S’autogérer restera toujours au cœur de l’être humain

lundi 10 octobre 2016, par Charles Piaget

Entretien avec Charles Piaget, militant syndicaliste, qui a été un des principaux acteurs de la lutte des LIP dans les années 1970. Il a participé à l’Université d’été d’Attac et du CRID à Besançon.

En quoi l’expérience des LIP a-t-elle bouleversé les luttes à l’époque ?

La nouveauté dans notre expérience est d’avoir réussi à la fois l’unité des salarié.e.s, ce qui n’était pas évident car il y avait une grande diversité d’emplois à LIP, et celle des syndicats. Sur le millier de salarié.e.s à l’époque, on peut dire que 800 à 850 ont participé à la lutte dont 80 à 100, syndiqués ou non, étaient constamment sur les routes pour expliquer le conflit. La nouveauté, c’était aussi l’ouverture de l’usine. Les journalistes, par exemple, étaient entièrement libres d’y circuler et d’interviewer n’importe quel salarié (on en a vu rester une semaine entière en dormant sur place). Toute personne entrant dans l’usine pouvait assister aux assemblées générales ou aux travaux des commissions.
Et puis, nous avons pris le contre-pied de ce qui se pratiquait jusque-là dans les grèves où tout était sous le contrôle du syndicat. Toutes et tous étaient fortement sollicité.e.s à participer aux groupes de réflexion, débattre, prendre des responsabilités. Nous considérions que le syndicat ne devait pas diriger la lutte, mais l’animer et pousser à l’auto-organisation.

Quelles ont été les conditions nécessaires à la formation de votre collectif de lutte ?

Notre expérience nous a appris que seul l’ensemble des salarié.e.s, conscient.e.s et uni.e.s, peut se faire entendre. Car nous nous sommes heurtés au patronat tout entier, à la justice, à la police, au préfet, au gouvernement...
Au début, il n’y avait que 5 % de salarié.e.s syndiqué.e.s dans l’usine. On a donc commencé par s’informer de ce qui se passait dans les ateliers et les bureaux en inventant les « carnets » : chaque délégué muni d’un carnet était sans arrêt à l’écoute des salarié.e.s et notait les faits intéressants, le matin à l’arrivée à l’usine, à la pause, à la cantine, aux vestiaires, etc. Ensuite, il a fallu constituer progressivement un réseau de personnes sûres dans tous les secteurs de l’entreprise. Constituer ce collectif nous a pris une dizaine d’années. Au début, il était impensable de faire grève, la peur était trop forte.

On a aussi pu s’aider de la loi pour vérifier si l’entreprise respectait vraiment les règles. Et on a découvert que les heures supplémentaires, déjà, n’étaient pas payées correctement. Quand on a été sûr de notre coup, on a réclamé un an de rappel. Premier choc pour la direction. Ensuite, on s’est attaqué au secret des salaires en publiant les feuilles de paye de militant.e.s, de salarié.e.s convaincu.e.s. La révolution a été telle que l’entreprise a été obligée de faire une grille des salaires. Et, petit à petit, on a gagné en crédibilité.

Comment serait-il possible de changer ce rapport de forces dans le capitalisme actuel ?

L’économie mondialisée est totalement instable avec des crises de plus en plus violentes. Pour changer ce rapport de forces, il faut obtenir que l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers et mettre sous tutelle les féodalités financières.

Le vrai changement, tel une lame de fond, viendra d’un sursaut d’indignation du peuple. Mais pour aller plus loin, il faudra transformer ce sursaut en adoptant une charte avec des objectifs à atteindre. Puis construire partout des collectifs locaux pour s’attaquer aux nuisances de l’économie actuelle. Le fonctionnement de ces collectifs doit impérativement préfigurer le vivre ensemble que nous voulons. Les militant.e.s ne doivent pas chercher à promouvoir avant tout leur syndicat, leur association ou leur parti politique, mais être ensemble pour lutter et construire une société marquée par un véritable vivre ensemble sur des valeurs d’égalité, de solidarité et de sobriété.

Les coopératives peuvent-elles être une alternative ?

Là-dessus, je suis pour la discrimination positive. Il faut favoriser outrageusement le statut de coopérative par la fiscalité, la publicité, depuis l’école, le culturel, etc. L’objectif étant de passer insensiblement (ce sera long) à 85 % de coopérateurs dans la population active au lieu de 85 % de salarié.e.s subordonné.e.s comme actuellement.
Bien sûr, il faudra changer de mentalité. À LIP, pendant le deuxième conflit qui a duré quatre ans, on a monté sept coopératives et on a constaté, moi le premier, à quel point on était marqué par le salariat. Il faut donc lutter contre cette amputation de l’être humain et, même si ça prend du temps, cela doit rester un objectif.

L’autogestion, qui était au cœur de l’expérience des LIP, est-elle encore d’actualité ?

S’autogérer restera toujours au cœur de l’être humain. Je constate qu’aujourd’hui les jeunes vivent difficilement le salariat. Pourquoi ? Parce qu’ils ne veulent pas être soumis, parce qu’ils aiment se regrouper et vivre des émotions ensemble. L’autogestion consiste à rendre ensemble un service utile à la société, respectueux de l’environnement et gratifiant. C’est la vraie base du développement humain.

Propos recueillis par Isabelle Bourboulon

P.-S.

Photo : Mélanie Poulain

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