Monsieur le Président de la République,
Demain, vous négocierez avec vos homologues européen·ne·s le cadre financier pluriannuel 2021–2027 et le plan de relance de l’UE. Ces négociations peuvent apporter une réponse européenne forte à l’épisode qui a gravement éprouvé notre continent. La crise liée au coronavirus a révélé nos fragilités et le besoin de politiques publiques solides pour relever le défi écologique, garantir l’autonomie alimentaire et la justice sociale. Parce qu’elles sont au carrefour de nombreux enjeux, l’agriculture et l’alimentation doivent façonner les projets du « monde d’après ». Or la Politique Agricole Commune (PAC), outil majeur d’orientation de nos systèmes agricoles et alimentaires, est en pleine renégociation.
Ensemble, les 43 organisations membres de la plateforme Pour une autre PAC l’affirment avec gravité : la proposition de réforme de la PAC au niveau européen est loin d’être à la hauteur des enjeux révélés par la crise. Premier pays bénéficiaire de la PAC, la France a la responsabilité d’être force de proposition pour une véritable refonte de la PAC en vue d’affronter efficacement les défis que nous vivons et qui nous attendent. C’est ainsi que la prochaine PAC devra répondre à trois défis inéluctables et interconnectés.
Il s’agit tout d’abord de placer la souveraineté alimentaire [1] de l’UE au centre d’une véritable Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC), par laquelle la production agricole serait mise au service d’une alimentation choisie, diversifiée et durable, accessible à toute la population. Cet impératif, mis en lumière par la crise du coronavirus, est strictement incompatible avec un système appauvrissant les paysan·ne·s dans lequel les produits alimentaires sont vendus à des prix toujours plus bas. Il n’est pas davantage compatible avec la signature d’accords de libre-échange exposant à une concurrence déloyale aussi bien les paysan·ne·s européen·ne·s que celles et ceux des pays du Sud. Une PAC qui a pour seul objectif les prix bas pour les consommateur·rice·s est une impasse. Une PAC qui « [délègue] notre alimentation à d’autres est une folie » [2].
En parallèle, la PAC doit repenser la logique d’attribution des aides, pour valoriser les bienfaits générés par les fermes plutôt que leur surface. Aujourd’hui, en matière d’emploi, la PAC est la principale raison de la diminution du nombre de paysan·ne·s et du non-renouvellement des générations, dans la mesure où une grande majorité de son budget est distribuée en fonction des surfaces, sans plafonnement du montant attribué selon le nombre de paysan·ne·s travaillant sur les fermes. Pourtant, avec la moitié des agriculteur·rice·s partant en retraite dans les dix années à venir, l’agriculture constitue un réservoir d’emplois extrêmement important. Sortons de la logique de paiements à l’hectare non ciblés, plutôt que de pérenniser une politique de rente inacceptable dans un contexte de récession économique !
Pour finir, il est indispensable que la prochaine PAC accompagne massivement la transition agroécologique des fermes, en dédiant au moins 50% de ses financements au maintien et au développement de systèmes agricoles favorables à l’environnement et au bien-être animal, tels que l’agriculture biologique. Une transition massive de l’agriculture européenne suppose un budget fort pour le 2e pilier de la PAC, construit et géré en bonne intelligence entre l’État et les Régions. Dans cette perspective, les intentions affichées par le Pacte vert, en matière de réduction d’utilisation de pesticides, d’engrais azotés et d’augmentation de la part d’agriculture biologique constituent des étapes importantes pour le climat et la biodiversité. Or sans une PAC pleinement compatible avec les stratégies « De la ferme à la table » et « biodiversité » de l’UE, les paysan·ne·s n’auront pas les moyens d’atteindre ces objectifs. Demain, il n’y aura plus d’agriculture européenne si elle ne respecte pas les ressources naturelles, les sols, la biodiversité, le climat et les animaux d’élevage, qui lui permettent de produire. Les solutions pour cela sont à puiser dans le renforcement de l’autonomie des paysan·ne·s et dans la valorisation de leurs savoir-faire et des services qu’ils rendent à l’environnement et au bien-être animal, et non dans la massification de l’agriculture de précision ou dans l’industrialisation croissante de l’élevage.
Monsieur le Président, notre monde a été bouleversé ces derniers mois. Les citoyen·ne·s ont saisi le rôle clé d’une autre PAC pour construire notre souveraineté alimentaire, comme l’ont montré les propositions récentes de la Convention citoyenne pour le climat. Les Français·es attendent de vous que la future PAC soit construite par et pour les paysan·ne·s et les citoyen·ne·s. Nous le redisons : le texte en discussion n’est pas à la hauteur des défis mis en lumière par la crise, ni du cap fixé par le Pacte vert. Nous attendons que vous défendiez une révision ambitieuse de la PAC, sans quoi la PAC perdrait toute légitimité auprès des citoyen·ne·s. Nous le savons, la voix de la France compte dans toute négociation sur l’agriculture européenne. Mettons-la au profit de cette occasion historique : les circonstances le permettent et les défis à relever sont urgents. C’est maintenant que les choix politiques qui s’imposent doivent être effectués.
Nous restons à votre disposition pour tout échange et vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’expression de nos salutations distinguées.