L’Argentine dévisse

mardi 21 février 2017, par Pierre Salama *

L’Argentine dévisse depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, elle est de nouveau en crise. La croissance de son produit intérieur brut (PIB) est négative. Une crise prononcée, une inflation en hausse, une politique économique erronée suivie par la nouvelle présidence pour tenter de sortir du piège de la stagflation, accroissent les inégalités, augmentent la pauvreté, peinent à faire revenir la confiance des investisseurs. Le diagnostic sur l’héritage Kirchner est erroné. Ce n’est pas une contention de la demande interne qui peut résoudre la crise laissée par la présidence Kirchner et réduire l’inflation. Les remèdes mis en œuvre sont inefficaces et aggravent la situation. C’est la thèse développée dans cet article.

Malgré des rebonds, l’Argentine se désindustrialise. Le niveau de la productivité du travail, sa croissance sont très faibles, surtout si on les compare à ceux des pays asiatiques émergents. Pire, la dispersion autour de la moyenne est très prononcée, bien plus que celle observée dans les pays avancés. Il en est également de même des salaires. À qualification équivalente, les salaires versés par les grandes entreprises sont bien plus importants que ceux qu’obtiennent les salariés des petites et moyennes entreprises

L’Argentine se désindustrialise et, en même temps, l’inflation repart à la hausse, elle entre en crise et la hausse des prix passe à une vitesse supérieure. Y a-t-il une relation de cause à effet entre cette désindustrialisation et l’accentuation de la hausse des prix ? Dans l’affirmative, cela signifierait que l’inflation ne vient principalement ni d’un excès de demande de biens et services et/ou d’offre de monnaie, ni d’une méga-dévaluation, encore que celle-ci puisse avoir des effets temporaires (une pointe inflationniste), ni de comportements oligopolistiques, bien que ceux-ci jouent, ni de conflits distributifs, même si ces derniers favorisent l’inertie de l’inflation à un niveau élevé, mais fondamentalement de l’incapacité des gouvernements successifs à promouvoir une politique pro-industrielle à long terme, jouant sur les niches à haute technologie, afin de s’insérer positivement dans la division internationale du travail, à l’égal de ce que firent et font la Corée du sud, Taïwan, etc., et de favoriser ainsi une mutation des comportements des investisseurs qui, de tendance rentière, opteraient pour une attitude schumpétérienne.

I. Un parcours économique régressif, quelques faits saillants

La marginalisation de l’Argentine vient de loin. Alors qu’en 1913, le revenu par tête de l’Argentine correspondait à 65 % de celui du Royaume-Uni, en 1945 il se situait encore à 60 % pour passer en 2001 à 39 %. La comparaison avec le revenu par tête des Espagnols est encore plus éloquente : 393 % en 1913, 290 % en 1945 et 51 % en 2001. Le revenu par tête des Argentins est passé ainsi du quadruple de celui des Espagnols à un peu plus de la moitié.

Autres données, même diagnostic : un déclin prononcé. En 1980, l’Argentine était le seul pays d’Amérique latine présent parmi les 50 premiers pays exportateurs de produits manufacturés. Il occupait la 26e position. En 1985, la Chine se situait en 26e position et l’Argentine, désormais dépassée par le Brésil, occupait le 32e rang. En 2000 elle était au 40e rang, en 2005 au 45e et en 2009 au 37e selon les travaux menés par Gallagher (2010).

Comparer est instructif. Il n’est nul besoin de se référer aux étapes de développement théorisées en son temps par Rostow pour reconnaître qu’il y a des parcours porteurs d’avenir et d’autres qui le sont moins ou pas du tout. Le graphique ci dessous distingue les pays selon, en ordonnées, la valeur ajoutée de l’industrie (densité industrielle) par habitant en dollars et, en abscisses, la part du secteur manufacturier dans le PIB, le croisement de l’ordonnée et de l’abscisse se situant à 3000 dollars et 18 %.

Les pays latino-américains sont caractérisés par une faible densité industrielle et le poids de leur secteur manufacturier dans le PIB est également faible (premier quadrant) ; les tigres asiatiques et la Chine le sont par une densité relativement faible et une part du secteur manufacturier dans le PIB plus importante (second quadrant) ; et les dragons (Corée, Taïwan, Singapour), l’Allemagne (troisième quadrant) se caractérisent à la fois par une densité industrielle élevée et un poids de leur manufacture dans leur PIB également élevé. Dans les pays avancés autres que l’Allemagne (quatrième quadrant), l’augmentation du poids des services s’accompagne de la désindustrialisation, leur densité industrielle baisse ainsi que le poids du secteur manufacturier dans leur PIB. Au cours de l’histoire, le parcours économique de nombre de pays asiatiques a été de passer d’un quadrant à un autre, de gauche à droite et de bas vers le haut, la valeur ajoutée par habitant augmentant à mesure que la densité industrielle croissait, dans les deux premiers quadrants.

Le constat est implacable. Le parcours économique des pays latino-américains ne leur permet pas de s’insérer de manière positive dans la division internationale du travail. L’insertion dans la division internationale du travail portée par une reprimarisation de leurs économies a favorisé une désindustrialisation précoce, une léthargie de la croissance et, quand ce ne sont pas les matières premières qui en seraient la cause, ce sont les transferts de revenus des migrants aux États-Unis qui sont à l’origine de l’appréciation des monnaies nationales sur longue période [1].

Nombre de pays asiatiques ont connu ces quarante dernières années une industrialisation rapide, un taux de croissance élevé, accompagnés d’un taux de change sous-évalué. À l’inverse, les pays latino-américains sont restés quasiment figés dans le quadrant où se trouvent les pays attardés : faible densité industrielle par tête, faible ratio valeur ajoutée de l’industrie sur PIB, accompagnés d’une tendance à long terme à l’appréciation de leurs monnaies, appréciations interrompues par des crises financières fréquentes.

Figure 1 : parcours économiques comparés

Source : Albrieu R et alii (2015), Argentina : una estrategia de desarrollo para el siglo XXI, Éd. Turmalina, p. 54.

La croissance est restée modeste, alors qu’ailleurs elle augmentait. Ainsi, au lieu de prendre le chemin emprunté, favorisant leur industrie, par les tigres puis les champions, les pays latino-américains sont restés… sur place. L’Argentine ne fait pas exception, même si la période post-convertibilité se caractérise par un taux de croissance du PIB relativement élevé entre 2003 et 2008, puis un peu moins élevé qu’indiqué par les statistiques officielles jusqu’à 2013 [2].

Tableau 1 : Taux de croissance du PIB interannuel en %, selon différentes sources

INDEC base 2004
2008 4.1 2.6 4.8
2009 -6 -4.1 -3.3
2010 10.4 8.2 8.3
2011 6.1 4.9 5.8
2012 -1.1 -0.4 -0.7
2013 2.3 3.5 1.1
2014 -2.6 -2.7 -2.8
2015 2.4 2 0.9
2016, 1° tri 0.6 1.1 -1.5
2016, 2° tri -2.8 -3.1 -3.7

Source : Informe de coyuntura economica, GERES, n°13, 2016. Les données de l’INDEC différent de celles fournies sous la présidence Kirchner. Ainsi en est-il surtout pour l’année 2009 pour laquelle l’INDEC donnait une croissance nulle, donnée qu’elle a en 2016 revue à la baisse.

Les principaux pays latino-américains, dont l’Argentine, ont initié ce chemin mais, dès les années 1990 et surtout 2000, ils ont connu une bifurcation : leur PIB augmentait modestement, la part de l’industrie de transformation dans le PIB régressait, si bien que, contrairement aux pays asiatiques, ils n’ont pu passer au second quadrant comme le firent en leur temps la Corée du Sud ou bien Taïwan, pays à population comparable à celle de l’Argentine. Bien au contraire, avec la reprimarisation, ils se sont déplacés de la droite vers la gauche et du bas vers le haut au sein du premier quadrant. L’Argentine ne suit pas le parcours emprunté par les pays asiatiques, elle se spécialise (de nouveau) sur les produits de rente au détriment de son tissu industriel, surtout lors du second gouvernement de Cristina Kirchner. L’industrie perd en importance à un niveau quantitatif et à un niveau qualitatif. On est alors en présence d’une désindustrialisation précoce [3].

Figure 2 : Désindustrialisation dans quelques pays, en % du PIB, en valeur ajoutée, base 100=1965

Source : à partir de World Develoment Indicators, Worl Bank, dans Castillo M et Martins Neto A., 2016, p. 9

Figure 3 : Emploi dans la manufacture

Même source, p. 13

En Corée du Sud et dans de nombreux pays asiatiques, l’essor de l’industrie constitue le moteur d’une croissance élevée et durable et d’un essor de la productivité du travail conséquent. En Argentine, la préférence pour les activités de rente permet pendant un temps une croissance importante, mais hautement vulnérable. Celle-ci est compatible avec un essor de la production industrielle pendant les premières années pour deux raisons : la disparition de la contrainte externe grâce à l’essor des activités de rente particulièrement lucratives jusqu’à 2012, et le maintien d’un taux de change sous-évalué jusqu’à 2008-2010, qui protège l’industrie. La compétitivité pâtit de cet « avantage ». L’importation, même à un coût relativement élevé à cause de la sous-évaluation de la monnaie rogne les marges et il devient préférable d’importer les produits à moyen et haut coefficient technologique plutôt que de les produire, et ce d’autant plus que le tissu industriel avait énormément souffert de l’hyperinflation et de l’insuffisance d’investissement dans les années 1980, mais aussi de la politique de libéralisation des échanges des années 1990 et du décrochage de l’Argentine en termes d’efforts en recherche-développement relativement au PB (entre 0,5 % et 0,7 % contre 4,5 % en Corée du Sud). Comme on peut le voir dans la figure ci-dessous, l’Argentine reste confinée dans le quadrant caractérisé par des exportations de moyenne et haute technologie (en % du total des exportations) et peu innovantes.

Figure 4 : Trajectoires de l’Argentine, du Mexique et du Brésil, 1965 et 2012

Source : Banque mondiale, COMTRADE, USPTO, UNESCO et OCDE, in Schteingart D. et Coatz D, 2015, 49-79, p. 66

En résumé, si la croissance a pu être plus élevée dans les années 2000, tout en restant loin des scores asiatiques, c’est parce que la contrainte externe a été mise entre parenthèses par l’essor des matières premières, ce dernier poussant les pays vers l’avant mais le rendant plus vulnérables en participant, via l’appréciation de la monnaie nationale, à la destruction de pans entiers de l’industrie nationale. Plus vulnérables, parce qu’une fois la courbe haussière des matières premières inversée, le tissu industriel, affaibli, a moins de capacités à profiter de dépréciation de la monnaie nationale, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’en a plus, mais que celles-ci sont réduites. Cependant, la protection qu’offre une dévaluation de la monnaie nationale n’est que de courte durée, car le tissu industriel est de moins en moins performant, les biens d’équipement vieillissent faute d’investissements passés suffisants, et les secteurs de moyenne et haute technologie ont de plus en plus de mal à résister à la concurrence internationale, la disparition de la contrainte externe rendant possibles ces importations comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous. Les déficits concernent principalement les biens de moyenne et haute technologie. Les fuites de capitaux amputent alors les réserves. La réaction du le gouvernement a été de multiplier les obstacles administratifs pour importer, acheter des devises. Comme un mauvais joueur d’échecs, le gouvernement réagit sans anticiper les modalités de contournement de l’« adversaire » et multiplie, empile, les mesures administratives au coup par coup à mesure que l’efficacité de sa politique chute.

La désindustrialisation de quantitative devient alors qualitative. Le tissu industriel est de plus en plus orienté vers la production de biens à faible contenu technologique et faible qualité.

Tableau 2 : Solde de la balance commerciale de produits industriels selon le contenu technologique en milliards de dollars

Haut
2001 -3.162 -4.183 693 5.588 -1.063
2002 -718 -214 2.731 8.020 9.759
2003 -1.480 -2.813 2.634 9.887 8.228
2004 -3.554 -5.629 2.329 11.000 4.146
2005 -4.604 -7.124 2.219 11.802 2.293
2006 -5.315 -8.406 2.473 14.041 2.792
2007 -6.404 -12.024 -897 17.137 -393
2008 -6.998 -14.973 -922 21.128 -1.765
2009 -5.751 -7.028 301 19.198 6.720
2010 -8.008 -13.455 -1.411 19.905 -2.969
2011 -9.048 -17.271 -5.049 24.487 -6.887
2012 -8.557 -15.516 -3.130 23.512 -3.690
2013 -8.650 -19.012 -5.417 23.932 -9.147
2014 -8.409 -15.109 -6.252 24.684 -5.086

Source : Martín Schorr y Andrés Wainer, 2015, , p.8, en légèrement ombré, les années de crise.

Toutes les branches sont affectées, celles qui produisent des biens de moyenne et haute technologie le sont davantage, comme on peut le voir dans le déficit de la balance commerciale des biens industriels par niveaux technologiques (tableau ci-dessus). Le tissu industriel est de plus en plus orienté vers la production de biens à faible contenu technologique et faible qualité, ceux qui précisément sont menacés par la concurrence asiatique. À quelques exceptions notables, les équipements sont en moyenne assez âgés, voire dans certains cas obsolètes, ce qui pèse sur la productivité du travail, y compris dans les grandes entreprises.

Les petites et moyennes entreprises (PYME), 96,7 % de l’ensemble des entreprises, représentant 48,7 % de l’emploi formel, 40 % du PIB, 6,5 % des exportations sont particulièrement affectées par la perte de compétivité, l’âge moyen de leurs biens d’équipement est parfois considérable comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous :

Tableau 3 : Brèche technologique perçue par les entreprises argentines PYMES par rapport aux entreprises leaders dans le secteur et dans le monde, puis âge moyen des biens d’équipement, panel de 100 entreprises, 2016

Brèche de 0 à 1
Bois et meubles 0.56 7.29
Minerais non métalliques 0.54 5.22
Textile et habillement 0.53 7
Produits chimiques 0.50 5.40
Papier, carton, édition 0.45 6.37
Moyenne 0.44 8.70
Matériel de transport 0.43 10.20
Produits electromécanique et informatique 0.42 7.13
Aliments et boissons 0.42 8.77
Caoutchouc et plastique 0.33 7.83
Produits métalliques, machines et équipements 0.33 15.44
Chaussures et maroquinerie 0.33 12.50

Source : Giarrizzo V. et Montano F. : El stock de capital en la industria pyme : condiciones para modernizar la maquineria y el equipo de producción, CIPPEC, document n°172, 1-14, 2016, pages 5 et 3

L’enquête menée auprès des petites et moyennes entreprises (PYME) est révélatrice de comportements peu schumpétériens (Giarrizzo V. et Montano F., 2016). Selon les auteurs, la moyenne d’âge des équipements utilisés par les PYME est de 8,7 ans, 66,4 % des entreprises utilisent de machines soit obsolètes, soit très obsolètes, amorties depuis longtemps, ces entreprises ayant « une attitude passive face à la modernisation technologique » selon les auteurs. La capacité d’utiliser les technologies de l’information et de la communication est particulièrement faible : l’Argentine se situe au 91e rang mondial et au 14e si on considère l’Amérique latine en 2015. L’écart par rapport aux entreprises leaders dans le monde est particulièrement important comme on peut l’observer dans le tableau ci-dessus.

Il est dès lors logique que les excédents procurés par les exportations de produits de rente parviennent de moins en moins à compenser les importations nettes de produits industriels de moyenne et haute technologie. Le commerce avec la Chine est largement déficitaire. L’Argentine exporte des produits de rente, principalement le soja sous différentes formes (graines, tourteaux, huile) et importe des biens manufacturés. Le déficit commercial avec la Chine grandit à mesure que son tissu industriel s’avère de plus en plus incapable de répondre dans des conditions de rentabilité suffisante aux demandes de produits industriels. Il devient considérable comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous. L’Argentine est certes moins déficitaire que ne l’est le Mexique dans son commerce avec la Chine (pour un dollar vendu, dix sont importés) – il est vrai que le Mexique, à défaut de matières premières, vend peu à la Chine – mais il est bien plus important que celui du Brésil. Encore légèrement positif en 2007 (77 millions de dollars), le solde commercial avec la Chine devient de plus en plus négatif : - 4,832 milliards de dollars, - 6,318 en 2014 milliards de dollars respectivement en 2012 et 2014 (source ABCEB à partir de l’INDEC).

II. L’histoire peut-elle se répéter ? Le paradoxe d’une inflation en hausse alors qu’elle « devrait » baisser

La libéralisation des marchés au début des années 1990, la maxi-dévaluation alignant le taux de change officiel sur le taux parallèle, la convertibilité pleine et entière, y compris pour les transactions internes entre le peso et le dollar sans coût de transaction, ont cassé l’hyperinflation des années 1980, et, en quelques mois celle-ci est revenue à un taux annuel d’un chiffre. Peut être est-ce schéma que le président Macri avait en tête, dès sa prise de fonction en décembre 2015, lorsque, dévaluant la monnaie, l’alignant sur le taux parallèle (voir graphique ci-dessous), libéralisant les mouvements de capitaux, supprimant les subventions massives à l’énergie, licenciant de nombreux fonctionnaires, il pensait que rapidement l’inflation diminuerait de manière significative [4], les capitaux entreraient en Argentine, la reprise économique viendrait. La situation est différente de celle de la fin des années 1980 : 1/ le commerce international ralentit ; 2/ la chute du cours de matières premières pèse sur les échanges avec la Chine et les exportations des produits de rente parviennent de moins en moins à combler le solde négatif de la balance commerciale des produits industriels ; 3/ le Brésil en 2015 et 2016 est en profonde crise, ce qui affecte le commerce de l’Argentine avec ce dernier ; enfin et comme nous l’avons vu, 4/ le tissu industriel ne s’est guère modernisé dans les années 2000, limitant ainsi les capacités de réponse de l’industrie à une réduction de ses prix à l’exportation suite à une dévaluation [5].

Source : informe de coyuntura GERES, op. cit, p. 33

Une politique d’austérité a, en général, des effets récessifs et un coût social plus ou moins important selon l’ampleur des mesures prises et l’existence ou non d’amortisseurs sociaux. À terme, elle peut conduire à un assainissement de l’activité économique et à un rétablissement des marges des entreprises permettant une reprise. Ce terme peut être plus ou moins long selon à la fois : 1/ l’ampleur de la crise, 2/ la nature des causes qui l’ont provoquée, 3/ la pertinence des mesures prises, 4/ le déficit de légitimité que de telles mesures peuvent entraîner, avec pour conséquence, le plus souvent, un déficit de rationalité du gouvernement, avançant et reculant à la fois. D’une crise n’émerge donc pas nécessairement un assainissement. La récession n’est pas toujours « un bain de jouvence » Autrement dit, si une crise est une opportunité à terme pour les entreprises et les investisseurs, elle peut aussi être une opportunité perdue pour le capital dans son ensemble avec un coût social croissant.

Le choix entre des mesures brutales, rapides, de type big bang, et des mesures gradualistes détermine le type d’austérité. Avec des mesures prises simultanément et rapidement – le big bang – l’effet récessif est plus élevé, selon certains économistes, qu’avec le gradualisme, mais la reprise est plus rapide et plus forte. Pour d’autres économistes, comme McKinon, elle est éminemment dangereuse. Utilisant une métaphore, ce dernier précise même que la libéralisation brutale de l’ensemble des marchés « c’est comme marcher sur un terrain miné, on ne sait jamais si le prochain pas sera le dernier ». Eichengreen, quant à lui, écrit : « l’Histoire est pleine de cadavres des pays qui ont libéralisé les marchés financiers et ouvert trop vite le compte capital de la balance des paiements… ». Cependant, bien que qualifiant la politique suivie par le gouvernement Macri de big bang, Eichengreen considère que la reprise peut être d’autant plus rapide que la crise, suite à ces mesures, aura été forte. Pour autant la crise perdure et s’approfondit et le diagnostic d’Eichengreen s’est avéré erroné.

La production industrielle chute de 7,9 % selon l’INDEC, de 7,4 % selon la FIEL (informe de coyuntura, GERES, op. cit, p. 10) en juillet 2016 par rapport à juillet 2015. Que le taux d’inflation augmente dans l’immédiat n’est pas surprenant, qu’il se maintienne à un niveau élevé, qu’il augmente est davantage surprenant (voir graphique ci-dessous). La dévaluation génère une hausse des prix importante, 4,7 % en décembre 2015. Celle-ci fléchit légèrement puis connaît un rebond important. Annualisée, l’inflation passe de 25 % en novembre 2015 à 46 % en juin 2016. Crise économique, accélération de l’inflation, hausse importante du chômage (voir tableaux ci-dessous), peu d’investissements étrangers alors qu’on en espérait beaucoup, développement de la précarité des emplois, baisse des revenus provoquent une augmentation de la pauvreté. Selon les enquêtes menées par l’UCA, proche du gouvernement, le pourcentage de pauvres est ainsi passé de 29 % en décembre 2015 à 34,5 % en avril 2016. Le risque est grand que ce pourcentage augmente, triste ironie pour un gouvernement qui avait promis d’éradiquer totalement la pauvreté en quatre ans.

Aussi, force est de constater que le pronostic du gouvernement Macri ne s’est pas réalisé au bout de dix mois d’exercice du pouvoir. Décidemment, l’Histoire ne se répète pas à l’identique, et, pour paraphraser, elle se répète en tragédies avec sa cohorte de nouveaux pauvres, d’appauvris, de distribution des revenus de plus en inégale.

Tableau : Taux d’inflation, juin et décembre, 2012 – 2015, puis de janvier 2016 à Juin 2016 mois par mois, accumulé sur 12 mois

Déc 2012Juin 2012Déc 2013Juin 2014Déc 2014 Juin 2015Déc 2015Janv 2016Fev 2016Mars 2016Avril 2016Mai 2016Juin 2016
23% 23% 29% 41% 39% 26% 29% 32% 35% 37% 41% 44% 46%

Source : GERES (op.cit) calculs à partir des données de DPE San Luis y ciudad de Buenos Aires et de sociétés de consulting privées, rappelons qu’en janvier 2014 et en décembre 2015 eurent lieu deux méga-dévaluations.

Tableau : emploi, chômage, sous-emploi, à partir de EPH-INDEC, 31 agglomérations

Taux d’activité
I.14 45 7.10 5.50 2.60
II.14 44.80 7.50 6.80 2.60
III.14 44.70 7.50 6.30 2.90
I.15 45 ?20 6.90 6.10 3.00
II.15 44.60 7.10 7.60 2.50
III.15 44.50 6.60 6.30 2.80
II.16 44.80 5.90 5.90 2.70
II.16 46 9.30 7.70 3.50

Source : CESO, informe economico mensual, sept. 2016

Est-ce à cause de la hausse des salaires dépassant celle de la productivité que l’inflation perdure à un niveau élevé ? La hausse des salaires réels n’a pas été aussi importante qu’annoncée par la précédente présidence. Elle a cependant dépassé celle de la productivité du travail [6], particulièrement modeste il est vrai (tableau ci-dessous). Elle croît peu dans l’ensemble, elle est encore moins le résultat d’une transformation structurelle du paysage industriel, c’est-à-dire d’une transformation dans la composition de la production en faveur des branches et des entreprises plus productives, l’effet structurel étant particulièrement faible. Alors que la productivité moyenne augmentait au taux annuel de 1,59 %, en Chine durant la même période, elle augmente de 10 % par an dont 7,62 points dus à une amélioration de la productivité au sein des branches, et 2,37 points dus à une transformation structurelle, et en Corée du Sud, de 3,21 %, avec 3,81 points et -0,61 point respectivement. De ce point de vue, l’Argentine, ainsi que de nombreux pays latino-américains d’ailleurs, manque le tournant productif que prennent les économies asiatiques.

Taux de croissance de la productivité du travail
1950 – 1975 1.47 1.42 0.04
1975 – 1990 - 1.76 - 1.37 - 0.38
1990 – 2011 2.12 2.68 -0.56
2000 – 2011 1.59 1.73 -0.14

Source : Castillo, p. 21

Est-ce à cause de la crise, latente, puis précipitée par la politique du gouvernement depuis décembre 2015 ? La croissance de la productivité est médiocre, largement en deçà de ce qu’on peut observer dans les pays émergents latino-américains. Avec un taux de croissance des salaires réels supérieur à la croissance de la productivité et un taux d’appréciation réelle de la monnaie nationale, il est logique que, dans l’ensemble, d’un point de vue macro-économique, l’Argentine perde en compétitivité, d’autant plus que les investissements en infrastructures (transports, énergie) et dans la recherche sont également très insuffisants, malgré un certain effort dans les années Kirchner dans l’éducation. Il faut aller au-delà de l’approche macro-économique et affiner l’analyse. Deux pays peuvent avoir une croissance de la productivité semblable, un coût unitaire du travail (combinaison de la productivité, des salaires et du taux de change) équivalent et l’un avoir des excédents commerciaux considérables (par exemple l’Allemagne) et l’autre un déficit commercial non négligeable (par exemple la France). Au-delà donc des moyennes, il faut analyser la dispersion de la compétitivité selon les secteurs, la capacité de monter en gamme et de produire des produits nouveaux de haute qualité pour lesquels l’élasticité de la demande étrangère par rapport aux prix joue moins que celle par rapport aux revenus.

Ce n’est pas le cas de l’Argentine. Sa compétitivité passe par l’élasticité-prix pour ce qui concerne les produits manufacturiers d’origine industrielle (MOI) et d’origine agricole (MOA). Elle participe peu à l’éclatement international de la chaîne de valeur, à l’exception notable du secteur automobile, elle produit enfin des biens de moins en moins sophistiqués en technologie et importe de plus en plus des biens sophistiqués. Le tissu industriel des PYME est particulièrement ancien, voire obsolète. C‘est moins le cas des grandes entreprises probablement. C’est ce qui explique à la fois la désindustrialisation dans la production de biens peu sophistiqués et les importations substitutives de la production locale, et l’incapacité de produire des biens sophistiqués à la hauteur de la demande, d’où le déficit commercial croissant que nous avons noté.

Non seulement la croissance de la productivité du travail est faible depuis plusieurs décennies, mais son niveau est également en deçà de ce qu’il faudrait pour que l’industrie puisse dans son ensemble être compétitive. La dispersion de la productivité est très élevée, plus élevée que dans les pays avancés. Dans l’industrie de transformation, les niveaux de productivité sont très différents. Il en est de même en ce qui concerne leurs évolutions respectives, mais raisonner en moyenne n’a pas grand sens. L’OCDE et la Cepal (2013) ont montré il y a quelques années que la dispersion autour de la moyenne, tant de la productivité que des salaires, était beaucoup plus élevée dans les économies émergentes latino-américaines qu’aux États-Unis. Lorsqu’on décompose les entreprises selon leur taille en quatre groupes (grandes, moyennes, petites et très petites) et qu’on compare leur productivité moyenne aux groupes correspondants aux États-Unis, indicés 100 pour chacun d’entre eux, on constate que la brèche de productivité n’est pas très importante dans le groupe des grandes (on pourrait ajouter que la productivité des transnationales est plus élevée en général que celle des entreprises nationales, sauf exception), mais qu’elle croît de plus en plus fortement à mesure que l’on passe du groupe de moyennes à celui des petites et enfin des très petites (où est concentré l’emploi informel). On obtient des résultats comparables pour ce qui concerne les revenus du travail, la dispersion y est très importante.

En Argentine, cette dispersion l’est encore davantage, l’obsolescence des équipements dans les PYME étant particulièrement importante (Giarrizzo V. et Montano F., op. cit). La crise accroît également cette dispersion : tous les secteurs ne souffrent pas de la même manière. L’exemple de l’industrie est emblématique. La chute de la demande, tant interne qu’externe, suite aux crises conjuguées en Argentine et au Brésil, alourdit considérablement les coûts unitaires de production, à cause de l’augmentation des capacités de production oisives. Celle-ci a un impact négatif sur la productivité du travail. Selon IDELAS-UCES (2016, n°85), la productivité du travail, combinée aux salaires réels dans cette branche (salaires nominaux déflatés par les prix de gros dans la manufacture) passe de l’indice 100 en 1997 à l’indice179,8 en 2011 et enfin à l’indice 151,8 en 2015. Il en est de même pour la branche machines et équipements : 100 en 1997, 160,6 en 2011 et 108 en 2015. L’indice pour l’ensemble de l’industrie s’établit à 194,4 en 2015. Il y a donc quelques branches comme la production de bois, à l’exception des meubles (indice 212 en 2015), papiers et dérivés (indice 289,3 en 2015), instruments médicaux et de précision (245 en 2015) qui ne connaissent pas de baisses prononcées du fait de la crise.

Selon les analyses de Coatz, Dragun et Sarabia (2014), la politique de marges par unité produite est contra-cyclique en Argentine. Elles augmentent en période de contraction de la demande et de crise, elles tendent à baisser en période de croissance (p. 56). On peut dès lors considérer que la crise accroît le taux d’inflation, surtout dans les branches les plus affectées par la chute de la demande.

Le diagnostic sur la nature de la crise effectué par le gouvernement Macri est erroné. Certes, une dévaluation était nécessaire, compte tenu de la forte appréciation de la monnaie, mais, au lieu de précipiter une crise latente par des mesures d’austérité, il eût mieux valu soutenir la demande, ne pas laisser l’inflation amputer le pouvoir d’achat, par une réforme fiscale, par des incitations à comprimer les marges. Une partie plus ou moins importante de cette demande se serait davantage orientée vers la production nationale plutôt que vers des importations, celles-ci devenant plus chères du fait de la dévaluation. Davantage protégées, les entreprises auraient moins souffert de capacités de production oisives et leur politique de marge auraient moins besoin d’être contra-cyclique. Maintenir la demande aurait évité de précipiter la crise. Mais est-ce possible ?

Le scénario de la baisse des salaires réels n’est pas inéluctable. Le maintien des salaires réels en monnaie locale est possible. Les économies ne sont pas totalement ouvertes. Le niveau général des prix est composé des prix des biens exposés (tradable) et d’autres qui ne le sont pas. Certes, l’ensemble de ces biens utilise de manière plus ou moins importante des biens importés dont le prix augmente avec la dévaluation, mais, pour autant, la hausse de leurs prix n’est pas équivalente à celle de la dévaluation, sauf à considérer que l’ensemble de ses inputs est importé. On peut donc concevoir que la hausse des prix consécutive à une dévaluation soit inférieure à la hausse du cours de la monnaie nationale en dollars. Les biens exposés devenant plus compétitifs (le salaire en dollars baisse), le salaire nominal en monnaie locale peut alors s’accroitre sans que cela érode totalement l’accroissement de compétitivité, et le salaire réel peut alors rester stable.

Choisir de comprimer la demande des ménages, c’est opter pour une stratégie coûteuse en termes sociaux, inefficace en ce qu’elle alimente l’inflation. Au lieu de baisser, l’inflation a augmenté. Contrairement à la doxa, le soutien à la demande aurait permis de diminuer le taux d’inflation. C’est ce qui ne fut pas fait, favorisant ainsi la poursuite de la marginalisation de l’Argentine. C’est donc l’inverse qu’il faut faire : rattraper le pouvoir d’achat, favoriser l’essor de la demande interne en la protégeant de manière sélective et temporaire. Ne pas le faire, c’est courir le risque que la demande accrue se dirige vers des importations supplémentaires au lieu de favoriser un début de réindustrialisation, compte tenu de la faiblesse du tissu industriel argentin. C’est le marché interne aujourd’hui qui peut être source de dynamisme retrouvé, à l’heure où se développe le protectionnisme un peu partout dans le monde et au premier chef aux États-Unis, lors même que la demande extérieure est atone en raison de la plus faible croissance mondiale, de la chute du cours des matières premières, d’une relocalisation partielle d’activités industrielles dans les pays avancés.

Le président Macri est pris à contrepied : il a cru qu’il pouvait « imiter » la politique de Menem, casser les processus inflationniste et favoriser la reprise de la croissance, il a provoqué à la fois une accélération de la hausse des prix et une chute du PIB, une augmentation du chômage, une aggravation de la pauvreté, une baisse drastique des revenus de la grande majorité de la population, un alourdissement de la dette externe. Il se trompe d’époque : favorable au libéralisme sur l’ensemble des marchés il a à faire face à des politiques économiques « mixtes » voulues par le nouveau président des États-Unis : interventionnistes dans le domaine extérieur (protectionnisme déclaré) mais aussi intérieur (politique de grands travaux prévue), libérales sur le marché du travail, le marché financier.

À la différence d’autres pays latino-américains, les mobilisations sociales restent importantes en Argentine et, même si elles courent le risque d’être dévoyées par un péronisme renaissant par les luttes, elles sont la chance de l’Argentine de s’opposer aux politiques antisociales mises en œuvre depuis l’arrivée à la présidence de Macri.

« Etre réaliste, c’est demander l’impossible », vivre sans imagination c’est répéter et aggraver les erreurs passées. Émerger de la désindustrialisation, surmonter la marginalisation, opter pour le marché intérieur tout en menant une politique de modernisation de l’appareil industriel exigent qu’on passe par un trou de souris et que soient surmontés beaucoup d’obstacles. Ne pas le faire, c’est en quelque sorte accepter que la marginalisation de l’Argentine se traduise par une aggravation des conditions de vie de la grande majorité des Argentins. Depuis des décennies, l’Argentine dévisse et, avec elle, les conditions de vie de la plupart des Argentins. Aujourd’hui, elle est à un « turning point ».

Le chemin est étroit, nombre d’auteurs considèrent déjà qu’il sera impossible d’emprunter ce trou de souris, oubliant que certains pays comme la Corée du Sud, Israël, etc., malgré leur faible population, ont pu le faire, que « le pessimisme de la raison c’est l’optimisme du cœur » (Valéry) et, dans sa version gramscienne, de la « volonté ».

Bibliographie citée

(Sauf institutions éditant des rapports de conjoncture cités dans le texte.)

  • Albrieu R et alii (2015) : Argentina : una estrategia de desarrollo para el siglo XXI, edition Turmalina.
  • Castillo M et Martins Neto A (2016) : « Premature deindustrialization in Latin America », Cepal, série Production development, n°205, 1-23.
  • Coatz, D., Dragun P. et Sarabia M.(2014) : « La rentabilidad en la industria argentina a 12 anos de la crisis de convertibilidad : mitos y realidad, costos y precios en la industria manufacturera argentina », Boletin informativo Techint, N°343, 45-63.
  • Fiorito A, Guaita N. et Guaita S. ( 2013) : « El mito del crescimiento economico dirigido por el tipo de cambio competitivo », Circus, revista argentina de economia, n°5, 81-105.
  • Giarrizzo V. et Montano F. (2016) : “El stock de capital en la industria pyme : condiciones para modernizar la maquineria y el equipo de producción”, CIPPEC, document n°172, 1-14.
  • Gallagher P. (2010) : « China and the future of Latin American Industrialization », Policy Brief n°18, The Frederick S. Pardee Center.
  • Oecd-Eclac, (2013) : Latin American Outlook.
  • Salama P. (2012) : Les économies émergentes latino-américaines, entre cigales et fourmis, Armand Colin, collection U, publié en espagnol (2016) accompagné d’une longue préface : Tormenta en America latina, ed Colegio de la frontera norte, Biblioteca de Jalisco
  • Salama P. (2014) : Des économies toujours émergentes ? La Documentation française.
  • Schorr M. et Wainer A.(2015)  : Argentina en la posconvertibilidad : de la holgura a la restricción externa. Una aproximación en clave estructural, mimeo, 1-20.
  • Schteingart D. et Coatz D.(2015) : « Que modelo de desarrollo para la Argentina ? » in Boletin informativo TECHINT, n°349, 49-79.

Notes

[1La littérature sur ce sujet est devenue importante. Voir Salama P. (2012) …où on trouvera une abondante bibliographie.

[2Depuis 2007-2008 les données statistiques sont contestables, l’INDEC ayant modifié son mode de calcul de l’inflation avec pour objectif de la sous-évaluer… L’écart ne cesse de grandir entre le taux d’inflation officiel et ceux calculés par différentes institutions. Lorsque la hausse des prix croît à des vitesses différentes selon les données officielles et officieuses, il y a un effet sur le taux de croissance réel du PIB. Celui-ci est moins élevé que celui mesuré par l’INDEC lorsque l’écart des prix officiels et officieux s’accentue (et inversement).

[3Désindustrialisation précoce : on dit que la désindustrialisation d’un pays émergent est précoce par rapport à la désindustrialisation affectant certains pays avancés lorsque le revenu par tête au début de ce processus correspond à la moitié de celui des pays avancés au moment où débute leur désindustrialisation. La désindustrialisation affecte les emplois industriels, ceux-ci baissent relativement aux autres emplois, mais ils peuvent aussi baisser de manière absolue. On peut mesurer la désindustrialisation à partir de plusieurs indicateurs : l’évolution de la part de l’industrie (en valeur ajoutée) dans le PIB, l’évolution du poids de l’industrie dans l’industrie mondiale, la part des exportations manufacturières dans les exportations manufacturières. Mais on peut aussi utiliser des indicateurs d’emplois. Pour ne pas qu’il y ait d’ambiguïté, l’industrie concernée est l’industrie de transformation.

[4En période d’hyperinflation, l’écart entre taux de change officielle et taux de change parallèle est un indicateur de l’importance de la défiance vis-à-vis de la politique du gouvernement. Comme le système des prix relatifs tend à devenir incohérent (tous les prix n’augmentent pas en même temps et d’un même pourcentage), les agents économiques cherchent à redonner de la cohérence à leurs prix en les indexant sur le taux de change parallèle, seul taux faible à leurs yeux. Plus le taux de change parallèle se déprécie, plus les prix augmentent. La monnaie perd ainsi une de ses fonctions, celle d’unité de compte dans la mesure où les prix sont fixés par rapport au dollar parallèle, on dit alors que la dollarisation est passive, ou encore de facto. Le taux de change parallèle acquiert donc un rôle central dans la détermination du taux d’inflation et en retour lorsque ce dernier augmente, la crédibilité vis-à-vis de la politique du gouvernement baisse et l’écart entre les deux taux augmente, relançant encore davantage l’inflation. Aussi une méga-dévaluation alignant le taux officiel sur le taux parallèle, accompagnée d’une politique de libéralisation surtout vis-à-vis du marché des capitaux, peut être de nature à enrayer la dépréciation de la monnaie et donc à réduire rapidement le taux d’inflation, comme ce fut le cas sous la présidence Menem au début des années 1990. Bien qu’attendu, ce n’est pas le résultat obtenu avec le gouvernement Macri, l’inflation après avoir augmenté, a baissé puis, à nouveau la croissance de la hausse des prix s’est accélérée, traduisant ainsi l’existence de problèmes d’ordre structurels non résolus..

[5Ce dernier point est souligné par Fiorito A, Guaita N. et Guaita S, 2013. Nous ne partageons pas totalement ce diagnostic. Une dévaluation ne conduit pas dans l’immédiat à une reprise des exportations et à une réduction des importations (courbe en J). Cette phase, plus ou moins longue de non reprise, dépend de l’état du tissu industriel et donc de son élasticité prix de l’offre, de l’ampleur de la dévaluation, des élasticités de la demande étrangère par rapport aux prix. Dans le cas argentin, la détérioration du tissu industriel et la crise du Brésil font que cette phase peut être relativement longue, probablement plus longue qu’au Brésil. L’appareil industriel même affaibli par la désindustrialisation est plus performant qu’en Argentine. Notons qu’au Brésil, la dépréciation de la monnaie nationale suite à la crise de 2015-2016 n’a pas provoqué une reprise des exportations pendant plusieurs mois, la balance commerciale de produits industriels a connu une réduction de son déficit grâce à la baisse des importations, ce n’est qu’ensuite que les exportations ont connu un essor.

[6Qu’on ne se méprenne pas : ce n’est pas la hausse des salaires qui est à l’origine du manque de productivité. La hausse des salaires est nécessaire compte tenu des très fortes inégalités de revenu. Mais elle doit s’accompagner d’une politique de change adéquate, d’une politique industrielle qui ne pèche pas par clientélisme, voire la corruption, ce qui n’est pas évident. L’appréciation du taux de change, la faiblesse des efforts en termes de recherche, l’absence de politique ciblée jouent négativement sur la compétitivité et la rentabilité des entreprises industrielles en moyenne (avec toutefois une forte dispersion).

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