Kanaky Nouvelle-Calédonie et démocratie

jeudi 13 juin 2024, par Commission Démocratie d’attac

La Kanaky ou Nouvelle-Calédonie est depuis plusieurs semaines le théâtre de manifestations kanak et de leur répression par l’État français, aidé par des résidents européens. Comment en est-on arrivé là ? Que doivent revendiquer ceux qui défendent la démocratie ?

Après la désastreuse gestion de la question kanak par le gouvernement Chirac en 1987-88 qui s’est conclue par des dizaines de morts, un apaisement est intervenu à l’initiative du gouvernement Rocard, qui a donné lieu aux accord dits de Matignon en juin 1988 : l’État français s’est engagé à la neutralité et trois référendums d’autodétermination étaient prévus, le corps électoral étant gelé et composé des habitants du moment et de leurs descendants. Les deux premiers référendums ont donné une majorité de non à l’autodétermination, mais avec le oui qui se rapprochait de la majorité. Arriva le covid et son cortège de décès, qui a donné lieu à une longue période de deuil des Kanak conforme à leurs traditions.

Le premier ministre français, Édouard Philippe assura que le troisième référendum d’autodétermination ne serait pas organisé pendant cette période de deuil. Reniant la parole de l’État, le premier ministre suivant organisa néanmoins le scrutin pendant cette période, en décembre 2021, abandonnant la neutralité de l’État français respectée depuis 1988. Après avoir demandé le report de ce référendum, les Kanak ont averti qu’ils ne tiendraient pas compte du résultat si la date du référendum était maintenue.

Les Kanak n’ont pas participé au troisième référendum qui n’a obtenu qu’une participation de 43,9 % du corps électoral et 96, 5 % de non à l’indépendance : un résultat digne de toutes les dictatures. Depuis lors, des manifestations demandent l’annulation de ce scrutin. Jusqu’à 2023, année où le gouvernement français a voulu pousser son avantage en élargissant le corps électoral à tous les habitants actuels du territoire, ce qui aurait pour conséquence de rendre minoritaire le peuple autochtone. L’élargissement du corps électoral a été voté par la droite et l’extrême droite, malgré l’opposition, entre autres, de tous les députés ultramarins, les deux députés néocalédoniens, caldoches, fruits d’un habile découpage électoral, mis à part. D’où colère et violence.

Première question : la date du troisième référendum était-elle légitime ?

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, que la France a soutenue, énonce en son article 11 que « Les peuples autochtones ont le droit d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. Ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l’artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature. » Le peuple autochtone kanak avait donc le droit de respecter ses coutumes de deuil et donc de ne pas avoir à participer à un scrutin pendant la période de deuil suite au covid. Le maintien de la date du référendum, outre qu’il reniait un engagement du gouvernement français en la personne de son chef, était donc un passage en force de Macron, fidèle à sa méthode d’imposer ses projets par tous les moyens.

Deuxième question : qui doit pouvoir voter en Kanaky Nouvelle-Calédonie ?

Selon les principes de la démocratie, tous les résidents d’un territoire doivent pouvoir contribuer par le choix des orientations et des responsables au règles qui régulent leur vie future. Ainsi est-il normal – pour les démocrates conséquents – que, par exemple, les étrangers vivant et travaillant sur le sol français aient le droit de vote. Cette règle de la démocratie découle de l’une de ses valeurs essentielles, sinon la plus fondamentale, l’égalité entre humains : les hommes et les femmes doivent avoir un égal pouvoir de définir les règles qui leur sont appliquées ; en l’occurrence tous les hommes et toutes les femmes présents sur le territoire où est appliquée la législation française doivent disposer des mêmes droits civiques, et notamment du droit de vote.
Nombreux sont ceux en métropole comme en Nouvelle-Calédonie à revendiquer cette égalité de traitement pour tous ceux qui vivent et travaillent sur ce territoire, et donc à revendiquer le dégel du corps électoral néo-calédonien, en s’appuyant sur cette valeur d’égalité.

Cette valeur d’égalité est essentielle pour la démocratie. Elle doit s’appliquer à tous, tout le temps.

Or la France métropolitaine a imposé sa prééminence par la force lors de la colonisation et cette prééminence perdure ; elle a donc imposé une inégalité fondamentale entre Kanak et immigrés en l’a revendiquant. Cette inégalité a eu pour effet de rendre le peuple autochtone minoritaire. Et aujourd’hui, ceux qui revendiquaient hier une inégalité qui leur était favorable revendiquent soudainement l’égalité car elle leur est devenue favorable. L’égalité ne peut être revendiquée selon les convenances. Le droit du peuple autochtone à l’autodétermination est donc incontournable.

Il y a donc une différence entre les étrangers en métropole et les non-Kanak en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Les premiers n’ont pas imposé leurs propres règles par la force et ont tenté de respecter l’égalité entre autochtones et immigrés. Les seconds sont présents grâce à la force militaire et policière de la France métropolitaine, s’appuyant ainsi sur une inégalité fondamentale entre autochtones et colons.
Si son objectif avait été l’égalité et une décolonisation sincère, la France aurait dû donner les moyens de leur indépendance aux Kanak. Pour cela, il aurait fallu leur permettre d’accéder aux postes clés. Or les Kanak sont très majoritairement au chômage, n’occupent aucun poste clé et remplissent les prisons. Et la Ligue des Droits de l’Homme ne cesse de dénoncer l’aliénation raciste des esprits dans le pays...

Du point de vue des principes de la démocratie, en Kanaky Nouvelle-Calédonie, ceux qui se sont imposés au peuple autochtone grâce à la force de la puissance coloniale française ne sont donc pas légitimes pout décider du sort du territoire. Seuls les Kanak le sont. C’est la position des Nations Unies, dont la France est membre et doit donc respecter sa charte et ses décisions : la Nouvelle-Calédonie (comme Tahiti) est considérée comme une colonie française et le peuple autochtone, kanak, a droit à l’autodétermination. Les Kanak sont donc légitimes pour décider seuls de leur avenir et de l’avenir de leur territoire. Et donc de l’avenir des non Kanak présents en Kanaky. La prééminence des Français de métropole et des descendants de Français de métropole doit donc cesser.

Les non Kanak doivent-ils pour autant craindre d’être expulsés ? Les différentes décolonisations passées montrent que les colonisés, lors de leur autodétermination, acceptent généralement la présence des colons, même s’ils rejettent leur prééminence politique. Les liens avec le pays colonisateur ne sont pas rompus, de multiples statuts intermédiaires entre indépendance totale et colonie étant possibles.
L’important est que le choix appartienne au peuple autochtone. Le peuple Kanak a ainsi accepté les accords de Matignon qui définissaient une voie vers l’autodétermination sans pour autant rejeter du territoire les non Kanak.

Une fois cela admis, la position ultérieure du peuple autochtone kanak dépendra bien sûr du respect que les non Kanak et la puissance coloniale leur montreront. Si ces derniers continuaient de vouloir imposer leur prééminence par la force, comme ce fut le cas en Algérie de la part de Paris, par la ruse ou par la vengeance, comme ce fut le cas de l’OAS toujours en Algérie, on s’acheminerait vers une guerre de long terme. Outre les victimes des deux côtés, c’est la place de la France dans le Pacifique qui serait durablement atteinte, car le temps des colonies est bien fini, dans le Pacifique comme ailleurs.

Si la volonté de décoloniser la Kanaky est sincère, si la volonté de la France est de respecter le droit international, notamment la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le pays colonisateur doit considérer que le référendum de 2021 est illégal et qu’à ce titre, il doit être annulé.

Quant à la loi du 15 mai 2024 qui élargit le corps électoral propre au scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie, elle doit être abrogée et le projet de modification de la Constitution retiré.

Enfin, si la France veut établir des rapports paisibles avec la Kanaky, elle doit fournir aux Kanak les moyens de leur indépendance. Nul doute qu’ils sauront être reconnaissants, car ils n’ont pas les moyens d’être autonomes en tout. C’est à ce prix que la Kanaky préférera la France à tout autre puissance aux dents longues.

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