En déclarant que « la théorie du ruissellement n’a jamais fonctionné », qu’il fallait que les riches et les multinationales paient « leur juste part » d’impôt et en fustigeant les niches fiscales, Joe Biden a montré qu’il était légitime et urgent de donner un coup d’arrêt aux politiques fiscales néolibérales consistant à alléger les impôts des plus aisés et des grandes entreprises. Ses mesures ? Ne pas augmenter l’impôt des classes moyennes, relever le taux nominal de l’impôt sur les sociétés fédéral à 28 % et doubler l’imposition des plus values des « super riches ». Autrement dit : il s’agit de mieux répartir la charge fiscale… Joe Biden propose également en ce sens d’instaurer au plan mondial un taux minimum de 21 % sur les multinationales. Il met au défi les pays qui négocient sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) d’aller plus loin dans ce qu’ils envisageaient jusque là (un taux minimum de 12,5 %, soit l’équivalent du taux irlandais) et dans leurs propres choix, souvent inspirés du Reaganomics auquel Biden met actuellement fin.
Le nouveau président américain a également bien saisi d’une part, l’importance d’agir vite dans la période de crise actuelle et d’autre part, la nécessité de mettre au regard de ses décisions fiscales des contreparties concrètes. Il a ainsi annoncé de vastes plans en mettant en avant la nécessité d’investir, de lutter contre les inégalités, de soutenir le pouvoir d’achat de millions de foyers et en évoquant même à plusieurs reprises la lutte contre la « crise climatique ». Les chiffres ont de quoi donner le tournis : 1 900 milliards de dollars (1 615 milliards d’euros) ont été annoncés en mars pour relancer l’économie, le projet visant les infrastructures s’élèverait pour sa part à 2 250 milliards en 8 ans et environ 1 000 milliards de dollars concerneraient l’aide aux familles (accueil des jeunes enfants, gratuité pour l’inscription aux universités…).
Il est frappant de mesurer l’écart entre ce qu’il se passe en France et aux États-Unis : Emmanuel Macron a baissé la fiscalité des plus riches avec la suppression de l’ISF et la flat tax sur les revenus financiers ; il a baissé la fiscalité des entreprises avec la baisse de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production [1] ; il prépare l’opinion à une nouvelle cure d’austérité [2]. Joe Biden fait précisément l’inverse en mettant à contribution les riches et les multinationales pour financer une ambitieuse politique de relance.
Certes, les États-Unis souhaitent combler une partie de leur retard sur l’Europe en matière de politique sociale. Mais les 750 milliards d’euros de relance de l’Union européenne et les 100 milliards (en deux ans) du plan de relance français font tout de même bien pâle figure à côté des plans Biden… Surtout, ceux-ci montrent que, contrairement à ce qui a été invoqué tant en France qu’en Europe, il existe une alternative plus juste à la voie néolibérale.
Certes, il peut y avoir loin de la coupe aux lèvres. Il faudra désormais voir comment l’OCDE s’empare du projet de taux minimum, comment les bénéfices seront répartis, etc. On peut aussi noter que le taux d’impôt sur les sociétés passe de 21% à 28 % mais surtout qu’il était de 35% au début du mandat de Donald Trump !
Certes, de la même manière, il est évident que Joe Biden souhaite prendre un temps d’avance dans la compétition internationale face à la montée en puissance de la Chine notamment. Il « pense » d’abord aux américains. Mais Joe Biden a aussi été élu pour cela, et il aurait pu faire moins, ou tout simplement poursuivre sur la voie qu’ont emprunté les États-Unis de longue date, plus ou moins corrigée selon les présidences.
Certes…. Mais ne nous y trompons-donc pas : c’est bien à une rupture que nous assistons. Une rupture après des années de baisses d’impôts pour les riches et les entreprises ; une rupture avec la course au moins-disant fiscal. Reste à savoir quelle sera sa portée. Avec ses déclarations, Joe Biden ouvre une période qui peut permettre de rebattre les cartes et, au fond, de réhabiliter certaines idées éhontément jugées "irréalisables" par les gouvernants. Il en va ainsi de la taxation unitaire, de la justice fiscale, de la lutte contre l’évasion fiscale, du rôle de l’action publique et de la protection sociale, de la réduction des inégalités ou encore de la transition écologique. Autant de questions chères à Attac notamment.