Le gouvernement chilien veut mettre en ordre sa maison avant l’arrivée de Trump

jeudi 31 octobre 2019, par Luciana Ghiotto

Les événements qui ont eu lieu au Chili au cours des trois derniers jours ont provoqué une surprise, tant dans le pays que dans la région. La manifestation nationale n’a pas de leaders évidents, ni de délégués, ni de porte-parole. Du point de vue du gouvernement, une manifestation qui ne peut être contrôlée est plus dangereuse qu’une grève générale ou une mobilisation organisée par des organisations sociales reconnues. Ici, pas de tête, mais un mécontentement pur.

Article initialement publié en Espagnol.

Par Luciana Ghiotto – Chercheuse au CONICET/Argentine, Universidad Nacional de San Martín (UNSAM). Coordinatrice de la Plateforme Amérique Latine mejor sin TLC. Collaboratrice de Transnational Institute (TNI)

La réponse du gouvernement a été de revenir à l’image du 11 septembre 1973, comme si nous ne nous étions jamais réveillés : avec le couvre-feu et le déploiement de l’armée dans les rues, les pires souvenirs de tout le cône sud ont été ravivés. Au cours des dernières 48 heures, les forces armées ont agi dans certaines villes avec violence, mais dans d’autres, elles sont restées dans une position plus passive. Dans cette dernière situation, les fantassins étaient un sujet de moquerie de la part de la population. Parce qu’elle n’a plus peur d’eux, surtout les jeunes.

Cela rend la situation beaucoup plus complexe et dangereuse dans le contexte du scénario des deux prochains mois au Chili. Parce que la protestation doit être encadrée non seulement à court terme, c’est-à-dire dans les actions récentes après la hausse du prix du transport, mais à moyen terme : dans le cadre des prochains sommets internationaux qui arriveront au Chili. L’agenda international dans les manifestations est un élément peu visible et pourtant central pour comprendre où peuvent dériver les événements des jours et des semaines à venir.

Cette année, l’agenda international est entré dans l’agenda chilien de plusieurs manières. Tout d’abord par les organisations sociales, qui ont vivement protesté tout au long de l’année contre le Traité Transpacifique (TPP11), ce qui a généré un effet impensable dans l’histoire du Chili : l’arrêt depuis 10 mois de l’approbation d’un traité libre-échange. Le TPP11 a fait face à son premier échec au Chili, pays qui compte le plus grand nombre de traités de libre-échange au monde. Le traité a été rejeté par un plébiscite organisé par la société civile auquel 580 000 Chiliens et Chiliennes ont participé.

Du côté du gouvernement, la tentative de s’inscrire comme acteur de l’agenda international a conduit Sebastian Piñera à proposer son pays pour accueillir deux grands sommets internationaux : le forum de l’APEC, qui réunit les pays du bassin du Pacifique et qui aura lieu les 16 et 17 novembre ; et la Conférence des parties (COP25)* sur le changement climatique. L’accueil du sommet de l’APEC implique que Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine, ainsi que d’autres dirigeants des 21 pays membres, seront présents au Chili dans moins d’un mois.

L’arrivée de Donald Trump est décisive pour comprendre l’escalade de la violence et de la militarisation que le Chili risque de connaître dans les prochains jours. C’est déjà sans précédent. L’année dernière seulement, le sommet du G20 en Argentine a mis en évidence un déploiement inhabituel des forces de sécurité. De plus, l’arrivée de Trump dans un pays implique que des mois avant les forces nationales soient coordonnées par la CIA dans le cadre d’opérations de sécurité. Le gouvernement chilien a déjà engagé 4 000 policiers de tout le pays pour les opérations. Cela signifie que sa préoccupation essentielle est la sécurité du président américain, et non celle des citoyens du pays, dont les activités seront paralysées par ces opérations de sécurité.

Outre les présidents, plus de 15 000 personnes arriveront au Chili pour les travaux de logistique et de sécurité du sommet. Ceux-ci seront logés dans 15 hôtels de la ville, qui bénéficieront d’une sécurité spécifique. Les policiers auront un travail transversal : sécurisation des hôtels, plan de renseignement, travaux d’urgence, entre autres. En bref, ils vont devoir maintenir l’ordre. Ce qui aujourd’hui est loin d’être garanti au Chili.

Et seulement deux semaines après aura lieu la COP25, qui, malgré l’absence de Donald Trump, attirera l’attention de milliers de jeunes environnementalistes qui participent régulièrement à l’une des mobilisations les plus dynamiques au monde. La présence de la jeune Suédoise Greta Thunberg, leader spontanée d’une vague internationale de jeunes qui se manifestent par des actions directes sur toute la planète, est déjà confirmée. La COP25 réunira également 20 000 personnes de 197 pays membres.

Les événements internationaux des prochaines semaines au Chili sont cruciaux pour comprendre l’escalade de la violence que peuvent manifester les manifestations de rue dans les prochaines heures dans tout le pays. Piñera doit présenter un pays en ordre si il souhaite que Donald Trump puisse arriver. Dans le cas contraire, le président des États-Unis pourrait annuler sa visite, ce qui, du point de vue de gouvernement chilien pro-nord-américain, serait considéré comme un échec. Cela pourrait impliquer une escalade de la militarisation qui aurait pour but de nettoyer les rues des grandes villes des manifestants afin de « pacifier » le pays. À moins que, dans un ravissement de bon sens, le gouvernement comprenne que s’il souhaite maintenir son programme international il lui convient de donner plus de garanties sociales et d’accepter le dialogue, même si cela ne restera probablement que des promesses, afin de calmer la population. Selon les dernières annonces concernant le renforcement de la sécurité, il semble que le scénario choisi soit le premier. Si cela continue comme ça, vous pouvez vous attendre à une forte présence policière et militaire dans les rues lors des prochaines semaines, jusqu’à ce que les deux sommets passent.

Dans les deux cas, une organisation sociale est de plus en plus nécessaire face à ces forums internationaux et à leurs impacts au niveau national. Il est nécessaire que les Sommets des Peuples qui auront lieu entre les deux manifestations soient remplis de Chiliens et de Chiliens mais il faut aussi qu’il bénéficie d’une forte présence des organisations et des référents universitaires de la région, afin de montrer notre solidarité avec le processus de lutte au Chili.

* Depuis le président Chilien a annoncé qu’elle ne se déroulerait plus au Chili.

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