L’avis du CSR rendu public en juillet 2016 sur la base du rapport du COR [1] conclut à une « amélioration lente mais sensible » de l’équilibre financier à l’échéance 2020 « sous l’effet des réformes intervenues au cours de la dernière décennie ». Il note que « le système est sans doute aujourd’hui plus solide financièrement et moins inéquitable que ne le pensent souvent nos concitoyens. » Tout dépend de ce que l’on conçoit comme équitable… et on verra que la notion d’équité retenue est de fait très orientée. Sans aller jusqu’à formuler des recommandations au gouvernement, le CSR attire néanmoins l’attention sur la baisse future du niveau de vie des retraités comparé à celui de la population, et ceci, quel que soit le scénario envisagé par le COR. Il demande une vigilance particulière par rapport à la réapparition d’un risque de pauvreté pour les retraités. Comment peut-il alors estimer que ce décrochage du niveau de vie des retraités « ne s’éloigne pas de manière significative » de l’objectif de solidarité attribué au système de retraites ?
Le communiqué du 11 juillet 2016 du Premier ministre Manuel Valls accentue encore la tonalité positive de l’ensemble : « Les rapports montrent que la France a su remettre son système de retraites sur la voie d’un équilibre financier durable…/… Ces résultats démontrent que nos efforts pour préserver le système de retraites par répartition, un modèle de solidarité auquel les Français sont attachés, portent leurs fruits ». Il se félicite ainsi des « réformes » passées, auxquelles pourtant le PS, alors dans l’opposition, s’était opposé. Plus grave, il passe sous silence la mise en garde concernant le niveau de vie des retraités. Comment, pourtant, le gouvernement peut-il rester inactif face à cet avertissement ?
Bien d’autres éléments démentent l’avis globalement lénifiant du CSR et témoignent que les objectifs de solidarité et d’équité sont loin d’être respectés. C’est ce que cet article se propose de présenter. Tout d’abord, on rappellera l’évolution du système de retraites et la logique des réformes. Puis, à partir des principaux résultats donnés par le rapport du COR, on montrera que les objectifs définis par la loi de 2014 – tout insuffisants qu’ils sont [2] - ne sont même pas respectés.
1- Évolution du système de retraites
Depuis une vingtaine d’années, les « réformes » des retraites se succèdent et se ressemblent [3]. Qu’elles soient menées sous un gouvernement de droite (Balladur en 1993, Raffarin en 2003, Fillon en 2010), ou de gauche (Ayrault en 2013), qu’elles concernent les régimes de base, les régimes complémentaires Agirc-Arrco (plusieurs accords depuis 1996) ou les régimes spéciaux (2007), la logique qui les guide reste la même. Face à l’augmentation du nombre de retraité-es et donc au besoin accru de financement des retraites, l’orientation retenue consiste essentiellement à mettre à contribution les salarié-es, en augmentant leur durée de cotisation, et les retraité-es, en faisant baisser le montant de leur pension. L’option d’une augmentation des ressources des caisses de retraite au moyen d’une hausse des taux de cotisation est soigneusement écartée, car il serait difficile d’éviter une hausse des cotisations patronales. Ce qui est évidemment banni par la doctrine libérale… mais manifestement aussi par la gauche au pouvoir. Ainsi, la réforme Ayrault de 2013 prévoit une (légère) hausse de cotisation, salariale comme patronale, mais il a aussitôt été annoncé que la hausse de la cotisation patronale serait intégralement compensée par une baisse des cotisations famille ! Le gouvernement reprend à son compte l’antienne libérale qui accuse de tous les maux le coût du travail, mais semble ignorer le coût du capital.
L’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour une pension à taux plein (sans décote) est alors présenté comme normal et inévitable, avec l’argument - apparemment de bon sens - « on vit plus vieux, il faut donc travailler plus longtemps ». Peu importe si travailler plus longtemps signifie dans les faits, pour les seniors, prolonger des situations de chômage, de temps partiel ou d’emplois de mauvaise qualité ! Dans une situation où nombre d’entreprises continuent de se débarrasser des salariés âgés, l’augmentation du taux d’emploi des seniors recouvre surtout l’augmentation de leur taux de chômage. Peu importe également si allonger la durée de cotisation pénalise plus durement les femmes (elles ont en moyenne des carrières plus courtes que les hommes) alors qu’elles ont déjà des pensions très inférieures à celles des hommes… Cela n’empêche pas les décideurs d’afficher l’équité entre les femmes et les hommes comme un critère de leur réforme ! En 2008, la loi programme l’allongement régulier de la durée de cotisation en instaurant son indexation sur la croissance de l’espérance de vie (mais cette croissance ne correspond pas à une vie en bonne santé, car le vieillissement de la population s’accompagne de l’accroissement des incapacités fonctionnelles). En 2010, l’âge de la retraite recule de 60 à 62 ans et l’âge du taux plein passe de 65 à 67 ans.
En parallèle, les réformes organisent la baisse des pensions. Une des mesures les plus efficaces a consisté à indexer d’une part les pensions, et d’autre part les salaires pris en compte pour calculer la pension, sur l’évolution des prix et non plus sur celle les salaires. On revient plus loin sur ce changement de mode d’indexation, qui est responsable du décrochage du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs (voir l’encadré page 8). Une autre mesure ayant une forte responsabilité dans la baisse des pensions et dans celle du taux de remplacement [4] est le passage de 10 à 25 ans de carrière pour la prise en compte des salaires servant à calculer la pension, mesure décidée en 1993. Plus récemment, en 2013, c’est même la garantie de maintien du pouvoir d’achat des retraités qui est abandonnée : la pension complémentaire des régimes Agirc-Arrco n’est plus revalorisée selon l’inflation, mais selon l’inflation moins un point (sous-indexation). Autre méthode encore pour baisser les dépenses de retraite : le décalage de 6 mois de la date de revalorisation des pensions, qui passe du 1er avril au 1er octobre. Ce recul concerne aujourd’hui l’ensemble des régimes de base ainsi que les régimes Agirc et Arrco.
Ces mesures ne sont pas exhaustives, mais elles illustrent le choix politique de privilégier la diminution des dépenses en faisant baisser le montant des pensions servies par le régime de retraites par répartition, plutôt que l’augmentation des ressources qui devrait accompagner la hausse du nombre de retraités. Alors que la part des retraités dans la population va objectivement augmenter, en tout cas dans la prochaine période, le refus obstiné de la part du Medef, de la droite, mais aussi dans une moindre mesure de la gauche, d’augmenter la part de la richesse qui va aux retraites aboutit mécaniquement à un appauvrissement des retraités. Il est ensuite curieux de prétendre s’en alerter.
Au nom de l’équité, la convergence vers le pire
Toutes les réformes de retraite se font en mettant en avant l’exigence d’équité : entre les différents régimes, entre public et privé, etc., et la convergence se fait évidemment vers le bas. Ainsi, en 1993, la loi Balladur concernait le secteur privé, elle a entraîné une régression importante de la retraite du régime général. Dix ans plus tard, en 2003, au nom de l’équité public-privé, la loi Fillon étend au secteur public les dispositions de 1993 comme l’allongement de la durée de cotisation, l’indexation des pensions sur les prix et l’application d’une décote pour carrière incomplète. Elle réduit en outre les majorations de durée d’assurance (MDA) dont bénéficient les mères fonctionnaires au titre des enfants [5]. Puis, en 2009, ce sont les femmes du secteur privé qui, à leur tour, voient leur MDA rabotée. Les régimes spéciaux sont touchés en 2007. Quant aux régimes complémentaires, qui sont des systèmes à points [6] gérés de manière paritaire entre le patronat et les syndicats, ils évoluent depuis 1990 sous le coup d’accords successifs allant tous dans le même sens : la baisse régulière du « rendement du point » qui conduit à une baisse importante du taux de remplacement de la pension complémentaire [7]. Ces régimes innovent même dans la régression, puisqu’ils ont instauré depuis 2013 la sous-indexation des pensions – d’abord présentée comme temporaire, puis reconduite en octobre 2015 –, ce qui signifie la baisse du pouvoir d’achat des pensions complémentaires.
La logique libérale : ouvrir le champ au secteur privé…
Les réformes de retraite, menées un peu partout depuis trente ans, se font sur l’orientation libérale promue par les instances internationales, FMI, Banque mondiale, Commission européenne. L’objectif est de réduire la part de la retraite publique basée sur le système par répartition et d’offrir un champ de plus en plus large de la protection sociale au secteur privé et à la capitalisation. Face à la baisse programmée des pensions, de plus en plus de personnes, surtout parmi les plus jeunes, anticipent qu’elles n’auront pas une pension suffisante si elles ne la complètent pas en « développant des stratégies individuelles d’épargne » selon la formule officielle, c’est-à-dire en prenant une assurance individuelle (fonds de pensions…)
… et renforcer la contributivité du système
La tendance générale est au renforcement de la contributivité du système de retraites, c’est-à-dire de la correspondance entre le montant global des cotisations versées tout au long de la carrière et le montant global de la pension perçue pendant la retraite. Certains droits à la pension sont en effet contributifs, c’est-à-dire qu’ils sont acquis en contrepartie de cotisations versées par l’assuré et son employeur. D’autres, comme les dispositifs familiaux, les pensions de réversion ne correspondant pas à des cotisations, sont dits non contributifs : ils représentent les dispositifs de solidarité.
Le renforcement de la contributivité découle concrètement de mesures comme l’allongement continu de la durée de cotisation ou le passage des 10 aux 25 meilleures années de salaires pour calculer la pension. La hausse de la part des droits contributifs dans la pension signifie à l’opposé une baisse du poids des mécanismes de solidarité dans le niveau de pension. Cet affaiblissement dégrade la propriété de redistribution du système de retraites envers les pensions les plus faibles. Il pénalise plus durement les femmes, leur pension étant en moyenne constituée d’une part plus importante [8] de droits non contributifs (majorations liées aux enfants, réversion, minimum garanti) que celle des hommes.
Cette volonté de faire évoluer les retraites vers plus de contributivité entend mettre en œuvre l’idée que chacun doit « récupérer sa mise » : la retraite n’est plus alors la continuation du salaire mais le fruit d’une logique assurantielle individuelle. Dans cette logique, les dispositifs de solidarité n’ont pas à être assumés par le système de retraites mais relèvent de la responsabilité de l’État. Ce qui est bien utile pour ouvrir la voie aux assurances privées en les exonérant de la prise en charge de la solidarité.
2- Rapport du COR et avis du CSR : où est l’amélioration annoncée ?
Le COR indique que son rapport est structuré sur les objectifs du système de retraites définis par la loi, qu’il présente ainsi : « la loi fait ressortir trois objectifs principaux : la pérennité financière du système de retraite, un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités et l’équité entre les assurés de générations différentes ou appartenant à la même génération (entre les femmes et les hommes notamment » (page 5). L’avis du CSR reprend la même structuration « selon trois grands axes : le montant des pensions et le niveau de vie des retraités, l’équité entre assurés, la pérennité financière » (page 3). Il conclut que « la situation et les perspectives du système de retraites ne s’éloignent pas de façon significative des objectifs définis par la loi » et ne formule pas de recommandations.
Ce qui suit entend montrer que cette posture lénifiante n’est justifiée sur aucun de ces trois objectifs. Mais une remarque préalable s’impose. Le rappel par le COR et le CSR des objectifs définis par la loi est incomplet et sélectif : il escamote l’objectif explicitement mentionné par la loi d’une répartition équitable des contributions entre les revenus du travail et du capital. Ce qui n’est pas un simple détail…
Quid du partage équitable des contributions sur les revenus du travail et du capital ?
La loi de 2014 énonce que « La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital. Elle suppose de rechercher le plein emploi [9] ». Mais cette question de la répartition entre les revenus du travail et du capital est complètement ignorée par le COR et à sa suite par le CSR. Les hypothèses retenues par le COR excluent toute modification du partage de la richesse créée entre capital et travail. Le rapport note sommairement que ce partage est supposé stable (page 22). La répartition actuelle est donc posée comme équitable… et immuable ! Exit alors tout levier d’action basé sur une mise à contribution du capital pour améliorer le financement des retraites.
De même en ce qui concerne la nécessité de « rechercher le plein emploi ». Les hypothèses de travail du COR supposent que la durée moyenne travaillée est stable et que les productivités apparentes du travail par heure travaillée et par tête évoluent au même rythme (page 22). Exit l’option d’une réduction du chômage par la mise en œuvre d’une politique de réduction du temps de travail. Ce qui n’empêche pas le COR d’expliquer que l’élaboration de ses hypothèses s’inscrit « dans la constitution de variantes suffisamment contrastées – et dont aucune n’est privilégiée par rapport aux autres – afin de balayer un large éventail des possibles » (page 19) !
Pérennité financière… pour des scénarios improbables
Les résultats des projections sont présentés selon cinq scénarios de croissance de la productivité du travail : 1 %, 1,3 %, 1,5 %, 1,8 % et 2 % et pour un taux de chômage central de 7 % atteint en 2025. Ensuite, des variantes sont étudiées pour un taux de chômage plus fort (10 %) et un plus faible (4,5 %). Il faut garder en tête que les résultats obtenus sont ceux de projections faites sous de nombreuses hypothèses, et sont donc caractérisés par de larges marges d’incertitude.
L’équilibre financier dépend bien sûr de ces hypothèses. Cependant, elles ne jouent pas à l’horizon 2020 (graphe suivant), et le solde financier du système de retraites s’établit à - 0,2 % du PIB à cette date. À noter que le rapport du COR de 2015 prévoyait un solde de - 0,4 % du PIB à la même date. L’amélioration intervenue cette année vient de la prise en compte de l’accord Agirc-Arrco signé en octobre 2015 [10], qui doit dégager 6 milliards d’euros en 2020… dont les neuf dixièmes pèsent sur les salarié-es et retraité-es, le patronat n’y contribuant qu’à hauteur d’un dixième…
Solde financier annuel projeté du système de retraites
Scénario central de taux de chômage à 7 %
Après 2020, pour les trois scénarios 1,5 %, 1,8 % et 2 %, l’équilibre financier serait atteint vers 2025 et le système dégagerait des excédents à plus long terme. Pour les deux autres scénarios, 1,3 % et 1 %, le système resterait en besoin de financement, qui se stabiliserait à hauteur de 0,2 % du PIB pour le premier, et atteindrait 1,4 % en 2060 du PIB pour le second. Comme le note le CSR dans sa conclusion, « dans des scénarios économiques favorables, le système tend vers l’équilibre financier, voire l’excédent ». Certes. Mais ces scénarios favorables ne sont pas les plus probables. Le chômage en France dépasse les 7 % depuis 1980 et le gain annuel de productivité n’est en moyenne que de 1,4 % sur la période 1990-2015 (tableau page 23 du rapport du COR)… et seulement de 0,7 %sur la période récente 2008-2015.
La part des ressources du système de retraites dans le PIB est projetée à la baisse, quel que soit le scénario (un point de PIB de baisse environ à l’horizon 2060), et ceci alors que la part des retraités dans la population est croissante. Ce qui acte un appauvrissement relatif des retraités.
Sensibilité du solde financier à divers paramètres
Chômage
Le COR étudie la sensibilité du bilan financier au chômage, qui influe bien sûr négativement du fait de la diminution du nombre de cotisants. Avec un taux de chômage de 10 % au lieu de 7 %, le solde financier se dégrade de 0,3 point de PIB en 2040 (page 47). Mais l’effet des baisses de cotisation résultant d’un niveau plus élevé de chômage est à plus long terme atténué par le fait que les pensions servies sont plus faibles en raison des carrières davantage marquées par le chômage. Le rapport indique que les hypothèses de productivité ont un impact sur le bilan financier nettement plus marqué – car cumulatif – que les hypothèses sur le taux de chômage. Ceci étant, cela ne doit pas diminuer l’intérêt et l’importance de réduire le chômage.
Solde migratoire
Le bilan financier dépend des projections démographiques, donc des hypothèses faites sur la fécondité, la mortalité et le solde migratoire. Concernant ce dernier, le scénario central du COR retient régulièrement un solde migratoire annuel de + 100 000, avec des variantes à plus ou moins 50 000. Les résultats font apparaître que la variante basse du solde migratoire à + 50 000 dégrade le bilan financier de 0,3 à 0,4 point de PIB à la fin des années 2040. Ce qui n’est donc pas négligeable. Or, si le solde migratoire était de + 100 000 au début des années 2000, il a chuté à 45 000 autour de 2008. Puis, sur les trois dernières années, il se situe à un niveau de 61 000, sensiblement inférieur au scénario central. Il est utile d’avoir en tête cet impact positif du solde migratoire, en particulier dans la situation actuelle où la France n’accueille même pas le nombre de migrants sur lequel elle s’est engagée.
Taux d’activité des femmes
Étudier l’évolution du bilan financier suppose également de faire des hypothèses sur l’évolution des taux d’activité des hommes et des femmes. En 2014, pour la tranche 25-49 ans, ces taux étaient respectivement de 93,7 % et de 83,7 % (Insee, 2016), soit un écart de 10 points entre les hommes et les femmes. Le COR projette que d’ici à 2030, cet écart se réduira d’environ 2 points, mais qu’ensuite il se stabilisera jusqu’en 2060 du fait, écrit-il, d’une moindre participation des femmes au marché du travail aux âges de la maternité et de l’éducation des jeunes enfants. Aucune variante n’est étudiée. Le COR renonce ainsi à envisager une plus grande égalité dans le partage avec les hommes des tâches parentales qui permettrait une plus grande égalité de taux d’activité. Là encore, en contradiction manifeste avec « le large éventail des possibles » qu’il affirme considérer. Des marges de progrès existent pourtant, la France ne se situant qu’au 14e rang de l’Union européenne en termes de taux d’activité des femmes (Insee, 2014). On sait que leur comportement d’activité est largement influencé par les politiques conduites, que ce soit en matière fiscale (mode d’imposition des couples), familiale (congé parental, etc.), en matière d’égalité professionnelle ou de qualité des emplois. Il est donc très dommage de voir le COR et, à sa suite, le CSR entériner ainsi la situation inégalitaire actuelle, et conclure ensuite candidement que « la situation relative des femmes continue à s’améliorer ».
Un niveau de vie des retraités rien moins que préoccupant
Le CSR indique que le système « garantit, aujourd’hui et en moyenne, un niveau de vie satisfaisant aux retraités », les termes « aujourd’hui » et « en moyenne » étant décisifs. Il attire en effet l’attention sur le décrochage à venir du niveau de vie des retraité-es par rapport aux actifs et sur la réapparition d’un risque de pauvreté, qui est « de nature à fragiliser l’adhésion de nos concitoyens au système ». Certes ! On présente ci-dessous trois des données fournies par le rapport du COR, qui interdisent de se satisfaire de la situation.
Si on considère l’ensemble des retraités, la pension moyenne croît en euros constants sous l’effet du renouvellement de leur population, dit effet de noria : les nouvelles générations, aux pensions plus élevées, remplacent progressivement les plus anciennes qui décèdent. Mais elle croît moins vite que le revenu d’activité moyen, ce qui est dû au mode d’indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires (voir encadré ci-après). Dans tous les scénarios économiques, la pension moyenne rapportée au revenu d’activité moyen tend donc à diminuer, et ceci d’autant plus fortement que la croissance des revenus d’activité est élevée. Compte tenu des hypothèses faites par le COR, les revenus d’activité croissent au même rythme que le gain de productivité ; le décrochage de la pension et du niveau de vie des retraités est alors d’autant plus rapide que la croissance de la productivité est forte (graphe suivant). Le CSR indique dans une formulation toute personnelle : « la situation actuelle doit permettre d’envisager avec une sérénité raisonnable les évolutions qui restent à conduire pour assurer une moindre sensibilité du système à la croissance, notamment en faisant évoluer l’indexation des droits à retraite ». Concrètement, la solution existe : elle consiste à revenir à l’indexation des pensions sur les salaires et non plus sur les prix, pourquoi le CSR ne formule-t-il pas officiellement cette recommandation au gouvernement ?
Obs = observé. Les cinq courbent correspondant aux cinq scénarios de productivité, la courbe la plus basse correspondant au scénario 2 %.
Suite à la réforme de 1993, la revalorisation des pensions et des salaires portés au compte est indexée sur les prix et non plus sur les salaires. Rappelons que les salaires augmentent en moyenne plus vite que l’inflation : l’indexation d’un revenu sur le salaire moyen est donc plus favorable que celle sur les prix. Au moment de la liquidation de la retraite, lorsque les salaires annuels obtenus au cours de la carrière sont pris en compte pour le calcul de la pension, ils sont revalorisés sur la base de l’inflation, ce qui aboutit à une valeur plus faible que s’ils étaient revalorisés sur la base du salaire. Cette perte de valeur est d’autant plus importante que l’année concernée est éloignée. L’indexation sur les prix a comme conséquence une baisse sensible du montant de la pension au moment du départ en retraite, qui entraîne une baisse du taux de remplacement (le rapport entre la pension perçue l’année de la liquidation et le salaire perçu lors de la dernière année d’activité).
Cette même règle d’indexation sur les prix et non sur les salaires a également été mise en œuvre pour la revalorisation des pensions : l’évolution des pensions au fil du temps ne suit donc plus celle des salaires. Ainsi, les écarts de niveau de vie se creusent entre les salariés et les retraités, et le décrochage est maximum pour les plus âgés. Comme le notait déjà le rapport Moreau en 2013 (page 39) : « les effets des critères de revalorisation peuvent être considérables sur des retraites servies pendant 20, 30 ou 40 ans ». Sont particulièrement concernés « les plus de 75 ans dont le taux de pauvreté est en nette augmentation. Au sein de cette population les femmes isolées (notamment les veuves) sont surreprésentées ».
Autre manière d’évaluer l’évolution des pensions, examiner le taux de remplacement. Le rapport du COR fournit la projection du taux de remplacement calculé pour un profil type de salarié non-cadre du privé (indicateur prévu par la loi), pour les générations nées entre 1940 et 1990. Quel que soit le scénario, la baisse sera importante, et, toujours en raison du mode d’indexation, d’autant plus importante que le gain de productivité est élevé.
Taux de remplacement net moyen sur le cycle de vie [11]
pour le cas type du non-cadre du privé
Lecture : pour le cas type né en 1940, la pension moyenne perçue sur l’ensemble de la durée de retraite représente 75,3 % du salaire moyen sur l’ensemble de la carrière. Source : DREES.
Entre la génération née en 1940 et celle née en 1990, le taux de remplacement passerait ainsi à de 75,3 % à 67,8 % pour le scénario 1 % et à 52,3 % pour le scénario 2 %, soit une chute de 23 points !
Même dégringolade pour les carrières au SMIC
Enfin, le COR fournit une information très éloquente, qui aurait dû, à elle seule, suffire pour reconnaître que le système de retraites ne respecte (même) pas les objectifs fixés par la loi. L’article 4 de la loi du 21 août 2003 fixe en effet, pour une carrière complète entièrement cotisée au SMIC, l’objectif d’un montant de pension au moins égal à 85 % du SMIC net. Cet objectif, qui tient lieu en quelque sorte d’alibi social censé modérer une loi régressive, devait être réalisé dès 2008. Non seulement il n’a pas été atteint, mais il n’est pas près de l’être, car les projections s’en éloignent de plus en plus (graphe ci-dessous). Le maximum atteint concerne la génération née autour des années 1950 (retraite acquise en 2010-2011), et il n’est que de 82 %. Sans scrupule, le COR déclare que ce taux est « assez proche de 85 % » (sic) et se contente d’indiquer qu’il va diminuer au fil des générations en l’absence de coups de pouce.
Taux de remplacement net à l’issue d’une carrière entièrement cotisée au SMIC
De son côté, le CSR reconnaît que le taux de remplacement, qui pourrait chuter à 65 %, est « très loin de l’objectif de 85 % » fixé par la loi (page 15). Mais alors, comment peut-il affirmer en conclusion que « les perspectives du système de retraites ne s’éloignent pas de façon significative des objectifs définis par la loi » ?
Équité entre les assurés : une conception très idéologique
Le COR et le CSR examinent ce qu’ils nomment l’équité entre les assurés, et qu’ils décomposent en équité entre les générations, entre les sexes et entre les différents régimes.
Pour l’équité entre les générations, il s’agit, nous dit-on, de « comparer les efforts contributifs réalisés par chaque génération (permettant d’évaluer sa contribution au financement du système) avec les avantages qu’elle en retire, afin notamment de s’assurer que les réformes conduites depuis la fin des années 80 n’ont pas sensiblement pesé davantage sur certaines que sur d’autres. [12] »
Cela revient en quelque sorte à examiner un « retour sur investissement » des contributions au système de retraites, ce qui reflète la tendance au renforcement de la contributivité du système. En réalité, le rapport n’étudie pas cette comparaison entre efforts contributifs et avantages retirés, et il traite simplement de l’évolution de quatre paramètres, présentés séparément. Côté retraités, il regarde le niveau de vie (ce qu’on vient de voir) et la durée de retraite ; et, côté actifs, la durée de carrière et le taux de cotisation moyen. Il n’y a pas de synthèse.
Prenons l’exemple de la durée de vie à la retraite. Elle diminue de plus d’un an entre la génération née en 1951 et celle née en 1955 en raison de la législation reculant l’âge de départ. Est-ce équitable ? Ensuite, pour les vingt générations nées après 1955 (qui sont encore majoritairement en activité), la durée de retraite devrait rester stable, autour de 26 ans. Mais il est précisé que ces générations ayant eu des âges de fin d’études plus élevés, l’augmentation de la durée de cotisation (à 43 ans pour la génération 1973) aboutit à ce que « l’augmentation continue de l’espérance de vie serait donc absorbée par la hausse progressive de la durée de cotisations ». Contrairement donc à ce qui était visé par la loi de 2003, à savoir un partage du gain d’espérance de vie allant pour un tiers à la retraite et pour deux tiers à la vie active. Est-ce équitable ? De plus, et ce n’est pas anodin, l’espérance de vie sans incapacités augmentant moins vite que l’espérance de vie, cela signifie que la durée de retraite passée en bonne santé va diminuer en absolu pour les générations nées entre 1955 et 1975 par rapport aux générations précédentes. Leur taux de remplacement étant de plus programmé à la baisse, tout cela jette un doute sur l’équité du système au fil des générations.
Concernant le taux de cotisation moyen sur l’ensemble de la carrière, il est précisé qu’il ne peut être calculé par manque de données de la part des caisses de retraites. Cet indicateur est donc seulement donné pour le cas type du salarié non cadre du privé : le taux de cotisation augmente de 3 points environ entre 1990 et 2020 [13]. D’une part, on ne sait pas ce que le COR tire comme enseignement de l’évolution de ce taux de cotisation. Conclut-il que « l’effort contributif » du salarié non cadre est en relation avec les « avantages » qu’il en recevra ? Rien n’est dit mais on a vu que le taux de remplacement pour ce salarié va chuter : il perd donc des deux côtés, il cotise plus et il aura une pension plus faible. D’autre part, et surtout, le taux de cotisation fourni est le taux global, c’est-à-dire qu’il inclut la part salariale et la part employeur, pour les régimes de base et complémentaire. Il ne distingue donc pas la part respective entre salarié et employeur dans la hausse des contributions. C’est-à-dire qu’il occulte le fait que jusqu’à présent, les efforts sont essentiellement fournis par les salariés…
Les efforts ne visent à être répartis qu’entre actifs et retraités
Cette question pointe un problème majeur, celui d’une conception très particulière de ce qu’est une répartition équitable des efforts. Tout est d’ailleurs résumé dans la présentation que fait le COR du simulateur qu’il a développé pour le pilotage des retraites et qu’il met à disposition sur son site : « L’utilisateur sélectionne d’abord un scénario économique pour les prochaines décennies puis choisit ensuite comment partager les efforts entre personnes en emploi et personnes à la retraite, en modulant, jusqu’en 2060, les trois leviers de l’équilibre financier du système de retraite : l’âge auquel les personnes partent à la retraite, le niveau des cotisations et le niveau des pensions par rapport aux salaires ». On choisit donc comment partager les efforts entre actifs et retraités, eux seulement sont mis à contribution. Le choix n’est offert qu’entre reculer l’âge de départ, augmenter les cotisations (implicitement celle des salariés) et baisser les pensions. L’équité revient alors à concevoir un juste milieu entre déshabiller Pierre pour habiller Paul. Pas question de toucher au partage entre les revenus du travail et ceux du capital, puisque c’est éliminé par les hypothèses de départ.
La loi de 2014 qui a créé le CSR prévoit qu’il soit accompagné dans ses travaux par un jury citoyen composé de neuf femmes et de neuf hommes tirés au sort. Ce jury doit être consulté, terme qui recouvre dans les faits l’organisation d’une réunion sur une journée, le matin étant consacré à la formation/information des jurés, et l’après-midi au recueil de leur avis. Les discussions du jury sont résumées en une demi-page dans une annexe de l’avis du CSR [14]. On conçoit bien les limites de l’exercice, compte tenu de la complexité du système de retraites et de la somme des informations à appréhender par des personnes a priori néophytes. Il est donc notable que les jurés aient tenu à manifester « leur attachement à une répartition équitable des efforts entre retraités, salariés et entreprises et, en cas de résultats favorables de la croissance à long terme, à un partage équitable des fruits de celle-ci ».
Équité entre les femmes et les hommes
Pour finir, donnons juste quelques éléments sur l’évolution attendue pour les inégalités de pension entre les sexes. Le CSR note simplement dans sa conclusion que « la situation relative des femmes continue à s’améliorer en raison principalement de l’allongement de leurs durées de carrière ». Pour mieux refléter la réalité, il aurait fallu ajouter « bien que les réformes passées aient pénalisé plus durement les femmes avec des mesures comme l’allongement de la durée de cotisation, le passage des 10 aux 25 années de carrière pour le calcul de la pension, l’instauration de la décote, la diminution des majorations liées aux enfants ». Il y a eu malgré tout quelques rares mesures qui ont permis de prendre un peu mieux en compte les périodes de maternité ou de temps partiel.
En tout état de cause, le rapport entre la pension brute moyenne (y compris la réversion et les majorations) des femmes et des hommes devrait croître lentement et atteindre un peu moins de 90 % vers 2050. C’est son optimum, car elle plafonne ensuite à ce niveau. Alors que les femmes sortent plus diplômées du système scolaire depuis plusieurs décennies, peut-on se satisfaire d’une perspective où leur pension, tout compris, reste inférieure de 10 % à celle des hommes ? Et encore, pas avant 40 ans ?
Le graphe ci-dessous montre à gauche l’évolution de 2009 à 2014 de la pension moyenne de l’ensemble des retraités (courbe en noir), celle des femmes et des hommes rapportées au revenu d’activité moyen. Les courbes évoluent en parallèle, l’écart entre femmes et hommes ne diminuant que très lentement. Rappelons, en regard sur le graphe de droite, la projection après 2015 de la pension de l’ensemble des retraités, qui poursuit donc la courbe en noir de droite. Même en tenant compte du fait que la pension des femmes se rapproche lentement de celle des hommes, la tendance est à une baisse continuelle dès 2015, et on est en droit de douter de l’amélioration annoncée pour la situation des femmes.
En outre, la population des retraités n’est pas homogène, et on sait que les retraites les plus faibles sont celles des femmes. La hausse de l’activité des femmes et leur meilleure qualification depuis plusieurs décennies devraient être de nature à atténuer la concentration féminine dans le bas de la distribution des pensions, mais la persistance des inégalités de salaires entre les sexes contrarie cette tendance. Au final, l’évolution est inquiétante : lorsqu’on considère les 10 % de retraités les plus pauvres, on note « une forte féminisation de ce décile [15] » entre les générations 1926 et 1946. Le CSR explique que « si la hausse du taux d’activité des femmes permet désormais à nombre d’entre elles d’avoir des carrières complètes, c’est à des niveaux de rémunération en moyenne inférieurs à ceux des hommes ». Rappelons que le COR a précisément éliminé la perspective de l’augmentation du taux d’activité des femmes, qui est pourtant un des paramètres décisifs pour réduire des inégalités entre les sexes, mais aussi pour améliorer le financement des retraites en augmentant le volume des cotisations.
En conclusion
Comme les années précédentes, le rapport du COR résulte d’un travail important et fournit des données très utiles. Les éléments présentés dans cet article ne prétendent nullement le résumer mais ils suffisent à témoigner d’une évolution inquiétante du système des retraites, qui n’est pas rendue par l’avis lénifiant du CSR.
En effet, la pérennité financière du système de retraites n’est assurée que dans des projections très optimistes de la productivité et du chômage. Les objectifs de solidarité et d’équité, même en se limitant à ceux définis par la loi, ne sont pas atteints. La chute annoncée du niveau de vie relatif des retraités actuels comme futurs est telle qu’il est impossible de qualifier le système de solidaire. La pension perçue au bout d’une carrière passée au SMIC n’atteint même pas le seuil de 85 % du SMIC fixé par la loi, et elle s’en éloignera de plus en plus au fil du temps !
Enfin, « l’éventail des possibles » censé être balayé par le COR reste dans les faits enfermé dans le cadre idéologique libéral. Ce qui n’est pas conforme à cette doctrine en est exclu. Ainsi, les hypothèses sur les évolutions démographiques et économiques éliminent d’emblée toute modification du partage capital/travail. La répartition équitable des contributions au financement des retraites se limite à examiner comment partager les efforts entre les salarié-es et les retraité-es. Conception très restrictive de l’équité. De même, la réduction du temps de travail est exclue des scénarios.
Un autre avenir est possible pour les retraites. Il suppose d’adapter les ressources à l’évolution des besoins, donc à l’évolution de la part des retraités dans la population, avec l’objectif du maintien du niveau de vie lors du départ en retraite. Pour cela, la question du partage de la richesse produite est centrale, tous les revenus devraient être mis à contribution, y compris donc ceux du capital. Il faudrait en finir avec les nombreuses exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les employeurs sans effet sur l’emploi. Augmenter les ressources signifie aussi s’attacher à réduire le chômage, en particulier par une politique de réduction du temps de travail, qui a toujours été synonyme de progrès social. C’est également poser la question de la nature de ce qu’on produit, en lien avec les besoins sociaux et environnementaux. C’est encore mettre en œuvre une politique pour favoriser une plus forte activité des femmes (agir pour le partage des responsabilités familiales et domestiques, créer des places de crèches, supprimer l’imposition conjointe des couples…) et réduire les inégalités de salaires entre les sexes.
L’avenir des retraites et, plus largement, de la protection sociale, relève avant tout d’un choix politique… Les scénarios étudiés par le COR doivent donc sortir du cadre libéral et intégrer l’examen de leviers d’action comme ceux qui viennent d’être rappelés. Nul doute que les perspectives du système de retraites en soient améliorées, pour de vrai.