La caractéristique de ce mouvement était sa capacité à regrouper des secteurs sociaux et militants très différents pour avancer sur des combats communs. Des convergences qui étaient jugées impossibles par de nombreux commentateurs comme ces journalistes qui estimaient qu’une alliance entre les “défenseurs des tortues marines et des syndicats de travailleurs” telle qu’elle avait existé à Seattle ne pouvait perdurer. C’est pourtant ce type d’alliance qui a été la raison du succès des Forum sociaux et des manifestations altermondialistes. Des alliances qui ont été rendues possibles par une transformation de la culture politique des mouvements sociaux. Au 20e siècle la culture politique dominante était fortement hiérarchisée, entre classes et groupes sociaux, entre partis politiques et syndicats comme au sein de chacune de ces organisations. Au contraire, à Seattle comme à Porto Alegre aucune hiérarchie n’était établie et chaque mouvement et organisation pouvait défendre ses propositions et construire les alliances qu’il estimait utile pour défendre des combats sociaux, démocratiques, écologistes ou féministes.
Les différents mouvements italiens présents à Porto Alegre à la fin du mois de janvier 2001, les “centres sociaux” très impliqués dans le soutien au mouvement zapatiste, des syndicalistes de la CGIL, le principal syndicat italien, des associations comme ARCI, de plus d’un million de membres, ou la Lega Ambiente, la principale association de défense de l’environnement, n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble. Pris dans la dynamique du premier Forum social mondial, ils ont proposé un grand rendez-vous face au G8, le rendez-vous des dirigeants des principales puissances du monde, qui devait se tenir en juillet à Gênes, en Italie. Les mouvements présents à Porto Alegre, en particulier les européens, les premier concernés, ont accueilli cette proposition avec enthousiasme et ont accepté de participer à un comité de préparation international qui s’est mis sur pieds très tôt avant les manifestations.
Les manifestations des 19, 20 et 21 juillet font partie de notre mémoire collective, par leur importance numérique, leur diversité, mais aussi par l’incroyable déchaînement de violences policières marquées par la mort de Carlo Giuliani, l’évacuation sanglante, en pleine nuit, de l’école Diaz et les tortures et mauvais traitements infligés aux manifestant·es dans la caserne de Bolzaneto. Mais elles ont également été le point de départ de grandes mobilisations et également une expérience fondatrice pour des forces politiques et leurs responsables.
Après les évènements de Gênes, les mobilisations se sont développées dans de nombreux pays en particulier sur des questions sociales. En Italie, cela s’est traduit par les luttes victorieuses pour la défense des droits des travailleurs face aux licenciements de 2002 et 2003. Mais ce qui a été le plus important sur le plan international a été la mobilisation mondiale contre la guerre en Irak qui a mis dans la rue, en février et mars 2003, des dizaines de millions de manifestant·es, et cela sur tous les continents.
Sur le plan politique, le mouvement altermondialiste a été une source majeure d’inspiration des forces de gauche qui arrivèrent au pouvoir dans la plupart des pays d’Amérique du Sud dans la décennie 2000. A une moindre échelle cela a été le cas en Europe, où les manifestations de Gênes et les Forum sociaux ont facilité les rapprochements de différentes forces politiques, comme en Grèce avec le processus qui aboutit à la formation de Syriza, ou en Espagne où les dirigeants de Podemos forgèrent leur culture politique à partir de l’expérience des gouvernements progressistes sud-américains et du mouvement altermondialiste que Pablo Iglesias avait suivi de près, par ses études à Florence et sa participation aux manifestations de Gênes et au Forum social européen de Florence, en 2002.