Nationalismes et langues, l’expérience balkanique

Dossier : Nationalités et frontières, , par Bozidar Jaksic

En 1969, l’écrivain croate Miroslav Krezla déclarait : « Les Croates et les Serbes avaient une seule et même langue, que les Croates appelaient “croate” et les Serbes “serbe”. » Il s’agissait de tenter d’apaiser les passions provoquées par la Déclaration sur le statut et le nom de la langue littéraire croate, qu’il avait lui-même signée, et par la réponse serbe à cette déclaration sous la forme d’une Proposition à examiner publiée en 1967. Les temps étaient révolus où, en 1924, Krleza pouvait prétendre, avec son ironie sophistiquée, que les langues serbe et croate ne se distinguent que par l’accent et qu’une « oreille qui n’est pas serbo-croate peut très difficilement les différencier ». La Déclaration et la Proposition ont été le prélude à de longs débats ultérieurs, politiques et culturels, qui se sont tragiquement terminés avec la « troisième guerre balkanique ». De nombreux autres écrivains, comme Predrag Matvejevic (un disciple de Krleza), considéraient les questions linguistiques comme des sujets politiques extrêmement sensibles. Dans les communautés multiethniques, comme l’était la Yougoslavie, « la tolérance linguistique dépendait de la nature des interrelations, avant et après l’unification : lorsque ces relations étaient relativement bonnes, les différences étaient minorées ». Inversement, quand elles étaient mauvaises, elles pouvaient être exagérées jusqu’à l’absurde.