Mais il faut insister sur ses intuitions précoces concernant la crise écologique dès les années 1970. Son livre L’économique et le vivant, publié pour la première fois en 1979, republié en 1996, est l’un des tout premiers avoir théorisé l’inscription de la question économique à l’intérieur de la question sociale et celle-ci à l’intérieur de la biosphère. Ainsi, René Passet posait de façon originale une critique de la prétendue science économique restée sourde et aveugle aux interactions entre l’humanité et la nature, « en co-évolution », comme il le disait. Une réflexion synthétisée dans une magistrale somme Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire en 2010. Loin des phares des médias, il réfléchissait avec d’autres penseurs de premier plan, comme Edgard Morin ou Ilya Prigogine dans le « groupe des Dix », sur les systèmes complexes pour concevoir ce qui allait être appelé la « bioéconomie ».
René Passet fut aussi un exemple de cohérence entre l’engagement intellectuel et l’engagement citoyen. Alors que le monde sombrait dans la phase du capitalisme néolibéral, il participa activement à l’éclosion du mouvement altermondialiste, et il devint le premier président du Conseil scientifique d’Attac. Sous son autorité, une multitude de travaux scientifiques contribuèrent à forger un autre discours sur les transformations que l’économie dominante imposait pour satisfaire aux exigences de la finance devenue mondiale. En témoigne son livre de 2000 L’illusion néolibérale. Les plus anciens dans l’association Attac se souviennent aussi qu’il a joué un rôle éminent pour mettre au jour la fraude électorale qui aurait pu mettre à bas l’association, et ensuite pour contribuer à l’apaisement général.
Mais l’important est peut-être encore ailleurs. Derrière l’intellectuel hors pair, derrière le citoyen engagé, il y avait l’homme. Celui plein de gentillesse, d’écoute, de disponibilité et de conscience sociale. Né dans la banlieue la plus populaire, Bègles, de l’agglomération bordelaise, René Passet savait d’où il venait. On peut comprendre alors quelle boussole le guidait vers le respect de tous les humains dans un équilibre des écosystèmes à construire. Nous perdons un penseur et un ami. Notre tristesse est très grande. Puissions-nous être à la hauteur des enjeux pour continuer.
Dominique Plihon, Esther Jeffers, Jean-Marie Harribey, derniers présidents du Conseil scientifique.
