TAFTA : Les investissements étrangers n’assurent pas le développement

mardi 27 mai 2014, par Aurélie Trouvé, Maxime Combes

« Une chose est de procéder à des délégations de souveraineté dans une Communauté qui est la nôtre, et dans un processus contrôlé par les États ; autre chose est de concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés ! ». Ainsi s’était exprimé Lionel Jospin à l’automne 1998 pour justifier son refus de poursuivre les négociations de l’Accord Multilatéral sur les Investissements (AMI) au sein de l’OCDE. Il serait judicieux que Laurent Fabius et Fleur Pellerin, en tant que membres du gouvernement en charge du suivi des négociations commerciales et d’investissement menées par l’Union européenne, s’imprègnent de cette juste prise de position de l’ancien Premier ministre socialiste.

Cette tribune a été publiée sur Le Monde.fr le 23 mai 2014.

L’AMI, qui était négocié dans le secret, visait à libéraliser les investissements internationaux des investisseurs institutionnels et des firmes transnationales. Ce projet d’accord, que le gouvernement français avait finalement fait capoter, comportait des clauses d’arbitrage permettant aux investisseurs privés de poursuivre les États en dehors de leurs juridictions nationales. Les garanties et dispositifs prévus dans le cadre de l’AMI visaient à mettre les investisseurs étrangers à l’abri des modifications des politiques publiques. Ainsi, les investissements étrangers seraient d’autant plus importants et productifs que leur serait assuré un cadre législatif et judiciaire favorable, continu et prévisible et une totale liberté de circulation.

Pourtant, de nombreuses études tendent à démontrer le contraire. L’idée selon laquelle plus un pays libéralise le secteur des investissements, plus celui-ci reçoit d’investissements directs étrangers (IDE) n’est pas vérifiée. Plusieurs études de la Banque mondiale et de la CNUCED démontrent que l’introduction de dispositifs de libéralisation et de « protection des investissements » ne favorise pas l’accroissement ou le renforcement des flux d’IDE. Le développement des infrastructures, l’importance du marché intérieur ou le dynamisme du secteur productif local sont bien plus décisifs. La Chine et la Malaisie, pourtant connus pour être restrictifs dans l’accueil des investissements étrangers, en reçoivent beaucoup, alors qu’à l’inverse, bon nombre de pays d’Afrique, pourtant bien plus libéralisés, en reçoivent très peu. Par ailleurs, comme le montre le cas du Mexique intégré depuis 1994 dans un vaste marché nord-américain, une grande part de ces IDE se font dans des secteurs fortement intégrés aux marchés internationaux et tournés vers l’exportation, plus que dans des secteurs favorables aux populations locales.

Avec de tels résultats, il paraît assez incompréhensible que les logiques ayant conduit les pays riches à se lancer dans l’aventure de l’AMI guident toujours aujourd’hui les politiques d’investissement que les négociateurs de l’Union européenne d’un côté, et ceux des États-Unis et du Canada de l’autre, veulent voir sacralisées dans les accords en cours de négociation. Le mandat de négociation que le Conseil européen a confié à la Commission européenne dans le cadre de l’accord transatlantique prévoit ainsi de négocier « la libéralisation des investissements et d’introduire des dispositions de protection » pour notamment augmenter « l’attractivité de l’Europe en tant que destination pour les investissements étrangers ».

Pour ce faire, et dans la perspective d’ « assurer le plus haut niveau possible de protection et de sécurité juridique pour les investisseurs », le mandat de négociation de la Commission européenne prévoit que soient reconnus une série de principes favorables aux investisseurs étrangers. Ainsi, l’Union européenne souhaite une pleine et entière libéralisation de la circulation des capitaux et la levée des restrictions existantes, notamment du côté américain. Par ailleurs, les négociateurs souhaitent obtenir la reconnaissance d’une série de clauses qui sont au fondement des politiques de libre-échange et d’investissement qu’incarnaient l’AMI, notamment les clauses du traitement national et de la nation la plus favorisée. Des clauses qui s’appliqueraient à la fois aux États-membres de l’Union européenne et des États-Unis, mais également de l’ensemble des collectivités locales. Ainsi, la clause du traitement national prévoit que les investisseurs étrangers se voient garantir les mêmes droits et avantages que les investisseurs locaux et régionaux, contribuant par exemple à rendre impossible l’introduction de conditions de localité dans les marchés publics des États et des collectivités locales. Ce qui va à l’encontre d’objectifs des politiques visant à relocaliser toute une série d’activités de production.

De nouvelles garanties et de nouveaux droits aux investisseurs et multinationales qui commencent à être largement critiqués et débattus. Ainsi, en plus de la société civile américaine et européenne, ce sont aujourd’hui le gouvernement allemand - et quelques autres - qui ont mis en doute publiquement l’opportunité d’introduire un dispositif de règlement des différends investisseur-État dans le cadre de l’accord UE-États-Unis. Au point que la Commission européenne a été obligée de suspendre cette partie de la négociation et d’ouvrir une consultation publique concernant un dispositif qui permet aux investisseurs la possibilité de poursuivre les États et collectivités territoriales si leurs politiques et décisions portent atteinte à leurs investissements, y compris sur la base de leurs prévisions de bénéfices futurs. Ces investisseurs pourraient donc contester, directement devant des tribunaux internationaux privés, toute une série de réglementations, ouvrant la voie à des dizaines de millions d’euros de compensation qui seraient à payer par les contribuables. Ce qui revient, pour reprendre les termes de Lionel Jospin, à « concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés ».

La question est donc aujourd’hui posée : François Hollande et son gouvernement vont-ils contribuer à faire advenir ce que Lionel Jospin et le gouvernement de la gauche plurielle avaient fait capoter à la fin des années 1990 ? Et ce alors que ces politiques favorables aux investisseurs étrangers ont fait preuve de leur inefficacité économique ?

P.-S.

  • Aurélie Trouvé (Économiste, co-présidente du Conseil Scientifique d’Attac France)
  • Maxime Combes (Économiste, membre d’Attac France et de l’Aitec)

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