Pénibilité et réforme des retraites : la « justice sociale » à la moulinette

lundi 16 décembre 2019, par Attac France

La projet de réforme des retraites va faire disparaître les retraites anticipées pour travail pénible du secteur public, et aligner tout le monde sur le dispositif dérisoire aujourd’hui en vigueur dans le privé (le « compte professionnel de prévention », C2P). Tout le monde ? Non : les policiers et gendarmes, exerçant des fonctions « régaliennes et exposant au danger », continueront à pouvoir partir à 52 ans. Tandis que les ouvriers du bâtiment, exposés à des dangers encore plus graves, devront partir à 64 ans – la pénibilité de leurs métiers n’étant pas reconnue.

La pénibilité du travail à l’origine des inégalités devant la mort

« Moi j’adore pas le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible », disait Emmanuel Macron le 3 octobre dernier.

Pourtant, selon les chiffres du Ministère du travail [1], 70 % des ouvriers sont quotidiennement exposés à au moins un facteur de pénibilité physique. C’est aussi le cas pour 36 % des employés mais seulement 12 % des cadres. Pire encore, 26 % des ouvriers cumulent au moins trois facteurs de pénibilité, contre 0,5 % des cadres.

Les conséquences sont lourdes en termes d’inégalités sociales de santé. Selon l’Insee [2], chez les hommes, l’écart moyen d’espérance de vie à 35 ans entre un ouvrier et un cadre est encore aujourd’hui de 6,4 années ; il est de 3,2 années entre une ouvrière et une cadre.

La pénibilité ne sera plus reconnue dans le secteur public

Historiquement, les agents de la Fonction publique ont obtenu une reconnaissance de cette inégalité devant la mort : l’exercice de travaux pénibles permet d’accéder à un départ plus précoce à la retraite, par le biais du classement en « catégorie active ».
Même si rien ne peut compenser une mort précoce, les missions dangereuses ou insalubres, le travail de nuit (facteur reconnu de cancer du sein), sont aujourd’hui « compensées » de cette façon : 43 % des départs sont anticipés pour « catégorie active » dans la Fonction publique hospitalière, 21 % dans la Fonction publique d’État (et 6 % dans la Fonction publique territoriale).

En 2016, 66% des personnels des services de soins occupent un emploi de catégorie active ; c’est le cas pour 80 % des aides-soignantes [3].

Dans la fonction publique d’État, ce sont surtout les policiers, douaniers, surveillants pénitentiaires… qui bénéficient de la catégorie « active », et ont actuellement le choix de partir à la retraite à taux plein à 57 ans, ou à 52 ans avec décote. Chez les enseignants, les instituteurs étaient classés en catégorie dite « active » mais ne le sont plus depuis leur intégration dans le corps de professeurs des écoles.

Enfin dans les transports publics, les réformes de 2003 et 2010 ont réduit les départs anticipés. L’âge de départ est de 52 ans pour les agents de conduite de la SNCF (contre 57 ans pour le reste des agents « sédentaires ») ; mais les nouveaux embauchés partiront à 62 ans après la réforme de 2018. A la RATP, c’est de 52 ans pour le personnel roulant ou travaillant en souterrain et 57 ans pour le personnel travaillant en atelier (contre 62 ans pour le personnel sédentaire).

Dans la réforme Delevoye, tous ces éléments de reconnaissance de la pénibilité vont disparaître. Tous ? Enfin presque… Les policiers et gendarmes, comme l’a annoncé Christophe Castaner, conserveront leurs droits acquis du fait des dangers auxquels ils sont exposés. Mais sont-ils les seuls à risquer leur vie au travail ?

Accidents du travail mortels : les ouvriers du bâtiment plus touchés que les policiers

La réponse est clairement négative : selon les données officielles, le taux d’accidents mortels dans la police et la gendarmerie a été inférieur à celui du bâtiment et des travaux publics sur la période 2015-2017. Malgré un pic exceptionnel en 2016 – 26 policiers et gendarmes tués en service [4] -, la police et la gendarmerie comptent en moyenne 7,3 accidents mortels par an pour 100 000 salariés, contre 8,2 pour le bâtiment-travaux publics [5] sur les trois dernières années connues.

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Comme le montre le remarquable blog de Mathieu Lépine, « Accident du travail : silence, des ouvriers meurent », les ouvriers du BTP paient un lourd tribut à la société.

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Or les ouvriers du BTP ne disposent d’aucun moyen d’anticiper leur départ à la retraite : les critères de pénibilité qui pouvaient s’appliquer à eux – vibrations, postures pénibles et manutention de charges lourdes – ont été retirés du dispositif « pénibilité » par les ordonnances Macron de 2017.

Compte pénibilité dans le privé : un dispositif indigent

La réforme Hollande de 2013 avait en effet créé un compte pénibilité, supposément pour permettre aux métiers pénibles de ne pas subir de plein fouet le report de l’âge de la retraite à 62 ans. Il aurait fallu avoir été exposé pendant 20 ans à une pénibilité, et que l’employeur la déclare chaque année, pour avoir droit à partir à 60 ans au lieu de 62.

Même si cette mesure était très insuffisante pour compenser les injustices liées aux écarts de mortalité, le Medef a bloqué son application, et Emmanuel Macron l’a encore affaiblie en 2017, en supprimant 6 des 10 critères de pénibilité : exit les produits chimiques cancérogènes, les postures pénibles, le port de charges, les températures extrêmes, les vibrations… seuls restent le travail en équipes alternantes, le travail de nuit et le travail répétitif [6].

Depuis 2017 aucun chiffre officiel n’a été publié concernant le nombre de salariés inclus dans le nouveau dispositif au rabais. Mais les résultats du dispositif initial (Compte personnel de prévention de la pénibilité, C3P) étaient déjà très médiocres : sur 3,3 millions de « bénéficiaires » annoncés par la loi de 2013, seulement 900 000, moins d’un tiers, ont vu la pénibilité de leur travail reconnue et déclarée par leur employeur en 2016 [7]. Si l’on se limite aux 3 critères encore valables (travail de nuit, du travail en équipes ou du travail répétitif), seulement la moitié (630 000 exactement, soit 3 % des salariés du privé) [8] ont été reconnus. Autrement dit la réforme Macron a divisé par 2 le dispositif pénibilité déjà rachitique de la réforme Hollande de 2013. Cela signifie que dans 20 ans, avec l’actuel dispositif, au maximum 3 % des départs à la retraite pourront être anticipés en reconnaissance de la pénibilité du travail.

En 2018, sur 600 00 départs à la retraite dans le régime général, 1 500 salariés (soit 0,3% !) ont pu anticiper leur départ en retraite de un ou plusieurs trimestres grâce à leur compte pénibilité. Si on y ajoute les 4 000 salariés qui ont pu partir à 60 ans du fait d’une exposition reconnue à l’amiante, on aboutit à moins de 1 % de salariés du secteur privé bénéficiant d’une retraite un peu plus précoce du fait de la pénibilité de leur métier.

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