Le RN a beau proposer de substituer à l’impôt sur la fortune immobilière un impôt sur la fortune financière, il n’envisage nullement de mettre davantage à contribution les plus riches et les multinationales. Sans surprise, Renaissance maintient de son côté son cap néolibéral. En matière de fiscalité, de rémunération, de services publics, de protection sociale et d’écologie, un seul programme sur les trois proposés remet en cause les principes néolibéraux.
En effet, quels que soient les débats au sein des mouvements qui composent le Nouveau Front Populaire et au sein du mouvement social, le fait est que les propositions qu’il porte constituent une rupture avec la période antérieure. Cela explique d’ailleurs que ce soit le programme le plus critiqué par les grands médias qui usent et abusent de la peur.
Selon l’impayable Bruno Le Maire, le programme du nouveau Front populaire assommerait la population d’impôt et creuserait les déficits « en même temps ». Pour le Medef, il provoquerait un choc négatif de compétitivité et enfin il serait tout simplement « impossible » selon le quotidien Les Échos.
Manifestement, la peur règne parmi les protecteurs des intérêts financiers, fidèles à leur devise « plutôt l’extrême droite que la gauche », qui négocient avec un RN qui commence à en reculer sur ses quelques propositions en direction des classes plus populaires. En réalité, les inégalités, les injustices et l’environnement ne sont pas leur priorité. Pour Attac au contraire, ce sont les grands enjeux de la période.
Les choix à faire sont donc clairs : le néolibéralisme décomplexé et de plus en plus intolérant, le néolibéralisme nationaliste et xénophobe ou l’amorce d’un virage pour replacer en priorité politique la redistribution, l’action publique et les droits sociaux.
Attal : des mesures désespérément macronistes
En matière de pouvoir d’achat et de politique économique, le programme porté par Gabriel Attal est tout aussi pauvre que celui du RN. Gabriel Attal peine à faire oublier le bilan désastreux d’Emmanuel Macron depuis 2017. Il envisage ainsi d’augmenter le plafond de la prime dite « Macron » (défiscalisée et exonérée de cotisation sociale), versée par les entreprises à leurs salarié·es jusqu’à 10.000 euros, au lieu de 6.000 actuellement. Il évoque également fort opportunément une taxe sur les rachats d’actions des entreprises.
Annonce sur la prime Macron ou comment faire de la com à pas cher
Selon Gabriel Attal, « Pour continuer à rémunérer le travail, nous permettrons aux entreprises d’augmenter jusqu’à 10.000 euros par an, sans charge ni impôt, le montant de la prime de pouvoir d’achat qu’elles ont versé l’an passé à 6 millions de salariés ». Si Gabriel Attal et Emmanuel Macron persistent à vouloir « défiscaliser » et « désocialiser » une part croissante de la rémunération au point de proposer un rehaussement du plafond pour atteindre un montant équivalent à la moitié du SMIC annuel, cette prime dit « prime de partage de la valeur (PPV) » ne fait cependant pas rêver. Selon l’INSEE, au premier trimestre 2024, les versements de cette PPV par les entreprises ont diminué de plus de moitié par rapport à la même période de l’an passé.
Le montant versé aux salariés est ainsi tombé à 490 millions d’euros au premier trimestre, contre 1,2 milliard au premier trimestre 2023 et 2,3 milliards au dernier trimestre 2023, précise l’INSEE. La chute est spectaculaire. Et pour cause : cette prime temporaire n’a pas vocation à remplacer le salaire et elle n’est qu’un dispositif instrumental pour les entreprises, cachant la pauvreté des revalorisations salariales.
Rehausser le plafond ne procurera pas de hausse de pouvoir d’achat aux salarié·es. Deux raisons l’expliquent. Tout d’abord, une minorité de salarié·es est concernée par cette prime : 6 millions alors que l’emploi salarié représente 87,1 % des 30,2 millions de personnes an activité selon l’INSEE, soit un total de 26,33 millions de salarié·es. Par ailleurs, le montant moyen de cette prime est très loin d’atteindre le plafond actuel de 6.000 euros : il s’élève à près de 900 euros. Autrement dit, seulement 1 salarié·e sur 5 perçoit cette prime pour un montant moyen plus de 6 fois inférieur au plafond légal.
Cette disposition a toutefois un coût : les 5,3 milliards d’euros versés au titre de cette prime sont exonérés de cotisations sociales. Il en ressort un manque à gagner pour les caisses de Sécurité sociale. Au final, cette proposition apparaît non seulement désespérément « macroniste » en ce que Gabriel Attal persiste à promouvoir ce type de dispositif en lieu et place de hausse de salaire, mais également désespérée tant le pouvoir actuel se montre incapable de répondre à la demande de hausse stable et durable du pouvoir d’achat. Mais Gabriel Attal le sait : s’il parvenait à rehausser le plafond de cette prime, une poignée d’entreprises augmenterait leur versement au titre de cette prime. Une promesse « à bon compte » en quelque sorte.
Taxe sur les rachats : vain clin d’œil à la gauche
Gabriel Attal souhaite également instaurer une taxe sur les rachats d’actions qui financerait un « fonds de rénovation énergétique » pour les classes « moyennes et populaires ». L’objectif affiché est de rénover 300.000 logements supplémentaires d’ici 2027. Avec cette annonce, l’actuel Premier Ministre espère grignoter quelques voix sur sa gauche.
Après des tergiversations au sein de la majorité relative, le gouvernement avait finalement prévu d’intégrer au prochain projet de loi de finances (PLF) une telle mesure pour taxer les entreprises qui rachètent leurs propres actions. Non chiffrée, car non précisée en termes d’assiette et de taux, cette mesure est proposée bien tardivement. Les récentes années ont en effet été marquées non seulement par des superprofits et des superdividendes (que Emmanuel Macron a refusé d’imposer davantage) mais aussi par des rachats d’actions record. En réalité, cette mesure prend toutes les allures d’un alibi politique au profit du maintien de l’ensemble des mesures antérieures et de la confirmation du cap fiscal d’Emmanuel Macron (avec par exemple la suppression programmée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises).
Par ailleurs, cet objectif affiché de 300 000 logements supplémentaires rénovés ne suffira pas à atteindre les objectifs fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone en 2020. Elle misait alors sur 700 000 rénovations énergétiques par an à partir de 2023 pour répondre aux engagements climatiques de la France. Ce rythme n’ayant pas du tout été atteint (on compte plutôt autour de 60 000 rénovations complètes par an) la mesure annoncée est loin de permettre l’atteinte des objectifs climatiques de la France en matière de rénovation énergétique du parc de logements.
Le RN, dernières promesses avant retour aux fondamentaux néolibéraux
Pour pallier leur manque de crédibilité, le RN multiplie les annonces sur leur projet économique. Leur objectif premier serait de faire face à la crise du pouvoir d’achat. Vaste programme, auquel le RN répond avec une solution : baisser la TVA. Bien que populaire, cette mesure est irréalisable en l’état. La mesure précise est de baisser la TVA sur l’énergie de 20% à 5,5% afin de lutter contre la hausse des prix de l’énergie. Cependant, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) juge cette mesure inefficace sans mécanisme de contrôle pour assurer la répercussion de la baisse de TVA sur les prix, mécanisme de contrôle que le RN n’a pas prévu de mettre en place.
Le RN propose également de supprimer la TVA sur 100 produits de première nécessité. Bien que ce soit une proposition de gauche, elle pourrait profiter aux producteurs et aux distributeurs plutôt qu’aux consommateurs si elle n’est pas accompagnée de contrôles des prix. L’exemple de la baisse de TVA dans la restauration illustre ce risque.
Enfin, le RN propose de réduire les aides sociales versées aux étranger·es, en estimant une économie de 10 à 15 milliards d’euros. Cependant, selon l’OCDE, les personnes étrangères contribuent plus à l’économie qu’elles ne coûtent, et la réduction des aides renforceraient les inégalités et les conditions d’exploitation de populations très fragiles et soumises au plus bas salaires.
En réalité, les annonces du Rassemblement national suffisent à prendre la mesure de ce qui est proposé : un programme irréalisable, anti-social et xénophobe. Après de nombreuses voltefaces sur sa position sur les retraites, le Rassemblement national propose que seules les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans pendant 40 annuités puissent donc partir à la retraite à 60 ans. Une personne n’ayant commencé à travailler qu’à 25 ans ou plus ne pourrait partir en retraite qu’à 67 ans. De plus, le RN n’intègre aucun dispositif de pénibilité qui permette de partir plus tôt à la retraite pour les métiers éprouvants, constituant un recul grave en matière de santé pour les travailleuses et travailleurs.
Des propositions formulées ces derniers mois par les responsables du RN ne figurent pas stricto sensu dans son programme, mais témoignent de l’orientation réelle du parti d’extrême-droite : sous prétexte de mesures sociales, il avance des propositions favorables aux Français les plus riches. Par exemple, le RN s’est fait le porte-parole des TPE et PME mais dans les faits préserve les intérêts des plus grandes entreprises. Il propose ainsi de supprimer la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) en arguant que cela permettrait de renforcer la compétitivité des PME. Un argument trompeur. Les TPE et les PME ne sont en effet pas assujetties à la C3S et ne pourraient donc pas bénéficier de cette mesure. Rappelons que la C3S contribue au financement de la Sécurité sociale et a dégagé 4,7 milliards d’euros en 2023 et qu’elle ne s’applique qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 19 millions d’euros.
Le Rassemblement national s’inscrit dans une forme de continuité du néolibéralisme macronien en supprimant des impôts. Par exemple, il souhaite remplacer l’Impôt sur la Fortune Immobilière par un impôt sur la fortune financière. Avec une telle mesure, le RN renonce à taxer une fortune qui ne peut pas déménager à l’étranger - l’immobilier et le foncier - pour taxer une fortune qui est très mobile. Cela pourrait encourager les plus riches à investir davantage dans l’immobilier, augmentant ainsi les prix fonciers et les loyers, au détriment des ménages modestes et des classes moyennes.
Dans la même veine, la mesure sur l’exonération de l’impôt sur l’héritage pour les biens immobiliers jusqu’à 300 000 euros favoriserait les ménages riches en augmentant les inégalités de fortune. Le patrimoine immobilier, dont la valeur a augmenté en raison des politiques publiques, serait moins taxé, réduisant la redistribution des richesses.
Le Nouveau Front Populaire pour une meilleure justice fiscale
Au sein de l’Union européenne, s’attaquer à la concurrence fiscale et sociale
Le Nouveau Front Populaire (NFP) propose un mécanisme d’harmonisation sociale par le haut entre États membres pour mettre fin au dumping social et fiscal, une taxation des plus riches au niveau européen pour augmenter les ressources propres du budget de l’Union Européenne et la généralisation de la taxation des superprofits au niveau européen. Cette orientation est bienvenue. En faisant pression sur les salaires et les finances publiques, et en opérant un transfert de charge fiscale des impôts directs vers les impôts indirects, la concurrence fiscale et sociale s’est avérée injuste et inefficace.
Financement de la protection sociale
Le NFP propose de soumettre à cotisation les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action et les heures supplémentaires, d’augmenter de 0,25 point par an pendant 5 ans la cotisation vieillesse, de moduler les cotisations sociales patronales et de créer une sur-cotisation sur les hauts salaires. Le rendement procuré par ces mesures, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros, serait particulièrement utile au système de Sécurité sociale et permettraient de revenir sur la « contre-réforme du système de retraites » que Emmanuel Macron et son gouvernement ont imposé de force en 2023 contre le mouvement social.
Propositions en matière de politique fiscale
Le NFP propose plusieurs mesures : accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu à 14 tranches, rendre la CSG progressive, rétablir un ISF renforcé avec un volet climatique, supprimer la flat tax et rétablir l’exit tax, supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes, réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif, renforcer en ciblant sur les plus hauts patrimoines et instaurer un héritage maximum, instaurer une taxe kilométrique sur les produits importés et une taxation renforcée des transactions financières.
Si Attac est très favorable à ces mesures, quelques remarques complémentaires restent nécessaires. Il en va ainsi de la revue des niches fiscales qui, à l’instar des « niches sociales » présentent un coût élevé (90 milliards d’euros auxquels il faut ajouter le coût de mesures dites « déclassées » comme la niche Coppé) pour un effet incitatif souvent très décevant et un effet fiscal régressif avéré. Il faut également réfléchir à mieux articuler l’IR réformé et la CSG rendue progressive, car celle-ci est en partie déductible du revenu imposable à l’IR. Quant à l’ISF rénové, il doit y avoir une base large et un minimum de dispositifs dérogatoires : en matière d’ISF et de droits de donations et de succession, il faut par exemple plafonner le pacte Dutreil pour qu’il ne cible que la transmission des PME par exemple.
En matière de droits de donation et de succession, qui sera l’un des thèmes du débat fiscal de ces prochaines années, puisque les néolibéraux ont déjà détricoté l’IR avec le prélèvement forfaitaire unique et les niches fiscales, il faut rappeler les objectifs de cette imposition pour la relégitimer et rappeler quelques vérités : ils concernent une minorité de personnes. On peut imaginer de les rendre plus lisibles (avec un mécanisme d’abattement en montant sur les résidences principales et non en pourcentage comme c’est le cas actuellement : cela permettrait de renforcer leur progressivité, de moins taxer les petites successions imposables et de plus taxer les grosses successions). On peut aussi revoir les barèmes établis en fonction des liens de parenté.
Enfin, s’agissant de la taxe sur les transactions financières, qui n’a rapporté qu’un milliard d’euros en 2023, il faut aussi noter qu’une coopération renforcée est possible dans l’Union européenne et que la France pourrait rapidement l’intégrer pour que cette taxe soit enfin appliquée.
Dans le paysage fiscal, il ne faut pas oublier deux points importants. Le premier concerne la fiscalité directe locale. Largement obsolètes, les bases de la taxe foncière méritent d’être rénovées. Par ailleurs, en matière d’impôts locaux des entreprises, dits de production ; rappelons que leur baisse a majoritairement bénéficié aux grands groupes. Il faut par conséquent préserver la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, impôt progressif qui épargne les TPE et de très nombreuses PME mais que Emmanuel Macron a décidé de supprimer, ce qui pressuriserait encore plus les finances locales). Le second point porte sur le nécessaire renforcement de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Si plusieurs mesures méritent d’être portées au plan international, il faut d’urgence renforcer l’ensemble des moyens des services (DGFiP, douanes, Tracfin, services judiciaires spécialisés) engagés dans la lutte contre la fraude fiscale et, plus largement, la délinquance en col blanc.
Au final, ces mesures rendraient le système fiscal plus juste et plus rentable. Cela renforcerait également le consentement à l’impôt car, contrairement à ce que prétendent les néolibéraux, la population éprouve un ras-le-bol des injustices fiscales et sociales et pas un simple ras-le-bol fiscal. Le système fiscal serait ainsi plus progressif et plus juste, et permettrait de dégager des recettes pour la bifurcation sociale (renforcement des services publics et de la protection sociale) et écologique C’est en appuyant sur cet objectif, contrepartie des « prélèvements obligatoires », qu’on peut soutenir et légitimer l’orientation donnée à ce type de mesures.