Brésil : le basculement dans la démocrature ?

lundi 14 janvier 2019, par Attac France

Au Brésil, Jair Bolsonaro, le président élu, assume publiquement vouloir gouverner contre une partie de la population et mettre en place des réformes libérales et autoritaires qui fleurent bon le retour au régime militaire.

Le 1er janvier 2019, le discours d’investiture de Jair Bolsonaro, président élu du Brésil, a confirmé que les Brésiliens avaient élu un président raciste, sexiste, classiste et convaincu de la nécessité d’exercer le pouvoir de manière autoritaire. Il est donc nécessaire de scruter de façon vigilante toutes les mesures qui seront adoptées dans les prochains mois sous son gouvernement, qui assume vouloir gouverner contre une partie de la population.

Le 1er janvier, Jair Bolsonaro a appelé à un « pacte national » entre L’État et la société pour libérer le Brésil de la corruption, de la criminalité et des idéologies socialistes. Il souhaite ainsi rallier derrière ses réformes libérales et autoritaires une majorité de Brésilien·nes contre toutes les « déviances sociales ». Ce pacte national est en réalité pensé pour exclure toute une partie de la population brésilienne (minorités ethniques, sexuelles et religieuses notamment) et pour combattre les mouvements sociaux. Il met de plus en péril les réformes sociales de l’ère PT (ère du Parti des Travailleurs). Enfin, il est adossé à un imaginaire autoritaire de l’art de gouverner avec de nombreuses références à la dictature militaire (1964-1985).

« Un bon délinquant est un délinquant mort ». C’est l’une des phrases choc utilisées à l’envi par Bolsonaro durant sa campagne. Le discours d’investiture confirme sa volonté de donner plus de pouvoir aux policiers dont il s’agit de « valoriser le travail » tandis que les « personnes de bien » doivent pouvoir se défendre (apologie de la légitime défense). Le nouveau président souhaite également assouplir la loi de 2003 qui interdit le port d’armes. Le ton est donné : la guerre livrée par la police aux habitants des favelas va s’intensifier. Quant aux mouvements sociaux et aux ONG qui défendent les populations défavorisées, ils se retrouvent dans le viseur d’un président décidé à « en finir avec une idéologie qui défend les délinquants et criminalise les policiers », présentée comme responsable de la forte criminalité dans le pays. Bolsonaro avait même évoqué la possibilité, pendant sa campagne, de faire usage de la torture contre les trafiquants de drogue. Priorité est donnée à la sécurité, devant les droits fondamentaux. Si l’on décrypte, il s’agit clairement de criminaliser les personnes pauvres, les noires et toutes celles qui ne seront pas d’accord avec cette politique. Quant aux réformes économiques prévues (retraites notamment), elles ont pour objectif d’obtenir de bons résultats macro-économiques au détriment de la justice sociale.

Jair Bolsonaro gouvernera par ailleurs contre les minorités et dans une approche anti-féministe. Il l’a soutenu et répété depuis sa campagne jusqu’à son discours d’investiture : la « théorie du genre » sera éradiquée sous son gouvernement. Sa ministre de la Femme, de la famille et des droits humains a d’ailleurs récemment soutenu que la place des femmes était à la maison, pour mieux assumer leur rôle de mères. Quant aux personnes LGBTIQ, elles ne méritent que le mépris, pour un président qui affirme qu’il préfèrerait voir son fils mort « qu’avec un moustachu ». Les droits des peuples indiens sont menacés. Les entreprises minières auront désormais priorité sur la protection de leurs terres ancestrales, le développement économique primant à la fois sur la défense de l’environnement et sur les droits des peuples autochtones. Enfin, le président cherche à donner une place plus importante à la religion chrétienne, qu’il présente comme partie prenante d’une tradition nationale, contre les idéologies (socialistes) qui l’auraient dévoyée.

Ces orientations sont déjà très inquiétantes en soi, mais elles s’inscrivent de plus dans la défense d’une pratique autoritaire du pouvoir. Paulo Guedes, le ministre de l’économie appelle de ses vœux des réformes économiques de type pinochettiste. Bolsonaro, de son côté, est obsédé par la volonté de libérer le pays des « idéologies », c’est-à-dire du socialisme et du communisme, notamment en limogeant de nombreux contractuels dans les ministères et en réformant les programmes dans l’éducation. Or, la lutte contre le socialisme constituait justement l’un des objectifs centraux des juntes militaires pour justifier leur prise du pouvoir dans les années 1970 dans le Cône Sud, y compris au Brésil. Alors que les gouvernements PT ont surtout consisté à combiner réformes sociales et politiques économiques libérales, bien loin de l’instauration d’un quelconque socialisme, il s’agit clairement de museler toute expression politique qui ne serait ni libérale ni conservatrice. Cette situation nous conduit par ailleurs à nous inquiéter sérieusement du sort réservé à Lula da Silva, actuellement derrière les barreaux après un procès qu’on peut qualifier d’inique.

La situation est grave à la fois pour le Brésil et plus globalement pour la démocratie. L’élection de Jair Bolsonaro est venue renforcer la florissante alliance internationale d’extrême-droite dans laquelle on trouve Donald Trump, Viktor Orban ou encore Benjamin Netanyahou. Certes hétéroclite, cette alliance de fait entre présidents qui s’adoubent et se défendent mutuellement propose des alternatives liberticides et sécuritaires à la démocratie d’autant plus problématiques qu’elles séduisent de larges parties de l’électorat. Alors que Bolsonaro vient de prendre le pouvoir, il jouit d’une popularité exceptionnelle (65% des Brésiliens sondés pensent que son gouvernement sera bon ou très bon, contre seulement 12% qui pensent qu’il sera mauvais – sondage Datafolha du 1er janvier 2019).

La situation brésilienne témoigne de deux urgences : une urgence immédiate, dénoncer sans relâche le tournant vers l’extrême droite au Brésil et défendre les mouvements sociaux face à Bolsonaro ; une urgence systémique, repenser la démocratie pour construire des alternatives fondées sur les libertés et la justice sociale.

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