Quel futur pour les dispositifs d’arbitrage de type ISDS ?

mardi 12 février 2019, par Maxime Combes

Controversé et contesté, l’arbitrage investisseur-État (ISDS) est aujourd’hui l’objet de plusieurs initiatives pouvant en réduire la portée et d’autres pouvant conduire à le relégitimer sous une forme ou une autre. L’issue de cette bataille n’est pas écrite. Voici un résumé rapide des dynamiques et initiatives en cours.

1) L’UE, prête à supprimer tous les Traité bilatéraux d’investissement intra-UE ?

Les États-membres de l’UE viennent de déclarer être prêts à « résilier tous les traités bilatéraux d’investissement conclus entre eux » (BITs) et ne plus accepter « aucune nouvelle procédure d’arbitrage en matière d’investissements intra-UE ». Vingt-deux d’entre eux, dont la France, ont signé une déclaration conjointe en ce sens qui s’appuie sur l’arrêt Achmea de la Cour de Justice de l’Union européenne. Les six autres États-membres sont d’accord sur l’objectif global mais diffèrent sur le fait de savoir si la décision frappe également la Charte de l’Énergie. Une première version de ce traité a déjà été rédigée.

Vers un renforcement du droit interne européen favorable aux investisseurs ? La probable résiliation des BITs et des ISDS intra-UE ne signifie aucunement que les États-membres veulent réviser les protections dont les investisseurs disposent dans le cadre du droit interne européen. Au contraire, États-membres et Commission s’engagent à « mieux assurer une protection complète, solide et efficace des investissements au sein de l’UE ». Il n’est pas non plus question de remettre en cause la volonté de l’UE de signer des traités de protection des investissements avec des États tiers.

2) L’accord UE-Singapour va-t-il étendre les dispositifs d’arbitrage ?

Le 13 février, le Parlement européen est amené à se prononcer sur un accord d’investissement entre l’UE et Singapour, paradis fiscal notoire, qui renforcerait le droit des investisseurs au détriment du droit à réguler des pouvoirs publics en entérinant un nouveau mécanisme de règlement des différends Investisseurs-États. Absent des listes noires européenne et française de paradis fiscaux, Singapour est néanmoins cinquième de l’index qui classe les États selon leur opacité financière et leur niveau de coopération avec des autorités administratives ou judiciaires étrangères.

A ce jour, douze États-membres sont couverts par un mécanisme de type ISDS avec Singapour. Si cet accord d’investissement devait être voté par le Parlement européen puis ratifié par chacun des États, ce sont les 28 (ou 27) États-membres qui seraient dès lors concernés par un dispositif d’arbitrage commun (ICS – pour Investment Court System). Ces dispositifs s’en trouveraient fortement légitimés. Si, par contre, il devait être rejeté à l’un des stades de sa ratification, cela pourrait signer l’arrêt de toute nouvelle négociation d’accord comportant un tribunal d’arbitrage.

3) L’ISDS du CETA est-il compatible avec le droit européen ?

En 2017, la Belgique a saisi la Cour de Justice de l’UE (CJUE) pour vérifier la compatibilité du mécanisme de règlement des différends (ICS) du CETA avec les traités européens. L’arrêt définitif est attendu au printemps. Le 29 janvier dernier, l’Avocat général, dont l’avis est souvent suivi par les juges – mais pas tout le temps – a défendu le fait qu’il est compatible avec le droit de l’UE, au motif que les garanties seraient « suffisantes » et que « l’accord ne porterait pas atteinte à l’autonomie du droit de l’Union » : l’ICS n’a effectivement aucun impact direct sur la substance et les procédures des mesures légales ou réglementaires qui sont mises en cause devant les tribunaux d’arbitrage.

L’initiative de la Belgique a eu pour effet de déplacer une partie de la conflictualité du champ de la légitimité politique (« est-il normal et judicieux que les entreprises disposent de droits sur mesure et d’une justice d’exception ? ») vers le champ de la légalité et de la conformité au droit européen existant. Quelle que soit la décision finale de la CJUE – il ne fait guère de doute que l’avis final de la Cour interprètera le droit européen à la lettre – le questionnement sur la légitimité politique des dispositifs d’arbitrage restera néanmoins entier : un système qui permet de compenser des entreprises parce qu’elles s’estiment lésées par des décisions prises au nom de l’intérêt général ne reste-t-il pas injuste et illégitime ?

4) Reflux de l’ISDS dans les nouveaux accords ?

Des pays, comme le Brésil, ont toujours refusé de ratifier des accords d’investissement incluant un mécanisme d’arbitrage d’investissement. D’autres, comme l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Indonésie tentent de récuser des traités comprenant un mécanisme ISDS. Il est à noter également que les États-Unis et le Canada, qui avaient été les premiers pays développés à instaurer un mécanisme de règlement des différends entre eux, viennent de fortement en restreindre la portée dans le cadre de la renégociation de l’ALENA. Dans le même temps, l’UE n’a pas abandonné l’idée de signer des accords d’investissement comportant un mécanisme d’arbitrage avec de nombreux autres pays de la planète, et tente d’en sauver le principe.

5) Une campagne européenne pour y mettre fin aux tribunaux d’arbitrage

Une coalition de plus de 150 organisations de 16 pays européens a rendu publique le 22 janvier 2019 une pétition demandant aux dirigeants européens de mettre fin au système de justice d’exception dont bénéficient les entreprises multinationales et d’introduire des régulations contraignantes pour qu’elles respectent les droits humains et l’environnement. En quelques jours, plus, plus de 430 000 citoyens européens ont signé la pétition (www.stop-impunite.fr).

RAPPEL sur l’ISDS

L’arbitrage Investisseur-États (ou ISDS en anglais pour Investor-State Dispute Settlement), mis en place en 1965 à l’initiative de la Banque mondiale, est présent dans plus de 3400 accords internationaux, dont plus de 1400 conclus par des États membres de l’UE, y compris entre eux (196). Ce système permet aux investisseurs d’attaquer des États par l’intermédiaire d’un système de justice parallèle. Il a déjà généré plus de 900 plaintes, sur des domaines aussi variés que la santé, la fiscalité, l’environnement ou au salaire minimum. Ce mécanisme très controversé a été au cœur des mouvements de contestation massifs contre le TAFTA et le CETA qui ont conduit l’UE à essayer de relégitimer le principe autour d’un projet de Cour multilatérale d’investissement (MIC, pour Multilateral Investment Court).

Quelles sont nos exigences ?

Discrédités par de nombreux observateurs (société civile, experts du droit, élus locaux ou nationaux, praticiens, etc), les mécanismes d’arbitrage doivent être abandonnés au profit :

  • légitimer et renforcer le rôle des juridictions publiques dans le traitement des différends entre investisseurs et États et abandonner le recours à des juges et arbitres privés en s’appuyant sur la magistrature publique ;
  • assurer le principe de subsidiarité et le rôle des tribunaux locaux dans le traitement de ces différends ;
  • définir de façon claire et exclusive, les situations précises qui peuvent justifier une éventuelle indemnisation par un État ;
  • introduire une prise en compte de l’intérêt général de long terme (climat, inégalités et enjeux sociaux) qui permettent de faire primer le droit à réguler des pouvoirs publics sur les droits induits par la propriété privée ;

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