La transposition de la directive sur l’attribution de contrats de concession : quel impact sur les services publics de l’eau et de l’assainissement ?

mardi 19 décembre 2017, par Thierry Uso *

La directive sur l’attribution de contrats de concession fait partie des trois directives européennes visant à réformer la commande publique :

  • Directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics, abrogeant la directive 2004/18/CE ;
  • Directive 2014/25/UE sur la passation de marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, abrogeant la directive 2004/17/CE ;
  • Directive 2014/23/UE sur l’attribution de contrats de concession.

Ces directives adoptées en 2014, d’une part simplifient la commande publique et la rendent cohérente dans tous les États membres, et d’autre part assurent une libre concurrence entre les entreprises européennes pour l’accès aux marchés publics et aux contrats de concession.

L’achat de fournitures, la prestation de travaux ou de services, le marché de partenariat (appelé précédemment contrat de partenariat) peuvent donner lieu à la passation d’un marché public. L’exécution de travaux, la gestion de services, la délégation de service public (affermage, concession, régie intéressée) peuvent donner lieu à la passation d’un contrat de concession.

Qu’est-ce qui différencie une concession d’un marché public ? C’est le risque d’exploitation, impliquant une réelle exposition aux aléas du marché. Il faut que l’opérateur économique ne soit pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés.

D’après une estimation de la commission européenne, 80 % des concessions en Europe concernent les services publics de l’eau et de l’assainissement. C’est notamment le cas en France, puisque la gestion privée de ces services s’effectue très majoritairement sous la forme d’une délégation de service public.

En France, l’opérateur de service (le délégataire privé) se rémunère par la facture d’eau des usagers. S’il n’encaisse pas suffisamment de factures, il peut perdre de l’argent. C’est le risque lié à l’exploitation. En pratique, il n’y a jamais eu de cas où le délégataire privé a perdu de l’argent, celui-ci négociant toujours le contrat à son avantage.

1 - La directive sur l’attribution de contrat de concession et l’exclusion du secteur de l’eau et de l’assainissement

La rédaction de la directive, sous la houlette de Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur, a été particulièrement houleuse. Les fonctionnaires européens chargés de la rédaction de la directive ont été « conseillés » par EurEau, la fédération européenne des entreprises privées du secteur de l’eau, et par l’Institut de la gestion déléguée, un think tank français faisant la promotion des partenariats public-privé (PPP) et des concessions.

Dès que les eurodéputés allemands ont pris connaissance du contenu de la directive, ils ont dénoncé la perte d’autonomie des communes qui confient la gestion de l’eau et de l’assainissement à un Statdwerk. Le Statdwerk est une entreprise municipale chargée en Allemagne de la gestion de l’eau, de l’énergie, des déchets, etc.

Michel Barnier leur a alors fait deux réponses :

  1. « les collectivités locales restent décisionnaires ; la procédure de passation des contrats de concessions (mise en concurrence) défend l’intérêt des consommateurs » ;
  2. « La procédure de passation des contrats de concessions ne s’applique pas pour les entreprises in-house  ».

Un opérateur de service est dit in-house si deux critères sont respectés :

  • le contrôle effectué par la collectivité locale sur l’opérateur doit être de même nature que celui qu’elle exerce sur ses services propres ;
  • l’opérateur doit travailler essentiellement (à plus de 80 %) pour la collectivité locale qui lui confie l’exécution du service.

Les deux régies (à autonomie financière ; à autonomie financière et personnalité morale) sont bien évidemment in-house de même que la société publique locale et la récente société d’économie mixte à opération unique (SEMOP) en France, mais pas la totalité des Statdwerken en Allemagne.

Les réponses de Michel Barnier n’ayant pas convaincu les Allemands, il s’est retrouvé face à l’opposition de l’ensemble de la société civile allemande (eurodéputés, gouvernement, maires, usagers…). 1,5 million d’Allemands signaient l’Initiative citoyenne européenne sur le droit à l’eau pour exprimer leur mécontentement. Et Michel Barnier a dû céder.

Un article (le n° 12) intitulé « Exclusions spécifiques dans le domaine de l’eau » a été introduit dans la directive. Cet article indique que la directive ne s’applique pas aux concessions de service de l’eau potable et de l’assainissement :

  • 1. La présente directive ne s’applique pas aux concessions attribuées pour :
    • a) la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d’eau potable ;
    • b) l’alimentation de ces réseaux en eau potable.
  • 2. La présente directive ne s’applique pas non plus aux concessions portant sur l’un des objets suivants ou sur les deux lorsqu’elles concernent une activité visée au paragraphe 1 :
    • a) des projets de génie hydraulique, d’irrigation ou de drainage, pour autant que le volume d’eau destiné à l’alimentation en eau potable représente plus de 20 % du volume total d’eau mis à disposition par ces projets ou ces installations d’irrigation ou de drainage ; ou
    • b) l’évacuation ou le traitement des eaux usées.

Les mouvements pour l’eau en Europe ont tous crié victoire. À tort, parce que tout dépend de la manière dont est transposée la directive dans la législation de chaque État membre.

Le principe de subsidiarité détermine le niveau d’intervention le plus pertinent dans les domaines de compétences partagées entre l’UE et les États membres. Il s’applique donc dans la transposition des directives européennes puisqu’il est possible pour un État membre de sur-transposer une directive, alors que la sous-transposition est interdite. Par exemple, une directive dresse la liste des molécules qu’il faut contrôler dans l’eau potable. Un État membre peut sur-transposer cette directive en y ajoutant d’autres molécules, mais pas sous-transposer en éliminant certaines molécules de la liste.

À la différence de l’Allemagne, la France a choisi de sur-transposer la directive sur l’attribution de contrats de concession. La procédure de passation des contrats de concession s’applique au secteur de l’eau et de l’assainissement en remplacement de la procédure de mise en concurrence de la loi Sapin. Quelle que soit la transposition, la directive doit être révisée au bout de cinq ans et il n’est pas dit que l’article n° 12 ne soit pas supprimé à ce moment-là.

2 - La transposition de la directive sur l’attribution de contrat de concession

La directive a été transposée en France par une ordonnance et un décret d’application entraînant la modification des articles L.1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT) :

  • Ordonnance n°2016-65 relative aux contrats de concession ;
  • Décret d’application n°2016-86 relatif aux contrats de concession.

La transposition par ordonnance et décret d’application a évité un débat sur le fond devant le parlement. L’ordonnance et le décret sont entrés en application le 1er avril 2016. Il y a beaucoup de flou juridique dans ces deux textes, ce qui a entraîné des interprétations différentes, voire contradictoires, par les experts de la commande publique. Ce flou juridique est actuellement exploité par les entreprises privées pour leur plus grand profit.

La transposition de la directive impacte sur différents points la gestion des services de l’eau et de l’assainissement en France ; ils sont décrits dans ce qui suit.

2-1 La procédure de passation des contrats de concession

La procédure de passation des contrats de concession remplace la procédure de mise en concurrence définie par la loi Sapin en 1993.

La transposition définit deux variantes de la procédure de passation des contrats de concession, la procédure « ordinaire » dans l’annexe 2 de l’ordonnance et la procédure « allégée » dans l’annexe 1 de l’ordonnance. La procédure « ordinaire » concerne les concessions d’une valeur supérieure à 5 225 000 € HT et la procédure « allégée » les concessions d’une valeur inférieure à 5 225 000 € HT. Mais c’est la procédure « allégée » qui s’applique pour les services de l’eau et de l’assainissement, quelle que soit la valeur estimée de la concession.

La procédure « allégée » est constituée de huit étapes :

Étape 1 : L’autorité concédante (commune, intercommunalité) publie un avis de concession dans un journal officiel (par exemple, le Journal officiel de l’Union européenne). L’autorité concédante crée parallèlement une commission d’analyse des offres. Les entreprises candidates manifestent leur intérêt en se faisant connaître auprès de l’autorité concédante.

Étape 2 : L’autorité concédante envoie une invitation à présenter leur offre aux entreprises candidates ou à celles sélectionnées par la commission d’analyse des offres. Cette invitation contient un descriptif détaillé de la concession telle que souhaitée par l’autorité concédante.

Étape 3 : L’autorité concédante communique des renseignements supplémentaires demandés éventuellement par les entreprises soumissionnaires.

Étape 4 : L’autorité concédante reçoit toutes les offres.

Étape 5 : L’autorité concédante ouvre les plis. La commission d’analyse des offres examine les différentes offres et en fait un classement de la meilleure offre à la moins bonne.

Étape 6 : L’assemblée délibérante de l’autorité concédante (conseil municipal, conseil métropolitain…) vote sur l’offre retenue par le président de l’intercommunalité ou le maire.

Étape 7 : Les entreprises soumissionnaires non retenues sont notifiées par l’autorité concédante.

Étape 8 : Le contrat de concession est finalement signé par l’entreprise retenue et l’autorité concédante.

La procédure « allégée » ressemble à la procédure de mise en concurrence de la loi Sapin, mais comporte des différences significatives.

La protection du secret industriel et commercial, qui s’appliquait déjà dans la procédure de mise en concurrence de la loi Sapin, est renforcée : le descriptif détaillé de la concession envoyée aux entreprises ainsi que le classement des offres de ces mêmes entreprises ne sont pas publics.

La composition de la commission d’analyse des offres change (article 58 de l’ordonnance modifiant l’article L1411.5 du CGCT). Comme avant, le président de l’intercommunalité (ou le maire) est président de la commission, plusieurs élus de l’intercommunalité (ou conseillers municipaux) sont membres obligatoires avec voix délibérative, le comptable de l’intercommunalité est membre obligatoire avec voix consultative, une personne des services administratifs de l’intercommunalité est membre optionnel avec voix consultative. Mais l’autorité concédante peut aussi inviter des membres avec voix consultative, choisis pour leur compétence comme par exemple des « experts » de bureaux d’études ; c’était interdit dans la procédure de mise en concurrence de la loi Sapin. Cette présence possible des bureaux d’étude dans les commissions d’analyse des offres pose un véritable problème, sachant que les gros bureaux d’études, qui trustent auprès des collectivités locales les audits et les assistance à maîtrise d’ouvrage, ont tous des liens étroits avec les entreprises du secteur de l’eau comme Veolia ou Suez.

La négociation avec les entreprises soumissionnaires (souvent appelée dialogue compétitif) qui a lieu dans l’étape 5 n’est plus obligatoire. Cette négociation permettait parfois à l’autorité concédante d’obtenir un contrat plus avantageux. La fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) s’était plainte auprès du gouvernement que la menace d’un retour en gestion publique, couplée à une négociation de plus en plus difficile avec les collectivités locales, avait souvent conduit ces dernières années à la signature de contrats pouvant mettre en danger l’existence même des entreprises du secteur de l’eau. La FP2E a été entendue par le gouvernement, au moins partiellement, sur la négociation.

C’est toujours le maire ou le président de l’intercommunalité qui choisit l’offre. Mais son choix n’est plus « intituae personae ». L’« intituae personae » est un principe juridique par lequel la décision politique est prise en fonction de la conviction personnelle, sans obligation de tenir compte de critères techniques, économiques ou autres. Avant la transposition de la directive, le président de l’intercommunalité (ou le maire) choisissait « intituae personae » entre la gestion publique ou privée, puis, dans le cas de la gestion privée, il choisissait, toujours « intituae personae », le délégataire privé à l’issue de la procédure de mise en concurrence de la loi Sapin. Seul le choix « intuitu personae » entre la gestion publique ou privée est maintenu. Désormais, le président de l’intercommunalité (ou le maire) choisit la « meilleure offre au regard de l’avantage économique global » sur la base de « plusieurs critères objectifs », tout en garantissant une « concurrence effective » (article 47 de l’ordonnance). Peuvent être ajoutés comme critères le développement durable et la qualité du service rendu aux usagers (article 27 de l’ordonnance).

Comment être sûr que tous ces critères soient objectifs ? Comment classer les offres sur la base de plusieurs critères ? La commission d’analyse des offres va réaliser (ou plus vraisemblablement faire réaliser par un bureau d’études) une analyse multi-critères avec pondération arbitraire des critères. Cette pondération fera pencher la balance vers une entreprise soumissionnaire plutôt qu’une autre, d’une manière qui est toute sauf objective. De nombreux juristes considèrent qu’il en résultera une multiplication de recours contentieux par les entreprises soumissionnaires perdantes.

2-2 Le contrat de concession

L’examen des contrats de concession de service public adoptés depuis la transposition montre que ces contrats ne sont pas fondamentalement différents des contrats de délégation de service public adoptés ces dernières années.

Le contrat de concession de service public doit comporter :

  • L’objet de la concession (articles 5 et 6 de l’ordonnance) ;
  • La durée de la concession (article 34 de l’ordonnance) ;
  • Les spécifications techniques et fonctionnelles des prestations à réaliser (article 28 de l’ordonnance, article 2 du décret d’application) ;
  • Les redevances et droits d’entrée (article 31 de l’ordonnance) ;
  • La rémunération du concessionnaire (article 5 de l’ordonnance) et la tarification aux usagers (article 32 de l’ordonnance) ;
  • Les droits d’occupation domaniale (article 50 de l’ordonnance) ;
  • Une clause indemnitaire en cas d’annulation ou de résiliation du contrat par le juge (article 56 de l’ordonnance) ;
  • Une clause de réexamen du contrat (article 55 de l’ordonnance, article 36 du décret d’application).

Les droits d’entrée pour les délégations de service public de l’eau, de l’assainissement et des déchets sont interdits par la loi Barnier depuis 1995. L’article 31 de l’ordonnance confirme que « le versement par le concessionnaire de droits d’entrée à l’autorité concédante est interdit quand la concession concerne l’eau potable, l’assainissement ou les ordures ménagères et autres déchets ».

L’accès public aux données administratives (y compris les données des contrats) est régi par la loi n°2015-1779 du 28 décembre 2015, dite loi « Valter », héritière de la loi CADA de 1978, et la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016, dite loi « Lemaire ». Les articles 38, 53, et 78 de l’ordonnance et l’article 34 du décret d’application règlementent quant à eux l’accès public aux seules données des contrats de concession. Ainsi, « les autorités concédantes rendent accessibles, sous un format ouvert et librement réutilisable, les données essentielles du contrat de concession, sous réserve... « qu’elles ne portent pas préjudice au « savoir-faire » et au « secret industriel et commercial » du concessionnaire, et qu’elles ne soient pas « contraires à l’ordre public ». Plusieurs arrêtés du ministère des finances sont prévus pour lever l’incertitude juridique posée par ce foisonnement de textes qui s’articulent mal entre eux. Cela n’augure rien de bon. Les contrats récents auxquels ont eu accès les associations et collectifs d’usagers ont déjà leurs annexes financière et technique passablement caviardées. Et la Commission européenne prévoit une protection accrue des données afin de réduire les risques de, ce qu’elle appelle les distorsions de concurrence.

2-3 Durée et prolongation du contrat de concession

Avant la transposition, la durée d’un contrat ne pouvait pas dépasser vingt ans (loi Barnier de 1995 et arrêt Olivet de 2009). Et la prolongation de la durée par un avenant au contrat était très encadrée (Art. L.1411-2 du CGCT) : un an maximum pour motif d’intérêt général ; quelques années pour permettre au délégataire d’amortir ses investissements après accord du directeur départemental des finances publiques (DDFiP).

Avec la transposition, la durée par défaut du contrat est de cinq ans. Une durée supérieure à cinq ans et jusqu’à vingt ans doit être justifiée par les investissements à amortir et le retour sur capital investi (article 6-II du décret d’application). Une durée supérieure à vingt ans doit avoir en plus l’accord obligatoire du DDFiP (article 34-II de l’ordonnance). Il en découle que les contrats de concession signés depuis la mise en application de la transposition ont une durée de cinq à sept ans lorsqu’ils correspondent à un affermage strict (investissements minimums par l’entreprise concessionnaire), une durée de sept à douze ans lorsqu’ils correspondent à un affermage avec un îlot concessif (par exemple, investissements par l’entreprise concessionnaire pour le renouvellement des réseaux), et une durée de douze à vingt ans lorsqu’ils correspondent à une concession à l’ancienne (totalité des investissements par l’entreprise concessionnaire).

La durée du contrat peut être prolongée par plusieurs avenants, dès l’instant où chaque nouvel avenant introduit de nouveaux investissements par l’entreprise concessionnaire (article 55 de l’ordonnance, articles 36 et 37 du décret d’application).

Environ 80 % des délégations de service public dans le domaine de l’eau et de l’assainissement sont actuellement de type affermage. Les nouvelles règles en terme de durée peuvent conduire à un retour progressif des concessions à l’ancienne en lieu et place des affermages, d’autant que les collectivités locales font face à un endettement croissant. Il y a aussi le risque d’une prolongation du contrat à l’infini par des avenants successifs, empêchant à la fois de faire le bilan de la gestion privée et de retourner en gestion publique.

Enfin, la durée du contrat peut être raccourcie à condition qu’un article du contrat définisse cette option, ainsi que les modalités de remboursement du manque à gagner du concessionnaire.

2-4 Le contrôle par l’autorité concédante de l’exécution du contrat de concession de service public

L’ordonnance ne reprend pas l’obligation de garantir la totale transparence de l’exécution du contrat mentionnée à l’article 3 de la directive. La subsidiarité a encore frappé en faveur des intérêts privés. La transposition se contente de reprendre les modalités de contrôle existantes : production d’un rapport annuel par le concessionnaire (RAD) et d’un rapport sur le prix et la qualité du service (RPQS) par l’autorité concédante.

L’article L.1411-3 du CGCT imposait au délégataire/concessionnaire de fournir à l’autorité délégante/concédante, avant le 1er juin de chaque année, « un rapport comportant notamment les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation de service public et une analyse de la qualité de service », « assorti d’une annexe permettant à l’autorité délégante d’apprécier les conditions d’exécution du service public ». L’article 53 de l’ordonnance reprend quasiment tel quel cet article du CGCT.

Le format et le contenu du rapport annuel reste le même. L’article 33 du décret d’application décrit les données qui doivent figurer dans ce rapport. On y retrouve sans surprise les données comptables, une analyse de la qualité du service, une annexe comprenant un compte rendu technique et financier. Le rapport ne contient toujours pas l’ensemble des données nécessaires à un véritable contrôle de la part de l’autorité concédante. Par exemple, le compte annuel des résultats d’exploitation (CARE) qui doit être fourni en annexe contient une rubrique intitulée « Contribution des services centraux et recherche » ; cette rubrique correspond aux célèbres « frais de siège » dont le montant n’est pas détaillé ; ils ne sont donc jamais véritablement contrôlés, d’autant qu’il n’y a pas de comptabilité analytique circonscrite au périmètre de la concession et que les vérifications sur pièces par l’autorité concédante sont difficiles à mener. L’institut de gestion déléguée justifie les données manquantes par la nécessité d’assurer au concessionnaire « une autonomie certaine de gestion » et une « maîtrise de ses choix techniques et financiers » ; c’est un argument fallacieux qui sert surtout à couvrir les pratiques habituelles de surfacturation et d’« optimisation fiscale ».

La production annuelle d’un rapport sur le prix et la qualité des services, qui était limitée aux services publics de l’eau et de l’assainissement (article D. 2224-1 du CGCT, modifié par l’article 1 du décret n°2015-1820 du 29 décembre 2015), est étendue à l’ensemble des services publics industriels et commerciaux pouvant faire l’objet d’une concession.

Comme c’était le cas avant la transposition, le RAD et le RPQS doivent être examinés par la commission consultative des services publics locaux (article L.1413-1 du CGCT) et le président de l’intercommunalité (ou le maire) doit présenter le RPQS devant son assemblée délibérante (conseil métropolitain, communautaire ou municipal). Par ailleurs, ces deux rapports « sont mis à la disposition du public […] dans les quinze jours qui suivent leur réception » (article L-1413-13 du CGCT). La transposition accroît la protection du secret industriel et commercial. Par conséquent, il faut s’attendre à davantage de caviardage d’informations considérées comme sensibles dans les copies des RAD fournies aux associations et collectifs d’usagers.

2-5 Le cas particulier des SPL et des SEMOP

Les contrats de concession exercés par une SPL ou une SEMOP sont exclus de la transposition (article 16 de l’ordonnance).

L’autorité concédante qui était uniquement une entité de droit public (commune, intercommunalité, syndicat intercommunal) peut être désormais aussi une entité de droit privé, comme la SPL ou la SEMOP, avec les conséquences suivantes :

  • la SPL peut se transformer en une coquille publique vide dont toutes les activités sont sous-traitées au privé sous la forme de concessions ;
  • l’exécution du contrat de concession dans le cadre d’une SEMOP ainsi que son contrôle relèvent du conflit d’intérêt institutionnalisé ; ce sont des élus de la collectivité locale qui sont en charge du contrôle et qui la représentent en tant qu’actionnaire public dans le conseil d’administration de la SEMOP ; comment peut-on imaginer que ces élus critiquent les comptes de la SEMOP qui auront été préalablement adoptés par le conseil d’administration de la SEMOP où ils figurent au côté de l’actionnaire privé ?

3 - En marche vers une gestion privée des petits et grands cycles de l’eau ?

Il apparaît de plus en plus que le bouleversement de la gestion du petit cycle de l’eau découlant à la fois de la transposition de la directive sur l’attribution de contrats de concession, du transfert de compétence des services de l’eau et de l’assainissement dans le cadre de la loi NOTRE, et de la création de la SEMOP est instrumentalisé par Veolia, Suez et compagnie pour que la gestion privée retrouve, au moins en partie, l’opacité et les profits élevés qu’elle avait il y a plus de dix ans.

Les déclarations et actes récents du gouvernement vont aussi dans le même sens. Lundi 17 octobre, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, déclarait que « le temps du financement intégralement public des projets d’infrastructures était révolu. Non seulement car nous souhaitons nous inscrire dans une trajectoire budgétaire soutenable mais aussi parce que l’intervention d’expertises et de financements privés permet souvent de construire de meilleurs projets ». Le projet de loi de finances pour 2018 réalise un véritable hold-up sur la trésorerie des agences de l’eau : réduction des budgets de 30 %, baisse des effectifs, doublement du prélèvement pour le financement de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), nouveau prélèvement pour l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Les agences de l’eau ne vont plus être en mesure de financer leurs programmes d’actions qui concernent à la fois le petit cycle (aides versées aux collectivités locales pour renouveler les réseaux, lutter contre les fuites, rénover et construire des stations d’épuration…) et le grand cycle de l’eau (reconquête du bon état des eaux superficielles et souterraines, aides pour le transfert de la compétence GEMAPI aux intercommunalités…).

Enfin, et ce n’est pas le moins inquiétant, la révision de la directive-cadre sur l’eau et de plusieurs directives associées (directive eau potable, directive inondations…) qui démarre va reposer essentiellement sur le principe d’une « évaluation quantitative des coûts et bénéfices réels » de ces directives, « y compris les impacts sur les entreprises » privées. Autant dire que la révision risque fort de se traduire par davantage de recours aux investissements et aux technologies du secteur privé (en particulier sous la forme de partenariats public-privé), une marchandisation accrue de l’eau, et une financiarisation des écosystèmes considérés comme des actifs.

4 - Pour en savoir plus

Textes officiels

Directive2014/23/UE sur l’attribution de contrats de concession

Ordonnancen°2016-65 relative aux contrats de concession

Décret d’application n°2016-86 relatif aux contrats de concession

Code Général des Collectivités Territoriales

Sites web des lobbies pour la gestion privée des services publics

EurEau

Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau

Institut de Gestion Déléguée

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