CETA : Mettons fin à l’arbitrage entre investisseurs et États

lundi 29 avril 2019, par Collectif

“Vous pourrez réglementer mais parfois vous devrez payer”. Il y a deux ans, lors des débats autour de la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada (CETA), c’est par cette phrase lapidaire qu’un représentant canadien avait répondu aux députés wallons qui se demandaient si le CETA allait contraindre les États européens à payer des amendes pour pouvoir légiférer dans l’intérêt général.

Le CETA revient au cœur de l’actualité

En 2017, suite aux préoccupations exprimées par Paul Magnette, alors Ministre Président du gouvernement wallon, la Belgique avait saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour l’interroger sur la compatibilité du mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États du CETA avec le droit européen.
La Cour doit rendre son avis le 30 avril [1].
 
Quelle que soit la décision de la CJUE, nous refusons que le CETA devienne un modèle pour les accords de commerce et d’investissement en préparation par l’Union européenne et nous appelons par conséquent à son rejet.
 

Les implications de la saisine de la CJUE

La CJUE est appelée à se prononcer sur une question bien précise : la compatibilité de la section 8.F (tribunal d’arbitrage) du CETA avec les traités européens.

Si la CJUE affirme qu’il y a une incompatibilité et que l’accord porte atteinte, d’une manière ou d’une autre, à l’autonomie du droit de l’Union, cette décision ajoutera un écueil juridique au rejet massif par les citoyens du principe des tribunaux d’arbitrage entre investisseurs et États [2]. La Commission et les États-membres, désireux de sauver et de continuer à étendre les dispositifs d’arbitrage d’investissement, devront tenir compte de cet avis contraignant.
Quels que soient les motifs évoqués par la CJUE, le dispositif d’arbitrage du CETA devra alors être revu. Cela signifie que la Commission et les États-membres devront, s’ils souhaitent maintenir un dispositif de ce type, renégocier avec le Canada un amendement au CETA sur ce point spécifique, puis le valider et le ratifier selon les procédures prévues (Conseil et Parlement européens puis ratifications nationales).
Ce serait néanmoins un désaveu majeur pour ses promoteurs qui affirmaient que les questions juridiques soulevées n’étaient pas pertinentes.

Si la CJUE affirme qu’il n’y a pas d’incompatibilité, le dispositif d’arbitrage promu par la Commission européenne sera validé d’un point de vue légal. Cependant, cet avis est loin de répondre à l’ensemble des préoccupations sur les fondements même et le fonctionnement du mécanisme d’arbitrage d’investissement.

Les dangers du mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États du CETA

Avec le CETA, le Canada et l’Union européenne ont souhaité renforcer la protection des investissements des entreprises européennes et canadiennes à travers un dispositif d’arbitrage investisseurs-États qui, bien que renommé et comportant quelques modifications procédurales, reste inacceptable [3] :
Le mécanisme de règlement des différends (ICS) du CETA contourne les juridictions nationales et européennes pour instaurer une justice parallèle permettant à tous les investisseurs couverts par l’accord d’attaquer une décision publique qui viendrait remettre en cause leurs espérances de profit.
Il constitue un mécanisme à sens unique puisque seuls les investisseurs étrangers peuvent attaquer les États ; l’inverse n’étant pas possible.
Il garantit toujours des droits exorbitants aux investisseurs étrangers y compris sur les standards controversés tels que le “traitement juste et équitable” et “l’expropriation indirecte” qui ont permis le développement d’une jurisprudence très favorable aux investisseurs, au détriment des États.
Ce mécanisme ne respecte pas les standards internationaux en matière de justice, notamment en termes d’indépendance et de préservation des conflits d’intérêts des arbitres.
Il ne limite pas les compensations financières que peuvent exiger les investisseurs qui réclament des sommes souvent colossales correspondant non seulement aux investissements réalisés mais aussi aux profits futurs escomptés non réalisés.
Seuls les investisseurs peuvent y avoir accès, contrairement aux syndicats, ONG et citoyens. Il crée ainsi une justice d’exception qui donne des droits supérieurs aux investisseurs, notamment internationaux et les fait primer sur d’autres pans du droit européen, des droits nationaux et des jurisprudences.

Ces dispositifs d’arbitrage constituent par ailleurs une arme de dissuasion massive pour les investisseurs et les entreprises qui n’hésitent pas à menacer des États ou des collectivités territoriales d’une procédure d’arbitrage quand un projet de décision ne leur convient pas. Ils réduisent donc considérablement le pouvoir de réguler des autorités locales et nationales. L’examen de la loi Hulot sur la fin des hydrocarbures en France a donné un avant goût de l’utilisation qui pourrait être faite de l’arbitrage d’investissement dans le CETA s’il venait à être ratifié. La loi a en effet été vidée de sa substance suite à la menace d’une entreprise pétrolière canadienne d’initier une procédure d’arbitrage pouvant coûter des millions, dans le cadre d’un autre traité [4].

Présents dans plus de 3300 accords internationaux dont plus de 1400 conclus par des États membres de l’Union européenne, ces dispositifs ont fait la preuve de leur nocivité : aucun domaine n’est épargné et l’on compte plus de 900 cas d’arbitrage touchant à différents domaines tels que la santé, la fiscalité, l’environnement ou le montant des salaires.

Les États-Unis et le Canada avaient été les premiers pays industrialisés à se doter entre eux d’un mécanisme
d’arbitrage entre investisseurs et États, dans le cadre de l’ALENA. Après plus de vingt ans d’utilisation, ils ont décidé récemment de l’abandonner. La Ministre canadienne des affaires étrangères, Chrystia Freeland, a justifié cette décision en insistant sur ses effets délétères : “Cela a coûté plus de 300 millions de dollars au contribuable canadien en compensations et en frais juridiques. L’arbitrage d’investissement élève le droit des entreprises au dessus de ceux des gouvernements souverains. En l’enlevant, nous avons renforcé la capacité de notre gouvernement de réguler dans le sens de l’intérêt général et de protéger la santé publique et l’environnement” [5].
Comment justifier dès lors de mettre en place un tel mécanisme entre l’UE et le Canada ?

A travers le CETA, ce serait la première fois que l’UE et ses États membres– mais aussi la France – se doteraient d’un mécanisme d’arbitrage investisseurs-États avec un pays industrialisé membre du G7. Du fait de l’interconnexion des économies nord américaines, 81 % des entreprises étasuniennes présentes en Europe auraient désormais accès au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États du CETA, via leurs filiales au Canada. Cela représente 41 811 entreprises américaines dotées de nouvelles possibilités d’attaquer des lois et réglementations dans les États membres de l’UE [6].

Changer les règles du jeu

Le CETA et les autres accords de commerce créent des obligations pour les États assorties de sanctions, contrairement à la protection des droits humains, sociaux et environnementaux qui en sont dépourvues. Ils établissent ainsi une hiérarchie de fait qui fait primer le droit des investisseurs sur les droits humains, la santé, l’environnement et les droits sociaux.
Il est possible d’inverser cette dynamique : un traité en cours de négociation au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU vise, par exemple, à rendre les entreprises multinationales juridiquement responsables de leurs actes de par le monde, afin de protéger les droits humains et l’environnement, et permettre aux victimes de ces entreprises d’accéder à la justice [7].
 
Malheureusement, l’UE vient de décider de mettre en pause sa participation à ces négociations [8], alors qu’elle multiplie les accords de commerce et d’investissement. Le mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États du CETA a créé un précédent. L’UE a finalisé un nouvel accord avec Singapour et un autre doit être signé avec le Vietnam le 28 mai prochain. Et l’UE promeut désormais un nouveau tribunal multilatéral pour protéger les investissements des entreprises multinationales (Cour multilatérale d’investissements).
 
Parce que ces accords de protection des investissements vont à l’encontre de l’Accord de Paris sur le climat et des principes démocratiques, et qu’ils remettent en cause la capacité des États à légiférer pour défendre l’intérêt général, nous demandons d’y mettre fin. A la place, l’Union européenne et les États membres doivent plutôt soutenir activement le traité en négociation à l’ONU pour exiger le respect des droits humains, sociaux, environnementaux, par les entreprises multinationales.
C’est dans cette perspective que, en l’espace de quelques semaines, plus d’un demi million de citoyens européens ont signé la pétition “Stop Impunité. Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales” [9].
 

Signataires

  • ActionAid France ;
  • AITEC,
  • Alofa Tuvalu,
  • Amis de la Terre France,
  • Attac France,
  • Bloom,
  • CADTM France,
  • CCFD-Terre Solidaire,
  • CFE-CGC,
  • CGT,
  • Collectif Éthique sur l’étiquette,
  • Comité Pauvreté et Politique,
  • Confédération paysanne,
  • CRID,
  • Emmaüs International,
  • Foi et Justice Afrique Europe,
  • Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme,
  • foodwatch France,
  • France Amérique Latine,
  • Greenpeace France,
  • Institut Veblen,
  • Justice et Paix,
  • Ligue des Droits de l’Homme,
  • Notre affaire à tous,
  • ReAct,
  • Réseau Roosevelt,
  • SNESUP-FSU,
  • Sherpa,
  • Terre des Hommes France,
  • Union syndicale Solidaires

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