L’altermondialisme un rempart face à l’extrême-droite

lundi 30 octobre 2017, par Julien Rivoire

Marine le Pen et le Front national (FN) n’ont pas atteint leur objectif de devenir, à l’occasion des récentes élections, la première force politique en France. Est-ce là le signe d’un tassement, voire d’une dynamique brisée pour l’extrême-droite en France ? En aurait-on enfin fini avec le FN ? Il serait paradoxal de conclure à un échec alors même que ce parti a doublé le nombre de ses électeurs au second tour de la présidentielle de 2017 par rapport à celle de 2002. Avec 7,5 millions de suffrages obtenus au premier tour, 10,6 millions au second tour, et quatre fois plus de député.e.s qu’il y a cinq ans, l’ancrage du FN se confirme et ne peut que nous inquiéter.

La différence entre les résultats définitifs et ceux prédits par les sondages a pu donner l’impression d’un relatif échec du parti d’extrême-droite, tout comme les divisions actuelles avec le départ de F. Philippot du FN laissent espérer un relatif affaiblissement. Mais le souvenir des crises Le Pen – Mégret à la fin des années 90, ou plus récemment entre le père (Jean-Marie) et sa fille (Marine), doivent nous inviter à la prudence : la dynamique de l’extrême-droite a des racines profondes lui ayant jusqu’à présent toujours permis de surmonter ses propres contradictions. Et le combat contre ces courants racistes et ultra-autoritaires reste d’actualité pour le mouvement altermondialiste.

Résister à la banalisation de l’extrême-droite

La dynamique constatée en France se retrouve partout en Europe. Les pays européens où les digues sautent se sont multipliés ces dernières décennies. L’extrême-droite est au pouvoir en Pologne et en Hongrie, elle progresse en Autriche, en Suisse, en Italie, au Royaume-Uni, au Danemark, aux Pays-Bas et dernièrement en Allemagne. Mais la diversité des situations nationales rend difficile l’analyse des causes de cette progression. La dégradation de la situation sociale qui, en France notamment, peut expliquer pour partie l’ancrage du FN dans d’anciens bastions industriels n’est pas suffisante pour comprendre la progression en Autriche du “Parti de la Liberté” ou en Suisse de l’Union démocratique du centre (UDC).

Une constante demeure toutefois partout : la haine de l’étranger, des migrants et une islamophobie revendiquée sont au centre des programmes de ces partis. Marine Le Pen rejoint le discours de l’UDC suisse lorsqu’elle prédit que les clochers et les bistrots vont disparaître derrière les mosquées et les “fast-foods halals” : ce ne sont plus seulement les immigré.e.s qui sont accusé.e.s de tous les maux, mais la religion musulmane elle-même, qui mettrait en danger l’identité, fantasmée, d’une Europe chrétienne. Selon Gilles Ivaldi, “cette évolution du discours du FN accompagne l’émergence, dans l’ensemble des pays européens, d’un nouveau clivage entre les partisans de “l’ouverture” et ceux de la “fermeture”, qui vient compliquer la division classique entre droite et gauche [1]. D’autant que depuis 30 ans, la droite classique et même la gauche gouvernementale chassent sur le terrain de la xénophobie.

En effet, au-delà des gains électoraux, ce sont les idées, les propositions de l’extrême-droite qui se banalisent et sont reprises par des courants plus traditionnels de droite, voire de gauche. Le débat sur le Brexit au Royaume-Uni en a été une illustration, la question sociale étant reléguée loin derrière les aspirations nationalistes et xénophobes. Les débats entre les deux tours de l’élection présidentielle française ont également témoigné de cette relative banalisation de l’extrême-droite. Banalisation due à la récurrence de résultats électoraux élevés, et également conséquence des politiques menées par les gouvernements successifs, de droite mais aussi ceux dits “de gauche”. Comment combattre l’extrême-droite au sortir d’un quinquennat qui a, entre autres, tenté la déchéance de nationalité et instauré l’état d’urgence permanent ? Pourtant l’accès au pouvoir du FN serait tout sauf anodin, libérant encore davantage de discours et d’actes racistes dans la société, donnant confiance aux mouvements les plus radicaux, instaurant la préférence nationale dans la législation, remettant en cause radicalement les libertés publiques…

Résister au confusionnisme

Une seconde difficulté pour nos mouvements tient aux confusions que cherche à instaurer l’extrême-droite, à l’instar de la ligne construite par Florian Philippot. En menant campagne sur les questions sociales et la dénonciation de la mondialisation, une partie de l’extrême-droite reprend des thèmes et parfois des discours du mouvement altermondialiste, notamment sur la question du libre-échange et de ses conséquences. En revendiquant le combat du “peuple” contre “l’oligarchie”, elle donne depuis quelques années des accents sociaux qui semblent brouiller les repères d’anciens compagnons de route. Ainsi, Jacques Sapir, économiste un temps classé à gauche, défend maintenant une alliance de la gauche radicale et de l’extrême-droite, de tous les souverainistes opposés à la mondialisation libérale. De même, Etienne Chouard voit aujourd’hui dans des courants de la droite la plus radicale et violente, comme celle incarnée par Alain Soral, des “résistants”. Mais l’anti-mondialisme de ces courants est bien loin de notre altermondialisme : il défend les intérêts français, y compris ceux de son grand patronat, face à ceux du reste du monde, alors que nous défendons les intérêts de tou-te-s les citoyen-ne-s du monde face à ceux des multinationales et des riches. Il ne s’oppose aucunement à l’exploitation sans limite du travail et de la nature par le capital : l’adversaire n’est pas le capitalisme financiarisé, il est l’étranger. Ainsi, l’opposition à la mondialisation, aux traités de libre-échange comme le TAFTA par exemple, n’est pas fondée sur l’opposition au pouvoir des multinationales et de la finance, mais sur une opposition à l’uniformisation culturelle induite par la marchandisation et pour la défense d’une société “ethniquement homogène” [2]. Chacun chez soi donc ! La droite et l’extrême-droite sont, tout comme la gauche, plurielles. Mais les extrêmes-droites, que ce soit les tendances antilibérales de Philippot ou libérales incarnées par Marion Maréchal-Le Pen, se retrouvent toujours dans la haine de l’étranger.

La liste des “faux amis” du mouvement altermondialiste est aujourd’hui encore réduite ; et il ne tient qu’à nous qu’elle le reste. La complaisance de ces faux amis vis-à-vis de l’extrême-droite s’appuie sur la réduction des enjeux politiques aux seules questions économiques. Or l’opposition à l’Union européenne ou le soi-disant combat contre la mondialisation libérale ne suffit pas à faire d’un Florian Philippot, voire d’un Alain Soral, des gens fréquentables !

Nous avons un devoir de vigilance pour ne pas laisser s’installer la confusion et ne pas servir de tribune à ces personnes qui précisément l’entretiennent.

L’altermondialisme est un rempart face à l’extrême-droite

L’autre monde possible que nous défendons est pluriel et nous avons appris à ne pas hiérarchiser nos combats. Contre la finance et le pouvoir des multinationales, nous luttons aussi pour l’égalité au sein de nos sociétés. Contre les possédants de ce monde, le mouvement altermondialiste a la solidarité entre les peuples comme fondement. Contre le repli national, nous défendons la liberté de circulation des hommes et des femmes. Notre volonté de défendre les droits fondamentaux des populations partout en Europe et dans le monde, s’accompagne de la défense d’une société multiculturelle.

Le désastre écologique et les exils forcés des milliers de migrants ne pourront trouver une réponse que dans une régulation internationale et coopérative forte, antinomique avec la vision de l’extrême-droite. Si la relocalisation des activités reste pour nous, altermondialistes du Sud comme du Nord, un enjeu majeur, nous affirmons en même temps qu’elle doit se construire sur des fondements écologiques et sociaux, non ethniques : c’est en effet pour diminuer les coûts écologiques des transports, c’est aussi pour que chacun.e sache comment est produit ce qu’il/elle consomme et, surtout, c’est pour éviter une mise en concurrence débridée et un nivellement par le bas des conditions sociales et environnementales de la production.

Nos mouvements n’ont rien de commun avec des courants qui défendraient, sous couvert de lutte contre la finance et le libre-échange, un projet d’exclusion, une société ethniquement homogène et l’inégalité entre les résidents d’un même pays. Plus encore, entre la mondialisation néo-libérale de M. Macron et celle du repli national et xénophobe de M. Trump ou Mme Le Pen, le mouvement altermondialiste propose une autre voie, fondée sur la protection des citoyen.ne.s, sur la souveraineté des peuples et aussi sur une solidarité entre eux.

P.-S.

Photo : Brice Le Gall

Notes

[1Gilles Ivaldi, “Le Front national : sortir de l’isolement politique”, in Pierre Bréchon (dir.), Les Partis politiques français, La Documentation française, 2011”

[2Razmig Keucheyan, “Alain de Benoist, du néofascisme à l’extrême-droite respectable”, La Revue du crieur, n° 6, février 2017

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