Les objets prélevés ont été remplacés par un avis de prélèvement explicitant les raisons de notre action, puis nous avons déposé le “butin” dans des centres de finances publiques, en lien avec les organisations syndicales de l’administration fiscale.
Après une première phase d’affichage qui a permis de dénoncer les profiteurs de la crise et qui s’est terminée en fanfare avec l’action ciblant la Samaritaine et le siège de LVHM, il est temps de faire monter la pression pour la justice fiscale.
Alors que débute une séquence électorale dont les thématiques de campagne semblent dictées par l’extrême-droite, nous souhaitons avec ces actions remettre les questions de justice fiscale au centre du débat public.
L’injustice fiscale, ce fléau qui mine le consentement à l’impôt
Depuis plusieurs années, la demande de davantage de justice fiscale ne cesse de s’exprimer. On l’observe dans les enquêtes d’opinion, mais aussi au cœur des mouvements sociaux, marqués notamment par la mobilisation des Gilets jaunes.
L’injustice fiscale, illustrée notamment par les multiples scandales (affaire Cahuzac, Panama Papers, Paradise Papers, Lux Leaks, CumEx...), nuit gravement au consentement à l’impôt, pilier fondamental de toute démocratie, et contribue à la hausse des inégalités, à la dégradation des services publics et à la remise en cause des mécanismes de protection sociale.
Les mesures du quinquennat Macron ont constitué un accélérateur de l’injustice fiscale :
- transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière,
- mise en place du prélèvement forfaitaire unique, ou flat tax, qui instaure un taux proportionnel sur les revenus financiers,
- baisse des impôts de production payés par les entreprises.
Cela a contribué à réduire l’imposition des très riches et des plus grandes entreprises, et a encouragé au versement de dividendes records aux actionnaires.
Toutefois cette tendance était à l’œuvre depuis le tournant néolibéral des années 1980 : la progressivité de l’impôt sur les revenus et le patrimoine a diminué, de même que l’imposition des profits des entreprises, si bien que la fiscalité repose de plus en plus sur des taxes à la consommation (comme la TVA), alors qu’elles sont injustes dans la mesure où elles représentent une part plus importante du revenu des ménages les plus modestes.
Malgré tout, le pouvoir martèle qu’il ne reviendra pas sur ses choix injustes qui ont favorisé les plus riches et qu’il n’augmentera pas leurs impôts, préférant poursuivre son agenda néolibéral : réforme des retraites et de l’assurance chômage, réduction de la place de l’action publique, austérité budgétaire sur fond de dramatisation de la question de la dette publique.
Si nous prenons le risque de « voler » des multinationales, c’est parce que nous ne supportons plus que ceux qui peuvent le plus contribuer à l’impôt y échappent en toute impunité, tandis que ce sont les plus précaires qui trinquent.
L’évasion fiscale des multinationales nous coûte un pognon de dingue
Dans cette campagne, nous voulons particulièrement dénoncer l’évasion fiscale des entreprises multinationales.
Ces entreprises utilisent les échanges entre leurs différentes filiales, qui sont implantées dans des pays où la taxation est faible, comme aux Pays-Bas, à Malte ou à Jersey. Un des moyens de pratiquer l’évasion fiscale consiste à manipuler les prix de transfert : il s’agit d’utiliser les échanges entre les différentes filiales de l’entreprise pour faire apparaître artificiellement leurs profits dans les territoires où les taux d’imposition sur les sociétés sont faibles (par exemple l’Irlande ou le Luxembourg) ou à localiser les charges là où ils sont plus élevés pour y réduire artificiellement le bénéfice.
Ces mécanismes permettent aux multinationales de réduire très fortement le montant de leurs impôts et de créer une concurrence déloyale avec les petites et moyennes entreprises, dont le taux d’imposition réel est nettement supérieur à celui des entreprises multinationales.
Selon une étude récente menée par des économistes [1], 40 % des bénéfices des multinationales sont transférés dans des paradis fiscaux chaque année, soit 900 milliards de dollars (soit 765 milliards d’euros) en 2018 à l’échelle mondiale ! Cela occasionne une perte de 200 milliards $ (170 milliards € ) des recettes de l’impôt sur les sociétés, soit 10% des recettes.
Pour la France, les profits non déclarés s’élèvent à 46,7 milliards $ (39,7 milliards €) en 2018, ce qui représente un manque à gagner de 15,4 milliards $ (13,1 milliards €) d’impôt sur les sociétés par an. Ainsi, 26% des recettes de l’impôt sur les sociétés sont perdues du fait de l’évasion fiscale !
Les multinationales que nous avons choisi de cibler dans cette campagne sont représentatives des pratiques d’évasion fiscale :
- BNP-Paribas est la banque française la plus présente dans les paradis fiscaux (194 filiales) et a été épinglée dans de multiples scandales d’évasion fiscale (Lux Leaks, Panama Papers, CumEx, OpenLux...) ;
- Total Energies échappe à l’impôt sur les sociétés en France grâce à ses 160 filiales dans les paradis fiscaux, notamment aux Bermudes et aux Pays-Bas ;
- Mc Donald’s est organisée de façon à ce que les profits réalisés en France soient artificiellement déclarés au Luxembourg, ce qui lui permet en outre d’éviter d’avoir à verser des primes d’intéressement à ses salarié.es ;
- Amazon a réussi l’exploit de payer 0 euro d’impôt sur les sociétés dans toute l’Union Européenne en 2020, malgré des ventes records, en délocalisant ses revenus au Luxembourg, et elle organise une fraude massive à la TVA.
Des mesures insuffisantes pour lutter contre l’évasion fiscale
De nombreux scandales ont révélé le caractère systématique de l’évasion fiscale des multinationales. Depuis trop d’années, scandale après scandale, estimation après estimation, on constate que ce phénomène ne cesse d’augmenter faute de volonté politique d’y mettre fin. Depuis trop longtemps, les États et l’Union européenne font semblant de lutter contre ce fléau sans prendre de mesures à la hauteur du problème.
Pourtant Bruno Le Maire comme de nombreux responsables des États du G7, pays accueillant les sièges des principales multinationales, ont salué une « avancée historique » dans la lutte contre l’évasion fiscale, suite à l’accord sur l’instauration d’un taux d’impôt minimal mondial sur les sociétés d’« au moins 15% ».
Notre campagne vise notamment à pointer les limites de cet accord et à ne pas laisser raconter que nos dirigeants auraient mis fin au problème. Alors qu’on nous promet depuis tant d’années la « fin des paradis fiscaux », nous ne sommes pas dupes des faiblesses de cet accord, dénoncées unanimement par les organisations luttant pour la justice fiscale.
Cet accord ne mettra pas fin au problème qu’il promet de résoudre [2], car :
- Le taux est si bas qu’il risque d’entériner une taxation plus faible pour les multinationales que pour les PME, qui elles n’ont pas de filiales dans des paradis fiscaux. C’est pourquoi l’économiste Thomas Piketty estime qu’ « il s’agit ni plus ni moins de l’officialisation d’un véritable permis de frauder pour les acteurs les plus puissants » [3].
- Les recettes fiscales dégagées par le taux de 15 % seraient largement insuffisantes pour répondre aux défis mondiaux sociaux, écologiques et économiques : avec un taux minimum de 15 %, les recettes fiscales supplémentaires pour l’Union européenne ne s’élèveraient qu’à environ 50 milliards d’euros contre 170 milliards si un taux minimum de 25 % était appliqué, comme le réclament de nombreuses ONG ainsi que les économistes regroupés au sein de l’ICRICT [4].
- Ce taux minimal « plancher » de 15 % risque fort de devenir un taux « plafond » en entraînant une course à la baisse des taux. En effet, les gouvernements des pays qui présentent un taux nominal plus élevé pourraient arguer qu’il faut s’aligner sur ce taux de 15 %, avec pour conséquences des pertes budgétaires importantes et une aggravation de l’injustice fiscale et sociale.
- Il n’est même pas certain que les multinationales soient réellement taxées à 15%. Car il existe un risque de contournement de la réforme, grâce à l’ingéniosité des entreprises multinationales aidées de leurs cabinets conseil, par exemple en manipulant le calcul du bénéfice imposable. Mais aussi parce que des exemptions figurent dans le projet de réforme, qui permettent aux multinationales de réduire les bénéfices soumis à l’impôt minimum d’un montant égal à 5 % de la valeur de leurs actifs et de leur masse salariale dans chaque pays. Cette dérogation leur permet une réduction de l’assiette fiscale sur laquelle l’impôt minimal mondial sera appliqué, qui pourrait entraîner un manque à gagner de l’ordre de 15 % à 31 % des recettes annoncées [5].
- Le premier pilier de la réforme prévoit de taxer les profits des firmes dans les pays où elles vendent leurs produits et services quand le deuxième pilier prévoit de taxer les multinationales dans le pays où elles ont leur siège. Cet accord privilégie donc les marchés de consommation (en majorité les pays développés) et les pays détenant les sièges des multinationales (en majorité les pays du G7) au détriment des pays de production (en majorité les pays en développement), alors que l’évasion fiscale prive les États du Sud de recettes très importantes.
Pour toutes ces raisons, Attac considère qu’il serait préférable d’instaurer une taxation unitaire des multinationales, une solution qui ne demande que de la volonté politique. Défendue par de nombreuses organisations et universitaires experts en fiscalité, la taxation unitaire considère chaque entreprise multinationale, non pas comme une somme d’entités juridiques séparées et n’ayant aucun lien entre elles (les filiales), mais comme une entité unique et cohérente, d’où l’expression de « taxation unitaire ». La taxation unitaire consiste à taxer le bénéfice global des entreprises multinationales, en considérant celles-ci comme une entité unique, puis dans une seconde étape, à répartir ce bénéfice dans les pays où ces entreprises réalisent effectivement leur activité (en fonction des ventes et des quantités de travail et de capital utilisées dans chaque pays), afin de déterminer le montant d’impôt sur les sociétés à payer dans chaque pays [6].
Dans un rapport publié en 2019, Attac avait calculé que le montant d’impôts dû par Amazon selon la méthode de la taxation unitaire serait de plus de 70% supérieur à ce qu’il était en 2017 en France. Pour les autres multinationales étudiées dans ce rapport, l’impôt sur les sociétés réglé serait de 2 fois à 22 fois supérieur [7].
Le double jeu du gouvernement français
Bruno Le Maire vante le rôle joué par la France dans l’adoption de cet accord qu’il qualifie d’ « historique » [8]. En réalité, la France défendait un taux minimal d’imposition de 12,5% soit celui de... l’Irlande. De plus, quand Joe Biden a proposé que le taux soit de 21%, Bruno Le Maire a répondu : « la France avait proposé un taux d’imposition minimum global pour les sociétés à 12,5%. Si l’administration Biden propose un taux à 21% et qu’il y a consensus, il serait acceptable pour nous » [9]. Ce soutien du bout des lèvres a contribué au fait que Joe Biden propose finalement un taux de 15%.
Alors que s’ouvre la campagne électorale pour les élections présidentielle et législative, LREM a commencé son grand bluff pour nous faire croire que le gouvernement a lutté efficacement contre l’évasion fiscale [10]. Cette campagne vise aussi à ne pas permettre cette réécriture de l’histoire.
Nos revendications pour mettre fin à l’évasion fiscale
Face à l’inertie ou la procrastination des États, nous demandons :
- un véritable échange automatique d’information, sans exemption, réciproque et multilatéral ;
- un véritable registre mondial des sociétés écran, afin de connaître leurs propriétaires effectifs ;
- un cadastre financier européen, voire mondial, pour identifier les détenteurs des différents titres financiers ;
- en finir avec les rulings, la multiplication des niches fiscales et la concurrence fiscale entre les États ;
- empêcher la « planification fiscale agressive » et le shopping fiscal des multinationales ;
- les contraindre à rendre compte de leurs activités pays par pays avec un reporting public ;
- renforcer et étendre la protection les lanceurs d’alerte ;
- un renforcement de la coopération entre administrations nationales (administration fiscale et douanière, services spécialisés de police judiciaire, anti-corruption et anti-blanchiment, justice) et entre États ;
- obtenir le renforcement des effectifs et moyens des administrations impliquées dans la traque des délinquants financiers ;
- obtenir la poursuite des responsables des banques et sociétés de conseils qui organisent l’évasion fiscale et en finir avec l’impunité fiscale (condamnations fiscales et pénales) ;
- la mise en place de la taxation unitaire, plus efficace que la réforme de l’impôt mondial négocié au sein de l’OCDE.