Projet de loi de finances 2025 : de l’importance de taxer les riches

mercredi 24 juillet 2024, par Vincent Drezet

Le prochain projet de loi de finances pour 2025 s’annonce historique sur biens des plans. Un constat s‘impose d’ores et déjà : le besoin de justice fiscale de l’immense majorité de la population ne fait plus débat [1]. La question de mieux imposer les acteurs économiques les plus riches (particuliers et multinationales) s’est imposée dans le débat public avec la force de l’évidence.

Plusieurs éléments démontrent cette nécessité d’instaurer une véritable justice fiscale : l’ampleur des superprofits (en France, les profits du CAC 40 ont dépassé les 140 milliards d’euros au cours des trois dernières années) et la concentration croissante des richesses (en France, la richesse de 90 % des Français a baissé de 3,9 % entre 2019 et 2022 tandis que celle des quatre plus grosses fortunes du pays a augmenté de 62 à 111 % depuis le début de la pandémie de Covid-19 [2]).

Plusieurs initiatives, en Europe comme en France [3], montrent l’importance de rééquilibrer le système fiscal : parmi les propositions formulées revient en force l’idée d’un impôt sur la fortune. Les arguments des opposants ne varient pas dans le temps (1). Or, la création d’un tel impôt est nécessaire (2). Vu le bilan des politiques fiscales néolibérales (3), une telle mesure doit être complétée par d’autres mesures (4).

Des arguments du 19ᵉ siècle

Pour ses opposants, un tel impôt ne pourrait se concevoir qu’à l’échelle mondiale voire européenne. Cet argument vise en réalité à jouer sur le temps. S’il serait effectivement préférable d’instaurer un véritable impôt sur la fortune au plan international, rien n’interdit de l’instaurer en France puisqu’il dégagerait des recettes utiles et permettrait de redonner quelques couleurs à la progressivité du système fiscal.

Ses opposants mettent en avant le risque de voir les riches fuir, ce qui nuirait à l’économie française au risque de rendre le pays plus pauvre. Cet argument est sans cesse martelé depuis le 19ᵉ siècle (les conservateurs s’opposaient alors à la création de l’impôt sur le revenu et des droits de donation et de successions en arguant que ces impôts allaient appauvrir le pays) mais ne s’est jamais vérifié dans les faits. De 1997 à 2017 ; tous les travaux menés sur l’exil fiscal des redevables de l’ISF ont montré que chaque année, seuls 0,2 % des redevables de l’ISF déclaraient s’installer à l’étranger [4]. Parmi eux, certains revenaient après quelques années, une part continuait à résider en France (tous les ans, entre 100 à 200 personnes étaient rattrapés par le contrôle fiscal) et la plupart continuaient à détenir des placements en France et y investissaient. Autrement dit, il n’y a eu aucun effet négatif notable avéré.

Un impôt sur la fortune rénové, pourquoi, comment ?

Un tel impôt permettrait de :

- Dégager des recettes publiques : selon France stratégie, si l’ancien impôt de solidarité sur la fortune avait été maintenu, il aurait rapporté 4,5 milliards d’euros de plus que l’impôt sur la fortune immobilière en 2022, le manque à gagner ayant progressivement augmenté depuis 2018. Entre 2018 et 2024, c’est entre 25 et 30 milliards d’euros qui auraient été encaissés.

- Réduire les inégalités : la concentration du patrimoine aux mains des plus fortunés augmente au détriment du reste de la population. La part des 10 % les plus fortunés est passée de 41 % à 47 % de l’ensemble du patrimoine des ménages entre 2010 et 2021, selon l’Insee. Le poids des 500 plus grandes fortunes professionnelles a pratiquement décuplé en 20 ans. Elles représentaient 124 milliards d’euros en 2003 et atteignent un montant total de 1 170 milliards d’euros en 2023.

- Mieux préserver l’environnement : de nouvelles recettes permettraient de financer les services publics et les investissements pour faire face au changement climatique. Cet impôt affaiblirait la capacité de pollution des plus riches : rappelons que, en France, les 1% les plus riches émettent en moyenne dix fois plus de CO2 par an par leur consommation (40,2 tonnes) que la moitié la plus pauvre des Français (3,8 tonnes).

- Mieux connaître la structure des patrimoines des plus riches et ainsi, mieux combattre l’évasion fiscale : la déclaration que les redevables de cet impôt devraient effectuer et le contrôle de l’administration fiscale permettrait d’en savoir plus sur la complexité des montages patrimoniaux des plus riches, incarnée notamment par la question des holdings familiales (qui concentre une fortune et un pouvoir immenses) et, ainsi d’être plus efficace dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Un impôt sur la fortune rénové doit disposer d’une assiette plus large que l’ancien ISF. Dans ce cadre, il faut poser la question de l’imposition de la richesse détenue dans les holdings familiales. S’il reste à déterminer précisément la base et les taux, il est possible de dégager 10 à 15 milliards d’euros par an. Si cet impôt le résoudrait pas tout, il constituerait un premier pas qui mérite d’être suivi d’autres afin d’inverser la tendance à l’œuvre.

Bilan des politiques fiscales néolibérales

Les politiques fiscales néolibérales se sont en effet traduites par des baisses de l’imposition des « bases mobiles », c’est-à-dire des acteurs économiques qui peuvent aisément déplacer leurs richesses d’un pays à l’autre. Concrètement ;

- les taux les plus élevés du barème progressif de l’impôt sur le revenu ont baissé (de 65 % en 1982 à 45 % actuellement en France),

- certains revenus ne sont plus imposés au barème de l’impôt sur le revenu (c’est le cas des revenus financiers et des plus-values sur cessions de titres financiers en France avec le prélèvement forfaitaire unique),

- les impôts sur la fortune ont disparu ou pris la forme d’impôts au rendement symbolique (l’impôt sur la fortune immobilière rapporte à peine 2 milliards d’euros alors que, si l’Impôt de solidarité sur la fortune avait été maintenu, il rapporterait 4,5 milliards d’euros de plus)

- les impôts des entreprises ont baissé (le taux de l’impôt sur les sociétés est passé de 33 ?3 % à 25 % en France et les impôts locaux des entreprises ont été singulièrement allégés),

- le nombre et le coût des « niches fiscales et sociales » se sont accrus (ils représentent à eux deux environ 200 milliards d’euros de manque à gagner en France) avec un faible l’effet sur l’activité économique et l’emploi.

Le bilan de ces mesures est éloquent.

Le bénéfice de ces mesures est très majoritairement concentré sur les personnes les plus riches et les plus grandes entreprises, ce qui alimente les inégalités de revenus et de patrimoines. Ceux-ci réalisent une économie qu’ils peuvent placer pour accroître leur patrimoine et le revenu que celui-ci procure tandis sur les entreprises dégagent des marges de manœuvre supplémentaires en matière de distribution de dividendes, lesquels profitent massivement aux plus riches.

Ceux-ci peuvent ainsi davantage se déplacer et/ou investir dans des industries polluantes, ce qui nuit gravement à l’environnement.

Au surplus, le manque à gagner budgétaire se répercute de plusieurs manières : il creuse les déficits publics voire est rapporté, pour une part, sur des impôts plus injustes. Ceci nourrit les politiques d’austérité budgétaire dont pâtit d’une part la population qui subit la dégradation des services publics et de la protection sociale et d’autre part, l’environnement, puisque les moyens manquent à financer la nécessaire bifurcation écologique.

Enfin, le consentement à l’impôt est miné.

Au-delà d’un impôt sur la fortune, la justice fiscale, c’est possible et urgent

Dans sa campagne en faveur de la justice fiscale, l’association Attac défend plusieurs mesures qui, si elles étaient prises, organiserait une véritable bifurcation sociale et écologique telle que l’association la défend.

Certaines de ces propositions relèvent du plan national :

- Imposer l’ensemble des revenus au barème progressif de l’impôt sur le revenu (supprimer le prélèvement forfaitaire unique),

- Mieux imposer la transmission des gros patrimoines,

- Imposer l’ensemble des superprofits,

- Revoir les « niches, fiscales et sociales »,

- Renforcer l’ensemble des moyens des services engagés dans la lutte contre la délinquance financière.

D’autres méritent d’être défendues au niveau européen voire mondial :

- une véritable taxation des transactions financières,

- une imposition unitaire des multinationales,

- l’instauration d’un cadastre financier,

- harmoniser la TVA au sein de l’Union européenne,

- Créer un impôt mondial voire européen, sur la fortune (le nombre de milliardaires dans le monde est passé de 470 en 2000 à 2 700 en 2023 tandis que leur fortune s’est accrue de 3.300 milliards de dollars entre 2020 et 2023),

- Une liste européenne des paradis fiscaux assortie de mesures anti-abus et de sanctions,

- Renforcer la coopération internationale.

Notes

[1Voir notamment, « Un système fiscal « injuste », la taxation des superprofits largement souhaitée : notre sondage exclusif », Libération, 24 mars 2024 et « Nos concitoyens, les « prélèvements obligatoires » et la dépense publique », Observatoire de la justice fiscale, 21 février 2024.

[2« La richesse des milliardaires ne cesse d’augmenter », Statista, 27 janvier 2024.

[3Il en va ainsi de la pétition « Tax the rich » lancée au premier semestre 2024 par plusieurs députés européens ou encore des actions d’Attac et de l’Alliance écologique et sociale visant à soutenir les propositions de taxer les superprofits et d’instaurer un impôt sur la fortune.

[4« De la légitimité et de la nécessité d’imposer les plus riches », Observatoire de la justice fiscale, 26 janvier 2023.

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