L’écheveau des accords bilatéraux dans le monde : attention danger

lundi 4 mars 2013, par Frédéric Viale

La récente déclaration du Président Obama sur la volonté des États-Unis de réactiver ce vieux projet d’accord de libre-échange avec l’Union européenne aura au moins eu le mérite de mettre sur le devant de la scène la question de la multiplication des accords de libre-échange dans le monde.

Cette réalité n’est pas nouvelle puisque, depuis qu’il apparaît clairement que les négociations de l’OMC sont enlisées, les grandes puissances commerciales (au premier rang desquels les États-Unis et l’Union européenne) ont décidé de pallier à cette réalité en multipliant les accords de libre-échange bilatéraux et régionaux. Comme, par ailleurs, l’OMC n’apparait plus comme le maillon faible de la mondialisation libérale, les organisations qui la combattaient comme Attac se sont trouvées démobilisées devant la difficulté consistant à combattre des accords nombreux, aux implications multiples et dont les enjeux politiques et sociaux étaient plus difficiles à démontrer que lorsqu’il s’agissait de combattre un mastodonte comme l’OMC. Maintenant, il apparaît clairement qu’est proche d’aboutir le projet politique consistant à faire du libre-échange l’alpha et l’oméga des relations dans le monde et plus largement un modèle de société, ce qui sera en passe d’être acquis dès lors que les deux plus puissants moteurs de la mondialisation se seront mis d’accord pour créer une zone de libre-échange.

Point global de la situation concernant les ALE et échéances

L’Union européenne (UE) multiplie, sur tous les continents, les Accords de libre-échange (ALE) bilatéraux et régionaux. Qu’il s’agisse d’accords avec les pays du Sud ou avec les pays du Nord, ils visent à d’obtenir un libre échange approfondi, fidèle aux textes fondateurs de l’OMC mais libéré de la contrainte des négociations multilatérales.

Suivant sa stratégie exposée dans un document daté du 4/10/2006, et endossé par le Conseil dès le 13 novembre suivant, la Commission européenne trace la voie de l’Union avec l’aval des gouvernements : s’inscrire dans l’Agenda dit de Lisbonne qui a l’ambition de faire le l’UE "la zone la plus compétitive du monde à l’horizon 2010". L’idée a été reformulée et verdie dans le document stratégique de l’Union « Trade, growth and world affairs : Trade policy as a core component of the EU’s 2020 strategy » (2010) [1] qui fixe les objectifs que l’UE entend atteindre auprès de ses partenaires commerciaux : suppression de toutes les barrières tarifaires et non-tarifaires aux produits et services européens, sécurisation accrue de l’accès à l’énergie et aux matières premières pour ses entreprises, ouverture des services et des marchés publics à ces dernières, libéralisation des marchés financiers, facilitation des conditions d’investissement des acteurs privés, protection accrue des investisseurs, pour ne citer que les plus importants.

Dès lors, tout est fait pour que les entreprises transnationales européennes (ETN), confondues avec les intérêts de l’UE, puissent conquérir le plus de marchés possibles dans le monde. Il faut promouvoir le libre-échange par tous types d’accords partout où cela est possible. A commencer par la libéralisation interne des régions partenaires pour les amener à ouvrir leurs marchés, et ainsi accéder en retour aux marchés européens. Il s’agit d’un double mouvement : d’une part, bradage des protections environnementales et des modèles sociaux européens considérés comme des obstacles à la compétitivité de l’UE, et d’autre part, recherche d’accords commerciaux de libéralisation, que ce soit au niveau multilatéral (OMC) ou bilatéral (ALE).

Ces ALE concernent directement les citoyens que nous sommes. Ce serait une erreur grave de croire qu’il ne s’agirait que d’un jeu, un peu déplorable sur le plan moral, mais utile pour l’expansion de "nos" entreprises. Ils constituent aujourd’hui le fer de lance de la poursuite du mouvement général de libéralisation économique qui provoque les fortes régressions de toutes sortes que nous connaissons, et aggrave la crise environnementale. Les accords de libre-échange ont mis en concurrence les peuples et les a soumis à la règle du moins-disant social et environnemental. Ils ont facilité le pillage et le saccage des écosystèmes, la crise des agricultures familiales et l’accaparement des terres par les multinationales ou les fonds spéculatifs. Ils sont directement responsables de la marchandisation, voire de la destruction, des systèmes de fourniture des services de base (santé, éducation, eau, transports publics...) dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud.

Dans le contexte de crise que traverse l’Union européenne, le commerce international est porté comme la solution. Prégnance de l’idéologie néo-libérale, financiarisation des économies et idéologie de la croissance extravertie, lobby puissant des entreprises transnationales exclusivement préoccupées par leurs parts de marché et leurs bénéfices, crise de l’euro : tous les éléments sont réunis qui tendent à justifier que l’UE recherche à se forger un nouvel « avantage comparatif » sur le marché mondial afin de sortir de la crise en évitant scrupuleusement de remettre en cause le modèle de production actuel.

Dès lors, les priorités de l’UE en matière de politique commerciale et d’investissement sont clairs : protection des investissements, protection des droits de propriété intellectuelle, marchés publics, accès aux matières premières bon marché (dont celui, crucial, aux énergies fossiles).

Par protection des investissements , l’UE entend mettre en place les instruments qui permettent d’assurer à l’investisseur une sécurité maximale pour ces investissements et ce de deux manières : premièrement, en s’assurant par des accords de commerce qu’aucune entrave légale ne soit décidée localement qui empêcherait la sortie des bénéfices et des capitaux du pays où ils ont été placés ; deuxièmement, en prévoyant l’instauration d’un mécanisme d’arbitrage États/investisseur. Ce mécanisme donnera droit à un acteur économique privé de poursuivre un État auprès de juridictions spécifiques créées par l’accord commercial hors du droit commun et qui sanctionneraient les États mettant en œuvre une décision de régulation publique qui aurait pour effet de diminuer les bénéfices escomptés de l’investisseur. Ce mécanisme existe dans le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange Nord-Américain (Canada, États-Unis, Mexique) et donne régulièrement lieu à des indemnisation d’investisseurs dans des conditions ignorant parfaitement l’intérêt général des populations. Il a surtout un effet dissuasif contre les États manifestant des velléités de régulation. Ce mécanisme remet directement en cause la souveraineté des gouvernements dans la définition des politiques économiques, sociales, énergétiques ou environnementales.

La protection des droits de propriété intellectuelle concerne la protection par les brevets mais également les indications géographiques. Dans ce domaine , l’ACTA (accord de commerce sur la contrefaçon) a été rejeté en juin 2012 par le Parlement européen après une mobilisation qui a porté essentiellement sur la liberté de l’Internet.

Les marchés publics revêtent une grande importance pour l’UE car des entreprises européennes de taille mondiale sont des acteurs importants de ce secteur. Aujourd’hui, l’accès aux marchés publics est également un volet important des négociations avec les pays du Sud-Méditerranée, les pays asiatiques ainsi que nord-américains (le Canada en particulier).

L’accès aux matières premières est considéré comme crucial par l’UE. Elle a ainsi adopté l’Initiative sur les matières premières (IMP) en 2008 qui vise à sécuriser l’approvisionnement des entreprises européennes en matières premières à moindre coûts. Pour mettre en œuvre cette stratégie, elle négocie l’intégration des dispositions au sein des accords de libre-échange afin que soient démantelée toute mesure gouvernementale de restriction aux exportations de matières premières. C’est le cas des négociations avec le Canada, l’Inde, la Malaisie et le Mercosur. Evidemment, dans un tel contexte, les questions environnementales sont entièrement ignorées.

L’Union européenne est engagée dans de nombreuses négociations , à des stades différents et dans des contextes plus ou moins favorables. Elle négocie à la fois des accords bilatéraux ou régionaux et des dispositifs sectoriels.

Au plan bilatéral, l’UE négocie avec les pays membres de l’ASEAN (Association des Nations du sud est de l’Asie [2] ; avec l’Inde (avec la question de l’accès aux matières premières, celle de l’accès des multinationales européennes de la grande distribution au marché du commerce de détail indien (qui détruirait des millions d’emplois) [3] ; avec le Canada ; avec les 4 pays de la zone d’Agadir (Maroc, Tunisie, Égypte et Jordanie)  ; les régions Afrique-Caraïbe-Pacifique dont la situation est assez compliquée car différente selon les régions et les pays considérés [4]. Les négociations avec l’Ukraine ont abouti à un accord de libre-échange complet en décembre 2011, dans le cadre d’un accord d’association plus large. L’UE négocie également des accords d’association avec la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis 2010. Concernant le Kazakhstan , les négociations ont débuté mi 2011. Un accord entre l’UE et la Colombie et le Pérou a été signé le 26 juin dernier. Les négociations avec le MERCOSUR , suspendues en 2004, ont repris en 2010. Enfin, l’Union européenne a établi des dispositifs de dialogue avec les États-Unis (Groupe de travail de haut niveau sur l’emploi et la croissance) et la Chine (Dialogue économique et commercial de haut niveau) qui ne vise pas à proprement parler à la mise en place d’accords commerciaux mais de mesures politiques et d’instruments d’uniformisation susceptibles de favoriser à l’avenir de tels accords.

Les échéances principale sont les suivantes :

  • L’accord Colombie/Pérou a été considéré comme un accord mixte, il devra donc être ratifié par les Parlements nationaux.
  • L’AECG (UE-Canada) aurait du être signé en décembre. L’opacité est la plus totale mais il semble que des problèmes sérieux freinent la conclusion de cet accord considéré comme majeur par la Commission et qui tiendraient aux questions agricoles mais aussi à la mise en place concrète du mécanisme du règlement des différends car il faudra savoir qui paiera en cas de condamnation (un État et lequel ? L’UE en tant que telle ?) Il semble que cela donne un répit pour permettre la mobilisation. Selon toute apparence, la ratification sera demandée au Parlement européen seulement.

Dans cette négociation, tout est, par définition, sur la table sans que l’UE n’ai informé sur la liste de ce qui est négocié et qu’elle entend sans aucun doute placer les citoyen-nes devant le fait accompli quand tout sera bouclé, autrement dit, trop tard, mais encore cet accord a des conséquences multiples et servira « d’exemple » pour les autres accords à venir.

Par exemple, les canadiens demandent l’accès aux ressources naturelles . Ils sont particulièrement attentifs à l’extraction du pétrole des sables bitumineux. Son extraction est fortement émettrice de gaz à effet de serre et le gouvernement canadien l’autorise dans l’Alberta. Il souhaite que l’UE cesse de réglementer, voir d’interdire cette extraction sur son sol. L’accord UE-Canada amènerait à lever l’obstacle de l’exploitation du pétrole de sables bitumineux en Europe — en attendant d’autres levées de réglementations. Celle sur la qualité de l’air est dans le collimateur.

Outre celle concernant le pétrole, le Canada annonce officiellement sa volonté d’affaiblir la directive REACH. Celle-ci réglemente la mise sur le marché des nombreux produits chimiques intégrés dans les objets de consommation courante et avait pu être considérée, au moment de son adoption, comme édulcorée par les différents mouvements environnementalistes. C’est encore largement au-dessus de la réglementation canadienne.

Le plus grave est que cet accord est une régression démocratique puisqu’il laisse aux entreprises la possibilité de placer les États sous un chantage permanent. Il aura donc des conséquences sur les questions d’environnement en facilitant la perpétuation d’un système productiviste et extractif dont nous savons qu’il est un échec, mais il faut comprendre également qu’il n’est que le prélude à quelque chose de beaucoup plus grave. Le Canada fait partie de l’ALENA avec le Mexique et les États-Unis. Dans ce contexte, l’accord UE-Canada ouvre la voie à l’instauration, à terme, d’une vaste zone de libre-échange entre les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et le Mexique.

Voici treize ans, le mouvement social se mobilisait pour empêcher que l’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI) ne voit le jour. L’AMI créait un dispositif de règlement des différends permettant la condamnation des États dont les réglementations auraient eu pour effet de minorer les bénéfices escomptés par les entreprises et les investisseurs. Après une bataille qui suivait de peu celle contre l’OMC et qui précéda la création d’Attac, le mouvement social défaisait cet accord, lui appliquant l’impitoyable "effet Dracula" (montrer à la lumière l’inacceptable) pour reprendre l’expression de Susan GEORGE. Treize ans plus tard, un accord passe inaperçu qui prévoit le même type de mesures.

  • Les accords des pays dits d’Agadir semblent avancer en dépit du contexte fluctuant des pays concernés (ou peut-être du fait de cette situation).
  • Les APE s’inscrivent dans un contexte particulier. Les pays ACP étaient régis par l’accord de Cotonou, héritier des accords de Lomé conclus avant la naissance de l’OMC et dans lesquels la notion de partenariat économique basés sur l’après-colonialisme a peu de choses à voir avec l’orientation "libre échange" imposée par les règles de l’OMC. Au 1er janvier 2016, les dispositions de l’accord de Cotonou doivent cesser d’être dérogatoires aux règles de l’OMC. Concernant les négociations, la situation est fragmentée : d’un côté, la région Caraïbe a signé un accord complet, mais ailleurs, les autres pays renâclent. L’UE menace ces pays de subordonner les mécanismes d’aide au développement à l’acceptation de ces accords. Grâce à une mobilisation auprès du Parlement européen, celui-ci a émis deux votes en juin et septembre 2012 pour s’y opposer. Toutefois, les pays ACP sont suspendus à l’échéance du 1er janvier 2016 : à cette date, ils devront avoir entamé les ratification des APE sous peine de perdre leur accès préférentiel au marché européen.
  • Zone de libre-échange États-Unis / Union européenne : le président Obama a appelé à une mise en place des négociations en vue de créer une zone de libre-échange entre les États-Unis et l’UE. Immédiatement, le commissaire européen chargé du commerce a annoncé le commencement des négociations en juin prochain. Il est clair que cette zone de libre-échange se ferait sur le modèle d’accord Nord-Nord qu’inspire l’accord UE-Canada sur le chapitre de la protection des investisseurs, chapitre qui, par ailleurs existe dans l’ALENA. Il est clair également que cette zone se ferait sur la base des standards sociaux et environnementaux les plus "favorables au commerce" et aux milieux d’affaires. Concernant des zones qui représentent respectivement 16 et 14 % du commerce mondial, son parachèvement serait un contournement majeur à l’enlisement de l’OMC.
  • Dernière minute  : le commissaire au commerce de l’UE a demandé au Conseil l’autorisation de lancer des négociations sur le commerce des services avec 21 des pays de l’OMC parmi ceux avec lesquels l’UE a le plus de relations commerciales [5]. Il s’agirait ainsi de faire face à l’enlisement de l’OMC qui a marqué aussi l’Accord général du commerce des services (AGCS). Les négociations seraient entamées à partir du printemps 2013.

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