Marches pour le climat : ancrer dans la durée les mouvements pour la justice climatique

samedi 1er décembre 2018, par Julien Rivoire, Maxime Combes, Vincent Gay

Depuis septembre 2018, un mouvement pour le climat s’affirme et devient visible dans l’espace public en France. Alors que les marches du 8 septembre ont bénéficié de l’émotion suscitée par la démission de Nicolas Hulot, celles du 13 octobre (légèrement moins nombreuses, 120 000 personnes contre 150 000 en septembre) ont confirmé cette dynamique ; et à l’heure où nous écrivons, la préparation de la marche « alarme climatique », le 8 décembre, au moment où s’ouvrira la COP24 en Pologne, est une preuve supplémentaire de l’ancrage dans la durée de cette mobilisation, qui résonne avec la montée des inquiétudes quant aux changements climatiques.

Climat et inégalités sociales, déclencheurs de mobilisations

Mouvement multiforme, ce qui est en construction dans les marches pour le climat est un mouvement jeune, à la fois parce que récent, parce que composée de jeunes, et parce qu’animé en partie par de néo-militants. Il s’appuie sur des pratiques d’organisation qui restent à bonne distance de bon nombre d’organisations structurées, même si des collaborations plus ou moins durables sont envisagées avec Alternatiba, Attac, 350.org ou Solidaires, tandis que la plupart des ONG environnementales sont absente de l’organisation des marches. Adhérer à une association, à un syndicat ou à un parti politique n’est plus la porte d’entrée privilégiée vers l’action et l’agenda des mobilisations peut être dissocié de celui des organisations. Cette distance vis-à-vis des organisations et la volonté de s’organiser et de se mobiliser sans elles, ou du moins sans leur donner la priorité, semble dessiner une tendance forte et variée, puisqu’on la retrouve dans les publics aussi différents que les organisateurs des marches pour le climat et les gilets jaunes. Ces deux mouvements ne peuvent être envisagés séparément, ils manifestent deux grands types d’inquiétudes qui traversent notre société, et face auxquels Attac comme de nombreux mouvements sociaux cherchent à apporter des réponses : une ambitieuse politique pour le climat ne pourra qu’être une ambitieuse politique de réduction des inégalités sociales et de la pauvreté, au risque sinon de devenir une écologie autoritaire, libérale et anti-sociale.

Un nécessaire changement de cap

Dénicher l’hypocrisie de Macron quant à sa politique fiscale, dont un des premiers actes après son élection a été la suppression de l’ISF, c’est également dénoncer l’hypocrisie de sa politique écologique et énergétique : abandon de l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité ; confirmation du permis d’hydrocarbures pour Total en Guyane ; abandon de la taxe sur les transactions financières négociée dans le cadre d’une coopération renforcée à l’échelle de l’Union européenne, censée contribuer à la lutte contre le changement climatique ; absence de taxation du kérosène pour le trafic aérien ; non-respect de l’avis défavorable de la commission d’évaluation des impacts climatiques et environnementaux du CETA ; absence de développement du fret sur le rail, etc. Les annonces d’Emmanuel Macron du 27 novembre enfoncent le clou : confirmant la politique pro-nucléaire de son gouvernement, il ne met rien en œuvre pour favoriser une transformation des modes énergétiques, ne s’attaque pas au transport de marchandises sur route, et n’apporte aucune réponse aux exigences des gilets jaunes. Pourtant, alors que la taxe carbone payée par les particuliers n’a aucune efficacité en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, un transfert massif de la fiscalité carbone sur les entreprises polluantes, et le plus souvent exonérées, serait un premier pas vers une fiscalité écologique et socialement juste [1].

Comprendre les articulations, identifier les responsables

Les marches pour le climat questionnent donc les formes d’organisation, les revendications et les messages politiques qui sont formulés. Si, souvent, la cause climatique apparait consensuelle, son cadrage médiatique étant porteur d’une idée d’uniformité des responsabilités, des responsables et des victimes [2], des mobilisations collectives prolongées peuvent permettre la production d’un autre discours, reposant tout autant sur le sentiment d’urgence que sur la nécessité de s’attaquer aux causes du phénomène. Pour le dire autrement, les changements climatiques ne sont pas un problème pour de lointaines générations futures, c’est un problème de l’ici et maintenant. Par ailleurs, il existe une incompatibilité entre le sauvetage du climat et la préservation d’un système dominé par la finance, les énergies fossiles, le culte de la croissance et la libre concurrence. En ce sens, les politiques, à l’instar d’Emmanuel Macron, qui se prétendent « pro climat » tout en accentuant les politiques libérales sont à combattre. De plus, à l’échelle planétaire ou plus locale, tout le monde n’est pas impacté de la même façon par les changements climatiques et les dégradations environnementales : la lutte contre les changements climatiques doit être une lutte pour la justice sociale ; de même, il existe des responsables des changements politiques, ils sont nombreux, et c’est contre eux que doit se diriger notre colère. La révolution énergétique que nous défendons n’est donc pas seulement, et pas d’abord, un changement technologique, elle implique un changement plus global dans tous les secteurs productifs pour avancer vers la sobriété. La géoingénérie et tous les jokers technologiques ne peuvent être une solution, et sont là avant tout pour reculer le moment de prendre des décisions d’ampleur. Dès lors, les changements climatiques sont un problème global qui ne peut trouver de solutions dans des formes de repli local/national(iste) mais appelle au contraire le déploiement d’une solidarité internationaliste. La résolution, même partielle, de la question climatique ne viendra que de mobilisations et d’initiatives massives et multiformes.

Des campagnes pour donner du sens à l’engagement

Ces quelques principes irriguent nos luttes, à différentes échelles, autour de cibles variées. Du côté des campagnes, celles recensées sur le site www.ilestencoretemps.fr montrent la diversité et la pertinence des actions menées par des organisations : Attac et 350.org sur le désinvestissement des énergies fossiles des sommes du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) ; les Amis de la Terre qui ciblent les banques privées comme la Société générale ; ou encore la mobilisation pour stopper le projet d’extraction aurifère en Guyane. Il s’agit là de campagnes de moyen terme, qui peuvent obtenir des victoires, tout comme les mobilisations en cours contre les grands projets inutiles (autoroutes, aéroports, nucléaire, etc.) qui cristallisent depuis plusieurs années des enjeux majeurs, notamment sur les effets de l’aménagement du territoire sur les changements climatiques, en lien avec la défense des terres agricoles. Ce sont également des campagnes qui posent la question de l’articulation entre différentes modalités d’engagement. Sans perdre de vue les logiques systémiques, il s’agit de donner du sens à l’engagement de chacun·e, qui peut s’effectuer à différentes échelles et s’envisager dans des cadres nécessairement collectifs, ouvrant la voie à des élaborations démocratiques et collectives des pistes stratégiques, revendicatives, d’action… sans attendre un quelconque homme providentiel derrière qui se ranger.

Déployer des alternatives locales
Les marches pour le climat posent également la question de l’échelle de l’action, et de la façon de s’ancrer localement. Les mobilisations de ces dernières années contre les grands projets inutiles ont démontré la force que pouvait avoir la préoccupation pour le territoire, sa défense, sa préservation et son amélioration. Or, le nombre limité de communes portant des projets territoriaux réellement alternatifs illustrent les difficultés et les verrous qu’il faut lever, souvent parce que les réglementations nationales ou internationales ne sont pas adaptées ; il peut alors s’agir d’utiliser les interstices du système politique et économique tel qu’il existe pour déployer des alternatives locales, tout en s’appuyant sur elles pour faire évoluer les réglementations qui empêchent leur généralisation (exemple : la revendication du 100 % bio et local dans la restauration collective de nos territoires peut s’articuler à une bataille pour obtenir l’abandon des règles de passation des marchés publics qui restreignent cette possibilité dans les traités internationaux et européens.)

Redéfinir les politiques climatiques sur une base sociale et populaire

Le « comment agir » pose également la question de « qui agit ? ». Or, dans bon nombre de mobilisations pour le climat, certaines préoccupations sont souvent évacuées, en particulier celles qui concernent la vie chère, la précarité, mais également la question du travail et des travailleurs et travailleuses, alors que le thème du travail est au cœur des préoccupations de millions de personnes, à la fois à travers la question de l’emploi et celle de la qualité du travail, du sens qu’on lui donner. Ce que montrent les gilets jaunes, c’est que les capacités de mobilisation et de production de discours politiques ne sont pas réservées aux publics habitués des mobilisations écologistes. Cette mobilisation ne peut que nous faire réfléchir quant aux formes d’action utilisées, à l’enthousiasme qu’elle soulève dans une grande partie de la population et aux questions qu’elle pose en matière de redistribution des richesses et des pouvoirs. Elle interroge également les façons de concilier ce qui est souvent présenté, à tort, comme des enjeux inconciliables ; c’est là tout l’enjeu de redéfinition des politiques climatiques sur une base sociale et populaire.

Un mouvement pour le climat qui existe dans la durée sera forcément pluriel, avec des nuances quant à ses objectifs de transformation sociale. Or, si on prend au sérieux l’ampleur des changements climatiques, c’est bien à un changement de civilisation qu’il faut nous préparer. Et si les effets des changements climatiques sont déjà là, si la catastrophe est déjà en marche, le pire est encore évitable. Et face au pire, notre imaginaire collectif doit pouvoir dessiner un autre futur, à la fois viable et enviable, en un mot désirable, donnant du sens à nos engagements et à nos luttes.

Notes

[1Voir la note publiée par Attac « Basculer la fiscalité carbone sur les entreprises les plus polluantes... » https://www.attac.org/l/fiscalitecarbone

[2Voir Jean-Baptiste Comby, La question climatique. Genèse et dépolitisation d’un problème public, Raisons d’Agir, 2015.

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