Le PSU, une comète dans le ciel de la gauche : quelques leçons pour aujourd’hui, À propos de Bernard Ravenel, Quand la gauche se réinventait. Le PSU, Histoire d’un parti visionnaire

mardi 28 juin 2016, par Gustave Massiah *

Le PSU (Parti socialiste unifié) a fait partie du paysage politique, social et culturel. À certains moments, il y a joué un rôle marquant. Il a laissé de grands souvenirs à ceux qui l’ont fréquenté à un moment de leur vie. Et ils étaient nombreux et divers. Ne disait-on pas que le parti de loin le plus nombreux était celui formé par ceux qui avaient quitté le PSU. Au-delà de la compréhension de l’histoire de la gauche, l’intérêt de revenir sur celle du PSU est de mieux comprendre les questions qui se posent aujourd’hui pour ceux qui cherchent à construire, en rupture avec le système dominant, un nouvel espace politique de résistance et d’émancipation.

Le livre de Bernard Ravenel est, sans conteste, le livre le plus complet sur l’histoire du PSU. Depuis quelques années, beaucoup d’ouvrages sont parus sur ce thème. Le plus approfondi est celui de Marc Heurgon, paru en 1994, Histoire du PSU de 1958 à 1961, La Fondation et la guerre d’Algérie [1]. Bernard Ravenel prolonge ce livre et présente une histoire complète du PSU de 1960 à 1989. C’est une exploration minutieuse et une mine d’informations et de réflexions. Chaque étape de la vie du PSU est accompagnée des éléments d’analyse de l’évolution de la société française et de la société mondiale. Elle éclaire les luttes et les mobilisations sociales et les débats sur la scène politique.

Cette histoire du PSU permet de revisiter les trois décennies autour de quatre angles : l’évolution du monde ; celle des forces politiques et syndicales de la gauche ; l’émergence d’un nouveau bloc historique anticapitaliste à partir de nouvelles forces et formes de contestation du système ; la thématique autogestionnaire constitutive de l’identité spécifique du PSU. L’histoire du PSU que raconte Bernard Ravenel couvre plusieurs périodes. De la fondation à 1962, la guerre d’Algérie ; de 1962 à avril 1968, un parti socialiste de gauche ; de mai 1968 à décembre 1972, la construction d’un parti socialiste révolutionnaire ; de 1973 à 1979, un parti autogestionnaire et écologiste. De 1979 à 1989, Ravenel caractérise la période comme celle d’une « fin de parti » où, de la présidentielle de 1981 au parcours gouvernemental, la raison d’être du PSU s’estompe. C’est un changement de période radical qui percute les deux raisons d’être du PSU, la résistance au capitalisme et la redéfinition du socialisme. La victoire du néolibéralisme, d’un côté, et la chute du mur de Berlin qui bouscule toute référence au socialisme, de l’autre, ouvrent une nouvelle période.

Le PSU a participé à trois mouvements historiques d’émancipation. Le mouvement de la décolonisation qui a été un moment fondateur. Le mouvement de mai 1968 élargi à la période 1965 à 1973 qui a combiné le mouvement pour les libertés et contre les totalitarismes avec le mouvement social des luttes ouvrières et paysannes, jusqu’aux luttes de LIP et du Larzac. Le mouvement écologiste qu’il a accompagné dès le début et qui est lié avec d’autres mouvements sociaux, notamment celui du droit des femmes, du droit des immigrés et du droit des minorités nationales.

Le PSU a joué un rôle dans son époque, en situation. Mais il a aussi été capable de dépasser cette situation et de tracer des pistes qui renvoient à une interrogation en profondeur sur l’action politique [2]. Il a eu l’intuition, dans ses élaborations et dans ses pratiques, de plusieurs dimensions qui se déploient aujourd’hui, plus de trente ans après, dans le mouvement altermondialiste. Cherchons dans son histoire et dans ce qu’il a pu préfigurer, ce que le PSU a porté qui interroge encore, sur la manière dont les idées cheminent, sont reprises et bouleversées, dans un rapport permanent entre continuité et rupture.

Parmi la multitude de réflexions et la richesse des expériences que l’on peut trouver dans le livre de Ravenel et dans l’histoire du PSU, nous reviendrons sur trois questions : comment penser la situation ? Comment penser la transition ? Comment penser la stratégie ?

Penser la situation

Du mouvement qui va déboucher sur sa fondation en 1960, le PSU retient deux impératifs : renouveler la gauche en France et repenser le socialisme.

Les groupes qui le constituent viennent de tous les courants de la gauche. Ils en gardent les fondements culturels, mais ils se souviennent pourquoi ils ont quitté les organisations correspondantes. De la social-démocratie, ils rejettent les compromissions devenues insoutenables avec la guerre d’Algérie ; du communisme, ils retiennent l’idéal d’égalité, mais regrettent l’ignorance de la démocratie et le relativisme sur les libertés ; des courants de l’extrême gauche, de la palette des trotskystes, des divers libertaires et plus tard des maoïstes, ils retiennent la radicalité et ils voudraient dépasser l’isolement et les penchants sectaires ; des courants chrétiens, ils arrivent à la nécessité de déconfessionnaliser la solidarité.

La cohabitation ne va pas sans frottements et sans grincements de dents. Le regroupement est nécessaire pour être présent dans la confrontation sur la scène politique, pour comprendre les mutations de la société française, pour s’inscrire dans les débats intellectuels et dans les affirmations culturelles. Et surtout, pour peser à partir des luttes, des mobilisations et des propositions. C’est le regroupement qui permet les adhésions individuelles qui vont concrétiser une nouvelle identité.

L’analyse de la société va mettre l’accent sur l’évolution des couches populaires et des bases sociales du renouvellement. Elle permet de mettre en évidence les réalités, les conditions de vie et les inégalités sociales. Elle permet aussi de montrer la combativité et les déterminations sociales et militantes. Cette analyse s’appuie, pour le nouveau PSU, et ce sera une constante par la suite, sur les militants ouvriers et paysans qui viennent des différents courants et des différentes régions. Cette base est déterminante comme base d’enquête et pour la capacité d’intégrer les différents travaux de chercheurs et d’auteurs.

Le PSU a été un espace d’élaboration. Rappelons, parmi beaucoup d’autres, les travaux sur la nouvelle classe ouvrière de Pierre Belleville et ceux de Serge Mallet, les paysans travailleurs de Bernard Lambert, les alliances de classes de Nicos Poulantzas. Sans oublier les travaux de Pierre Naville. Et aussi l’ouverture du PSU au mouvement des femmes, aux jeunes, aux migrants, aux habitants, aux « minorités ». Le PSU a aussi bien perçu l’importance de la dimension géopolitique en reliant les confrontations Est-Ouest et les contradictions Nord-Sud, accordant à la décolonisation une attention particulière. Il a bien compris l’importance des révoltes des scolarisés dont un des moments dominants a été Mai 68, l’irruption étudiante des années 1965-1973 et la recherche d’une alliance entre étudiants et ouvriers [3].

Beaucoup de questions doivent aujourd’hui être travaillées et discutées. Des changements profonds marquent les inégalités, la précarité, l’évolution du salariat, les discriminations, les migrants, les chômeurs diplômés, les étudiants surendettés, les techniciens et les cadres, les modes de vie et les quartiers… La démarche reste d’actualité : la combinaison entre des recherches et des publications approfondies, critiquées et discutées publiquement ; une discussion à partir des bases d’enquête sociale et militante ; le débat sur l’inscription des changements dans des projets de mobilisation et d’action politique.

Dans l’histoire du PSU, l’analyse des couches populaires a été plus féconde que celle des classes dominantes. Il y a eu beaucoup de travaux et notamment sur l’État. Mais le fordisme apparaissait comme bien établi. Le néolibéralisme a remis en cause ces certitudes. Le capital financier s’est imposé et forme, avec les multinationales, une nouvelle oligarchie. Il a réussi à subordonner les États à sa logique. Il a réussi aussi à s’approprier, à partir des start-ups et des nouveaux monopoles, le contrôle de la nouvelle révolution scientifique et technologique, notamment le numérique et les biotechnologies. Pourtant, il reste de fortes contradictions : entre les actionnaires et les experts qui les servent ; avec la précarisation des techniciens et des couches moyennes ; du fait de l’urgence écologique entre certaines industries, notamment extractivistes, et de nouveaux secteurs ; sur les limites de l’alliance avec les consommateurs contre les producteurs ; sur les conflits géopolitiques…

D’une manière générale, il s’agit aujourd’hui, comme le PSU avait tenté de le faire en son temps, d’ouvrir la discussion et l’élaboration sur la nature et l’évolution possible de la mondialisation capitaliste, dans sa phase libérale et néolibérale. Pour cela, il faut partir des grandes contradictions. Des contradictions sociales, des inégalités, de la pauvreté et des discriminations. Des contradictions culturelles et démocratiques, et de la remise en cause des libertés et de l’égalité partout où elles avaient connu des avancées. Des contradictions géopolitiques, celle de la décolonisation inachevée et de la remise en cause de l’hégémonie occidentale par les nouvelles puissances émergentes. Des contradictions écologiques, celle de la rencontre des limites de l’écosystème planétaire. Des contradictions politiques, celle de la corruption généralisée qui naît de la fusion des classes politiques et de la classe financière qui abolit l’autonomie du politique. Chacune des dimensions de la crise fait remonter à la surface les problèmes non résolus des grandes crises précédentes, que la dynamique du capitalisme avait réussi à contenir sans les régler pour autant.

Le PSU avait réussi à constituer un espace libre et attractif. Ce n’était pas un espace de tout repos mais c’était un espace vivant. Il y avait la présence des militants actifs et exigeants. Il y avait aussi un grand nombre de scientifiques, d’intellectuels, d’artistes et de cultureux. Il était en phase avec un intense débat dans les gauches européennes et avec ceux qui portaient le passage de la décolonisation au non-alignement. Il était en prise avec le renouveau syndical ouvrier et paysan et avec la montée des mouvements sociaux et citoyens. Dans cet espace, se retrouvaient et se confrontaient des modernistes et des révolutionnaires. En accord sur la nécessité de refuser le statu quo et en désaccord sur la nature du progrès. C’est un des changements avec la période actuelle dans laquelle le système dominant a réussi à capter le progrès et la modernité pour les retourner contre le social, l’écologie et la démocratie. Le PSU avait contribué à renouveler, relativement, la gauche et à préparer le terrain pour les grands changements de la période 1965 à 1973. Il a été en phase avec mai 1968. Mais il avait sous-estimé la capacité de la bourgeoisie en matière de mouvement et de récupération après 1968 et la rapidité des autres partenaires de la gauche à revenir aussi vite à leurs fondamentaux. La volonté de renouvellement était constante. Ce n’est pas étonnant que beaucoup d’anciens du PSU se retrouvent dans les exigences des courants de réflexion, notamment celui des convivialistes.

Penser la transition

Le PSU se situait clairement dans la filiation socialiste. Il ambitionnait de repenser le socialisme. Il était confronté aux deux grandes familles socialistes représentées par le Parti socialiste et le Parti communiste. D’un côté, comment mettre en avant la démocratie sans tomber dans la social-démocratie et ses travers. De l’autre côté, comment revendiquer une pleine égalité sans accepter les dérives totalitaires. Les ouvertures venues de la décolonisation, depuis Bandoeng en 1955 et Belgrade en 1961, jusqu’à la conférence des non-alignés à Alger en 1973, ne renouvelaient pas vraiment la tension entre les deux pôles.

Aujourd’hui encore, la question du dépassement du capitalisme est centrale. C’est elle qui porte le projet d’émancipation, le projet alternatif. Comme l’avait pressenti le PSU en son temps, le choix n’est pas entre les deux alternatives. Après la chute du mur de Berlin en 1989, la victoire du néolibéralisme a prétendu à la fin de l’Histoire par la pérennité du capitalisme. Cette illusion ne s’est pas imposée, mais le désaveu du socialisme tel qu’il était affirmé ne s’est pas estompé. La nécessité d’un projet d’émancipation, porteur du dépassement du capitalisme est clairement ressentie, y compris dans la montée des résistances face aux offensives et à l’arrogance des oligarchies. Comment nommer ce projet ? Faut-il continuer à l’appeler socialiste ou communiste ? La question n’est pas sans importance, et le débat n’est pas inintéressant, mais il n’est peut-être pas essentiel d’en faire un préalable.

Pourtant, la question de la sortie du capitalisme est beaucoup plus actuelle qu’au temps du PSU. Les contradictions du système se sont approfondies et il est très probable que sa rationalité est en voie d’épuisement. Pour autant, il n’est pas écrit que le système qui lui succédera, et qui résultera des affrontements et des contradictions, ressemblerait à un projet plus juste qui serait dans la vision de ce qui était appelé un projet socialiste. La définition d’un projet correspondant à des valeurs d’égalité, de fraternité et de dignité est donc plus que jamais nécessaire. Ainsi que la manière de l’imposer par rapport à des projets de plus grande aliénation et de nouveaux rapports de domination.

Dans la situation actuelle, le rejet de la social-démocratie par les couches populaires est impressionnant. Même si ce rejet se traduit par la montée d’organisations populistes de droite et de droite extrême. Le manque de confiance traduit une prise de conscience : la social-démocratie en tant que projet de transformation sociale est épuisée. Cela ne signifie pas qu’elle ne continue pas comme force de gestion et de gouvernement. Le radicalisme, même sous sa forme radical-socialiste a survécu comme parti de gouvernement bien longtemps après que le socialisme eut supplanté le radicalisme. Il en reste même des zestes aujourd’hui. La question, comme à l’époque de la fin de la Troisième République, est de savoir quel projet et quelle force politique peuvent lui succéder. Or, il apparaît que le communisme, en tant que force politique et frère ennemi, relève de la même matrice et est frappé de la même obsolescence. À un moment, on aurait pu penser qu’un courant politique écologiste, appuyé sur une nouvelle rationalité de contestation du capitalisme, aurait pu être candidat comme projet nouveau de transformation. Les premiers essais n’ont pas été convaincants. Le nouveau reste à définir.

Le PSU avait cherché, par rapport aux variantes affichées, socialiste et communiste, une autre voie qui n’était pas une voie moyenne, mais un dépassement. À partir des expériences de la période de 1965 à 1973, et des intuitions de mai 1968, il avait avancé une proposition, celle du socialisme autogestionnaire. La situation de la société française et du néolibéralisme mondial ont réduit la portée de cette proposition. L’évolution propre du PSU dans sa dernière décennie, de plus en plus intégré dans le système politique institutionnel, ne lui a pas permis de l’approfondir et d’en faire un projet appuyé sur une vraie dynamique sociale.

Dans le mouvement altermondialiste, depuis le forum de Belém en 2009, un nouveau projet d’émancipation cherche sa formulation. Il s’agit de la transition sociale, écologique, démocratique et géopolitique. La référence à la transition marque une évolution dans la compréhension sur les formes du changement de société. Il s’agit bien d’une révolution et d’une rupture, mais ce n’est pas celle du « grand soir ». Il s’agit de commencer tout de suite à changer la société et à construire des alternatives concrètes. Certaines formes du dépassement existent déjà, comme des formes de capitalisme ont commencé à exister dans les sociétés féodales. Le nouveau projet d’émancipation s’appuie sur de nouvelles notions et de nouveaux concepts qui font leur chemin : les communs qui renouvellent la conception de la propriété, la propriété sociale qui se distancie du public et du privé, le buen vivir et la prospérité sans croissance, la gratuité, la démocratisation radicale de la démocratie…

La nouvelle approche de la transition permet de retrouver une autre problématique dont le PSU avait aussi eu l’intuition. C’est la tentative de construire une démarche de réformisme révolutionnaire. Le débat « réforme ou révolution » était très marqué par la logique du « grand soir ». On prend le pouvoir, on contrôle l’État et on l’utilise pour changer la société ; et avant rien n’est possible, les changements sont illusoires. Le PSU, en phase avec André Gorz, avait déjà tenté de montrer l’importance de lier « Réforme et Révolution ». Comme le disait Daniel Bensaïd, n’oublions pas que les plus grands révolutionnaires, une fois arrivés au pouvoir, ont passé la majeure partie de leur temps à tenter des réformes critiquables si on les sort de leur contexte. Il s’agit donc de construire l’articulation entre des propositions réformatrices, portées par les mobilisations pour répondre à l’urgence, et un projet révolutionnaire d’émancipation. C’est le propre d’une démarche stratégique.

Penser la stratégie

Le débat sur la stratégie a été constant dans l’histoire du PSU. Et nous pouvons beaucoup apprendre de cette histoire. La stratégie fait le lien entre la situation et le projet. Dans la conception du projet, le socialisme se définissait par rapport à la gauche jusqu’en 1968. Après 1968, la conception du socialisme entre dans un débat contradictoire entre les ouvertures de mai 1968 et le retour des conceptions révolutionnaires plus classiques. Après 1979, la référence devient le socialisme autogestionnaire.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à la nécessité de définir un nouveau projet d’émancipation. Sur plusieurs aspects, le PSU s’est engagé et a actualisé la réflexion et l’engagement. Il y a beaucoup à inventer pour renouveler en tenant compte de tout ce qui a changé depuis les trente dernières années. Dans la réinvention d’un projet, rappelons la nécessité d’un programme, de la dynamique sociale et citoyenne autour des bases sociales et des alliances, la bataille pour l’hégémonie culturelle, sur les valeurs de référence.

Si nous repartons des propositions de programme, nous pouvons rappeler la formulation de la transition sociale, écologique, démocratique et géopolitique. Chacune de ces quatre dimensions a été abordée et poursuivie par le PSU dans les différentes étapes de son histoire. Ce qui contribue à réinscrire chaque dimension dans une histoire longue et à montrer comment elle s’est enrichie et précisée pour répondre à la situation actuelle et à venir. Le PSU a saisi l’importance de la référence aux droits dans l’action politique. Il s’est référé aux différentes générations des droits (civils et politiques ; économiques, sociaux et culturels ; droits des peuples et droits des minorités ; droits des migrants, droits des femmes et droits écologiques).

Dans une démarche stratégique, une dimension marquante est dans l’articulation entre les mesures immédiates proposées pour faire face à l’urgence et le projet alternatif. Bernard Ravenel montre très bien les discussions qui se traduisent dans les propositions et les mots d’ordre. Le contre-plan qui correspondait à la recherche de l’alliance avec les techniciens et les qualifiés, et qui faisait converger avec la planification démocratique de la CFDT. De même, la maturation du contrôle ouvrier et, après 1968, le pouvoir ouvrier, paysan et étudiant, et le passage au socialisme autogestionnaire. Aujourd’hui, il existe plusieurs propositions d’urgence. Parmi elles, la suppression des paradis fiscaux et judiciaires ; l’urgence climatique ; le refus de l’idéologie sécuritaire limitant la démocratie et criminalisant le mouvement social. Parmi les propositions, se dégage particulièrement la séparation de la finance et de l’État.

La situation a changé plusieurs fois, de la gestation du PSU, dès le début des années 1950 à 1962, de 1965 à 1973, de 1973 à 1981, après 1981. Le PSU a cherché à redéfinir sa conception des alliances. Il avait défini une stratégie du front socialiste, ensemble des partis et des syndicats faisant référence, plus ou moins, au socialisme. Pour le PSU, la base de la transformation était constituée par le mouvement ouvrier et le mouvement paysan. Les alliances ont changé, comme il est normal, avec les périodes. D’abord, dans la définition du mouvement ouvrier, avec notamment, au début, les techniciens et les qualifiés et ensuite les migrants, et dans la définition du mouvement paysan avec les paysans travailleurs. Ensuite, la jeunesse étudiante s’est invitée avant 1962, contre la guerre d’Algérie, et entre 1965 et 1973. Les mouvements sociaux et citoyens à partir de 1969 se sont diversifiés et ont changé le sens des alliances, avec les femmes, les migrants, les habitants, les minorités nationales, les consommateurs et les écologistes. La définition des bases sociales et des alliances d’un nouveau projet sont à définir et à construire. On retrouve dans cette période la nouvelle conception des mouvements dans le mouvement altermondialiste tels qu’ils se déploient dans le processus des forums sociaux mondiaux.

Dans la construction d’un nouveau projet de transformation sociale, la bataille pour l’hégémonie culturelle est centrale. C’est ce qu’a compris la droite, qui a mené une bataille de trente ans pour déconstruire les évidences et pour expliquer que les inégalités sont naturelles et mêmes nécessaires et que l’idéologie sécuritaire passe par l’ordre et la répression. Cette bataille est en cours et la droite a marqué beaucoup de points. Le PSU avait reconnu dans la bataille des idées le renouvellement en gestation. C’est ce qui lui a permis de comprendre mai 68 et de le vivre pleinement. C’est cet héritage de mai 68 que l’on retrouve aujourd’hui dans les forums sociaux mondiaux (horizontalité, diversité, activités autogérées, consensus). Le PSU est probablement un des partis qui a le plus rompu dans sa pratique avec la notion du parti d’avant-garde, même s’il n’en avait pas tiré toutes les conséquences théoriques et pratiques. C’est ce qui se vit aujourd’hui avec la montée en puissance d’une nouvelle culture politique qui se cherche, non sans contradictions, à travers le mouvement altermondialiste et les mouvements des indignés, Occupy et autres Nuit Debout.

L’équation stratégique de la transformation sociale est en cause. Elle s’énonce : le mouvement social résiste et mobilise ; il suscite la création d’un parti ; le parti organise la conquête de l’État, l’État permet de changer la société. Immanuel Wallerstein date cette conception de Cromwell ; Emmanuel Terray remonte plus loin, il analyse la naissance et la victoire du parti chrétien du Ier au IIIe siècle, jusqu’à l’imposition du christianisme par l’empereur Constantin. C’est comme cela que la bourgeoisie a assis son pouvoir. Les premières internationales ont discuté pendant cinquante ans de la reproduction de cette équation, discutant notamment du dépérissement de l’État, avant de la confirmer. Mais aujourd’hui, cette proposition fuit par toutes ses articulations. Le mouvement social est dès le début politique, sans attendre le parti pour s’en convaincre. Le parti conçu pour conquérir l’État devient parti-État avant même de l’avoir conquis. La société se structure et se complexifie avec les mouvements sociaux et les sociétés civiles. L’État n’est pas l’unique manière de changer la société, même si son action reste indispensable pour le changement. L’État est capturé par le capital financier ; l’État est ensuite bouleversé avec la désintégration de l’État social et la montée en puissance de l’État d’exception, l’État sécuritaire.

Cette réinvention de la culture politique s’inscrit dans le renouvellement du rapport entre pouvoir et politique. Le pari est d’inventer de nouvelles formes de rapports entre la question sociale et les mouvements, et entre le politique et les institutions. L’impératif démocratique est au centre de cette réinvention. L’interrogation porte sur la nature contradictoire de l’État, entre le service des classes dominantes et l’intérêt général, sur la crise de l’État-nation et sur le rôle de l’État dans la transformation sociale. Elle porte aussi sur la nature du pouvoir et sur le rapport au pouvoir. Dans les processus engagés, notamment par rapport à la violence, les modalités de la lutte pour le pouvoir peuvent l’emporter sur la définition du projet et marquer profondément la nature de la transformation sociale. La culture démocratique est, sur ce plan, déterminante. La remise en cause de la domination passe par la confrontation pour l’hégémonie culturelle. Toute transformation sociale est confrontée à la remise en cause du pouvoir dominant. Il n’y a pas de changement social sans rupture, sans discontinuité dans les formes du politique et du pouvoir. Cette rupture et sa maîtrise possible constituent le pari fondateur de tout changement social. Le débat sur les orientations générales et les applications dans des situations spécifiques est au centre des débats du mouvement altermondialiste. De manière foisonnante et constante, ces questions ont occupé continuellement, sous différentes formes, l’histoire du PSU. Elles sont aujourd’hui au centre des débats.

La question la plus complexe est celle du parti. C’est là que l’histoire du PSU peut beaucoup apporter [4]. Le PSU a été porteur de plusieurs figures d’un parti politique et permet d’en discuter différentes variantes. Le rejet de la forme parti, aujourd’hui très large, combine trois critiques fondamentales. L’une est le désaveu général des partis perçus comme indissociable d’un système général de corruption et de participation à un système politique non réformable. L’autre est celle du parti de gouvernement, particulièrement ceux de la social-démocratie. C’est ce qui a marqué le PSU de 1983 à 1986 et qui explique probablement son déclassement et sa réduction à un micro-parti avant sa disparition. La troisième est celle du parti d’avant-garde combinant la soumission à la rationalité dominante de gouvernement et tentations autoritaires. Les partis révolutionnaires arrivés au pouvoir dans différents pays n’ont pas été capables de mener jusqu’au bout des politiques de réelle rupture ave le capital dominant et ont montré une forte difficulté à gérer les questions du pouvoir.

Pour autant, la méfiance par rapport aux partis laisse un grand vide. Dans les forums sociaux mondiaux, les partis sont présents à travers leurs mouvements, mais ils ne sont pas organisateurs, car le débat entre partis confronte des schémas globaux qui sont vite antinomiques. Alors que les mouvements sont capables de gérer une diversité qui combine la singularité des luttes et leur convergence. Ce qui laisse toutefois vacante la spécificité du champ politique. Reste aussi posée la question des formes d’organisation que tous les mouvements doivent se poser. Et on voit, dans le cas du PSU, ce que quelques milliers de militants insérés dans les mouvements peuvent arriver à faire. Le rejet des partis d’avant-garde ne nie pas l’importance des formes d’organisation et des minorités actives si elles sont contrôlées et inscrites dans une démarche démocratique.

Le PSU a eu l’intuition de la possibilité de dépasser la forme parti d’avant-garde. Le débat est relancé dans Tribune socialiste par Jean-Marie Vincent, qui se réfère à un texte de Lucio Magri, un des théoriciens du Manifesto italien sur le Mouvement politique de masse. En 1970, les « Assemblées régionales ouvrières et paysannes » organisent en commun des ouvriers et des paysans inscrits dans des luttes, qu’ils soient membres du PSU ou pas. La proposition est d’élire dans ces assemblées la moitié des membres de la direction nationale du PSU qui pourraient ne pas être membres du parti. Cette proposition, tellement contraire à la conception d’un parti politique classique, est accueille avec surprise et rejetée.

Bernard Ravenel insiste sur le temps passé par le PSU à élaborer des positions et des motions chaque fois que la situation change. Ce travail est considérable et permet de voir à l’œuvre l’intérêt d’une organisation partidaire. Parfois, cette mécanique tourne à vide car l’impact de ces positions n’est pas évident. Souvent, elles sont surtout destinées aux autres organisations du champ politique, au gouvernement et aux médias. Mais parfois, elles embrayent sur des mouvements, synthétisent des aspirations et contribuent à changer les situations. On voit là s’esquisser ce que pourrait être le rôle d’un parti nécessaire, tel que l’abordaient différemment Gramsci et Bourdieu, et tel que l’a tenté le PSU, celui d’un intellectuel collectif au service des luttes et des mouvements.

Notes

[1HEURGON Marc, Histoire du P.S.U. 1- La fondation et la guerre d’Algérie (1958-1962), Paris, La Découverte, 1994 (Textes à l’appui/Série Histoire Contemporaine)

[2Le PSU, des idées pour un socialisme du XXIe siècle ? Actes du Colloque de CERISY 15-16 mai 2011 sous la direction de Jacques Sauvageot, Presses Universitaires de Rennes, 2012.

[3Au cœur des luttes des années soixante, Les étudiants du PSU : Une utopie porteuse d’avenir ? Coordonné par R. Barralis/J-C. Gillet- Publisud, 2010.

[4Parti et mouvement social : le chantier ouvert par le PSU, Coordonné et dirigé par J-C Gillet et M. Mousel – L’Harmattan, 2012.

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