La révolution ukrainienne, Interview de Vasyl Cherepanin

Vasyl Cherepanin dirige le centre de recherche « Culture Visuelle » de Kiev et est l’éditeur de la version ukrainienne du magazine « Krytika politiczna » (Critiques Politiques). Il a été un des organisateurs de la conférence [1] organisée par l’initiative « Post Globalization » à Kiev en juin 2013 en préparation du contre-G20 de St Petersburg et a participé le 2 mars 2014 aux débats avec les militants « Indignados » de Madrid [2].

Interview réalisée le 6 mars 2014 par Nicola Bullard et Christophe Aguiton

Tout d’abord que faisais-tu pendant le mouvement Maidan ?

VC : Le centre de recherche Culture Visuelle a participé à Maidan depuis décembre 2013. Nous avons aidé à organiser un programme d’éducation dans le cadre de l’université ouverte de Maidan pour ceux qui étaient sur la place appelé « Global Protests » qui a cherché à situer l’insurrection ukrainienne dans un contexte plus large, celui des insurrections du printemps arabe, des mouvements Occupy et Indignados et des différents mouvements sociaux que le monde a connu en 2013. Nous avons participé également au réseau de protection des militants blessés qui étaient dans les hôpitaux et qui risquaient d’être enlevés par la police.

Les groupes de gauche et les activistes ont été impliqués dans beaucoup d’activités, en particulier « SOS Maiden », une sorte de média alternatif et d’aide juridique pour le mouvement Maidan.

Rassemblement sur la place Maidan, comme chaque dimanche, décembre 2013

Beaucoup de commentaires insistaient sur le poids des fascistes et des néo-nazis sur la place Maiden et dans l’insurrection qui a mis fin au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, qu’en penses-tu ?

VC : Je pense que c’est, en Occident, de l’aveuglement sur ce qu’est la réalité du mouvement en Ukraine. Bien sur l’extrême-droite était dans la mobilisation, mais c’était une vraie révolution et, comme dans une vraie révolution toutes les forces d’opposition étaient présentes. Tout le monde était là, sauf bien sûr les oligarques et la petite élite des super riches.

Pour contextualiser le rôle de l’extrême-droite, il est important de rappeler la séquence des évènements. Ce que l’on a appelé « Euro-Maidan » a commencé le 24 novembre 2013. Le prétexte à la mobilisation a été le refus du Président de la République de signer l’accord commercial avec l’Union européenne et dans les premiers jours le mouvement était formé de journalistes et d’étudiants, ainsi que l’extrême-droite qui les a rejoints dans un esprit de parasitisme. Le parti néo-nazi Svoboda a été le premier parti parlementaire à rejoindre le mouvement, ce qui leur a donné une certaine visibilité. Puis, le 29 novembre, il y eu l’intervention des forces de l’ordre sur la place. Cela a élargi le mouvement et à partir de là tous les secteurs sociaux et toutes les forces politiques d’opposition ont été là. A partir de là l’Euro-Maidan est devenu Maidan et plus le mouvement grandissait plus le rôle et l’influence de l’extrême-droite se réduisaient.

Je sais que pour certains, à gauche, il est impossible de participer à un mouvement si l’extrême-droite est également présente. Mais la réalité n’est pas aussi pure que la théorie politique et, à mon avis, le rôle de la gauche est de s’engager et de participer au mouvement. Un dernier détail à propos de l’extrême-droite, il y a maintenant une lutte entre le parti Svoboda et le « Secteur de Droite », un nouveau groupe politique formé par des organisations nationalistes et une partie des hooligans du monde du football.

L’aspect le plus important est que le moteur de Maidan était le peuple et pas les partis ou les organisations politiques : des gens ordinaires qui sont venus sur la place et qui sont restés jusqu’à la victoire. Certains l’ont payé de leur vie.

Une autre critique venue de certaines organisations de gauche en Europe a été l’interdiction du Parti Communiste en Ukraine ?

VC : Le Parti Communiste n’a pas été interdit. Il y a eu une initiative pour interdire à la fois le Parti des Régions, le parti de Viktor Yanoukovytch, et le Parti Communiste quand ils ont voté ensemble, le 16 janvier dernier, la loi qui interdisait les manifestations et qui mettait sous contrôle les ONGs et les médias indépendants. Cette initiative n’a pas abouti, et, bien sûr, aucun parti n’a été interdit. Mais vous devez savoir que le Parti Communiste n’est communiste que de nom : son seul programme est la nostalgie pour l’État-providence de la période de l’Union Soviétique, il n’y rien de communiste dans cela !

Une barricade sur Instytutska St., décembre 2013

Et quel a été le rôle des syndicats ?

VC : La fédération syndicale officielle était du côté des autorités, mais la fédération syndicale indépendante était dans le mouvement. La direction de la fédération syndicale était dans le conseil de Maidan. Il y a eu un appel à la grève générale, mais elle n’a pas eu lieu : les usines et les industries sont dans les mains des oligarques, et ils ont cassé toute tentative pour organiser des grèves. Il y en a cependant eu quelques-unes à l’ouest et dans le centre de l’Ukraine, principalement dans le secteur des employés. Je pense que si nous avions réussi à organiser une grève générale, le mouvement aurait été encore plus massif et moins violent.

La situation en Ukraine a été analysée comme une division en deux du pays, les pro-européens contre les pro-russes. Dans ce contexte les propositions de transformer le pays en fédération et la récente décision du parlement de ne pas reconnaître le russe comme langue officielle ont donné l’impression d’un pays profondément divisé ?

VC : La décision prise par le parlement de faire du russe une langue officielle était en fait inconstitutionnelle, la constitution disant clairement que seul l’ukrainien est la langue officielle. Cependant, même si la décision de 2010 était anti-constitutionnelle, je pense que la récente décision du parlement a été une erreur, et celui-ci est d’ailleurs en train de revenir sur cette décision. Il est important de rappeler que plus de 50% des participants à Maidan étaient russophones.

De façon plus générale, le discours sur les « deux Ukraines » était populaire dans les années 1990, juste après l’indépendance quand des intellectuels théorisaient la division historique de l’Ukraine, l’ouest dans l’empire austro-hongrois et l’est dans l’empire russe. Cependant, dès les années 2000, cette idée n’a pas passé le test de la réalité : l’Ukraine est resté unie et Maidan l’a prouvé.

Maidan a eu lieu dans tout le pays, pas seulement à Kiev, mais aussi à Odessa, Kharkov, Donest et même à Sébastopol, en Crimée. En janvier nous avons eu des actions pour se saisir des immeubles administratifs dans toute l’Ukraine. A l’est, où le parti de Yanukovych, le Parti des Régions, contrôle toutes les institutions étatiques, la répression a été féroce : les militants ont été attaqués par les forces spéciales et il y a eu des kidnappings, de la torture, des fusillades.

Je pense que le régime a avancé l’idée de fédération quand il a perdu le contrôle de la situation : cela a été une tentative désespérée de garder le pouvoir. La réalité est que le peuple ukrainien est plus préoccupé par les questions sociales et économiques que par les mythes culturels qui ont été un instrument de propagande contre notre unité.

Manifestation anti-guerre devant l’ambassade de Russie à Madrid, mars 2014

Et comment vois-tu la situation actuelle en Crimée ?

VC : L’histoire de la Crimée est spécifique. La Crimée a un statut de république autonome dans l’Ukraine et elle représente une valeur stratégique immense pour la Russie. Pendant des années, la Russie a financé des organisations pro-russes, y compris certaines qui se présentent comme d’extrême-gauche et utilise un discours radical dans leur propagande.

Mais sur un plan basique, l’occupation militaire de la Crimée est un putsch : une contre-révolution contre le mouvement. Ce qui est arrivé en Ukraine est le pire des cauchemars pour Poutine : il a besoin d’utiliser tous les moyens – de la propagande à l’intervention armée – pour discréditer l’alternative politique en Ukraine, y compris l’alternative de gauche (et par extension la discréditer en Russie elle-même). Mais la réalité est que la situation en Ukraine est maintenant hors du contrôle de la Russie.

Qu’est-ce que la gauche, en Europe et au-delà, devrait faire maintenant ?

VC : Comme toujours l’Union européenne et l’Occident ont réagi trop tard. Nous avions besoin des sanctions en décembre, mais il vaut mieux tard que jamais. Et la gauche a été également trop lente à réagir. Nous espérions des manifestations internationales pour soutenir Maidan et pour mettre la pression sur l’Union européenne et les États-Unis pour qu’ils agissent de façon plus déterminée, mais cela n’a pas eu lieu. Il n’y a pas eu de solidarité internationale.

Mais nous pouvons voir que Maidan a aussi inquiété l’Union européenne. Maidan était pour une Europe alternative et nous avons trouvé la voie pour nous battre pour nos droits de façon radicale et démocratique. C’est peut être aussi pour cela que l’Union européenne a été aussi lente à réagir. La gauche doit être mieux informée et plus active. La gauche ne doit pas répéter la propagande de Poutine qui dit que les fascistes occupent Maidan. La gauche doit prêter plus d’attention au contexte et comprendre que Maidan a été un vrai mouvement social et que l’Ukraine a fait une vraie révolution.

Conflit avec la police sur Hrushevskogo St., janvier 2014

Et pour la gauche en Ukraine ?

VC : Il y a maintenant un nouvel espace politique dans lequel la gauche peut être plus visible et plus influente. Auparavant la vie politique était monopolisée par les néo-nazis et les oligarques. Cela a en partie changé. 

Maintenant la force active, c’est le peuple ukrainien. Maidan a été la preuve que les masses étaient le vrai moteur du progrès et de la révolution. La gauche ne peut pas rester comme elle était : élitiste et sectaire. Nous devons maintenant être plus inclusifs et travailler avec les larges masses. Nous avons à ouvrir nos perspectives, à les maintenir dans la réalité et à nous engager sur toutes les questions sociales possibles. Plus que le contenu, la forme de notre activité est vraiment importante.

Bien sûr nous devons construire de nouvelles plates-formes comme des centres sociaux, et institutionnaliser quelques initiatives issues de Maidan. Mais plus que tout, la gauche doit sortir et écouter le peuple. Toute défaite de la gauche serait une victoire pour l’extrême-droite. Nous devons écouter ce que veut le peuple et ne pas seulement prêter attention aux idoles du passé. L’absence de pratique politique peut créer des hallucinations théoriques…

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