Accord UE-US : menaces sur la réglementation financière

vendredi 14 février 2014, par Fréderic Lemaire

Depuis 2008, les banques et leurs lobbies ont soigneusement veillé à étouffer dans l’œuf toute velléité de réglementation forte du secteur financier. Mais la finance est désormais passé de la défensive à l’offensive : elle se mobilise pour mettre à bas les maigres avancées sur lesquelles la crise financière a débouché. Les négociations transatlantiques actuellement en cours entre l’Union européenne et les États-Unis nous en donnent une illustration [1].

Ce n’est pas nouveau : l’Union européenne est sous l’influence des lobbies financiers. Lorsque, au lendemain de la crise de 2008, la Commission européenne constitue un « groupe d’experts de haut niveau » pour la conseiller sur la régulation financière, elle fait appel, sur huit membres, à quatre « experts » issus de l’industrie financière (dont le président du groupe) : de Larosière (BNP Paribas), Rainer Masera (Lehman Brothers), Otmar Issing (Goldman Sachs) et Onno Ruding (CitiGroup).

D’une manière générale, il est notoire que les groupes d’experts de la Commission sont littéralement parasités par les grandes banques [2].

L’influence du lobby financier est par ailleurs manifeste dans le cadre des négociations en cours entre les États-Unis et l’UE pour un traité de libre-échange et d’investissement [3]. Avec le soutien de la Commission européenne et du gouvernement britannique, l’industrie financière souhaite remettre en cause les réglementations qui font barrière à ses activités de part et d’autres de l’Atlantique – quand bien même ces maigres barrières ont été érigées pour garantir un minimum de stabilité financière.

Les banques souhaitent obtenir, à travers des négociations commerciales menées dans le secret, des concessions qu’ils auraient difficilement pu obtenir auprès de leurs régulateurs et la mise en place de règles mieux à même de protéger les intérêts des investisseurs et de l’industrie financière [4]. Des préoccupations qui sont présentes dans le mandat de négociation de la Commission européenne, qui appelle, d’une part, à libéraliser tous les services y compris les services financiers, de l’autre à la protection des investissements... et surtout des investisseurs.

La loi de la finance

Dans le chapitre dédié aux investissements, le mandat de négociation de la Commission prévoit en effet que l’ensemble des paiements courants et des investissements directs soient libéralisés, à quelques exceptions près. Cela signifierait concrètement la remise en cause de tout contrôle des capitaux et de contrôle sur les paiements de biens et services, de dividendes et surtout sur les sommes considérables associées aux services financiers. Cela alors même que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale commencent à reconnaître que le contrôle des capitaux peut jouer un rôle important pour lutter contre la spéculation et l’effet déstabilisateur des flux de capitaux y compris à destination des paradis fiscaux…

Les banques appellent par ailleurs de leurs vœux la mise en œuvre d’un principe de « reconnaissance mutuelle » entre les normes des États-Unis et de l’UE, qui pourrait permettre aux banques de bénéficier des normes les moins contraignantes de part et d’autres de l’Atlantique [5]. Une mesure qui, de fait, ruinerait par avance les efforts pour mettre en place des réglementations contraignantes, les banques pouvant opter pour les règles leur étant le plus favorable.

Enfin, à travers le mécanisme de règlement des différends prévu dans le traité transatlantique, les banques pourraient porter plainte contre un État dont les réglementations seraient trop strictes et attenteraient à de potentiels profits.

Mais outre les attaques sur les régulations existantes, les lobbies financiers souhaiteraient voir acter une véritable assurance-vie contre la régulation, sous le terme de « discipline réglementaire ». Il s’agirait ici :

  • d’inclure des règles qui limiteraient le montant et l’ampleur des réglementations financières pour favoriser les flux financiers transatlantiques [6].
  • d’inclure une clause de « transparence réglementaire », qui imposerait pour toute nouvelle régulation de consulter les « parties prenantes » (c’est-à-dire l’industrie financière) afin qu’elles puissent donner leur avis – en quelques sortes une reconnaissance officielle du rôle de lobbying de l’industrie financière [7].
  • d’utiliser le principe de « liste négative » pour définir les services financiers qui seront libéralisés ; c’est-à-dire d’établir une liste de services qui ne seront pas dérégulés, tous les autres, y compris toutes les « innovations financières » ayant vocation à être libéralisés. Un autre moyen de lier, à l’avance, les poings des régulateurs [8]

Le pire n’est pas certain

Un aspect des négociations transatlantiques, déjà peu médiatisées, a cependant été passé au silence dans les médias français : au début des négociations, en juillet 2013, l’administration Obama a refusé d’inclure dans les négociations l’« harmonisation » des services financiers dans les négociations transatlantiques, à la grande fureur de Wall Street, des banques européennes et même de la Commission européenne.

La sénatrice Elizabeth Warren, membre du comité aux affaires financières du Sénat américain, a déclaré « il y a des rumeurs qui courent sur les efforts des multinationales financières pour faire passer, à travers les accords de commerce, ce qu’elles ne pourraient obtenir au vu et au su de tous [9] »

Pour Earl Blumenauer, le traité transatlantique pourrait devenir « une porte dérobée pour défaire […] les nouvelles normes financières » introduites après la crise financière pour remettre en place un minimum de contrôle public sur des banques devenues dangereuses pour la société [10].

Qui sait si l’administration Obama ne sera pas amenée, sous la pression du secteur financier, à revenir sur sa position ? Il n’est pas impossible qu’elle marchande, avec la Commission, l’inclusion dans les négociations de l’« harmonisation » des services financiers en échange d’une contrepartie - dont il est certain que les européens paieront cher le prix. Pour éviter toute mauvaise surprise, la meilleure chose à faire reste sans doute de se mobiliser dès aujourd’hui afin de s’assurer que ce traité transatlantique, nuisible à bien d’autres titres, ne voie jamais le jour.

Voir en ligne : Extrait de l’article « Banques VS régulation financière » sur les Dessous de Bruxelles.

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