Retour sur la victoire des ouvrières de Flormar contre Yves Rocher

lundi 8 avril 2019, par Emre Öngün

Attac France s’était associée à la campagne internationale en soutien à la lutte des ouvriers-ouvrières de Kosan Kozmetik manufacturant les produits de la marque Flormar et avait appellé au boycott des marques de la multinationale Rocher (dont le principal est Yves Rocher). Ces salarié-e-s avaient été licencié-e-s pour avoir cherché à fonder un syndicat dans l’usine ou avoir manifesté de la sympathie pour le personnel mobilisé.

Après près de 10 mois de lutte, les ouvrières ont obtenu une victoire partielle : les ouvrier-e-s ont obtenu une indemnité de 16 mois de salaire, la requalification de leur licenciement leur ouvrant droit au chômage tandis que certaines procédures judiciaires individuelles se poursuivent. Cet accord a été validé à une majorité de près de 2/3 d’une assemblée générale. Si les revendications de réintégration et de constitution d’un syndicat dans l’entreprise n’ont pas été satisfaites, le résultat est tout de même un succès même si partiel au regard de l’intransigeance patronale initiale et des conditions difficiles de mobilisation.
Nous revenons sur le sens de cette lutte contre l’impunité d’une multinationale avec Chloé Stevenson d’Action Aid France qui a été en pointe dans le soutien en France

1) La lutte des Flormar a duré près de 10 mois, quels ont été les principales modalités de lutte ? Comment cette mobilisation a pu durer aussi longtemps ?

La force des ouvrièr·es de Flormar, accompagné·e·s par leur syndicat Petrol-Is, a été de combiner différents moyens d’action. D’abord en maintenant un piquet quotidien, malgré des conditions souvent difficiles, à commencer par une absence de rémunération ou d’indemnisation. Au cours de ces dix mois elles ont notamment subi le harcèlement policier, le froid, et l’isolement d’avec leurs collègues encore présent·e·s dans l’entreprises. En effet Flormar a rapidement fait construire un imposant mur surmonté de barbelés afin d’empêcher le contact entre les travailleur·se·s exclu·e·s et les autres salarié·e·s.
Plusieurs procédures en justice ont également été lancées. Pour contester les licenciements bien sûr, mais aussi le refus de Flormar de négocier collectivement avec le syndicat, dont la représentativité avait pourtant été reconnue par le ministère du travail.
Il faut également souligner que les Flormar sont parvenues à donner un écho international à leur lutte, faisant pression sur leur maison-mère, le groupe Rocher. Cette solidarité a été décisive pour pousser les employeurs à proposer un accord, après des mois où la seule réponse du groupe consistait à diffamer les ex-salarié·e·s et leur combat.

2) Le groupe Rocher est une multinationale basée en France. En quoi a-t-elle bénéficié de la situation politique en Turquie contre les ouvrières ?

En Turquie comme en France, le droit à se syndiquer est garanti par la loi, mais aussi par les conventions internationales de l’Organisation internationale du travail. Ceci étant, il est possible que l’entreprise se soit sentie confortée par le climat actuel de forte répression des mouvements sociaux en Turquie. Il semble par ailleurs que le groupe Rocher est moins regardant sur le respect des droits humains lorsqu’il opère à l’étranger. En 2005, ActionAid France avait déjà soutenu la lutte d’ouvrières d’Yves Rocher au Burkina Faso. Elles travaillaient dans des conditions indignes depuis déjà plusieurs années, et se sont révoltées lorsque le groupe a voulu les licencier sans indemnités. On voit bien le deux poids deux mesures en matière de respect des droits fondamentaux.

3) Quelle a été l’importance de la solidarité internationale pour obtenir les concessions du groupe Rocher ?

Je pense que cela a été déterminant, c’est également ce que nous ont dit les ouvrières lorsque nous sommes allées à leur rencontre. Des dizaines d’actions ont été organisées dans plusieurs pays d’Europe, des clientes françaises ont contacté l’entreprise pour être retirées des fichiers de l’entreprise, de grands médias ont couvert l’affaire... tout cela a concouru à écorner l’image de marque d’Yves Rocher. Or pour eux, c’est crucial. Leur modèle économique s’appuie sur un marketing extrêmement fort qui présente le groupe Rocher comme le champion des droits des femmes, de l’inclusivité, de l’écologie... Le fait d’être identifiés, en France notamment, comme une entreprise foulant au pied le droit syndical a sans aucun doute joué dans la décision de Flormar d’ouvrir une discussion avec les salarié·e·s licencié·e·s. L’entreprise a été jusqu’à leur demander de cesser leurs actions internationales.
Plus concrètement, la solidarité d’organisations internationales telles qu’ActionAid France a permis de soutenir financièrement les ouvrier·e·s privé·e·s de leur salaire.

4) Tu as assuré la campagne de solidarité avec cette mobilisation pour Action Aid France. Peux-tu nous présenter cette organisation ? 

ActionAid France fédère une quarantaine d’associations de solidarité internationale et des centaines de militant·e·s en France. Depuis 1983, nous faisons pression sur les décideur·se·s politiques et économiques pour porter la voix des femmes et des hommes qui luttent pour leurs droits économiques, sociaux et culturels. Nous luttons à leurs côtés et non à leur place, dans quatre domaines : dignité au travail, souveraineté alimentaire, encadrement des multinationales et droits des femmes.
Nous apportons donc notre soutien à des luttes ponctuelles comme c’est le cas avec Flormar. Mais nous agissons aussi pour des règles contraignantes qui permettent de prévenir de telles violations, et de donner accès à la justice aux victimes. Ainsi nous sommes aussi membres de la coalition qui s’est mobilisée pour l’adoption, il y a deux ans, de la loi sur le devoir de vigilance. C’est un moyen de responsabiliser les grandes multinationales présentes en France - comme le groupe Yves Rocher - lorsque des violations des droits humains, ou des atteintes graves à l’environnement, ont lieu au sein de leur chaine de valeur. Cela inclut donc leur filiales, sous-traitants et autres fournisseurs. Malgré ses insuffisances, cette loi française est pionnière, et nous nous battons pour la voir s’étendre au niveau mondial.

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