Travail et non-travail dans l’Union européenne

Les protestations en France sont importantes pour une relance démocratique
mardi 11 octobre 2016, par Werner Rügemer

Nuit Debout, Bourse de Travail, Paris 30 juin 2016

Je remercie Nuit Debout-République d’avoir organisé cette conférence. J’espère qu’une coopération continue en résultera.

D’abord une remarque générale : l’Union européenne n’est pas seulement une affaire européenne. L’UE est gouvernée et co-gouvernée par exemple par le pacte militaire OTAN dominé des États Unis, par le Fonds monétaire international, membre de la “Troika”, par des services secrets et digitaux américains, par des grands propriétaires et investisseurs surtout anglo-américains dans des entreprises importantes en Europe, par les trois grands agences de notation et autres acteurs.

Les « réformes » du travail en Allemagne fédérale

En Allemagne, le gouvernement, sous le chancelier Gerhard Schröder, a installé en 2000 l’Agenda 2010 : l’Allemagne devrait être « réformée », transformée en un territoire « plus compétitif », « plus concurrentiel ».

Cette réforme faisait partie de la « Stratégie de Lisbonne » de l’UE décidée en 2000. L’UE devrait devenir « l’espace économique le plus compétitif du monde ». Le gouvernement allemand en était le pionnier pour l’Allemagne et l’UE.

La réforme contenait les éléments classiques néolibéraux :

  • abaisser les taxes pour les entreprises privées et les riches ;
  • réduire les dépenses de l’État ;
  • donner plus de libertés aux acteurs financiers et aux entreprises privées : ladite « dérégulation » ou « dé-bureaucratisation » ;
  • réformer les lois du travail : le parlement vota quatre lois (« Hartz-Gesetze ») : le travail intérimaire prolongé ; différentes formes d’activités en temps partiel, nommées aussi jobs mini et midi ; les paiements restrictifs pour les chômeurs comprenant aussi des sanctions financières et du travail obligatoire ; finalement, l’office du travail a été transformé en une agence sur le modèle privé et avec la présence permanente de conseillers privés.

Ces lois sont présentées avec des notions enjolivantes : les détériorations sont nommées « réformes« pour évoquer de manière démagogique les réformes réelles des années 1970 sous le chancelier social-démocrate Willy Brandt ; emploi et travail sont remplacés par « job », les chômeurs sont nommés « clients » (Kunde) et ils ne vont plus à l’Office de travail mais au « job-center ». La statistique des chômeurs et du nombre de jobs sont manipulés : par exemple, les malades et les sanctionnés qui n’ont toujours pas de travail ne sont plus comptés comme chômeurs. Les chômeurs constituent la source d’une grande partie des jobs intérimaires, mal payés et à court terme.

Activités du secteur privé

En même temps, les propriétaires des entreprises ont pris de nouvelles libertés ; ils quittent leurs fédérations et préfèrent les conventions sur les conditions de travail dans les entreprises ; ils répartissent les entreprises en des douzaines et des centaines de petites entreprises ; ils engagent de nombreux sous- traitants ou ils les créent eux-mêmes ; ils préfèrent des conventions avec des petits syndicats qui s’appellent chrétiens ou des petits syndicats « jaunes » ; ils installent des représentations des employés en excluant les syndicats.

Entre-temps, avocats spécialisés en droit de travail et de médias, détectives, agences de publicité et de surveillance constituent une branche de services professionnels. Les chefs d’entreprises s’en servent pour lutter contre les syndicats et les ouvriers les plus actifs. Cette branche est nommée d’après le modèle américain « union busting », qui veut dire « détruire les syndicats ». Appartiennent à cette branche aussi des instituts universitaires qui sont en réalité payés par des entreprises ou des fédérations patronales. Ces instituts préparent et propagent des changements des lois du travail et organisent des entraînements pour des managers.

Les influences des acteurs internationaux

Lesdites « réformes » n’étaient pas seulement une idée allemande. Pendant la phase préparatoire, le chancelier allemand était invité par les banquiers de Wall Street. Son conseiller et ami personnel était Sandy Weil, le chef de Citibank.

Dans la commission qui préparait les changements des lois du travail (« Hartz-Kommission ») étaient nommés les conseillers McKinsey, les entreprises qui étaient le plus intensément liées au marché américain, Deutsche Bank et Daimler Chrysler. La fondation du holding multimédia Bertelsmann agissait comme conseiller externe. Les entreprises des secteurs automobiles, finances, pharma, médias et autres profitent dans leurs filiales américaines aussi des standards de travail inférieurs qui sont les plus bas dans le capitalisme dit développé. Les investisseurs américains comme allemands voulaient avoir les standards américains aussi en Allemagne.

L’ex-chef de Deutsche Bank, Hilmar Kopper, était nommé mandataire spécial du chancelier pour la quête d’investisseurs surtout aux États-Unis, qui, ensuite, achetaient des entreprises en Allemagne ou en devenaient les copropriétaires actifs.

Pour la « réforme« de l’Office du travail en une agence « moderne« , le gouvernement social-démocrate et vert mandatait les conseillers Bearing Point, Accenture et McKinsey.

Entre-temps, la plupart de la propriété des grandes entreprises en Allemagne (DAX 30) et beaucoup d’autres sont passées entre les mains d’Anglo-Américains.

Conséquences en Allemagne et en Europe

L’Allemagne est devenue, au sein de l’UE, le plus grand territoire de travail précaire et de bas salaires. Des centaines de milliers d’employés doivent être supportés par des aides publiques. Un nombre croissant de retraités doivent travailler parce que leurs pensions sont trop basses. Des millions d’employés travaillent 45 heures par semaine ou beaucoup plus, pendant que plusieurs autres millions sont forcés à travailler à temps partiel. La valeur des heures supplémentaires non payées par an est au moins de 40 milliards d’euros – et ce sont seulement les heures supplémentaires documentées.

Les chômeurs sont soumis à du chantage et en même temps ils sont instrumentalisés pour faire chanter ceux qui ont un job. Les employés des jobs-centers eux-mêmes sont débordés par la bureaucratie. Ils se démoralisent ou deviennent cyniques.

La pauvreté est en marche. En Allemagne, environ un millier de tables caritatives distribuent tous les jours des produits alimentaires pour une partie de ceux qui ont faim. La léthargie politique et culturelle se répand. La réceptivité des propos nationalistes et racistes est avivée.

Le mécanisme du dumping entre employés et chômeurs et entre entreprises se reproduit aussi à l’extérieur – entre les États membres de l’UE, par exemple entre l’Allemagne et la France. Ce dumping, par définition, n’arrive jamais à satisfaire les propriétaires. À cause de cela, le caractère démocratique, constitutionnel et social de la société est détruit.

Relance européenne pour les droits universels de l’homme

Comme en France, ce sont surtout des gouvernements socialistes ou social-démocrates qui implantent ce genre de « réformes ». Au Royaume-Uni, c’était Tony Blair avec son « New Labour ». En Allemagne, les propositions de telles « réformes » étaient déjà faites depuis les années 1980 par des membres du gouvernement chrétien-libéral. Mais c’est seulement le gouvernement social-démocrate et vert qui réussit à les imposer, grâce à ses relations américaines et à la complicité de hauts fonctionnaires et des syndicats.

L’UE connaît beaucoup de crises. Le Brexit par exemple est important surtout comme protestation – certainement pour des motifs très mixtes – des employés et des chômeurs contre une Europe injuste. La crise du travail et du non-travail de la majorité des peuples européens est la plus niée, la plus distordue de toutes les crises de l’UE, et aussi des États-Unis. Et c’est pourquoi il est absurde de combiner ces deux régions encore plus étroitement par des traités dits de libre commerce (TTIP, CETA).

Le capitalisme transatlantique ne peut pas et ne veut pas créer du travail pour tous. Et les jobs qu’il crée violent les droits universels de l’homme. La résistance contre la « loi travail » en France devrait donner enfin l’impulsion pour une résistance coordonnée en Europe, comme élément de la relance d’une Europe démocratique, constitutionnelle et sociale.

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