Une politique discriminatoire d’exclusion et d’expulsion
Le président Macron tentait de répondre ainsi aux lacunes du « plan migrants » présenté par son Premier ministre Édouard Philippe en date du 12 juillet : le plan est axé essentiellement sur les reconductions à la frontière (renvois au nom des accords de Dublin III) et sur les expulsions dans le pays d’origine, par des « mesures d’éloignement » dès le rejet de la demande d’asile. S’il propose des nouvelles places d’hébergement pour les demandeurs d’asile (40 % d’entre eux n’en disposent pas à l’heure actuelle), c’est en nombre insuffisant : 4000 en 2018, 3500 en 2019 (besoins actuels : 140 000 places dont seules 83 000 sont disponibles).
Et sur le plan de la politique migratoire conduite par le nouveau gouvernement, il faut compter avec un troisième acteur, soit le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Adepte de la théorie de « l’appel d’air », le maire de Lyon s’est à plusieurs reprises distingué, en particulier en chassant des squares des familles de réfugiés albanais, sous le prétexte de lutter contre les filières de passeurs, et en faisant évacuer des squats de Rroms ; cela tout en rechignant à accueillir des migrants à relocaliser après la destruction de leurs camps et « jungles » à Calais. Sa double motivation : « respecter le droit d’asile stricto sensu » et expulser ceux animés par des « raisons économiques ». C’est ce qu’il a répété en tant que ministre de l’Intérieur dans une interview accordée au Journal du dimanche du 6 août dernier : par une politique conciliant « efficacité et générosité », accueillir tous ceux (toujours au masculin…) qui fuient guerres et persécutions, mais organiser le retour de « ceux dont la migration obéit à d’autres ressorts, notamment économiques ».
C’est dire que la politique de la France à l’égard des exilées et des exilés s’inscrit désormais dans la logique qui est celle des « hostpots », c’est-à-dire des centres de tri voulus par Angela Merkel et François Hollande à l’automne 2015 ; ils ont été imposés en particulier à la Grèce, qui faisait face à un afflux de réfugiés provenant de Syrie, mais aussi d’Afghanistan et d’Irak à travers la Turquie. Dans des campements d’accueil qui se sont rapidement transformés en camps fermés et surpeuplés aux conditions parfaitement insalubres, il s’agit aujourd’hui encore de faire le tri entre réfugiés (en fait personnes pouvant déposer une demande d’asile) et migrants (sous-entendu : économiques) à expulser rapidement.
« Je veux partout, dès la première minute, un traitement administratif qui permette de déterminer si on peut aller vers une demande d’asile ou non, et derrière une vraie politique de reconduite aux frontières », déclarait Macron lui-même dans son discours du 27 juillet. Et c’est la pratique que le président entend exporter en Libye, un pays où migrantes et migrants tentent de survivre de la manière la plus précaire, avant d’affronter une traversée de la Méditerranée qui a provoqué 3 771 morts en 2015, près de 5 000 en 2016, et 2 556 en 2017 au 30 août. En général enfermés dans des camps aux conditions de camp de concentration, exilées et exilés sont en Libye l’objet d’une exploitation éhontée, de rackets, de coups et blessures et de viols, dans un racisme sans limites. La proposition de Macron correspond à une nouvelle tentative d’externalisation des frontières de l’EU ; elle s’inscrit dans la même infâme déresponsabilisation que l’accord passé entre l’EU et la Turquie en mars 2016 : au prix de deux fois trois milliards d’euros, cet accord scélérat vise à retenir dans ce pays, aux frontières de l’EU, les trois millions de réfugiés, surtout syriens, hommes femmes et enfants qu’il est contraint d’accueillir.
Aux murs physiques, de Melilla et Ceuta en face de Gibraltar au fleuve Evros dans le Nord de la Grèce, aux barrières de barbelés érigées successivement par la Hongrie, la Slovénie et l’Autriche pour interdire aux migrantes et migrants la « route des Balkans », aux contrôles policiers des garde-frontières nationaux renforcés par l’agence européenne Frontex, sous prétexte de lutte contre les passeurs, aux externalisations de la frontière méridionale de l’EU dans le Maghreb et jusqu’en Mauritanie, s’ajoute désormais la fermeture discriminatoire des frontières de la France.
Conséquences pratiques : répression des migrants et des migrantes et de leurs soutiens
Mais qu’en est-il sur le terrain ? À Calais, après l’évacuation et la destruction cet hiver du bidonville d’ État qui a fini par abriter tant bien que mal 8 000 migrants dispersés dans les CAO (centres d’accueil et d’orientation), les exilés sont revenus, mineurs isolés inclus. Ils sont l’objet d’une répression constante de la part des CRS, envoyés en juin par deux fois en renfort par le nouveau ministre de l’Intérieur : suppression des points d’eau, arrosage aux gaz lacrymogènes, destruction d’esquisses de « jungles » etc. ; cela en dépit des fermes recommandations du Défenseur des droits Jacques Toubon. Le ministre a désormais proposé la création de deux « centres d’accueil », mais d’une capacité très insuffisante de 150 personnes chacun et à bonne distance de Calais d’une part, de Dunkerque de l’autre.
À Paris, on a assisté, comme attendu, au reflux de nombreux migrants chassés des camps et jungles évacués détruits à Calais. Ils se sont en général regroupés Porte de la Chapelle, dans les rues et sur les trottoirs autour du Centre de premier accueil créé par la volonté d’Anne Hidalgo et géré par Emmaüs. Sur ordre de la Préfecture de Paris, les mesures répressives à l’égard de celles et ceux qui, par centaines, ne parviennent pas à être admis dans le Centre (les nouvelles arrivées se montent à une cinquantaine par jour) se répètent de semaine en semaine : entraves à la longue queue qui se forme dès le soir, évacuations policières des trottoirs et lieux de vie les plus précaires, destructions des quelques effets rassemblés par les migrants, persistance d’une situation sanitaire indigne de tout être humain.
Enfin, on sait que les migrantes et migrants qui tentent, souvent avec des enfants, de passer la frontière dans la région de Vintimille sont systématiquement refoulés, sans la moindre possibilité de déposer une éventuelle demande d’asile. En parallèle, dans la vallée de la Roya, celles et ceux qui tentent de porter secours et de fournir un abri provisoire aux migrantes et migrants désireux de rejoindre les leurs en France ou dans le nord de l’Europe (la route des Balkans a été coupée il y a plus d’une année), sont accusés d’un délit nouveau, appuyé sur l’article 622-1 du Ceseda [1] : le délit de solidarité. Le 8 août Cédric Herrou, agriculteur militant qui a hébergé des migrants sur son propre domaine, a été condamné en appel, par le parquet d’Aix-en-Provence, à quatre mois de prison avec sursis pour aide à l’immigration clandestine ; il avait notamment organisé, dans un bâtiment SNCF désaffecté, un squat pour une cinquantaine d’Érythréens, et pris en stop des migrants du côté italien pour les conduire en France. Peu avant cette condamnation, Cédric Herrou a été à nouveau interpellé en gare de Cannes avec 156 migrants qu’il conduisait pour leur permettre de s’enregistrer à Marseille. Après une garde à vue prolongée, le parquet de Grasse a ouvert une nouvelle information judiciaire à son encontre, à nouveau pour aide à l’immigration clandestine. Quant à Pierre-Alain Mannoni, ingénieur à l’Université de Nice, il est confronté à une procédure pénale engagée par la même cour d’appel d’Aix-en-Provence pour avoir assisté trois personnes migrantes originaires d’Érythrée, dont une mineure en situation d’extrême détresse.
De même que pour les différentes ONG qui s’emploient à assurer le sauvetage des exilées et exilés tentant la traversée de la Méditerranée centrale sur les canots où les passeurs libyens les ont entassés, on essaie désormais d’intimider et de criminaliser celles et ceux qui, de différentes manières, soutiennent ces autres nous-mêmes que sont migrantes et migrants. Dans le Calaisis, à Paris et dans la Vallée de la Roya jusqu’à Nice, pour ne citer que ces points de répression policière discriminatoire, depuis désormais plusieurs années, innombrables sont les citoyennes et citoyens regroupés en associations diverses qui, publiquement et pratiquement, disent non : non à ce déni d’humanité qu’est la politique officielle de rejet et d’expulsion à l’égard de migrantes et migrants ; non à ce véritable crime contre l’humanité que sont les milliers de décès annuels en Méditerranée en raison de la fermeture aux exilées et aux exilés des frontières de l’EU et singulièrement de la France ; non également aux mesures intimidatrices et répressives dont ils sont eux-mêmes l’objet ; enfin non à un refus généralisé de parer aux véritables causes de la migration dans un monde où, sous le règne de la mondialisation économique et sous la dominations de l’idéologie néolibérale, les discriminations et les inégalités ne font que s’accroître au profit d’oligarchies déterminées à défendre leurs privilèges par tous les moyens, y compris une fermeture discriminatoire des frontières nationales.