« Pas en notre nom ». C’est le mot d’ordre du Forum Féministe contre le G20, qui a rempli la Place du Congrès de Buenos Aires avec des interventions artistiques, des performances, une foire de l’économie sociale populaire et des tables rondes pour dénoncer la venue du W20 (le groupe d’affinité de femmes du G20), critiquer ses politiques néolibérales et débattre des réalités des femmes, féministes, migrantes, indigènes, afro-descendantes et de la population queer latino-américaine. En d’autres mots, des réalités se trouvant aux antipodes de celles des femmes entrepreneuses, millionnaires, blanches et issues de milieux élitistes organisant le W20.
Créé en 2015, le W20 a pour but de proposer des recommandations aux leaders du G20 pour promouvoir la pleine participation économique et sociale des femmes dans le marché, leur inclusion financière et une réduction de l’écart entre les taux d’activité des hommes et des femmes. Cette année, son objectif principal est de promouvoir l’autonomisation économique des femmes à travers quatre axes : l’insertion professionnelle, l’inclusion numérique, l’inclusion financière et le développement rural. Autrement dit, le programme du W20 viserait à émanciper les femmes en augmentant leur employabilité et leur participation dans le marché du travail, et en facilitant leur accès à des microcrédits pour financer des projets d’entreprenariat.
Cependant, derrière ces discours de soi-disant « empowerment » (d’autonomisation), les politiques d’inclusion commerciale et financière préconisées par le W20 ne s’attaquent en rien aux racines structurelles de la domination capitaliste hétéro-patriarcale ainsi qu’aux inégalités et à la violence de genre. Il n’y a aucune remise en question de la division sexuelle du travail et de l’invisibilisation du travail domestique et de reproduction (pourtant indispensable pour faire tourner l’économie actuelle). On promeut l’intégration des femmes dans le marché du travail sans parler de leur double (ou triple) exploitation, de la précarité des emplois qui leurs sont offerts pour les « émanciper » ou du fait que l’augmentation du taux d’activité des femmes ne s’accompagne pas d’une plus grande participation des hommes dans le travail domestique. Les microcrédits, tant promus par le W20 et autres institutions telles que la Banque Mondiale et le FMI, serait censés permettre aux femmes d’investir dans des opportunités de marchés pour développer des micro-entreprises et sortir de la pauvreté. Or le fonctionnement des microcrédits ne fait que reproduire les dynamiques du système capitaliste financier mondial à une échelle micro-économique et provoque des cycles croissants d’endettement, de dépendance et d’appauvrissement impactant surtout les femmes, qui empruntent majoritairement pour assurer le fonctionnement de leur foyer et la subsistance de leurs familles.
C’est donc face au W20 et à sa perspective élitiste, néolibérale, binaire et hétérosexuelle que ces journées d’actions ont été organisées par le Forum Féministe contre le G20 - une convergence diverse, internationale et transversale de travailleuses féministes, militantes, syndicalistes, étudiantes, migrantes, femmes indigènes, afro-descendantes, paysannes, queer, lesbiennes, personnes non binaires, trans et travestis, entre autres. Basé sur des principes de féminismes populaires – c’est-à-dire produits depuis les bases – ce forum s’inscrit dans un processus de construction collective datant du Forum Féministe contre l’OMC, qui s’est tenu l’an dernier à Buenos Aires. Ce collectif, en constante expansion, a pour objectif de créer des espaces de résistance contre le capitalisme hétéro-patriarcal et la construction d’alternatives féministes radicales (à différencier du soit disant « féminisme » néolibéral, élitiste et eurocentrique). C’est dans ce cadre que s’inscrivent la réflexion et la critique collective des perspectives de genre et des politiques néolibérales du W20 et du G20, qui contribuent à soutenir l’actuel système socio-économique masculiniste, responsable non seulement de la violence structurelle, sexiste et raciste contre les femmes – et surtout des populations indigènes, afro-descendantes et queer – mais aussi de la destruction de la planète.
Les actions du Forum Féministe contre le G20 ont démontré que les femmes d’affaires ne sont pas les seules à pouvoir (et devoir) prendre la parole et qu’il existe des formes d’émancipations bien plus radicales et transcendantes que les fausses promesses d’ « empowerement » du W20. Un féminisme qui se base sur les expériences et les connaissances de la vie quotidienne des gens pour construire des savoirs et des pratiques transformatrices. Un féminisme qui permet une analyse et une critique à la fois de l’organisation au sein des foyers et des politiques macro-économiques internationales contribuant aux inégalités de genre vécues au quotidien. Un féminisme centré sur les pratiques du care, des assemblées, de la sororité, de la solidarité, de l’empathie, de l’écoute attentive, de l’autoréflexion et du partage. Un féminisme qui nous permet non seulement de résister contre les effets dévastateurs du système actuel, mais aussi de repenser nos propres pratiques et modes d’organisations – y compris au sein des mouvements et collectifs dits les plus progressistes. Un féminisme qui conçoit l’économie et la société non pas au service des marchés, de la croissance et de la productivité mais au service des êtres vivants et de la nature.
Alors que nous traversons actuellement une crise systémique dont l’ampleur et les impacts sont sans précèdent, il est devenu impératif de repenser et réinventer d’autres formes d’organiser nos sociétés, nos relations sociales et nos vies. Aujourd’hui, c’est bien le féminisme qui se positionne comme l’alternative systémique la plus puissante, la plus catalytique et la plus transversale. Les mouvements tels que Ni Una Menos, Me Too, la 2e grève internationale du 8 Mars, les campagnes pour la légalisation de l’avortement, les récentes mobilisations des femmes brésiliennes contre Bolsonaro (le candidat aux présidentielles de l’extrême-droite, misogyne, raciste et homophobe) et les actions du Forum Féministe contre le G20, entre autres, sont toutes des expressions de cette nouvelle vague féministe, en constante expansion à l’échelle locale, nationale et internationale, qui nous montre qu’un autre monde est en effet possible. C’est pourquoi déclarer que le futur – ou la révolution – sera féministe ou ne sera pas n’est pas seulement un slogan. C’est penser le féminisme comme étant le seul projet politique viable, la seule alternative possible, pouvant mettre un terme aux structures de domination et d’oppression du capitalisme, du patriarcat, du racisme, de l’anthropocentrisme et du productivisme, tout en assurant la pérennité de la vie sur Terre.