La publication de ce rapport intervient une semaine après la publication par WikiLeaks d’un ensemble de documents secrets de l’Accord sur le commerce des services (ACS). Ces documents esquissent des propositions qui rendraient plus difficile pour les gouvernements de mettre en œuvre des politiques gouvernementales en faveur des énergies renouvelables sans courir le risque de se voir poursuivis en justice par des grandes entreprises.
La menace sur l’action en faveur du climat que représentent ces accords commerciaux est si bien démontrée, références à l’appui, qu’elle semble avoir incité l’Union Européenne à vouloir éviter le sujet du commerce lors de la conférence de l’ONU sur le climat, à Paris. Un document présenté par la direction de l’action pour le climat de la Commission Européenne (DG CLIMA) au comité sur le climat des gouvernements de l’UE a pu être consulté par l’organisation militante Corporate Europe Observatory. Il suggère que l’UE a l’intention de s’opposer à toute référence au commerce ou à des problématiques liées au commerce dans l’éventuel accord qui émergera de la COP 21. Cette posture est en contradiction avec la proposition du parlement européen visant à exclure les politiques en faveur du climat du champ d’application du mécanisme de règlement des différends entre Investisseur-État (ISDS).
Ainsi, le directeur de Global Justice Now, Nick Dearden, déclare :
« Les accords de libre échange tels que le TAFTA et le CETA constituent une menace grave envers notre capacité à apporter des réponses appropriées à la crise du climat. Pour réduire la dépendance au carbone de nos économies, les gouvernements doivent mettre en place toute une gamme de mécanismes de régulation, tandis que ces accords commerciaux fourniraient au secteur des énergies fossiles toute une panoplie d’outils lui permettant de réfréner voire d’empêcher l’application de telles régulations. Que l’Union européenne souhaite faire en sorte qu’il n’y aie aucune allusion au commerce ou aux accords commerciaux lors de la conférence de l’ONU sur le climat renie le fait qu’elle connaît pertinemment les conséquences désastreuses qu’auront ces accords sur le climat, mais elle insiste malgré tout. Les citoyens européens ont droit à des politiques commerciales qui ne soient pas écrites que pour servir les intérêts des grandes entreprises et qui ne saccagent pas le climat ».
Kenneth Haar, un chercheur et militant du Corporate Europe Observatory affirme quant à lui :
« Le document qui a fuité expose clairement les priorités de l’UE. Elle n’a aucune intention de protéger les politiques d’encouragement aux énergies propres face aux accords commerciaux. C’est un comble que cela devienne évident à l’occasion de la COP 21, alors que le parlement européen vient d’exprimer clairement ses inquiétudes ».
Maxime Combes, économiste et porte-parole d’Attac France déclare :
« Malheureusement, le document fuité de l’UE n’est pas une surprise. La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques elle-même sanctifie la libéralisation du commerce et de l’investissement dans son article 3.5, puisque "les mesures prises pour lutter contre le changement climatique, y compris les mesures unilatérales, ne doivent pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable ou une restriction déguisée au commerce international ". Ainsi, l’ONU empêche toute véritable politique climatique qui pourrait contester la priorité donnée par les gouvernements à la libéralisation du commerce et aux profits des entreprises ».
Selon le rapport, les cinq raisons pour lesquelles les accords commerciaux sont si néfastes pour le climat sont les suivantes :
- Le commerce est prioritaire sur l’environnement : les accords encouragent les flux de produits et de services dans le monde entier, sans prendre en compte leurs conséquences sociales et environnementales. Plus les échanges commerciaux sont nombreux, plus il y a de marchandises à transporter par bateau, camion ou avion.
- Les entreprises peuvent remettre en cause des réglementations qui protègent l’environnement : le système de l’ISDS met en place des tribunaux secrets devant lesquels les investisseurs étrangers peuvent poursuivre des gouvernements pour avoir mis en œuvre des réglementations pouvant nuire à leurs profits. D’autres accords ont vu l’ISDS servir à protéger, à de nombreuses reprises, les profits des grandes entreprises pétrolières, gazières ou de charbon.
- Les entreprises peuvent participer à la conception des lois sur l’environnement : Le concept de « coopération réglementaire » est au cœur du TAFtA et du CETA. Un grand nombre de normes réglementaires sont dépeintes par les grandes entreprises comme des « barrières au commerce » qui imposent un « fardeau inutile » sur leur capacité à exporter. Ces réglementations sont pourtant l’expression démocratique de notre manière de gérer nos sociétés et de protéger l’environnement. Toute proposition de réglementation qui menacerait les résultats des entreprises (par exemple, des normes contraignantes d’efficacité énergétique ou des règles financières applicables aux énergies polluantes) pourrait se voir étouffée par les grandes entreprises avant même que le parlement ou le public puisse en débattre.
- L’agriculture lourdement productrice de carbone est encouragée : l’agriculture est une des activités qui contribue le plus au changement climatique, la production alimentaire étant responsable de 19 à 29 % des émissions de carbone. Le pire vient de l’agriculture industrielle à grande échelle qui, organisée pour exporter de la viande vers les marchés occidentaux, utilise de nombreux produits chimiques. L’industrie agroalimentaire voit dans le TAFTA un levier clé pour convaincre l’UE de cesser de s’opposer à l’usage d’antibiotiques, de chimie et d’organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture.
- Les énergies fossiles sont libéralisées : le « Chapitre énergie » du TAFTA créerait un « marché libre » des énergies fossiles, interdisant aux pays de limiter les exportations de produits énergétiques dans la zone concernée par le TAFTA ou le CETA. Ce chapitre est proposé par la Commission européenne au prétexte qu’il permettrait de réduire la dépendance de l’Europe au gaz russe. En fait il servirait seulement à remplacer une dépendance aux énergies fossiles par une autre, l’Europe devenant alors dépendante du pétrole et du gaz de schiste des USA ainsi que du pétrole des sables bitumeux du Canada – le carburant le plus polluant qui soit. Évidemment, il en résulterait une augmentation des productions de gaz de schiste et de pétrole de sables bitumeux aux États-Unis et au Canada.