« Tax the rich », un vrai projet que le G20 doit (enfin) décider d’instaurer

mardi 12 novembre 2024, par Attac France

La taxation des riches n’est pas une préoccupation seulement franco-française. Elle est devenue un enjeu mondial. Cela n’a rien d’étonnant : la concentration des richesses s’accélère alors que la précarité et la pauvreté restent à un niveau préoccupant. En 2021 dans le monde, les 1% les plus fortunés détenaient ainsi 45% de la richesse mondiale alors que les 50% les plus pauvres n’en détenaient que 1,75%. Pire, à chaque crise économique, comme en 2008 ou en 2020, les plus pauvres voient leur part diminuer fortement tandis que les ultrariches ont capté en dix ans la moitié des richesses créées.

Les politiques fiscales néolibérales, qui ont systématiquement consisté à baisser les impôts des plus riches et des grandes entreprises, expliquent une bonne part de ce creusement des inégalités. La taxation des riches s’impose donc comme une forte demande. Une réponse à la hauteur tarde cependant à s’imposer. C’est dans ce contexte que le G20 doit discuter du projet de création d’un impôt sur la fortune des milliardaires.

Dans un contexte d’importantes inégalités (1), le projet d’imposition des plus riches recèle de multiples enjeux (2), il devrait en toute logique être discuté au sein du G20 (3) et, même si la route semble longue et parsemée d’embûches, l’idée s’est imposée (4).

1/ Les inégalités sont globalement en forte hausse

La tendance mondiale à la hausse des inégalités n’est pas nouvelle. Depuis une quarantaine d’années, les inégalités augmentent dans la majorité des pays. En décembre 2017, un rapport des chercheurs réunis au sein du projet World Wealth and Income Database (WID, base de données sur le patrimoine et le revenu [1]) montrait que depuis les années 1980 les 1 % les plus riches ont profité deux fois plus de la croissance des revenus que les 50 % les plus pauvres. En revanche, pour ceux qui sont entre les deux (les classes moyennes, pour faire simple), les revenus ont soit stagné, soit baissé. Selon les chercheurs, les 50 % du bas ont bénéficié de forts taux de croissance de leurs revenus, alors que la classe moyenne mondiale (dans laquelle on retrouve les 90 % des individus les plus pauvres en Europe et aux États-Unis) voyait la croissance de son revenu comprimée.

Si la tendance à la concentration des richesses est plus modérée en Europe, elle est particulièrement marquée aux États-Unis notamment. L’Europe de l’Ouest et les États-Unis avaient en effet des niveaux d’inégalités similaires dans les années 1980 (les 1 % les plus riches captant environ 10 % du revenu du pays ou de la zone Europe). Depuis, les États-Unis ont vu la part des 1 % doubler en quelques décennies, contre + 12 % en Europe. Dans leur rapport de 2022, les chercheurs confirmaient cette tendance lourde et estimaient que « Les inégalités mondiales sont proches du niveau qui était le leur au XIXe siècle, à l’apogée de l’impérialisme occidental [2] ». Malgré certaines divergences, la tendance à la captation des richesses par une minorité est bel et bien présente dans le monde.

L’évolution récente est particulièrement préoccupante. L’ONG OXFAM a montré que, depuis 2020, les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune tandis que, dans le même temps, la richesse cumulée de 5 milliards de personnes a baissé. Pour Oxfam, « si cette tendance se poursuit, nous pourrions voir dans près de 10 ans la fortune d’un multimilliardaire franchir pour la première fois le cap de 1000 milliards de dollars alors qu’il faudra encore 230 ans pour éradiquer la pauvreté ».

2/ Les enjeux de la taxation des riches

La question des ultrariches, et par conséquent de la justice fiscale, s’est donc désormais imposée comme un véritable enjeu économique, budgétaire, social, écologique et démocratique.

Un enjeu budgétaire, car face aux enjeux sociaux et environnementaux, les États ont besoin de ressources. Or, la concurrence fiscale et sociale, pilier des politiques économiques néolibérales depuis une quarantaine d’années, s’est traduite par des baisses d’impôts importantes accordées aux plus riches et aux grandes entreprises. La thèse développée par les tenants de ces politiques est connue : baisser les impôts sur ces agents économiques leur permettrait d’investir et, par suite, de favoriser la croissance et l’emploi. Cette thèse, dénommée « ruissellement », ne s’est cependant jamais vérifiée dans les faits. Dans son discours devant le congrès de 2021, Joe Biden lui-même déclarait que le ruissellement n’avait jamais fonctionné.

En France, les 4 rapports de France Stratégie ont également montré que la réforme de la fiscalité du capital mise en œuvre par Emmanuel Macron dés son arrivée au pouvoir en 2017 n’avait pas produit les effets escomptés. Pire, elle a nourri les inégalités. La baisse de l’imposition des sociétés a en effet dégagé des marges de manœuvres pour la distribution de dividendes, qui atteignent des records depuis près de 3 ans en étant de plus en plus concentrés sur les plus riches. Ces dividendes sont moins imposés grâce au prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat-tax sur les revenus financiers de toutes sortes) et la détention des titres financiers n’est plus imposée en tant que telle puisque l’impôt de solidarité sur la fortune a été transformé en un symbolique impôt sur la fortune immobilière. La perte budgétaire qui résulte des choix fiscaux d’Emmanuel Macron ne fait plus débat : elle représente environ 60 milliards d’euros.

Taxer les riches est également un enjeu économique, pour plusieurs raisons. Nous assistons au retour d’une société de rentiers. la part de l’héritage ne cessant de croître dans la richesse globale. Au début du XXe siècle, près de 80 % du patrimoine des Français provenait de l’héritage. Cette part s’est abaissée à 35 % dans les années 1970 pour revenir à 60 % actuellement. Selon le Conseil d’analyse économique, « Le flux total des transmissions patrimoniales annuel représente désormais plus de 15 % du PIB, soit 300 milliards d’euros. Une très large partie de ces transmissions échappe au regard de l’administration fiscale (...), on constate que le total du patrimoine transmis déclaré à l’administration fiscale est 35 à 40 % plus faible que le flux économique effectivement transmis [3] ». Plusieurs raisons expliquent cette anomalie, dont l’optimisation et l’évasion fiscale. Les inégalités de patrimoine étant plus marquées que les inégalités de revenus, les transmissions de patrimoine alimentent par conséquent les inégalités. Or, le patrimoine transmis procure lui-même des revenus à ses propriétaires, ces revenus sont parfois peu imposés, ce qui nourrit le patrimoine, etc.

Taxer les riches est évidemment un enjeu social, car au-delà des injustices fiscales et sociales, les systèmes de soins ou éducatifs notamment ont besoin de ressources. C’est particulièrement vrai dans les pays pauvres, qui souffrent notamment de la faiblesse de l’aide au développement, qu’une taxation des plus riches pourrait alimenter. Et ça l’est de plus en plus dans les pays dits « riches » qui voient leurs services publics et leur système de protection sociale s’affaiblir d’année en année.

L’enjeu est également écologique, car il est désormais démontré que les ultrariches sont les plus grands pollueurs : dans un rapport d’octobre 2024, l’ONG Oxfam a ainsi calculé que « les 50 des milliardaires les plus riches du monde émettent en moyenne en une heure et demie plus de CO2 avec leurs investissements, leurs jets privés et leurs yachts qu’une personne dans la moyenne mondiale durant toute sa vie ». Un constat confirmé dans le rapport sur les inégalités mondiales de 2022 selon lequel ; « Les inégalités de revenus et de patrimoine mondiales sont étroitement liées aux inégalités écologiques et à l’inégalité des contributions au changement climatique. En moyenne, les êtres humains émettent 6,6 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2) par tête et par an. Mais nos nouvelles données mettent en lumière d’importantes disparités au sein de la population mondiale : les 10 % des plus gros émetteurs sont responsables de près de 50 % des émissions, tandis que les 50 % du bas de la distribution n’en produisent que 12 % ».

Enfin, il s’agit d’un enjeu démocratique, car il découle de tout ceci que le consentement à l’impôt, pilier de toute démocratie digne de ce nom, s’affaiblit, en France et dans de nombreux pays, ce qui nourrit la crise démocratique.

3/ Vers un sursaut du G20 ?

En juillet 2024, les pays du G20 se sont engagés à « coopérer » pour que les plus grandes fortunes soient davantage taxées, au nom de la lutte contre les inégalités. Le projet de créer un impôt minimum sur les plus fortunés n’avait alors certes pas fait consensus, mais un compromis s’est dégagé pour inciter chacun à davantage les taxer.

Ce projet a notamment été poussé par Gabriel Zucman dans un rapport de juin 2024, qui montre qu’une taxation minimale de 2 % sur la fortune des 3 000 personnes dont le patrimoine dépasse le milliard de dollars dans le monde rapporterait entre 200 milliards et 250 milliards de dollars (soit 185 à 230 milliards d’euros environ) par an. Ce rendement élevé s’explique ainsi : la richesse du 0,0001 % des ménages les plus aisés est passée d’environ 3 % du PIB mondial en 1987 à près de 14 % actuellement.

Le constat est connu. Pour Gabriel Zucman, "Les super-riches paient proportionnellement moins d’impôts que les autres groupes socio-économiques" et "cette pratique alimente les inégalités". Il qualifie un système fiscal progressif de "pilier essentiel de nos sociétés démocratiques" indispensable pour renforcer la cohésion sociale, le consentement à l’impôt et répondre ainsi à la crise démocratique. On ne peut que faire nôtres ses propos, en ajoutant qu’il faut également faire face au défi climatique.

Fin octobre 2024, soit quelques jours avant le G20 des 18 et 19 novembre qui se tiendra au Brésil sous la présidence de Lula, les ministres des Finances des membres du G20 ont rappelé jeudi à Washington qu’ils entendaient avancer sur la question de la taxation des super-riches. Dans leur déclaration finale, les ministres des finances rappellent que :« Dans le plein respect de la souveraineté fiscale, nous sommes impatients de discuter des domaines potentiels de coopération afin de garantir que les personnes très fortunées soient imposées de manière efficace ». La déclaration précise également que « Nous continuerons à travailler ensemble à la mise en place d’un système fiscal international plus équitable, plus inclusif, plus stable et plus efficace, adapté au XXIe siècle, en réaffirmant notre engagement en faveur de la transparence fiscale et en encourageant le dialogue mondial sur l’imposition effective, y compris des personnes très fortunées ».

4/ La route semble longue mais la bataille des idées est bien engagée

Nous ne sommes toutefois qu’au début d’un processus dont nul ne peut encore dire avec certitude la forme finale qu’il prendra. La déclaration du G20 de juillet dernier et celle des ministres des finances du G20 met en effet l’accent sur le rôle des politiques fiscales nationales, ce qui pourrait reléguer la question d’un accord international au second rang (alors que cela a été le cas pour l’imposition minimale des multinationales). En outre, sans critique de fond de la concurrence fiscale, on peut légitimement craindre la mise en œuvre, dans le meilleur des cas, d’un dispositif minimal symbolique. On peut par ailleurs regretter que les questions relatives à la régulation fiscale et financière internationale ne soit pas menées sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies. Dans l’immédiat, c’est donc au G20 de se prononcer.

A ce stade des négociations, on peut d’ores et déjà identifier deux risques. Le premier consiste à renvoyer à chaque État la responsabilité de mieux imposer les riches. C’est ce qui ressort de la mention relative au « respect de la souveraineté nationale » de la déclaration des ministres des finances du G20. En France, le débat sur le PLF 2025 montre la difficulté de parvenir à instaurer une contribution sur les plus aisés. Les gouvernements conservateurs peuvent ainsi bloquer toute avancée au plan national et renvoyer la question au niveau international en se défaussant, ce qui reporterait sine die la création d’une contribution. Le second risque, qui n’est pas exclusif du premier, consisterait à voir une contribution minimale de faible niveau, comportant des exemptions et qui pourrait être contournée.

Si le contexte est compliqué, il n’en demeure pas moins que, sur le terrain des idées, le sujet d’une juste taxation des plus riches a largement progressé dans les opinions et est devenu un enjeu majeur. Autrement dit, la légitimité de la demande d’une véritable justice fiscale n’est plus à démontrer. Elle fait sens et trouve un large écho dans les populations. À tel point qu’en France, durant la discussion à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2025, même s’ils sont refusés par le pouvoir et le bloc « Renaissance-LR-RN », plusieurs amendements ont été votés en ce sens.

Que sortira-t-il du G20 de novembre 2024 ? Entre les réticences des États-Unis et le volontarisme de plusieurs autres pays (le Brésil, l’Union africaine et l’Espagne notamment), l’affaire n’est certes pas encore jouée. Mais on ne peut donc que souhaiter que le prochain sommet du G20 débouche enfin sur un accord concret et ambitieux et ne repousse pas ce projet. Il y a urgence.

Instaurer un impôt sur la fortune des milliardaires est un projet légitime et nécessaire et permettrait d’opérer un revirement dans les politiques fiscales menées depuis une quarantaine d’année. On ne saurait toutefois en rester là. En France, comme au sein de l’Union européenne et au plan international, la lutte contre l’évasion fiscale, la restauration d’un système fiscal véritablement progressif et l’orientation des dépenses publiques permettant de financer la bifurcation sociale et écologique restent plus que jamais un combat central.

Notes

[1Voir le site du WID

[2Rapport sur les inégalités mondiales 2022, World inequality Lab.

[3Rapport du Conseil d’analyse économique, « Repenser l’héritage », décembre 2021.

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