Le prochain sommet du G20 à Buenos Aires : ce qu’il nous dit de la marche du monde

jeudi 8 novembre 2018, par Isabelle Bourboulon

Certes, les pays du G20 ont un poids économique largement dominant dans le monde (à eux seuls, ils représentent 85 % du PIB mondial, deux tiers de la population mondiale, 75 % du commerce mondial, 80 % de l’investissement global, etc.), mais il ne s’agit pas pour autant d’un gouvernement économique du monde. Enfin, de moins en moins…

Le G20 ou l’impossible coopération internationale ?

Certes, les pays du G20 [1] ont un poids économique largement dominant dans le monde (à eux seuls, ils représentent 85 % du PIB mondial, deux tiers de la population mondiale, 75 % du commerce mondial, 80 % de l’investissement global, etc.), mais il ne s’agit pas pour autant d’un gouvernement économique du monde. Enfin, de moins en moins…

Au cours de son histoire d’une vingtaine d’années (le G20 a été créé en 1999), il a surtout laissé sa marque en novembre 2008 lorsque, réuni à l’instigation de Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, Premier ministre britannique d’alors, il a proposé une réponse à la crise financière et économique la plus grave que le monde ait connue depuis les années 1930. Réponse insuffisante, sans doute, mais qui a eu au moins le mérite d’accoucher du Conseil de stabilité financière chargé de coordonner le travail des régulateurs financiers au niveau international. Rassemblant les économies nationales ayant une importance « systémique », le G20 a fonctionné alors comme un forum de coopération économique. Il faut dire que la panique était violente qui incitait à se serrer les coudes…

Qu’en est-il aujourd’hui ? Où en est cette promesse unanime faite en 2008, de la Chine aux États-Unis, de renoncer aux mesures de protections commerciales ? Quid de cet esprit coopératif qui animait le G20 ? En réalité, les coups de boutoir portés par l’administration américaine depuis un an et demi en ont sérieusement entamé la crédibilité.

En outre, la conjoncture mondiale présente est tout sauf favorable : guerre commerciale déclenchée par Washington qui obscurcit les perspectives de croissance ; tensions sino-américaines, mais aussi entre les Américains et les Européens ; bras de fer avec l’Iran avec pour effet le renchérissement du prix du pétrole (passé de 30 dollars en 2016 à près de 80 dollars dernièrement). D’où la crainte d’un retour de l’inflation et d’une remontée rapide des taux d’intérêt. Certains perçoivent même dans la situation actuelle les signes précurseurs d’une nouvelle crise mondiale.

Au même moment, l’Argentine fait la manche auprès du FMI [2]

C’est dans ce contexte morose pour l’économie mondiale que va se tenir à Buenos Aires, du 30 novembre au 1er décembre, le prochain G20. Comble de l’ironie, l’Argentine du président Mauricio Macri, fervent adepte des recettes de l’économie néolibérale, passe actuellement un très mauvais moment. Avec un taux d’inflation de 25 % et une dette extérieure libellée à 64 % en dollars et en monnaies étrangères (en 2017, la dette publique argentine représente 53 % du PIB), l’Argentine est le pays le plus vulnérable de tous ceux du G20 !

Pourtant en 2017, une relative amélioration de la situation économique stimulée par une augmentation des dépenses publiques, et une campagne électorale agressive sur les réseaux sociaux dénonçant les gouvernements précédents comme autoritaires et corrompus, avaient permis au parti au pouvoir de remporter haut-la-main les élections législatives d’octobre. Mais, dans les jours qui ont suivi, conforté par ces résultats, le président Macri a lancé une série de réformes législatives d’ampleur dans les domaines du travail, de la sécurité sociale, de la fiscalité et des règles électorales afin d’accélérer son programme néolibéral. Seule la réforme des retraites a d’ailleurs été approuvée par le Parlement, en décembre 2017, dans un contexte de manifestations massives et d’une violente répression policière.

Contrairement aux promesses du gouvernement de faire de l’Argentine un « supermarché mondial », la libéralisation de ses échanges commerciaux a entraîné une augmentation des importations et un important déficit commercial. Parallèlement, l’augmentation des transferts de bénéfices des sociétés transnationales et la fuite des capitaux alimentée par la spéculation ont encore aggravé le déficit financier. Au même moment, les agences financières internationales, y compris le FMI, commençaient à mettre en garde le gouvernement argentin contre le danger qu’il y avait à augmenter constamment la dette extérieure, dans un contexte de réorientation des flux financiers vers les États-Unis.

Et en effet, six mois plus tard, la hausse annoncée des taux d’intérêt aux États-Unis plongeait l’économie argentine dans la récession (dévaluation du peso, inflation et fuite des capitaux). Plusieurs interventions erratiques de la Banque centrale argentine, entraînant une perte considérable de ses réserves, ne réussissaient pas à juguler la crise et, aux premiers jours de mai 2018, le président argentin annonçait publiquement le début de négociations avec le Fonds monétaire international (FMI).

Loin de résoudre la crise, ces négociations l’ont aggravée : entre mai et octobre, le peso argentin a été dévalué de presque 100 % ; l’inflation s’est accélérée et l’activité économique est entrée dans une récession de plus en plus grave ; la pauvreté, le chômage et la précarité de l’emploi ont augmenté ; la réduction des dépenses publiques dans les domaines sociaux s’est accélérée, contribuant à la détérioration de l’éducation, de la santé et du secteur productif.

En juin, un premier accord a été approuvé par le FMI. Puis, en septembre, après une nouvelle dévaluation, un deuxième accord a été renégocié de toute urgence aboutissant à un prêt total de 56 milliards de dollars. Entre les deux, le gouvernement s’est engagé à contenir radicalement le déficit budgétaire, il a ordonné la suppression des ministères de la Santé et du Travail en les réduisant au rang de secrétariats d’État, et s’est engagé à cesser ses émissions monétaires.

En réaction, manifestations et grèves générales se suivent

Ni la situation économique catastrophique, ni l’intensification de la répression ne réussissent à empêcher les réactions et résistances populaires. Depuis 2016, quatre grèves générales ont eu lieu et d’innombrables manifestations sectorielles ont envahi les rues. Dans les zones industrielles de Cordoba, Santa Fe et Buenos Aires, les licenciements, mises à pied et fermetures d’usines dans les secteurs de la métallurgie (3 000 licenciements) et de l’automobile (dont la capacité de production a été réduite de 50 %), ont déclenché des manifestations monstres et des barrages routiers.

Le secteur de l’enseignement n’est pas en reste dont les professeurs d’université ont fait grève pendant tout le mois d’août dernier pour obtenir des augmentations salariales et budgétaires, grève rejointe par les étudiants des dix principales universités du pays. Récemment, les syndicats d’enseignants et d’éducateurs, de médecins et d’agents de santé, le pouvoir judiciaire et l’administration publique ont annoncé une prochaine mobilisation unitaire et massive pour contrer les politiques d’ajustement.

Le 25 septembre dernier, les trois principales forces syndicales [3], Confédération générale du travail (CGT), Centrale des travailleurs argentins (CTA) et Confédération des travailleurs de l’économie populaire (TCPA – travailleurs précaires et de l’économie informelle) ont appelé à la deuxième grève générale de 2018. Le gouvernement fait d’ailleurs tout ce qu’il peut pour éviter que cette grève ait lieu pendant le G20…

Quant aux mobilisations féministes, elles ne cessent de prendre de l’ampleur. Avec le mouvement « Ni una menos », les femmes ont réussi à massifier la répudiation de la violence sexiste en Argentine. En octobre 2016, elles ont organisé la première grève générale contre le gouvernement Macri. Puis, cette année 2018 a été marquée par la lutte pour la légalisation de l’avortement qui a rassemblé près de deux millions de personnes dans les rues de Buenos Aires dans la nuit du 8 août. Les protagonistes de cette nouvelle vague du féminisme - qui combine à la fois la perception de la violence sexiste, de l’inégalité des sexes et du droit des femmes à disposer de leur corps et de leur désir - sont surtout les jeunes filles et adolescentes (on parle d’ailleurs de « révolution des filles »). Au-delà, ce sont les femmes syndicalistes, des mouvements sociaux et du milieu des arts et de la culture qui ont donné force à ce mouvement social, aussi hétérogène que massif.

Toutefois, différentes stratégies coexistent au sein de tous ces mouvements et la question de savoir quelle pourra être leur traduction politique, y compris dans une perspective électoraliste, est encore ouverte.

Les priorités du G20 : surtout ne pas fâcher le puissant partenaire du Nord

En tant que pays organisateur où se tiennent toutes les réunions dont plusieurs ont déjà eu lieu (finances, affaires étrangères, commerce…), l’Argentine a la possibilité de choisir les thèmes qu’elle juge prioritaires. Au programme du prochain G20 figurent donc :

  • Les questions liées à l’emploi, au numérique et à l’éducation, sous l’angle de l’avenir du travail à l’heure du numérique, avec un accent particulier sur la formation, dans l’objectif de réduire la fracture numérique et de permettre l’adaptation des compétences des travailleurs.
  • Le financement de projets d’infrastructure en faveur du développement, l’accent étant mis sur la mobilisation des financements publics et privés.
  • L’agriculture durable, avec un accent sur l’importance de la productivité des sols dans le respect des exigences environnementales et de la sécurité alimentaire.

Autrement dit, des priorités pour le moins consensuelles et qui évitent les sujets clivants comme le protectionnisme, la concertation sur les politiques monétaires ou la lutte contre le réchauffement climatique. Néanmoins, en marge de l’agenda officiel pourraient être abordés deux autres sujets d’importance : la relance des négociations sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur et la réforme de l’OMC.

Vers une réforme de l’OMC ?

On assiste, depuis quelque temps, à un regain d’intérêt pour l’Organisation mondiale du commerce. Parmi les raisons de ce regain d’intérêt : l’enlisement des négociations du cycle de Doha pour le développement, les attaques de l’administration Trump à l’encontre de l’institution allant jusqu’à menacer d’en sortir – et plus globalement contre le multilatéralisme –, les propositions de réformes portées par cette même administration, ainsi que les mesures de politique commerciale engagées, selon des motifs différents, à l’encontre de la Chine, de l’Union européenne et de la Turquie. Rarement depuis 2008, les concurrences et rivalités interétatiques n’ont été aussi exacerbées et amplifiées par la multiplication des accords commerciaux bilatéraux et régionaux. Les règles de l’OMC datent de 1995. Or, durant ce quart de siècle, la mondialisation a radicalement transformé l’économie politique mondiale.

Réformer l’OMC donc. Une première réunion s’est tenue à Ottawa les 24 et 25 octobre dernier à laquelle participaient douze pays [4] plus l’Union européenne en tant que telle. Quelles ont été les pistes envisagées ? D’abord, renforcer le cadre réglementaire de l’OMC qu’on juge plein de failles. Puis améliorer la surveillance entre les États en les obligeant à mieux communiquer sur leurs pratiques commerciales, autrement dit les obliger à plus de transparence. Par exemple, on estime que la moitié des 164 États-membres de l’OMC ne communiquent pas sur les subventions publiques accordées à leur secteur industriel. Pourtant, quand il s’agit de sévir, il y a un outil qui fonctionne plutôt bien à l’OMC, c’est le système de règlement des différends. L’instance a été saisie des dizaines de fois depuis 1995... y compris ces derniers mois avec la guerre commerciale lancée par les États-Unis. Ces derniers n’apprécient d’ailleurs pas que les juges de l’OMC les rappellent à l’ordre lorsqu’ils imposent des mesures anti-dumping ou anti-subvention pour défendre leur industrie. Du coup, depuis plusieurs années (c’était le cas déjà avant l’arrivée de Trump), Washington bloque le renouvellement d’un juge de la cour d’appel de l’OMC qui règle les conflits commerciaux. Ce qui menace directement la pérennité de cette instance surchargée de dossiers.

Parmi les cas litigieux figure celui de la Chine : celle-ci doit elle continuer d’être considérée comme un pays en développement par l’OMC et donc jouer avec des règles différentes ? C’est une question qui intéresse beaucoup de pays membres ou de ceux qui souhaitent adhérer à l’OMC.

Dans un communiqué à la langue de bois coutumière des instances internationales, les pays participant au sommet d’Ottawa déclarent : « La situation actuelle à l’OMC n’est plus viable. Notre volonté de changement doit s’accompagner de mesures : nous continuerons à lutter contre le protectionnisme, et nous nous sommes engagés politiquement à favoriser de façon pressante la transparence, le règlement des différends et l’élaboration de règles commerciales du XXIe siècle à l’OMC [5] ».

A priori, tous partagent globalement trois objectifs immédiats : permettre une désescalade de la politique unilatéraliste américaine et des mesures de rétorsion qu’elle suscite, trouver une solution au blocage du système de règlement des différends et favoriser une reprise des négociations commerciales à l’OMC.

Mais c’est ici que les choses se fragmentent entre : « ceux qui accepteraient de parler règlement des différends mais ne veulent pas parler subventions ni propriété intellectuelle ; ceux qui veulent bien parler industrie mais à condition que l’on parle aussi d’agriculture et de commerce électronique ; ceux qui ne veulent parler que d’agriculture ; ceux qui ne veulent parler de rien, car ils rejettent toute incursion de l’OMC en dehors d’un agenda de Doha désormais sub-claquant et de la règle du consensus de tous les membres [6] ». Bref, comme on le voit, il y a encore du pain sur la planche… Le sujet devrait revenir sur la table du G20 de Buenos Aires, porté notamment par Emmanuel Macron qui en attend « une feuille de route sur la réforme de l’OMC ».

Notes

[1Outre l’Union européenne en tant que telle, le G20 regroupe 19 États : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie.

[2Les données concernant la situation économique et sociale de l’Argentine sont extraites du rapport intitulé « Retour de l’Argentine au FMI : néolibéralisme, crise et conflits sociaux », publié par l’Institut de recherche sociale Tricontinental (cet institut revendique l’héritage de la Conférence tricontinentale du mouvement des pays non alignés créé dans les années 1960).

[3Notons que le taux de syndicalisation en Argentine, 37 %, est un des plus élevés d’Amérique du Sud dont la moyenne est autour de 25 %.

[4L’Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Corée, le Japon, le Kenya, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, Singapour et la Suisse.

[5Communiqué final de la réunion sur la réforme de l’OMC, Ottawa, 25 octobre 2019.

[6Direction générale du Trésor, Brèves de l’OMC n°9 – 1er octobre 2018 : « Réforme de l’OMC : objectif Buenos-Aires ? »

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