Il y a quelques mois nous décidions d’appeler à une manifestation pour alerter sur le danger couru par nos enfants à cause du racisme en France et ailleurs. Parce que nous étions préoccupées par les convocations de gamins de 10 ans pour « apologie du terrorisme » dans un climat de plus en plus islamophobe, comme par les répressions sauvages de blocus lycéens. Parce que nous étions apeurées par les crimes policiers de Nahel, de Wanys, de Theodor et Justin. Parce que nous étions sidérées par la mort de près de 10 000 enfants à
Gaza.
La préfecture vient d’interdire notre manifestation prévue ce dimanche et appelée par un large arc d’organisations. En cause : les mots d’ordre et « les fondements » de la manifestation. C’est d’abord le fait de dénoncer des crimes policiers qui pose problème notamment parce que cela serait de nature à attirer des éléments violents. C’est ensuite le souhait de « porter attention aux enfants de Gaza » qui serait susceptible de provoquer l’expression de slogans antisémites, en dépit du fait que pas un incident n’ait émaillé le juste mouvement de solidarité avec la Palestine qui a lieu depuis octobre dernier.
On en arrive donc par une formidable opération kafkaïenne à cette situation : organiser une manifestation pour dénoncer les racismes, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants devient une provocation violente aux yeux de l’État français et se voit interdite à ce titre.
Cette interdiction ne surgit pas de nulle part. Elle s’ancre dans un virage autoritaire et raciste qui s’accélère d’année en année. Dissolutions d’associations antiracistes ou écologistes et interdictions de manifester vont désormais de pair avec la brutalisation quasi systématique des manifestants et une impunité presque totale pour les crimes policiers.
Dans notre appel à la marche, nous écrivions : « Le monde observe la dégringolade du "pays des droits de l’homme" avec stupéfaction. Ce pays que nous chérissons, la France, et que nous voulons laisser à nos enfants, nous trahit et trahit son passé. Que sont devenues les voix de la conscience universelle ? Où sont les Abbé Pierre, les Sartre, les Stéphane Hessel ? Où sont les Rosa Parks, les Angela Davis, Frantz Fanon, les Mandela de France ? (...)
Ce cri d’alarme ne doit pas se heurter à un mur de silence. Il doit être entendu à travers tout le pays et même au-delà. Il en va de l’avenir de nos enfants, de leur santé physique et psychique comme il en va de la santé morale de notre pays. »
L’interdiction de notre marche, comme celle de la conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan ce soir à Lille, sont le signe que non seulement ce cri n’est pas entendu, mais qu’un basculement est en cours. Il est plus que jamais vital que l’ensemble des organisations du mouvement social, comme toutes les consciences du pays, en prennent la mesure et s’organisent en conséquence. La question se pose à toutes et à tous : est-ce que nous souhaitons voir nos enfants grandir dans un état policier ?
Amal Bentounsi et Yessa Belkhodja, Collectif Marche 21 Avril 2024 « CONTRE LES RACISMES, L’ISLAMOPHOBIE ET POUR LA PROTECTION DE TOUS LES
ENFANTS »