Prendre le contrôle de la monnaie, des banques et de la BCE

jeudi 6 septembre 2012, par Attac France

Tant que la monnaie et le système bancaire sont hors contrôle, toutes les aspirations à des transformations politiques sont vouées à l’échec. Le cercle vicieux dans lequel les classes dominantes veulent enfermer les peuples, parce qu’elles en tirent un profit immédiat, n’est pourtant pas inéluctable. Des pistes alternatives raisonnables sont possibles. Elles supposent au préalable de redéfinir les objectifs de politique économique et sociale.

1) Des objectifs de transformation sociale et écologique

La crise est trop importante pour qu’on puisse imaginer avoir affaire à une difficulté passagère. Les critères de décision, les choix d’investissements, le type d’infrastructures, uniquement axés sur la rentabilité des capitaux investis, sont remis en cause, de même que le mode de développement productiviste qui conduit l’humanité dans une impasse.

C’est donc autour d’objectifs de transition vers une société plus juste et plus écologique que les choix doivent être opérés. C’est à cette condition que les emprunts contractés par la collectivité ont une raison d’être, parce qu’ils anticipent les effets bénéfiques à long terme d’une reconversion énergétique et industrielle.

Simultanément, une profonde réforme fiscale est nécessaire, visant, entre autres, à instaurer une forte progressivité de l’impôt sur le revenu, de façon à tarir la source structurelle des déficits publics, et à réserver le recours à l’emprunt public aux dépenses d’investissement d’avenir et à celles visant à enrayer toute menace de dépression.

C’est vrai à l’échelle nationale, comme à l’échelle européenne avec l’établissement d’un vrai budget. En effet, sans un budget européen en nette augmentation, il ne sera pas possible de résorber les multiples déséquilibres au sein de l’UE, notamment les déséquilibres commerciaux qui sont avant tout la conséquence des écarts de productivité que la déflation salariale dans les pays où elle est plus faible ne peut pas combler, au contraire.

2) La socialisation du secteur bancaire pour une nouvelle politique du crédit

La socialisation du secteur bancaire vise à en redonner le contrôle et la responsabilité à la collectivité entière. Elle est la contrepartie légitime de la garantie apportée en dernier ressort par la banque centrale, c’est-à-dire, en définitive, par la collectivité. Elle pourra prendre d’autres formes que celle de l’État afin de répondre aux besoins locaux et de permettre un contrôle plus démocratique.

Elle requerra la présence dans les directoires des banques de représentants des usagers, des collectivités locales et des salariés.

Elle rendra possible :

  • la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires, et la réduction du nombre de licences accordées à ces dernières ; la limitation de la taille des banques pour éviter qu’elles soient « trop grosses pour faire faillite » (too big to fail) ; l’obligation pour les banques de faire le métier de banque de base : collecte des dépôts en offrant des produits d’épargne simples et peu rémunérés, et politique de prêt tournée vers l’utilité ; la limitation de la garantie par la banque centrale aux seules banques de dépôts ;
  • l’interdiction des structures et des mécanismes de spéculation : titrisation, produits dérivés, marchés de gré à gré, effet de levier, etc. ; l’interdiction de toute transaction avec les paradis fiscaux ; l’obligation pour toutes les transactions de se dérouler sur des marchés contrôlés ; le contrôle de la Bourse pour limiter son champ d’action à la liquidité des titres représentatifs d’actifs réels ; le suivi de la mise en place d’une véritable taxation de toutes les transactions financières ;
  • la sélectivité du crédit : pratique de taux d’intérêt différenciés selon le degré d’utilité sociale et écologique des projets d’investissement des entreprises ; création d’un fonds de développement social et écologique, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations qui recueille l’épargne sur livret A, et garanti par la banque centrale.

3) La banque centrale enfin au service de la collectivité

C’est le point nodal d’une transformation profonde de la politique monétaire pour qu’elle serve les objectifs de transformation sociale et écologique. Mais c’est aussi le point de fixation de certains débats au sein même des courants théoriques et politiques hétérodoxes.

La question de départ est de savoir comment la BCE doit jouer son rôle de prêteur en dernier ressort. Peut-elle financer directement les États au moyen de la création monétaire ou doit-elle se limiter à garantir les prêts accordés par les opérateurs financiers et, en cas de difficultés, à racheter, sur le marché secondaire, les titres publics dont veulent se défaire les créanciers par peur du défaut de remboursement ?

Selon la réponse apportée à cette première question, le financement des investissements d’avenir s’effectuera différemment. Une fiscalité juste et équilibrant recettes fiscales et dépenses publiques suffit-elle pour financer tous les investissements d’avenir ? Non, et cela pour deux raisons :

Premièrement, tout développement économique exige une création de monnaie pour anticiper la création de richesse : ce serait le cas avec des investissements répondant à des besoins sociaux ou écologiques.

Deuxièmement, des investissements préparatoires du futur porteront des fruits étalés sur plusieurs années ; il est alors normal que leur financement s’étale aussi sur un laps de temps analogue et qu’ils ne soient donc pas imputés sur les seules recettes fiscales de l’année en cours.

Si la banque centrale est autorisée à financer par création monétaire les déficits publics, on parle de monétisation des déficits publics, lorsqu’il s’agit d’acheter les titres de dette au moment de leur émission, ou bien de monétisation de la dette publique lorsqu’il s’agit de les racheter après qu’ils ont déjà été émis.

Les adversaires de la monétisation de la dette arguent que le financement direct des déficits par la banque centrale, c’est-à-dire par création monétaire, qualifiée en souvenir des périodes d’hyper-inflation de planche à billets, fait courir le risque d’une relance de l’inflation et n’incite pas les pouvoirs publics à la retenue en matières de dépenses.

Certains économistes parmi les plus orthodoxes comme les monétaristes parent les marchés de vertus de contrôle et de sanction des États impécunieux. Ils estiment aussi que les agents économiques sauront anticiper les futures hausses d’impôts et ainsi empêcheront que les dépenses supplémentaires permises par l’injection de monnaie produisent leurs effets multiplicateurs de l’activité.

À l’inverse, on peut penser que, en période de chômage important et de sous-utilisation des capacités de production, le risque inflationniste lié à une émission de monnaie est très faible, voire nul. Ainsi, le rôle de prêteur en dernier ressort tenu par la banque centrale peut être plus ou moins renforcé selon que l’on se trouve en situation de crise ou non : en situation de crise, elle doit pouvoir prêter directement aux États.

Par ricochet, le statut du MES évoqué ci-dessus peut être reposé. Et, si une inflation limitée existe tout de même, elle est bienvenue pour rogner la rente financière et pour alléger la dette (c’est la fameuse « euthanasie du rentier » souhaitée par Keynes).

De plus, un financement des déficits publics par la banque centrale se ferait à taux zéro ou très faible, réduisant ainsi la charge d’intérêts, laquelle, on le sait, a pris une importance considérable dans la dernière période.

Enfin, la possibilité d’utiliser un tel financement pour les investissements nécessaires à la transition écologique et sociale serait un outil précieux. Mais, parmi les économistes de gauche, il existe aussi un courant qui n’est pas favorable à la monétisation des déficits publics, c’est-à-dire au financement direct par la banque centrale. Ils pensent que, pour des raisons d’efficacité et de démocratie, le rôle de la banque centrale et d’être la banque des banques et non pas de financer directement l’économie et l’État.

Ils préfèrent plutôt tabler sur la Banque européenne d’investissement (BEI) pour financer les investissements d’avenir ou bien utiliser la possibilité qu’offre le TFUE actuel dans son article 123.2 : il autorise la BCE à financer les établissements publics de crédit. Ainsi, la Caisse des dépôts et consignations pourrait, en France, prêter aux administrations publiques à taux très faible puisqu’elle peut se refinancer facilement et à très faible coût auprès de la BCE.

Il y a donc deux niveaux de débat. Le premier est déjà tranché par la pratique née de la crise : bien que n’étant pas autorisée à intervenir directement lorsque les bons publics sont émis, la BCE intervient toutefois ensuite, si c’est jugé nécessaire, sur le marché secondaire. L’attitude par rapport à ce premier débat est donc très pragmatique, en fonction de la situation économique.

Le second débat porte sur une intervention directe ou pas de la BCE, avec une position intermédiaire consistant à créer un organisme public (par exemple, un Fonds de développement écologique et social) pour émettre des crédits servant à financer les investissements – crédits garantis en dernier ressort par la BCE – et ayant, par le statut bancaire qui serait le sien, la possibilité, autorisée par les traités existants, de se refinancer auprès de la BCE.

C’est toute la différence avec le MES façonné par Merkel et Sarkozy, pour lequel n’est prévu qu’un financement sur les marchés financiers, afin de laisser, in fine, les États dans la main de ces derniers.

Dans le cadre d’une action vis-à-vis des partenaires de l’Union européenne et de la zone euro, il faudra viser :

  • la soumission régulière des orientations de la BCE aux décisions et au contrôle du Parlement européen ; les objectifs de politique économique, sociale et environnementale et l’objectif de stabilité financière doivent être la feuille de route de la BCE, en lieu et place de la lutte exclusive contre l’inflation et du laxisme monétaire vis-à-vis des institutions financières spéculatives ; la participation des représentants des salariés et des usagers aux instances de la BCE ;
  • la possibilité pour la BCE soit de financer monétairement à taux réduit, voire nul, les déficits des États dus à des investissements publics d’avenir, soit de garantir les prêts accordés par les organismes publics de crédit ; à cet égard, il faut certainement s’écarter de deux positions extrêmes : un financement direct systématique, car la banque centrale doit rester placée hiérarchiquement au-dessus du système bancaire pour pouvoir être un vrai prêteur en dernier ressort, et une interdiction totale de financement direct par la banque centrale car il peut s’avérer nécessaire ;
  • la possibilité de mobiliser dans chaque pays la banque centrale nationale parce que ce sont toutes les banques centrales nationales qui constituent le Système européen de banques centrales, trop souvent réduit à l’entité BCE ;
  • la création des euro-obligations (obligations publiques européennes), à la condition qu’elles ne soient émises que si elles sont souscrites directement par la BCE ou les organismes publics de crédit et non pas placées sur les marchés financiers ; tout mécanisme européen dit de stabilité doit être déconnecté de l’action des marchés financiers ;
  • la fixation des taux de change qui doit être enlevée aux marchés et, à titre transitoire, la fixation de marges de fluctuation tolérées ;
  • la généralisation dans tous les pays d’audits citoyens sur la dette publique et l’organisation d’audits officiels avec la participation de la société civile en vue de l’annulation de la partie des dettes publiques qui sera reconnue comme illégitime ;
  • le placement sous tutelle des agences de notation qui feront l’objet d’une surveillance étroite pour éviter les conflits d’intérêt.

Au total, la stratégie privilégiée est celle qui consiste à mettre en œuvre des mesures améliorant la coopération entre les pays et entre les populations et non la concurrence.

Conclusion

La réappropriation collective de la monnaie, du système bancaire et, à sa tête, de la Banque centrale européenne et de toutes les banques centrales nationales est une question qui engage toute la société, parce qu’elle représente de multiples enjeux : sociaux, économiques et écologiques. Mais elle est aussi une exigence démocratique essentielle.

Que la monnaie ait été à ce point réduite à remplir des poches déjà trop pleines était la marque du capitalisme néolibéral. Celui-ci entraîne l’humanité vers le désordre et le chaos. Enlevons-lui son oxygène, la monnaie. Pour cela, il nous faut contrôler démocratiquement la Banque centrale européenne.

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org