Cette sorte de Big Brother, qui s’est doté de fichiers interconnectés sur toutes les institutions économiques et culturelles (…) », nos sociologues analytiques retranscrivent en s’empatouillant : « Les grandes firmes multinationales et leurs conseils d’administrations internationaux, les grandes organisations internationales, OMC, FMI et Banque mondiale aux multiples subdivisions désignées par des sigles et des acronymes compliqués et souvent imprononçables, et toutes les réalités correspondantes, commissions et comités de technocrates non élus, peu connus du grand public, bref, tout ce gouvernement mondial qui s’est en quelques années institué et dont le pouvoir s’exerce sur les gouvernements nationaux eux-mêmes, est une instance inaperçue et inconnue du plus grand nombre. Cette sorte de Big Brother invisible, qui s’est doté de fichiers interconnectés sur toutes les institutions économiques et culturelles (…) » (les changements sont indiqués par moi en gras, ainsi que dans l’extrait suivant). Et quand Bourdieu écrit : « Á travers le pouvoir presque absolu qu’ils détiennent sur les grands groupes de communication, c’est-à-dire sur l’ensemble des instruments de production et de diffusion des biens culturels, les nouveaux maîtres du monde (…) », Bronner et Géhin retranscrivent en accentuant les tonalités conspirationnistes : « Á travers la maîtrise quasi absolue qu’ils détiennent sur les nouveaux instruments de communication, les nouveaux maîtres du monde (…) ». La rigueur serait-elle flexible dans la nouvelle « sociologie analytique » comme le travail dans l’imaginaire néolibéral ?

[3Avec Catherine Robert, Valérie Louys et Mathieu Mulcey (professeurs au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers), Christian Baudelot (sociologue, professeur émérite à l’ENS), Florence Dupont (anthropologue des mondes antiques, professeure émérite de littérature latine à l’Université Paris-Diderot), Stéphane François (maître de conférences à l’IPAG de l’Université de Valenciennes), Nicolas Grimal (membre de l’Institut, professeur du Collège de France), Jean-Loïc Le Quellec (anthropologue, directeur de recherches au CNRS, chercheur à l’Institut des mondes africains), Bernard Sergent (historien, préhistorien, mythologue), Fabien Truong (sociologue, professeur agrégé à l’Université Paris-VIII) et Gérôme Truc (sociologue, enseignant à l’ENS de Cachan).

[4Avec Emmanuelle Daviet (journaliste, France Inter, responsable du dispositif InterClass), Emmanuel Debono (historien, ENS Lyon), Cyril Di Méo (professeur de sciences économiques et sociales, lycée militaire d’Aix-en-Provence), Thomas Huchon (journaliste, Spicee), Valérie Igounet (historienne, chercheure associée à l’Institut d’histoire du temps présent, CNRS), Denis Le Guen (professeur d’histoire-géographie, lycée Simone-de-Beauvoir de Garges-lès-Gonesse), Sophie Mazet (professeure agrégée d’anglais, lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen), Tristan Mendès France (chargé de cours au Celsa, Université Sorbonne Nouvelle), Bruno Poilvet (professeur d’histoire-géographie, lycée Condorcet de La Varenne-Saint-Hilaire), Karen Prévost-Sorbe (professeure d’histoire-géographie, collège Edouard-Vaillant de Vierzon), Rudy Reichstadt (directeur de l’Observatoire du conspirationnisme-Conspiracy Watch) et Iannis Roder (professeur d’histoire-géographie, collège Pierre-de-Geyter de Saint-Denis).

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