La présidence Trump a introduit en effet dans les sommets un nouveau climat conflictuel, les États-Unis cherchant à recouvrer leur hégémonie au moyen d’une stratégie très agressive pour endiguer la montée de la Chine. Trump tente notamment de récupérer sa suprématie économique en utilisant la menace militaire et s’apprête à présenter un ultimatum à la Chine. Il va exiger la suppression du programme de la Route de la soie, le paiement des brevets, l’ouverture du système financier chinois et l’annulation de l’agenda 2025 de son programme d’intelligence artificielle. Pour cela, il a constitué un bloc militaire avec l’Inde, le Japon et l’Australie afin de faire pression sur toutes les défenses chinoises de la mer du Sud.
Il se retire des accords militaires nucléaires pour recréer un climat de guerre froide, renforce ses alliances avec les présidents va-t-en-guerre que sont Ben Salmane et Netanyahou et agrège maintenant Bolsonaro à sa stratégie. Son intention est clairement de réorganiser la mondialisation économique et financière sous l’hégémonie des États-Unis afin de répéter avec la Chine l’opération de Reagan contre l’URSS. Avec néanmoins une différence notable car il tente de contenir un rival en hausse et non en déclin, qui de surcroit joue avec les mêmes instruments capitalistes de la mondialisation.
Mais il a besoin que tout se passe bien pour lui : obtenir la neutralité de la Russie, emporter un Brexit favorable à son allié britannique, contrecarrer les réactions hésitantes de l’Allemagne et de la France et éviter une nouvelle crise financière mondiale qui viendrait enrayer la croissance actuelle de l’économie américaine.
Pourtant, bien qu’ils aient retrouvé une certaine autorité au plan géopolitique, les États-Unis continuent de perdre leur guerre économique avec la Chine. Les menaces et le langage de la force ne produisent pas leurs effets sur une Chine qui poursuit son expansion économique à la recherche du leadership mondial du libre-échange. Celle-ci maintient ses projets avec la Russie, tente une alliance avec l’Allemagne et l’Europe et entretient même des relations commerciales importantes avec l’Arabie saoudite, Israël et le Brésil, principaux partenaires de Trump.
Ce G20 représentera donc un nouvel épisode des tensions entre les États-Unis et la Chine et le document final – qu’il soit signé ou non – ne rendra pas compte de la teneur actuelle de ce conflit. Quant aux conséquences pour les peuples du monde, elles seront un véritable désastre car la militarisation s’accentue et de nouvelles guerres impériales se préparent, en particulier au Moyen-Orient. Et parce que l’offensive néolibérale contre les conquêtes sociales s’intensifie et que le FMI continue d’exercer son autorité sur les politiques d’ajustement. L’agenda environnemental a été complètement abandonné. Désormais, nous assistons au règne d’un nouveau climat idéologique fait de cynisme et de post-vérité, par lequel les puissants assument leur xénophobie et leur persécution des migrants.
Dans ce contexte détestable, les marches et manifestations prévues contre le G 20 sont non seulement justifiées mais nécessaires.
Au sein du G20, les pays latino-américains ne sont que des acteurs subordonnés
L’Argentine, le Brésil et le Mexique ne jouent aucun rôle significatif par rapport aux États-Unis, à la Chine, à l’Europe et à la Russie. Les économies latino-américaines sont un réel butin pour la mondialisation en ce qu’elles ont renforcé leurs modèles d’extractivisme, de régression industrielle, d’endettement et de dégradation sociale. Et cette subordination s’accentue encore avec la perte d’autonomie que génère la crise des BRICS et avec la soumission à l’empire qu’a imposée la restauration conservatrice en mettant fin à l’UNASUR (Union des nations sud-américaines).
Pour couronner le tout, il règne dans la région un néolibéralisme zombie, déconcentré et sans stratégie contre le virage protectionniste de Trump. Et avec Bolsonaro nous arrivent l’extrême droite dont le pouvoir effectif est aux mains de l’armée, du pouvoir judiciaire et des médias, un extractivisme généralisé en Amazonie, des bases militaires yankees et des privatisations.
Cependant, ce scénario régional n’est pas complètement en faveur de la droite. Il coexiste avec la victoire électorale du centre-gauche de López Obrador au Mexique et la permanence de l’axe stratégique entre le Venezuela, Cuba et la Bolivie. Certes, nous ne sommes plus à l’époque du Forum social mondial de Porto Alegre, de la défaite de la l’ALCA à Mar del Plata ou de l’impulsion de l’ALBA, mais ces semaines à Buenos Aires avec le récent forum de la pensée critique et ce sommet des peuples peuvent être le début d’une réponse populaire.
La présence du G20 en Argentine est un peu insolite
L’Argentine est un hôte du G20 totalement inhabituel. Elle a été intégrée aux sommets comme une référence complémentaire de l’Amérique du Sud et y est complètement perdue. Mauricio Macri n’a obtenu l’organisation du G 20 à Buenos Aires que pour renforcer la restauration conservatrice – le sommet aurait aussi bien pu se dérouler ailleurs.
L’économie argentine est au bord de l’effondrement et au lieu de recevoir investissements et projets de développement, le pays en est à mendier des prêts, à régler ses dettes aux États-Unis, à échange des devises (Swaps) avec la Chine, et ne parvient même pas à discuter d’un traité commercial avec la France.
Le G 20 n’a rien à offrir à l’Argentine. Seul lui importe le FMI puisqu’elle est son vassal. Elle est dans la même situation que l’Ukraine ou la Grèce et sa présence au sommet est une fiction. Elle n’a aucune chance de négocier quoi que ce soit. Au plan international, Macri est maintenant sans importance puisqu’il a été remplacé par Bolsonaro. Au plan intérieur, le pays traverse un de ses pires moments : perte de prestige et faiblesse totale, perte absolue d’autorité, incapable même d’organiser la finale de la coupe 2018 entre River Plate et Boca Juniors…
Au niveau social, le pays est en pleine convulsion alors que se succèdent manifestations et mobilisations. Le virage répressif est brutal – deux militants de la CTEP (confédération des travailleurs de l’économie populaire) viennent d’être assassinés, la capitale est entièrement militarisée, des provocations sont organisées contre la communauté islamique, les mouvements sont infiltrés.
Pour nous, le sommet du G 20 est une nouvelle étape importante de notre lutte contre le FMI et sa politique d’ajustement, parce qu’une crise économique encore plus grave se profile pour 2019 - une catastrophe économique et sociale qui aggravera la régression sociale. Notre combat décisif est d’en finir avec l’ajustement du FMI. Pas seulement de défendre les salaires et les retraites, mais la souveraineté de nos ressources naturelles (notamment, le site de Vaca muerta d’extraction de gaz de schiste) qui risquent de servir de monnaie d’échange pour le paiement de la dette et des privatisations. C’est d’ailleurs pourquoi Macri a focalisé sa stratégie sur le secteur de l’énergie en augmentant les prix pour accroître sa rentabilité.
Par Claudio Katz, économiste argentin.
Intervention réalisée pour l’atelier « Alternatives systémiques et propositions »
Faculté des sciences sociales, Buenos Aires, 28 novembre 2018