Conclusion de la note sur le revenu d’existence universel

Derrière la question du revenu d’existence se cachent des questions de société plus globales, en premier lieu le travail, ses conditions, sa qualité, ses finalités, son partage, la répartition des revenus, l’égalité entre hommes et femmes, le chômage, la pauvreté, la précarité, etc.

Un point commun rassemble les partisans du revenu d’existence et ses opposants : les minima sociaux sont très insuffisants et ils comportent des manques criants. Le débat porte donc sur le choix politique qui permettrait d’améliorer significativement la situation.

Le problème auquel est confrontée la société est à la fois de faire reculer la logique capitaliste, objectif de longue haleine, et de répondre à l’urgence sociale. Le critère décisif de choix entre les options présentées sera peut-être celui de l’égalité d’accès à tous les domaines de la vie en société. Renoncer au droit d’entrer dans le champ du travail collectif serait très dangereux. On ne peut donc dissocier les deux droits essentiels que sont le droit d’occuper un emploi et le droit de recevoir un revenu décent.

L’option du revenu d’existence, fondée sur l’inconditionnalité, a pour elle l’avantage de simplifier le système de prestations et de supprimer les contrôles de leur attribution. Trois difficultés en limitent la portée. Son financement nécessite entre 300 et 700 milliards d’euros par an, tout en n’atteignant pas le seuil de pauvreté pour chaque individu ; le risque est d’amputer tout ou partie de la protection sociale actuelle ; la réduction du temps de travail est envisagée sur la base de retraits individuels de l’emploi, dès lors que le plein emploi n’est plus considéré comme un objectif.

L’option alternative serait de garantir un revenu dès l’âge de 18 ans, sous conditions de ressources, pour ceux qui sont en formation, qui recherchent un emploi ou qui sont insérés dans un parcours d’insertion. Ce revenu serait à hauteur de 1000 euros par mois, versé donc sans formalités sous les conditions de ressources décidées. Ainsi personne ne connaîtrait d’interruption de revenu indépendamment de sa volonté. Subsisteraient des allocations forfaitaires au titre des enfants, et des allocations spécifiques comme celles pour les adultes handicapés ou les personnes âgées. L’emploi à temps partiel devrait être fermement encadré de manière à permettre à toute personne à temps partiel de passer à temps plein à sa demande, et à interdire à un employeur d’imposer un temps partiel ; l’évolution à privilégier serait de ne pas favoriser un travail à temps partiel qui aboutit à une rémunération inférieure au Smic, au fur et à mesure que le temps réduit pour tous permis par la RTT est mis en œuvre.

Cette mesure représenterait un coût qui n’aurait rien à voir avec les projets de revenu universel qui se chiffrent par centaines de milliards par an. Pour en avoir une idée, si l’on versait 1000 euros par mois aux 8,8 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté en France, le coût serait de 90 milliards, moins 25 milliards de minima sociaux supprimés, c’est-à-dire 65 milliards. [1] Une telle mesure s’inscrirait dans la continuité de la protection sociale qui existe déjà et transformerait le RSA criblé de manques en un revenu garanti pour tout adulte sous conditions de ressources.

Le financement d’un tel revenu suppose une refonte fiscale fondée sur une plus grande progressivité, sur la suppression des niches fiscales n’ayant aucun intérêt social et de la fraude et de l’évasion fiscales, l’essentiel des gains de productivité qui subsisteraient à l’avenir étant consacrés à réduire le temps de travail, à améliorer les conditions de travail et à investir dans la transition écologique. Sans oublier l’indispensable réduction des inégalités de revenus primaires versés dans les entreprises.

Ce dispositif prendrait son sens dans le cadre d’une refondation du système productif autour de la transition écologique et d’une réduction collective du temps de travail. En effet, lorsque le temps de travail réduit pour tous devient la norme, cela permet de répartir l’emploi et de dégager davantage de temps hors de l’emploi. De plus, avec l’objectif de maintien des salaires, surtout les bas et les moyens, la RTT remet en cause la répartition des revenus entre masse salariale et profits, et va dans le sens d’un rééquilibrage de la répartition des richesses produites.

C’est une tout autre conception des droits que celle qu’impose le capitalisme néolibéral qu’il faut mettre en œuvre. Des droits attachés à la personne dans le cadre d’un projet collectif. En cela, le dispositif retenu pourrait entrer en cohérence avec le projet de sécurité sociale professionnelle dont le syndicalisme est porteur, et dont le principe est de maintenir le salaire et la protection sociale entre deux emplois. En définitive, le débat sur « faut-il ou non un revenu d’existence ? » doit être placé au niveau d’un choix fondamental de société. Il va donc se poursuivre.

Annexe : activité, travail, emploi

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Références

  • Mateo Alaluf & Daniel Zamora (dir.), Seth Ackerman et Jean-Marie Harribey, Contre l’allocation universelle, Lux, 2016.
  • Guillaume Allègre, Henri Sterdyniak, « Le revenu universel : une utopie utile ? », OFCE, Policy Brief, 10, 15 décembre 2016.
  • Alternatives économiques, Dossier « Pour ou contre le revenu universel ? », n° 366, mars 2017.
  • Marc de Basquiat, Gaspard Koenig, Liber, un revenu de liberté pour tous, L’Onde, Génération libre, 2014.
  • Robert Castel, « Salariat ou revenu d’existence ? Lecture critique d’André Gorz », La vie des idées, 6 décembre 2013.
  • Denis Clerc, « Comment simplifier les minima sociaux ? », Alternatives économiques, n° 364, janvier 2017.
  • Julien Dourgnon, Revenu universel. Pourquoi ? Comment ?, Les Petits matins, 2017.
  • Anne Eydoux, Rachel Silvera, « De l’allocation universelle au salaire maternel, il n’y a qu’un pas… à ne pas franchir », in Appel des économistes pour sortir de la pensée unique, Le bel avenir du contrat de travail, Syros, 2000.
  • André Gorz, L’immatériel, Connaissance, valeur et capital, Galilée, 2003.
  • Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Les Liens qui libèrent, 2013.
  • Michel Husson, « Le droit à l’emploi et le monde merveilleux du revenu universel », décembre 2016, À l’Encontre.
  • Michel Husson, Stéphanie Treillet, « La réduction du temps de travail : un combat central et d’actualité », Contretemps, n° 20, 2014.
  • L’Économie politique, « Faut-il défendre le revenu de base ? », n° 67, juillet 2015.
  • Les Économistes atterrés et La Fondation Copernic, Faut-il un revenu universel ?, Les Éd. de l’Atelier, 2017.
  • Les Possibles, Dossiers « Protection sociale », n° 1, automne 2013, et « Le travail en question », n° 11, automne 2016.
  • Mouvement national des chômeurs et précaires, Chômage, précarité : halte aux idées reçues !, Les Éd. de l’Atelier, 2016.
  • Mouvement français pour un revenu de base Revenu de base : un outil pour construire le XXIe siècle (Jean-Éric Hyafil, coord.), Éd. Yves Michel, 2016 ; Revenu de base, Comment le financer ? Panorama des modalités de financement (Jean-Éric Hyafil et Thibault Laurentjoye, coord, Éd. Yves Michel, 2016.
  • Baptiste Mylondo, Un revenu pour tous, Précis d’utopie réaliste, Les Éd. Utopia, 2010 ; Pour un revenu sans condition : garantir l’accès aux biens et services essentiels, Les Éd. Utopia, 2012.
  • OFCE, Séminaire « Journée d’étude sur le revenu d’existence », 13 octobre 2016.
  • John Rawls, Libéralisme politique, PUF, 1995.
  • Revue du MAUSS, « Vers un revenu minimum inconditionnel ? », n° 7, 1er semestre 1996.
  • Christophe Sirugue, Repenser les minimas sociaux, Vers une couverture sociale commune, Rapport au Premier ministre, 2016.
  • Bernard Stiegler et Ariel Kyrou, L’emploi est mort, vive le travail !, Mille et une nuits, 2015.
  • Terra Nova, « Pour un minimum décent, Contribution à la réforme des minimas sociaux », 2016.
  • Philippe Van Parijs, « L’allocation universelle, où en est-on ? », in Alain Caillé et Christophe Fourel (dir.), Sortir du capitalisme, Le scénario de Gorz, Le Bord de l’eau, 2013.
  • Carlo Vercellone, Jean-Marie Monnier, « Le financement du revenu social garanti, approche méthodologique », Mouvements, 2013, n° 1, p. 44-53.

Notes

[1Parmi les 8,8 millions de pauvres, il y a 6,8 millions d’adultes, 1,5 million d’enfants de moins de 14 ans et 0,5 million de 14 à 18 ans. En versant 300 € pour les enfants de moins de 14 ans et 500 € pour les 14-18 ans : (1 000 x 12 x 6,8) + (300 x 12 x 1,5) + (500 x 12 x 0,5) = 90 milliards €.

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