McKinsey : plus qu’une « affaire de plus »

vendredi 25 mars 2022, par Attac France, Vincent Drezet

L’affaire McKinsey révèle de nombreux enseignements, particulièrement choquants à plus d’un titre. Outre l’influence de ce type de cabinet sur la prise de décision politique et sa proximité avec certains cercles du pouvoir, elle montre une fois de plus à quel point l’évasion fiscale fait système.

Cette affaire est d’autant plus sidérante que ce cabinet a facturé des sommes importantes pour, notamment, conseiller le gouvernement sur la baisse des allocations logement (4 millions d’euros ont été versés à ce titre à McKinsey). Face à cette affaire, la réaction du pouvoir est effarante. Un retour s’impose donc sur cette affaire aux multiples ressorts et conséquences.

Une évasion fiscale via les prix de transfert

Selon le rapport du Sénat du 16 mars (« Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques »), le cabinet McKinsey est assujetti à l’impôt sur les sociétés (IS) en France mais ses versements s’établissent à zéro euro depuis au moins 10 ans, alors que son chiffre d’affaires sur le territoire national atteint 329 millions d’euros en 2020. Comment une telle situation est possible ? Ce schéma d’évitement de l’impôt est relativement classique et, malheureusement, très développé : il consiste à utiliser les prix de transfert.

Selon la définition de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les prix de transfert sont « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ». Il s’agit des prix des transactions réalisées entre sociétés d’un même groupe mais résidentes d’États différents. Le phénomène est important : les transactions intragroupes représentent la moitié du commerce mondial selon l’OCDE. De fait, il suffit qu’une minorité de prix de transfert soient manipulés pour générer une fraude fiscale colossale dans le monde, en attestent les différentes estimations portant sur la fraude fiscale qui montrent notamment que 40 % des profits des multinationales sont artificiellement logés dans des paradis fiscaux. Et avec l’essor de la propriété intellectuelle et le versement de redevances entre entités d’un même groupe, cette pratique s’est considérablement développée...

Concrètement, la société mère McKinsey a établi des factures aux entités de McKinsey qui résident en France. Pour ces dernières, les montants facturés constituent des charges déductibles de leur bénéfice. Symétriquement, ils constituent des produits qui viennent nourrir le bénéfice de la société mère de McKinsey établie fort opportunément au Delaware. Rappelons que cet État est un paradis fiscal dans lequel sont domiciliées les 500 plus grosses fortunes américaines et 43 % des sociétés cotées à la Bourse de New York et où l’impôt sur les sociétés est minime. Nous sommes donc en présence d’un transfert de bénéfices. Cette pratique aboutit à réduire drastiquement le montant global de l’impôt sur les sociétés au niveau du groupe international McKinsey.

Elle peut être considérée comme légale (bien que choquante et illégitime) au regard du seul droit mais sous certaines conditions. Il faut en effet d’une part, que le prix facturé corresponde à une réelle activité (prestation de service ou vente d’un bien) et d’autre part, que le prix soit le même que celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes (selon le principe de pleine concurrence). Si le prix est excessif au regard de la réalité de la prestation de service ou de la vente d’un bien, il s’agit alors d’une manipulation de prix de transfert, donc d’une pratique illégale, autrement dit de fraude. De même, si le schéma mis en place vise principalement, voire exclusivement, à éviter de payer l’impôt, on parle d’abus de droit, donc de fraude. Celle-ci peut alors donner lieu à l’application de sanctions fiscales de 80 % du montant de l’impôt éludé, voire à des sanctions pénales.

Un discours gouvernemental trompeur

Face à cette affaire, la réaction du gouvernement est proprement sidérante. Le 24 mars, le porte parole du gouvernement, Gabriel Attal, a déclaré : « C’est probablement de l’optimisation fiscale ». Ce faisant, il a porté un jugement et considéré que cette pratique était légale sans attendre les conclusions des procédures engagées sur cette affaire. Il a par ailleurs affirmé que « les redressements de fraude fiscale ont nettement augmenté depuis 2017 ». C’est faux. Le montant des redressements issus du contrôle fiscal est passé de 17,9 milliards d’euros en 2017 à 13,4 milliards d’euros en 2021.

Pour Attac, il faut en finir avec ce type de schéma d’évasion fiscale par un renforcement global des moyens juridiques, humains et matériel de l’ensemble des services engagés dans la lutte contre la délinquance financière, économique et fiscale.D’autres mesures sont indispensables, comme une véritable taxation unitaire afin que les multinationales paient réellement leur juste part d’impôt. Sur McKinsey en particulier, il faut également que le gouvernement rende des comptes sur les suites des procédures diligentées sur cette affaire, emblématique tout à la fois des dérives de l’idéologie néolibérale, d’une certaine conception du pouvoir et des injustices fiscales et sociales. On rappellera ici que le montant global des dépenses de conseils facturés à l’État a atteint près de 900 millions d’euros en 2021, ce qui représente 132 années de RSA...

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