Absent des listes noires européenne et française de paradis fiscaux, Singapour est pourtant cinquième de l’index qui classe les États selon leur opacité financière et leur niveau de coopération avec des autorités administratives ou judiciaires étrangères [1]. Par ailleurs, Singapour, où les droits d’expression et de manifestation ne sont pas respectés, n’a pas ratifié les conventions 87 et 111 de l’OIT sur la liberté d’association et sur les discriminations. Enfin, Singapour a été l’un des opposants les plus déterminés à ce que les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime soient limitées par l’Accord de Paris.
Cela n’a pourtant pas empêché les États-membres et la Commission européenne de négocier, en toute opacité, des accords visant à libéraliser le commerce et les investissements pour faciliter, un peu plus encore, l’accès des entreprises européennes à la principale plaque tournante commerciale et financière entre la zone Pacifique et l’Europe. L’objectif est clair : accroître un peu plus les flux commerciaux et financiers entre les pays asiatiques et les pays européens, sans aucune prise en compte de l’impact sur le climat, l’environnement, l’emploi et la situation sociale de chacun des pays. L’engagement d’Emmanuel Macron à ne plus signer d’accords commerciaux qui ne soient pas compatibles avec l’urgence climatique est à nouveau foulé aux pieds.
Loin de témoigner d’un « engagement résolu à promouvoir les droits de l’homme et du travail ainsi qu’à protéger l’environnement » comme l’affirme Cecilia Malmström, ces accords UE-Singapour transcrivent le peu de considération de l’UE en la matière : chapitres sur le développement durable non contraignants, aucune protection sérieuse des droits humains, sociaux et de l’environnement, aucune régulation des flux de capitaux pour se prémunir de l’instabilité financière, etc.
Pire, les accords UE-Singapour renforcent le droit des investisseurs au détriment du droit à réguler des pouvoirs publics en entérinant un nouveau mécanisme de règlement des différends Investisseurs-États, pourtant si décrié et contesté. Alors qu’on connait la capacité des investisseurs à utiliser au mieux les opportunités que leur offrent les paradis fiscaux, instituer un tel dispositif avec l’un des plus importants d’entre eux, est inacceptable. Peut-on sérieusement annoncer vouloir lutter contre l’évasion fiscale et signer de nouveaux accords avec un paradis fiscal qui accroissent les privilèges des investisseurs et des acteurs financiers ? L’heure est au contraire à faire refluer des mécanismes illégitimes qui permettent à des entreprises d’obtenir des compensations lorsqu’elles s’estiment lésées par des décisions prises au nom de l’intérêt général.
Plutôt que tirer les leçons des mouvements de contestation (TAFTA, CETA), la Commission et les États-membres nous enferment un peu plus, avec ces accords UE-Singapour, dans l’impasse d’une globalisation économique et financière sans limite qui détruit nos sociétés et la planète, et dont les populations ne veulent plus. En plus d’appeler les députés européens à rejeter ces accords, nous invitons à signer massivement la pétition « Stop Impunité » qui a déjà réuni plus de 430 000 signataires à travers l’Europe, et à renforcer les campagnes pour mettre fin à l’impunité des multinationales.
Pour aller plus loin
- Note de décryptage de l’Accord UE-Singapour
- Quel futur pour les dispositifs d’arbitrage de type ISDS ?
- Pétition : « Stop à l’impunité des multinationales »
- Lettre ouverte aux euro-députés
- Tribune « Les droits des investisseurs ne doivent pas être mieux protégés que ceux des citoyens ou de la planète »