Le marché carbone européen a été conçu pour prolonger la dépendance aux énergies fossiles et pour élargir et renforcer le rôle des marchés financiers sur la vie quotidienne des gens. Par exemple, la multinationale Shell a récemment admis qu’elle se fonde sur le marché carbone européen et sur un « prix du carbone solide » afin de « stimuler les investissements de capture et stockage du carbone (CCS) » et ainsi soutenir la consommation de pétrole et de gaz i . Le secteur industriel dépendant des énergies fossiles utilise également l’existence du marché carbone européen comme argument pour éliminer les objectifs de l’UE en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables ii . Le marché carbone européen n’a pas été conçu pour émettre un « signal prix » qui pourrait orienter les marchés puisque quel que soit le niveau de ce signal-prix, il est toujours immédiatement amorti par des subventions. Il en est ainsi avec les nouvelles règles relatives aux aides d’État qui permettent aux États membres de l’UE de rembourser les plus gros pollueurs de toute augmentation des coûts de l’énergie liés à la mise aux enchères des permis dans cette phase III du marché carbone européen iii .
Pire encore, les nouvelles propositions de réforme marquent des reculs notoires, permettant de nouveaux financements pour les industries extractives iv . Au lieu de perdre plus de temps en cherchant à réformer le marché carbone européen – qui sape activement les objectifs climatiques – les députés européens devraient travailler à la suppression progressive des énergies fossiles et à la mise en place de politiques énergétiques, commerciales et de financement efficaces pour lutter contre les dérèglements climatiques.
Eliminer progressivement les énergies fossiles exige que l’UE repense ses modèles de productions et de consommation. C’est un projet politique et de société qui requiert de débattre de la façon de réduire les besoins en énergie (abordant tous les secteurs tels que la mobilité, l’industrie, l’agriculture, etc), de devenir plus efficace et de passer aux énergies renouvelables et soutenables, détenues et gérées localement. Il faut discuter de la façon de réglementer la finance et non pas d’étendre les marchés financiers à travers un produit artificiel comme le carbone. Pourtant l’UE est en train de faire exactement le contraire.
L’attention du Parlement européen devrait tout particulièrement se porter sur la récente réglementation v qui accélère plus de 200 projets transeuropéens d’infrastructures énergétiques, y compris des pipelines et des infrastructures de transport de gaz, des lignes électriques transfrontalières et le transport de dioxyde de carbone. Cette nouvelle réglementation et les mécanismes financiers innovants tels que les « project bonds » Europe 2020 auront un effet négatif sur les populations locales et l’environnement, et ils bloquent l’UE dans un nouveau cycle de production d’énergies d’origine fossiles que la planète ne peut pas se permettre vi .
Un autre exemple de la politique énergétique qui contredit les objectifs climatiques de l’UE est la proposition visant à augmenter de 5% à 6,5% la part d’agrocarburants dans les carburants européens. Les agrocarburants génèrent de la déforestation, alimentent les dérèglements climatiques et engendrent l’accaparement des terres au détriment des populations locales. L’UE est le continent de la planète qui engendre le plus d’effets en termes de déforestation et elle devrait donc supprimer tous ses objectifs d’agrocarburants vii .
Pour lutter contre le changement climatique et éliminer progressivement les énergies fossiles, les priorités urgentes en termes de politiques climatiques devraient inclure :
Travailler à une interdiction européenne des projets d’extraction d’hydrocarbures avec fracturation hydraulique. Alors qu’elle est saluée comme pouvant résoudre l’insécurité énergétique et la croissance économique molle, l’exploitation de gaz et pétrole non conventionnels est une menace pour les populations locales, qui étend encore l’utilisation des énergies fossiles tout en empêchant les changements qui sont nécessaires pour lutter contre le changement climatique.
Supprimer les subventions publiques pour le développement et l’utilisation des énergies fossiles . Il ne devrait plus être autorisé d’utiliser de l’argent public pour soutenir la production européenne d’énergie qui s’appuie sur plus d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz et qui repose sur des importations d’énergies fossiles en provenance des pays voisins et des pays du Sud. Aucune subvention publique ne doit non plus être donnée aux grands barrages hydro-électriques, à la bioénergie à base de bois, ou à l’énergie nucléaire.
Soutenir une élimination progressive et complète de l’utilisation des énergies fossiles qui permettrait de laisser la majeure partie des réserves d’énergies fossiles dans le sol, à travers, par exemple, des politiques rendant obligatoire des agendas de mise en œuvre de cette suppression progressive par le secteur énergétique. L’UE devra également assurer un accès égalitaire à la part restante d’énergies fossiles.
Mettre un terme aux négociations d’accords de libre-échange et de traités bilatéraux d’investissement (TBI) qui permettent à l’UE d’importer des biens provenant de sources d’énergie non soutenables et d’échapper aux réglementations environnementales.
Apprendre des initiatives locales, municipales et régionales qui s’attaquent déjà aux véritables moteurs des dérèglements climatiques.
Appuyer les initiatives énergétiques de petite taille, détenues et gérées localement qui offrent une alternative aux production et distribution centralisées de l’énergie.
Soutenir les transformations structurelles des modèles de consommation et de production de manière à promouvoir les modes de vie permettant d’interroger la nécessité d’une croissance économique sans fin.
Nous appelons à une mise en cohérence des décisions de politique énergétique de l’UE. Nous exigeons que les responsables politiques européens mettent en œuvre une transition rapide et juste vers un modèle énergétique sans énergie fossile qui ne nuise pas aux populations et aux écosystèmes, et de définir un processus participatif afin de permettre un débat public que la Commission évite toujours.
Par conséquent, nous réaffirmons ici la non pertinence du vote sur le « backloading » et l’importance cruciale d’un abandon du marché carbone européen. Ce faisant, serait créé l’espace nécessaire pour débattre de la suppression progressive et juste des énergies fossiles afin que nous tou-te-s, en tant que société, ayons une chance de définir et contribuer à cette transition. Les mécanismes de marché, y compris le marché carbone européen, ne permettent pas d’éviter des dérèglements climatiques incontrôlables, il est donc temps d’ abandonner le marché carbone européen viii !
Aliança RECOs – Redes de Cooperação Comunitária Sem Fronteiras (Brazil),
ANPED – Northern Alliance for Sustainability,
Asociación Ambiente y Sociedad (Colombia),
Attac Austria,
Attac Castilla y León,
Attac Spain,
Attac France,
BiofuelWatch (UK/US),
Both ENDS (The Netherlands),
Carbon Trade Watch,
Centro de Referência do Movimento da Cidadania pelas Águas Florestas e Montanhas Iguaçu Iterei (Brazil),
Climaxi (Belgium),
COECOCEIBA-Amigos de la Tierra Costa Rica,
Cordillera Peoples Alliance,
Corner House (UK),
Corporate Europe Observatory,
Counter Balance,
Durban Centre for Civil Society (South Africa)
ECA Watch Austria,
Ecologistas en Acción (Spain),
EcoNexus (UK),
EJOLT – Environmental Justice Organisations, Liabilities and Trade network,
FERN,
Friends of the Earth Australia,
Friends of the Siberian Forests (Russia),
Global Forest Coalition,
Indigenous Peoples Movement for Self Determination and Liberation,
Iterei Refúgio Particular de Animais Nativos (Brazil),
JA ! Justiça Ambiental / Friends of the Earth (Mozambique),
Movimento Mulheres pela P@Z ! (Brazil),
Observatori del Deute en la Globalització (Catalunya),
OILWATCH America Latina,
Philippine Rural Reconstruction Movement (Philippines),
Plataforma Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo – PIDHDD (Ecuador),
re:Common (Italy),
Taller Ecologista (Argentina),
Terrae (Brazil),
Timberwatch (South Africa),
Transnational Institute – TNI,
Vrede VZW (Belgium),
Woodland League (Ireland),
World Rainforest Movement
i Selon David Hone, lors d’une récente conférence Towards a Global Carbon Market stated , « un prix solide du carbone représente l’intérêt de long-terme de l’industrie pétrolière et gazière. Il est nécessaire pour stimuler les investissements CCS qui représente la technologie du futur ».
ii Il doit être noté que la grande majorité de ce que les politiques énergétiques européennes appelle renouvelable est loin de l’être, puisque les politiques ne font pas la distinction entre les technologies et les processus politiques, les relations sociales, les structures de propriété et les modèles de consommations énergétiques insoutenables avec lesquels ces technologies sont mises en œuvre. Ainsi en est-il de l’utilisation des agrocarburants et de la biomasse dans le cadre de production énergétique de grande échelle. Ceci est non seulement la source d’émissions non comptabilisées mais aussi à des impacts sociaux, environnementaux et de santé majeur.
iii http://www.fern.org/sites/fern.org/files/State%20Aid%20Press%20Release_Final.pdf
iv http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/envi/dv/940/940539/940539en.pdf
v Régulation 347/2013, 17 avril 2013
vi Re:Common, CounterBalance, The Corner House, Large infrastructure to overcome the crisis ? The hidden risks of the Europe 2020 project bond initiative , Juin 2013. http://www.counterbalance-eib.org/wp-content/uploads/2013/06/Infrastructure-briefingOK.pdf
vii Le 19 juin, les députés de la commission Industrie, Recherche et Energie (ITRE) du Parlement Européen ont voté sur la la proposition de modification la Directive sur la qualité des carburants (Directive 98/70/EC) qui limite les quantités d’agrocarburants à base de produits alimentaires (‘ food based’ agrofuels ) dans les objectifs d’énergies renouvelables dans les transports. Ils ont voté pour rejeter les précautions environnementales et sociales, et, entre autres choses, pour augmenter la part des agrocarburants à 6,5 % dans l’énergie utilisée pour les transports (actuellement 4,5 %).
viii http://scrap-the-euets.makenoise.org/press-release-15apr2013/