Il n’est jamais trop tard pour goûter à la joie militante

mercredi 22 mars 2023, par Attac France

La mobilisation que nous vivons depuis un peu plus de deux mois désormais est historique. En tenant bon face à l’obstination du pouvoir, elle a même contribué à la crise institutionnelle que nous connaissons. L’exécutif et sa majorité sont en grande difficulté et il ne faudrait pas grand chose pour que le rapport de force tourne en notre faveur. Pour cela, il faudrait encore massifier la mobilisation.

Sur leurs lieux de travail, je sais que beaucoup de militant·es tentent de convaincre leurs collègues. Lorsqu’ils et elles échouent, c’est la colère qui s’exprime. Elle est tout à fait légitime et je la partage. J’ai même versé quelques larmes de désarroi à l’idée qu’en cette période décisive, l’inertie du plus grand nombre mène, dans certains secteurs, à continuer comme si de rien n’était et de manière tout à fait absurde au regard des enjeux du moment.

Mais l’honnêteté me force à avouer que si cette mobilisation avait eu lieu à une autre période de ma vie, la force des arguments et son ampleur n’auraient pas suffi à me convaincre d’y prendre part. J’ai été si bonne élève et si préoccupée des conséquences que pourraient avoir mes actions que j’ai été en cours malgré les blocages. Et je l’ai fait quand bien même je partageais les arguments de celles et ceux qui se jetaient à corps perdu dans la contestation.

J’ai été de celles et de ceux qui font face à la colère des personnes mobilisées et enragent de ne pas être rejointes et qui en ressentent peut-être un peu de culpabilité mais jamais assez pour sauter le pas. Si rien n’avait changé, je serais de celles qui craignent de ne pas réussir leurs examens ou de perdre une ou plusieurs journées de salaire, de faire face à la colère des usager·es ou de les pénaliser.

Pourquoi cette peur ne m’habite-t-elle plus ? Je n’ai pas changé d’avis puisque j’étais déjà pleinement insatisfaite des politiques menées par le gouvernement (qui n’était pas macroniste à l’époque). Ce qui a changé, c’est que j’ai fait l’expérience de la mobilisation et qu’elle m’a transformée. J’ai été en manifestation, parce que les enseignant·es elles et eux-mêmes étaient en grève et que je ne manquais pas de cours. J’y suis retournée sans me déclarer gréviste (sur mon temps de pause ou sur mes congés). En somme, je me suis d’abord impliquée de manière la moins coûteuse possible d’un point de vue individuel.

Durant ces manifestations, j’ai fait une première expérience de la joie : joie de faire effraction, aux côtés de milliers de personnes, dans le cours habituel des choses, joie d’entonner en cœur des slogans ou des chants de lutte. Puis, j’ai rejoint des associations luttant pour des causes que je crois justes. Et j’y ai découvert la beauté des relations humaines qui se nouent quasi instantanément. En dépit des imaginaires autour du travail militant, personne ne vous demande de comptes : ta simple présence est appréciée et considérée. Tu n’as pas besoin d’être le ou la plus intelligente, le ou la plus efficace, la personne qui a les meilleures idées ou prépare les meilleures présentations, de venir plus tôt ou de partir plus tard que les autres. Tu es là et c’est déjà beaucoup. Et l’accueil qui t’est fait lorsque tu reviens est toujours chaleureux. Celles et ceux qui ont dansé avec les Rosies ces deux derniers mois pourraient en témoigner.

Entraînée par les collectifs, plus ou moins militants dans lesquels j’ai choisi de m’inscrire, j’ai petit à petit osé les manifestations interdites, les blocages et la grève, y compris plusieurs jours d’affilée. Chaque fois, j’ai mesuré ce que ces collectifs m’ont permis d’accomplir. Sans eux, les décisions que je prenais auraient été inimaginables quelques jours, parfois quelques heures avant. Mais précisément, ces décisions n’étaient plus tout à fait les miennes. Elles étaient collectives de bout en bout.

Je comprends aujourd’hui comment l’action collective me transforme : elle me permet de faire l’expérience de la responsabilité collectivement assumée. Et c’est pour ça que je ne crains plus les conséquences de mes décisions et de mes actions. Je sais qu’elles seront tout aussi collectivement partagées. Et je sais aussi désormais, grâce à mes expériences passées, qu’elles ne sont jamais aussi négatives que je pouvais le penser. Le militantisme est une forme de soulagement en ce qu’il nous prouve à chaque instant qu’on peut compter les un·es sur les autres. Néanmoins, je mesure aussi le privilège qui est le mien car la répression qui s’abat sur d’autres catégories de population pour ce qu’elles sont avant même de savoir ce qu’elles font, les empêcherait d’écrire ces lignes. Autant en user sans doute.

Plus fondamentalement encore, en faisant avec d’autres, j’ai fait l’expérience de ma propre capacité ou puissance d’agir. C’est le remède le plus efficace contre le défaitisme. Seule, il est vrai que je ne peux pas grand chose mais engagée auprès de mes camarades, je peux commencer à changer le monde. Personne ne pourra plus jamais me convaincre qu’il y a d’autres personnes plus qualifiées qui savent mieux que moi et qui à ce titre, peuvent décider de la manière dont je dois mener ma vie ou organiser mon travail. Ce qui rend parfois la vie quotidienne encore plus insupportable, il faut bien le dire. Mais cela en vaut mille fois la peine. Aujourd’hui, j’ai compris que chaque fois que j’ai douté de la force du collectif et que j’ai pris la décision de ne pas le renforcer, je me suis privée de tout cela. Je me suis privée d’un peu de sens et je n’en ai jamais été plus heureuse. Alors que lors d’un piquet de grève, d’une manifestation, d’une action ou d’un blocage, on peut ressentir de la joie.

Alors même si tu ne fais pas partie des personnes qui portent la mobilisation la plus importante des dernières décennies, il n’est jamais trop tard pour la rejoindre. Nous pouvons obtenir le retrait de cette réforme et il serait dommage de ne pas avoir assez de temps à la retraite pour profiter de ses petits enfants ou de ses proches. Ni de pouvoir leur raconter comment l’année 2023 a changé le cours des choses. Au pire, à défaut de changer le monde, c’est ton propre monde que tu révolutionneras et tu seras prêt·e pour la prochaine lutte victorieuse !

Rendez-vous le 23 mars dans la rue et après donc, quelle que soit la modalité d’action que tu choisiras !

P.-S.

Ce texte est écrit à la première personne du singulier mais il est collectif. Il décrit une expérience que nous espérons commune à beaucoup de militant·es et il peut ainsi être partagé par toute personne qui s’y retrouve.

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