Nationalismes et langues, l’expérience balkanique

mardi 19 décembre 2017, par Bozidar Jaksic *

En 1969, l’écrivain croate Miroslav Krezla [1] déclarait : « Les Croates et les Serbes avaient une seule et même langue, que les Croates appelaient “croate” et les Serbes “serbe”. » Il s’agissait de tenter d’apaiser les passions provoquées par la Déclaration sur le statut et le nom de la langue littéraire croate, qu’il avait lui-même signée, et par la réponse serbe à cette déclaration sous la forme d’une Proposition à examiner publiée en 1967. Les temps étaient révolus où, en 1924, Krleza pouvait prétendre, avec son ironie sophistiquée, que les langues serbe et croate ne se distinguent que par l’accent et qu’une « oreille qui n’est pas serbo-croate peut très difficilement les différencier » [2]. La Déclaration et la Proposition ont été le prélude à de longs débats ultérieurs, politiques et culturels, qui se sont tragiquement terminés avec la « troisième guerre balkanique ». De nombreux autres écrivains, comme Predrag Matvejevic (un disciple de Krleza), considéraient les questions linguistiques comme des sujets politiques extrêmement sensibles. Dans les communautés multiethniques, comme l’était la Yougoslavie, « la tolérance linguistique dépendait de la nature des interrelations, avant et après l’unification : lorsque ces relations étaient relativement bonnes, les différences étaient minorées » [3]. Inversement, quand elles étaient mauvaises, elles pouvaient être exagérées jusqu’à l’absurde.

Des différences ethniques restées prégnantes

Contrairement à de nombreux pays européens où la langue est constitutive des nations modernes en tant que communautés politiques, dans la partie des Balkans habitée par des Serbes, des Croates et des Musulmans/Bosniaques, l’appartenance à différentes religions et confessions a été source de divisions. De plus, ces nations ont été constituées en communautés ethniques plutôt que politiques. Aussi, pour comprendre la récente expérience des Balkans à travers leurs multiples divisions - nationales, étatiques, linguistiques, etc. -, il est extrêmement important de s’interroger sur le fait que ni la première Yougoslavie (monarchique) ni la seconde (socialiste) n’ont pu être constituées en communautés politiques, mais sont restées de caractère ethnique.

Aujourd’hui, ces deux Yougoslavie créées après la Première et la Seconde Guerres mondiales appartiennent à l’histoire. La première a été une tentative de constituer une société bourgeoise dans un espace géopolitique balkanique sous-développé et mal intégré, et extrêmement diversifié sur le plan économique, politique et culturel, et encore plus au plan national, religieux et linguistique. Cette première Yougoslavie a disparu de la scène historique sous la pression militaire des forces occupantes, précisément au moment où un modus vivendi des forces bourgeoises coalisées dominant la société commençait à émerger. La seconde Yougoslavie a été créée pendant l’occupation étrangère et la guerre civile et religieuse. C’était une tentative « révolutionnaire » d’opérer une rupture radicale et de construire une société de justice sociale, d’abord à la manière stalinienne orthodoxe puis, plus tard, sous la forme du « socialisme autogestionnaire ».

L’effondrement du régime politique de la seconde Yougoslavie a entraîné dans l’abîme historique la société et l’État. De plus, l’ampleur de la tragédie et des crimes qui ont accompagné le processus de sa désintégration a ébranlé tout le monde civilisé. Si la disparition de la première Yougoslavie ne signifiait pas l’anéantissement définitif de l’idée d’une communauté de peuples yougoslaves, il n’en va pas de même pour la désintégration de la seconde.

Devant l’effondrement communiste, la Yougoslavie s’est désintégrée

L’effondrement définitif de la seconde Yougoslavie a résulté non seulement de contradictions internes, de conflits politiques et nationaux, mais aussi de la chute du système du « socialisme réel » dans le monde ; lequel a commencé en Union soviétique pour s’achever avec l’unification allemande, symboliquement incarnée par la chute du mur de Berlin. C’est le cadre international de cette désintégration. Dans le cas yougoslave, cependant, le rôle de ce cadre n’a pas encore été complètement clarifié.

En effet, pourquoi la Yougoslavie était-elle moins préparée que d’autres à se confronter à l’effondrement historique des systèmes communistes du XXe siècle ? Alors que dans sa précédente expérience politique, certains facteurs suggéraient qu’elle était plus proche d’une possible solution démocratique que d’autres pays. Si la première Yougoslavie était un État de gouvernement autoritaire caractéristique d’un ensemble de pays entre les deux guerres mondiales, la seconde était aussi un État autoritaire avec des tendances totalitaires. La question qui se pose alors est la suivante : était-il possible de sortir démocratiquement du système de l’autoritarisme titiste qui tendait vers le totalitarisme ? C’est ce que souhaitaient les partis d’opposition progressistes, des dissidents politiques et intellectuels, des intellectuels critiques humanistes, une partie des promoteurs de la société civile et certains secteurs de la population qui avaient pris conscience de leur maturité politique.

Comment se fait-il que cette poussée démocratique se soit dissoute dans une vague de chauvinisme superficiel et d’hystérie nationaliste de petites nations « attardées », qui n’ont pas hésité à provoquer bains de sang et destructions sans précédent ? Pourquoi la communauté étatique yougoslave s’est-elle déchirée entre les lignes de démarcation républicaines et nationales, et quel a été le rôle joué par les dirigeants politiques, nationaux et ex-communistes dans ce processus ? Quel a été celui des politiques linguistiques mises en œuvre dans les anciennes républiques yougoslaves ? Quel a été le rôle de l’intelligentsia nationaliste, en particulier des puissants médias – la télévision et les principaux journaux – occupés à attiser la peur et la haine aveugle, détruisant toute possibilité de dialogue rationnel ? Où était dans ce processus la « majorité silencieuse » rassemblée autour de figures puissantes et devenue à la fois actrice et victime de la nouvelle effusion de sang balkanique ? Quelles ont été les conséquences de cette « fatale attirance » nationaliste, et quelle est la signification historique de l’expérience slovène de la violence pour obtenir son indépendance nationale sur le territoire yougoslave ? Quels intérêts nationaux et autres ont été favorisés par cette terrible guerre sur le territoire de la Yougoslavie ? Et enfin, quelles sont les chances pour les citoyens de l’ex-Yougoslavie de survivre à cette transition vers une société post-communiste ?

À partir des années 1990, une situation radicalement nouvelle a émergé, caractérisée par des conflits ethniques et religieux de grande ampleur – des dizaines de milliers de personnes tuées et mutilées, des centaines de milliers de sans-abri, des millions de ruines, des crimes de guerre, de multiples prédations et profits, comme une nouvelle forme « d’accumulation primitive du capital ». Une situation qui appelle à de nouvelles clés herméneutiques et de compréhension théorique. Les citoyens nés en ex-Yougoslavie, tous plus âgés que leurs nouveaux États, ont été à la fois témoins, participants et victimes – et parfois bourreaux – d’une société en ébullition.

La langue devenue instrument de propagande guerrière

En ces temps troublés, la pensée sociale s’est trouvée dans une sorte de vide historique. La question cruciale qui se pose à nous aujourd’hui est : comment organiser théoriquement le matériau empirique très riche, comment articuler les présupposés théoriques du développement historique actuel à un méta-niveau ? Est-il possible que la théorie sociale, qui, dans l’espace ex-yougoslave, avait atteint une certaine pertinence dans sa critique du « socialisme réel », surmonte son insuffisance en hypothèses théoriques nouvelles et offre un ensemble adéquat d’outils heuristiques et herméneutiques pour comprendre la tragédie de l’époque ?

Janko Pleterski [4], un écrivain slovène, parle des « six peuples yougoslaves » dont quatre partagent la même langue et deux ont leurs propres langues. La langage partagée par ces quatre peuples yougoslaves (avec de légères variations dans l’expression linguistique) – les Croates, les Serbes, les Musulmans/Bosniaques et les Monténégrins – était, heureusement ou non, appelée serbo-croate ou croato-serbe. Mais le fait d’avoir un langage commun n’a pourtant pas facilité la compréhension mutuelle de ces peuples ethniquement apparentés. D’un moyen de communication entre les gens, la langue est devenue de plus en plus un symbole de la lutte en faveur d’États-nations. Elle a été transformée en instrument de propagande de guerre et en ferment de haine destructrice. Au cours de la « troisième guerre balkanique » de ce siècle, en même temps qu’ont été anéanties toutes les institutions communes de l’État yougoslave, une langue a été tuée : le serbo-croate ou le croato-serbe. Ce meurtre a été commis délibérément et a servi exclusivement des objectifs politiques. Chacune des parties en conflit lui a apporté sa contribution particulière. En l’exécutant, les parties en guerre ont facilement trouvé un langage commun.

De sorte que le serbo-croate avec toutes ses nuances, en tant que langue commune de plusieurs peuples yougoslaves, a rejoint les langues « mortes », comme le grec ancien, le latin ou l’ancien slave. Les citoyens des nouveaux États ex-yougoslaves peuvent être satisfaits : ils parlent une langue morte et sont devenus polyglottes, puisqu’ils peuvent communiquer simplement et facilement en quatre langues, le serbe, le croate, le bosniaque et le monténégrin.

De toute évidence, l’affaire n’a pas porté que sur le nom. Dans le processus de transformation du totalitarisme titiste yougoslave en totalitarismes chauvins des États nouvellement formés [5], la revendication d’une langue nationale distincte a occupé une place spécifique et a été extrêmement féroce. Les linguistes, et pas seulement eux, y ont excellé particulièrement. Très peu de personnes, comme Dubravko Skiljan à Zagreb ou Ranko Bugarski et Ljubisa Rajic à Belgrade, ont réussi à résister à l’appel des « trompettes de Jéricho ». Comme le remarque justement Ljubisa Rajic, d’un moyen de communication, la langue est devenue un moyen d’identification nationale, puis un symbole de la nation et enfin un moyen de sécession. [6]

Dans les pays de l’ex-Yougoslavie des années 1990, l’expression biblique « au commencement était le verbe » (Jean, 1.1) est devenue : « Certains d’entre nous frappent comme s’ils étaient des couteaux, et certains couteaux comme s’ils étaient des mots » [7]. Autrement dit, les Serbes et les Croates ont réglé leur différend en prononçant le nom « John » – Jovan/Ivan – à l’aide d’une balle. [8] Le nom national de la langue a été construit pour fonder l’État-nation, et la langue elle-même a été utilisée pour la propagande de guerre et la production de la haine. Certains écrivains étrangers ont également constaté que : « La majeure partie de l’intelligentsia yougoslave a montré que la fabrication de la haine et la préparation de la guerre civile sont aujourd’hui encore parmi les principales œuvres des créateurs culturels. » [9]

La responsabilité des élites politiques et culturelles

Si la langue, transformée en une langue de haine, a servi aux préparatifs de guerre et à la propagande, le tissu linguistique unifié de la langue serbo-croate ou croato-serbe a été systématiquement détruit avant et pendant la guerre. Dans l’effort général pour s’assurer que chaque peuple obtienne son propre État et parle sa propre langue, différente de la langue de l’Autre, l’ennemi, à n’importe quel prix, les principales victimes ont été les peuples au nom desquels tout cela a été fait. Ainsi, la langue croate a été inondée dans l’usage officiel d’archaïsmes, évitant les « mots serbes » et les internationalismes, et en particulier truffée de mots inventés que personne n’a jamais utilisés et n’utilisera jamais. La plupart des citoyens croates ont regardé tous ces efforts avec une légère ironie ou un mépris manifeste. Beaucoup de mots de la « novlangue » croate orwellienne sont devenus un sujet de plaisanterie. C’est de cette manière que les gens ont préservé le génie de leur propre langue. Même les nationalistes les plus enthousiastes auraient du mal à adopter le critère consistant à deviner quel mot est véritablement croate et lequel est serbe (selon le Dictionnaire différentiel des langues croate et serbe récemment publié). Pour ne citer qu’un exemple : les nationalistes serbes considèrent le mot obitelj (famille) comme un mot croate péjoratif, bien que ce mot fasse partie des prières quotidiennes des moines orthodoxes du monastère Hilandar [10] et ne soit à l’origine ni serbe ni croate.

Les dommages causés par la partie serbe aux fins de séparer strictement le serbe du croate n’ont pas été moindres et ont entraîné un appauvrissement de la culture serbe dans deux directions principales. La tentative de donner un fondement constitutionnel et légal à la proclamation de l’alphabet cyrillique comme seul alphabet officiel en Serbie a ouvert la porte à l’abolition du bi-alphabétisme (cyrillique et latin). Certaines classifications internationales rangent automatiquement les livres imprimés en cyrillique comme appartenant à la culture serbe et ceux imprimés en alphabet latin à la culture croate. Beaucoup de nationalistes serbes estiment que c’est le résultat d’une « conspiration mondiale » contre le peuple serbe, ne réalisant pas à quel point ils contribuent eux-mêmes à cette pratique en supprimant l’alphabet latin dans la culture serbe. Les nationalistes serbes et croates insistent également pour que dans les universités du monde entier les départements serbo-croates autrefois communs soient séparés, mais ne demandent jamais qui va assumer l’augmentation des dépenses, pourquoi l’intérêt pour ces études ainsi divisées diminue, et pourquoi certains de ces départements sont sur le point d’être fermés.

La situation est encore pire dans la partie de Bosnie-Herzégovine qui comprend la Republika Srpska. [11] Le dialecte « ekavien » y a été introduit dans l’usage officiel, alors que personne né et vivant de manière permanente en Bosnie-Herzégovine ne l’a jamais parlé. À noter, et c’est important, que cette pratique a été introduite à la radio et à la télévision. Aujourd’hui, les Serbes de Bosnie-Herzégovine écoutent un dialecte et en parlent un autre. Le linguiste serbe Ranko Bugarski parle à cet égard de « schizophrénie linguistique » [12]. Une telle pratique n’a pas été imposée aux Serbes en Bosnie-Herzégovine par les Croates ou les Bosniaques, mais par leur propre élite politique et culturelle, afin de séparer autant que possible les Serbes de leurs voisins avec lesquels ils avaient pourtant vécu côte à côte pendant des siècles. [13] L’intention est assez simple : prouver à tout prix, en utilisant non seulement « le nettoyage ethnique », mais aussi « le nettoyage linguistique », la thèse selon laquelle vivre ensemble est impossible.

Il y a longtemps, Miroslav Krleza a vu dans cette « décadence sous la forme d’une fragmentation » une « sinistre confusion de la mégalomanie paroissiale » [14]. Il serait injuste de ne pas ajouter qu’avec de légères modifications la thèse de l’élite serbe selon laquelle vivre ensemble est impossible a été propagée également par les élites politiques et culturelles croates et bosniaques. [15] Les élites ont trouvé un langage commun, non seulement au détriment des peuples rivaux, mais aussi de leur propre peuple.

Des langues bosniaque et monténégrine

Les Musulmans/Bosniaques se sont retrouvés dans une situation particulière. Ils ont cherché à confirmer leur identité nationale en inventant un nom particulier pour leur langue. Ils l’ont appelée, simplement, la langue bosniaque. À première vue, il y avait là quelque chose de raisonnable. Si les Serbes et les Croates ont renoncé au nom complexe de serbo-croate ou de croato-serbe, écrit le linguiste musulman Senahid Halilovic, « c’eut été trop exiger des
musulmans de vouloir un nom qui ne contienne pas leur propre nom. Il est alors compréhensible que les musulmans ramènent la langue bosniaque à l’usage. » [16] L’écrivain musulman Alija Isakovic affirme quant à lui que le bosniaque diffère du serbe et du croate autant que ces deux derniers diffèrent l’un de l’autre. Le problème est, bien entendu, que le serbe et le croate sont sur le plan linguistique une seule et même langue. Le problème a été résolu par l’usage immodéré des « turquismes », de la lettre « h » et des archaïsmes, pour mettre en évidence des différences. [17] Les citoyens d’un seul et même État, la Bosnie-Herzégovine, sont divisés en deux entités politiques, la fédération bosniaque-croate et la Republika Srpska (bien que ce que cela signifie ne soit pas clair), et obligés de parler trois langues, alors qu’ils n’en parlent en réalité qu’une seule – celle qui est traditionnellement parlée en Bosnie. Et même, ces trois langues nouvellement formées, dans la propagande officielle, convergent en un langage de la haine.

Au Monténégro, qui a une tradition d’État, on s’applique aussi à reconnaitre l’existence d’une langue monténégrine distincte. Dans l’histoire récente, un des promoteurs de cette idée a été le dirigeant communiste croate Vladimir Bakaric. Des efforts encore renforcés par l’expansion du dialecte ekavien au Monténégro, qui n’avait jamais été utilisé dans ce pays. Ainsi, les nationalistes serbes, cherchant à séparer le serbe du croate, ont également contribué à une séparation progressive du monténégrin du serbe. Et certains auteurs monténégrins ont suggéré que trois nouvelles lettres soient ajoutées à l’alphabet monténégrin cyrillique et latin ! [18] On ne sait pas vraiment qui utilise ces lettres en dehors d’eux-mêmes. Mais peu importe, ce qui compte, c’est de confirmer l’existence d’un État national par une langue nationale distincte.

La recherche de pureté de la langue, une résurgence de la politique de purification ethnique

Pour terminer, j’en reviendrai à l’écrivain croate Krleza qui a ironiquement affirmé que les Serbes et les Croates sont deux peuples divisés par une langue et un Dieu. Mais la question religieuse n’est pas l’objet de cet article. Sur le plan linguistique, la même langue autrefois parlée par les Serbes, les Croates, les Musulmans/Bosniaques et les Monténégrins a été divisée en quatre langues. Certains intellectuels ont promu et soutenu cette politique, d’autres s’y opposant. Mais il est incontestable que la politique de purification ethnique a été partie intégrante de la volonté de créer des États-nations sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Cette politique a été élaborée et mise en œuvre par des élites politiques nationales et, pour partie, culturelles dans tous les États nouvellement créés.

Il faut donc le dire clairement : la recherche de pureté de la langue nationale est une résurgence de la politique criminelle de purification ethnique. Comme tous les phénomènes historiquement tardifs, la formation des nations (et des États-nations) sur des bases linguistiques dans les Balkans, à la fin du XXe siècle, a pris des formes monstrueuses. L’immense tragédie de la guerre qui a tué des hommes, des femmes et des enfants, des expulsés et des réfugiés, détruit des villages et des villes, détruit la nature et l’environnement humain, témoigne du véritable caractère de la politique menée par les élites nationales. Peut-être qu’un jour les Serbes, les Croates, les Musulmans/Bosniaques et les Monténégrins parleront réellement des langues différentes, mais même alors – pourvu qu’ils ne s’exterminent pas entre-temps – ils devront vivre ensemble. N’est-il pas préférable qu’ils le fassent en paix ? Dommage que l’on n’ait pas retenu cette leçon de Nikola Tesla, un génial inventeur : « Je suis fier de mon nom serbe dans ma patrie croate ! » Si nous regardons tout ce qui s’est fait au nom des intérêts nationaux et de la pureté de la langue nationale pendant la « troisième guerre balkanique », ce n’est pas de fierté dont nous pouvons nous targuer mais plutôt de honte.

Traduit de l’anglais par Jean-Marie Harribey et Isabelle Bourboulon

Notes

[1Beaucoup de pièces de Krleza ont été mises en scène pour la première fois à Belgrade et ses œuvres rassemblées ont été publiées à Sarajevo. Autorité incontestable dans tous les milieux yougoslaves, exaltée et glorifiée, Krleza est maintenant quasiment oublié et peu lu.

[2Voir Knjizevna republika, 1924, No. 4.

[3Predrag Matvejevic, Jugoslovenstvo danas, Beogradski izdavačkografički zavod, Belgrade, 1984.

[4Janko Pleterski, Nacija, revolucija, Jugoslavija, Belgrade : Komunist, 1979, p. 19.

[5See more in my paper ’Put Jugoslavije : od titoistickog ka sovinistickom totalitarizmu’, Sociologija, No. 4/1990, p. 403-408.

[6Cf. Ljubisa Rajic, ’Simbolizacija jezika i konstituisanje rastojanja’, in Bozidar Jaksic (ed), Ka jeziku mira, Forum za etni ke odnose, Belgrade 1996, pp. 63-70.

[7La citation est de Dubravka Ugresic, Kultura lazi, Zagreb : Arkzin, 1996, p. 56, une écrivaine croate qui fut publiquement désignée comme « traître national » et même « sorcière » - un qualificatif à peine imaginable à la fin du XXe siècle. Elle poursuivait : « c’est par la parole que tout a commencé et c’est avec les mots que tout se terminera, et que des milliers de morts, de réfugiés, de blessés et de déplacés, de maisons en ruines, de villages et de villes, seront anéantis par le rouleau compresseur des mots. Et la véritable tragédie sera ancrée dans le concret de l’interprétation : historique, politico-scientifique, militaire-stratégique, culturologique, littéraire...  » Ibid, p. 67.

[8L’exemple tiré de Svetlana Slapsak, « Ie, totem i rituali prelaska », in Ka jeziku mira, Forum za etni ke odnose, Belgrade 1996, pp. 27-40.

[9Hans Magnus Enzensberger, Gradjanski rat, Belgrade : Beogradski krug, 1994, p. 50. C’est avec de bonnes raisons que Rudi Supek a mis en garde contre le danger que « l’enthousiasme national se transforme en un rêve conquérant de guerriers ». Voir Rudi Supek, Drustvene predrasude i nacionalizam, Zagreb : Naprijed, 1992, p. 189. Selon l’écrivain hongrois Gyorgy Konrad : « Il n’est pas sage d’activer des processus que l’on n’est pas capables de maîtriser ; il est encore plus imprudent de ne pas voir que sans le consentement mutuel de tous, la destruction d’un État multinational et ethniquement mixte n’est pas possible sans violence et sans provoquer de terribles peurs, dont la conséquence logique est le nettoyage ethnique »XXXtué sur le le mont Athos) enthousiastes auraient du mal à adopter lecte avec le gouvernement ?e Fonds monétaire internationa. Gyôrgy Konrad, Na pupku Evrope, Belgrade : Vreme knjige, 1995, p. 270.

[10Situé sur le mont Athos (NdT).

[11Le nom même de « Republika Srpska » (dont la traduction littérale est « République serbe ») est parfaitement insupportable à mon oreille bosniaque. Faire des noms en dehors des adjectifs est très inhabituel dans n’importe quelle variété de la langue serbo-croate.

[12Ranko Bugarski, Jezik od mira do rata, Belgrad : Beogradski krug, 1994, p. 121.

[13Selon Gyorgy Konrad op.cit., p. 262 : « Le fait du voisinage pose de grands défis : sommes-nous capables de vivre ensemble, pouvons-nous façonner un système de valeurs partagées, apprendrons-nous une écologie et une éthique de voisinage ?oous puvons nouset deale est « ln e ethniqueis plutt du mal à adopter lecte avec le gouvernement ?e Fonds monétaire internationa », et il conclut : « La haine contre le prochain, contre les voisins, contre les gens d’une autre religion, une autre langue ou un autre nom - c’est le Satan de notre temps. »oous puvons nouset deale est « ln e ethniqueis plutt du mal à adopter lecte avec le gouvernement ?e Fonds monétaire internationaoouoous puvons nouset deale est « ln e ethniqueis plutt du mal à adopter lecte avec le gouvernement ?e Fonds monétaire internationa

[14Dans son essai « O nekim problemima enciklopedije », il écrit : « Le cancer du concept de culture nationale autochtone, en tant que constante idéaliste, est un dysfonctionnement de quelque chose qui s’isole jusqu’au solipsisme culturel, et qui fait toujours courir le danger de se transformer en une chimère errant dans le vide. »

[15Certes, l’élite politique bosniaque parle encore d’une « Bosnie multiethnique ». Mais qu’est-ce que cela signifie quand, par exemple, le principal slogan du parti nationaliste bosniaque SDA pour les élections de septembre 1996 était « Dans notre propre foi, sur notre propre terre ». Probablement, personne ne le sait, sauf ses créateurs. Et les Croates à Bugojno ou les Serbes à Zenica auraient beaucoup de choses assez désagréables à dire à l’élite politique bosniaque sur les aspects pratiques de la vie en « Bosnie multiethnique ». Tout comme, après tout, les Serbes et les Bosniaques de Mostar, contrôlés par les Croates, ou les Bosniaques et les Croates de Banja Luka, contrôlés par les Serbes.

[16Senahid Halilovic, Bosanski jezik, Sarajevo : Bosanski Krug, 1991, p. 15. Le poète et essayiste Zilhad Kljucanin a confirmé plus tard qu’il s’agit d’une langue nationale plutôt que la langue parlée par tous les citoyens de Bosnie-Herzégovine dans son essai « Parlez-vous bosniaque ? » dans le livre de Halilovic, Bosanski. Jezik, p. 231-233. Le nom ’langue bosniaque’ a été inventé par B. Kallay, ministre des finances austro-hongrois et gouverneur de Bosnie-Herzégovine. Le célèbre linguiste Vatroslav Jagic a repris ce nom en le jugeant apte à « exclure les disputes » et « par nécessité » dans l’usage officiel. Ibid., p. 133. Évidemment, ce n’est pas le seul exemple de faire de la vertu par nécessité.

[17J’ai moi-même adopté de nombreux turquismes dans mon enfance et je continue à les utiliser même aujourd’hui. J’ai remarqué, cependant, que nous, les gens nés en Bosnie, avons prononcé beaucoup de turquismes - comme beaucoup de germanismes aussi - mal et à tort. Là aussi, « l’ordre » a été imposé, de sorte que des variantes iraniennes de certains mots, jamais utilisés auparavant en Bosnie, ont été soulignées. Et comme les Serbes de Bosnie devront évidemment apprendre la prononciation ekavienne, les Musulmans de Bosnie devront aussi apprendre beaucoup de mots de « leur » langue bosniaque.

[18Cf. Sinan Gudzevic, « Srpskohrvatski jezicki rat », in Bozidar Jaksic (ed), Interkulturalnost u multietnickim drustvima, IP “Hobisport” Belgrade : Hobisport, 1995, pp. 143-164.

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