Bien avant la crise européenne consécutive à la crise financière de 2008, la Commission, le Parlement et le Conseil, qui forment le « triangle institutionnel » européen, étaient déjà décriés pour leur caractère non-démocratique et leur porosité aux intérêts privés.
Dans l’Union européenne, c’est la Commission européenne, instance non élue et sous influence des lobbies industriels, qui a le pouvoir d’initiative législative. Elle propose des lois (directives ou règlements) dans ses domaines de compétences, dont le périmètre s’est étendu au fil des traités. Ces propositions sont amendées et adoptées par le Conseil des ministres de l’Union européenne (qui rassemble les ministres concernés des États membres), seul ou en co-décision avec le Parlement européen – selon les domaines. En ce qui concerne la Politique agricole commune, le Conseil des ministres et le Parlement co-décident, depuis 2007 et le traité de Lisbonne.
Le Parlement européen, élu au suffrage universel depuis 1979 (à l’origine c’est une assemblée consultative), peut donc intervenir dans le processus législatif même s’il dispose de pouvoirs circonscrits. S’il a permis des victoires importantes, comme le rejet du traité anti-contrefaçon (ACTA) en 2012, il fait lui aussi l’objet d’un lobbying forcené de la part de l’industrie européenne. Et il arrive que le Parlement se fasse le vecteur des intérêts des industriels, comme ce fut le cas lors de l’adoption de la directive REACH sur l’enregistrement des produits toxiques, dont la portée a été largement réduite notamment par le Parlement européen.
A ces institutions s’ajoute la Cour de justice de l’UE, qui arbitre les conflits de pouvoir et juge de la conformité de la loi des États à la législation européenne. Ses décisions sont obligatoires et exécutoires. Son interprétation des Traités européens peut être décisive et ses arrêts ont marqué l’évolution du droit européen, souvent en faveur de la libéralisation des économies et parfois même au détriment des droits syndicaux comme ce fut le cas avec les arrêts Laval et Viking (2007).
La Banque centrale européenne (BCE) est, depuis le traité de Maastricht, responsable de la politique monétaire européenne de manière parfaitement indépendante des États membres et des gouvernements. Son seul mandat : lutter contre l’inflation. Elle est dirigée par un directoire d’experts (souvent d’anciens banquiers) sous la responsabilité du Conseil des gouverneurs des banques centrales des États membres.
Enfin, en dernier lieu, c’est le Conseil européen, qui rassemble chefs d’État et de gouvernement, qui arrête les grandes décisions et orientations politiques pour l’Europe et détient, seul, le pouvoir d’engager le processus de modifier les traités.
Si la critique de ces institutions ne date pas d’hier, la crise que traverse l’Europe depuis 2009 a contribué à lui donner un nouveau souffle. On a en effet assisté en cinq ans seulement à une montée en puissance considérables de ces institutions, en particulier de la Commission et de la Banque centrale européenne. Celle-ci ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation, au contraire, mais d’une mise sous tutelle de la démocratie.
Celle-ci s’exprime dans les mécanismes de contrôle des budgets nationaux (« Six pack », « two-pack », Traité budgétaire) qui s’accompagnent de sanctions pour les gouvernements qui ne mettraient pas en œuvre des politiques d’austérité et de compétitivité suffisamment drastiques. Cette « gouvernance économique européenne » confère par ailleurs à la Commission des pouvoirs de contrôle exorbitants.
Les parlements deviennent-ils de simples chambres d’enregistrement ? C’est déjà clairement le cas dans les pays surendettés placés sous la tutelle de la Troïka (la BCE, la Commission et le FMI). Ces trois instances non-élues ont imposé et imposent, au nom de la crise de la dette, des politiques drastiques et désastreuses à des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande. Au sein du Conseil européen, l’illusion de la collégialité disparaît : les pays les plus puissants imposent leurs vues aux pays les plus faibles.
La BCE, enfin, a acquis un pouvoir considérable en ces temps de crise de l’Euro. Outre sa participation à la mise sous tutelle de plusieurs États de la zone euro, elle dispose à sa guise de la politique monétaire. D’un côté elle châtie les États, jugés dépensiers, de l’autre, elle déverse sur les banques des flots intarissables de liquidités dont celles-ci bénéficient sans conditions ni contreparties. Quand bien même une partie de ces liquidités contribue à la spéculation sur les dettes souveraines… Mais la prévenance sans faille de la BCE à l’égard de la finance n’est pas tout à fait un hasard, puisque le Président de la BCE, Mario Draghi, est un ancien de la banque controversée Goldman Sachs.
Pour certains, on assiste ainsi à un changement de nature de la construction européenne avec la crise. Une sorte de mue autoritaire et technocratique qui n’a pour objectif que de maintenir un ordre économique qui n’a plus d’avenir. Pour sortir de cette crise, faut-il sortir de l’Union européenne ou de l’Euro, ou y désobéir pour les refonder ? Une chose est sûre : aucun changement ne sera possible sans une remise à plat radicale des institutions européennes actuelles.