Quand l’extrême droite s’intéresse à l’écologie

Dans ce dernier numéro de la Lettre Ecologie et Société, on s’intéresse au prix de l’alimentation, on fait un retour sur la COP 29 qui s’est tenue en décembre dernier à Bakou, et on analyse le rapport que l’extrême droite entretient avec l’écologie. La Lettre est à retrouver ici.

Alors que le Rassemblement National n’a jamais été aussi puissant, son ambition de devenir un parti de gouvernement a nécessité qu’il se penche sur des questions qui lui ont été longtemps totalement étrangères. C’est le cas de l’écologie. Au-delà du RN, la crise écologique a obligé l’ensemble des partis politiques à adopter un semblant de programme et de discours en la matière. Mais dans le moment réactionnaire actuel, l’écologie constitue également un enjeu de démarcation vis-à-vis du camp progressiste. Tout comme en matière de droits, d’égalité et de liberté, l’extrême droite s’en prend à un fantasmatique « wokisme », en matière d’environnement elle attaque les supposées dérives d’une écologie punitive, anti-populaire, etc., suivie en cela par d’autres composantes politiques.
Une récente enquête de Mediapart révèle l’existence de nouvelles officines d’extrême droite comme « Action Écologie » qui mènent une offensive anti-écologiste et réhabilitent le climato-scepticisme. Comment dès lors envisager la façon dont l’extrême droite aborde aujourd’hui les enjeux environnementaux ? Et peut-on parler d’une écologie d’extrême-droite ?

Le retour d’une écologie d’extrême droite

Malgré le néant programmatique en matière de défense de l’environnement des organisations d’extrême droite, il existe de la part de certains courants un intérêt pour la nature, l’environnement, qui, sans se traduire nécessairement en programme, attestent d’une certaine vision du rapport des sociétés humaines à leur environnement. Plusieurs événements ces dernières années ont montré un regain d’intérêt en la matière. La chercheuse Zoé Carle évoque différentes initiatives récentes venues en particulier des franges identitaires ; outre la création de la revue Limites (disparue en 2022) par Eugénie Bastié, elle mentionne par exemple le forum consacré à l’écologie intégrale organisé en mars 2024 par le groupe nationaliste-révolutionnaire Lyon populaire, le colloque du groupe catholique identitaire Academia Christiana intitulé « Nos racines, nos limites », ou encore un autre colloque organisé par l’institut Iliade créé par Jean-Yves Le Gallou consacré à « la Nature comme socle. Penser l’écologie à l’endroit. » J.Y Le Gallou a fait partie du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) puis du Club de l’horloge ; il a été un dirigeant du Front National avant d’en être exclu avec Bruno Mégret en 1999. L’institut Iliade est l’héritier du GRECE et incarne une extrême droite identitaire, nationaliste, anti-mondialiste, prêchant une différence fondamentale entre les peuples et les cultures justifiant leur séparation. C’est de cette approche que se nourrit l’écologie d’une partie de l’extrême droite. En effet, au sein de ce courant identitaire et souvent néo-païen, l’autre face de l’antimondialisme et du rejet des « autres », c’est la défense des racines et la promotion de l’enracinement. Cette défense de l’enracinement conduit à un investissement symbolique dans le local et ses dimensions naturelles, semant d’autant plus la confusion qu’elle peut sembler rejoindre certains aspirations et revendications écologistes, notamment autour des circuits courts, de la production locale ou de la décroissance. Alain de Benoist, un des fondateurs du GRECE, se prononce d’ailleurs très clairement pour la décroissance dans un ouvrage paru en 2018 où il défend l’idée d’un rapport de co-appartenance de l’humain à la nature, contre la représentation d’un monde qui ne serait que dépendant des volontés humaines. Plusieurs aspects s’entremêlent dans de telles approches. Premièrement, il s’agit de penser l’ordre social comme un ordre naturel, de façon immuable, avec ses pouvoirs et ses hiérarchies à respecter ; d’où un rejet du féminisme et des droits des LGBTQI+. Deuxièmement, il s’agit de développer une écologise ethno-différentialiste, c’est-à-dire qui pense inconciliables les différentes cultures, leur mélange et leurs évolutions, et cherche avant tout à défendre une culture européenne menacée de dissolution par l’immigration. Troisièmement, la source des dérèglements écologiques, et en particulier climatiques est le produit de la modernité, des échanges, des migrations et de la surpopulation. Le localisme doit constituer une alternative à ce mondialisme qui est aussi bien celui des élites que des populations migrantes, face auxquelles l’enracinement incarne une muraille défensive. Ainsi, l’écologie participe de cette méta-politique théorisée par la Nouvelle Droite, qui vise à brouiller les pistes en travaillant des thèmes peu familiers à l’extrême droite, voire en empruntant certaines thématiques à la gauche, tout en allant chercher des références chez les idéologues du fascisme de l’entre-deux guerres, ou en engageant un dialogue avec certaines franges de l’écologie comme la deep ecology (ou écologie profonde). Si ces thèses ne sont pas nouvelles, elles connaissent actuellement un regain qui accompagne le développement des groupes identitaires.

Une écologie au Rassemblement National ?

L’écologie au Rassemblement National relève d’une autre logique que celle des identitaires, mais elle en emprunte certains traits. Historiquement, le Front National s’est peu préoccupé d’écologie. Dans son programme de 1973, il évoque le patrimoine naturel des Français, puis en 1985 sa charte verte se centre surtout sur la défense du monde agricole et de la politique agricole commune. Ce n’est que dans les années 1990 que les choses évoluent un peu. Sous l’impulsion de Bruno Mégret, qui vise réellement une prise du pouvoir, le RN précise ses positions, autour de la défense d’un ordre naturel et d’un territoire : « L’écologie est en effet une préoccupation qui s’inscrit dans la défense de notre identité. […] Et lorsque nous défendons l’intégrité française, nous ne faisons rien d’autre que de défendre l’écologie ethnique et culturelle de notre peuple et en cela nous sommes dans le droit fil de la démarche écologique […]. Pour survivre, les espèces animales ne se mélangent pas et la plupart ont un territoire qu’elles défendent » (conférence de presse, Congrès du FN, 1990). Pour autant, cette préoccupation s’atténue fortement après l’exclusion de Bruno Mégret, et les programmes plus récents du FN/RN montrent surtout une faiblesse programmatique en la matière, tout comme l’action de ses élu.es révèle un refus de toute mesure de préservation de la biodiversité ou de lutte contre les dérèglements climatiques, notamment au niveau européen : hostilité aux énergies renouvelables, souvent au nom de la défense d’un paysage mythifié comme marque du passé et de l’identité locale, refus de l’interdiction des pesticides, opposition aux préconisations du GIEC, aux réglementations et aux contraintes en matière de moteurs thermiques, de logement… Le projet du RN vise surtout à faire de la France un paradis énergétique grâce au nucléaire, aux barrages hydroélectriques, à la biomasse ou à l’hydrogène. Quant aux conséquences sur les écosystèmes, elles ne sont jamais évoquées.

L’écologie comme enjeu de distinction du RN

La grande faiblesse programmatique du RN en matière d’écologie ne signifie pas pour autant un désintérêt. L’écologie demeure en effet un enjeu pour le parti d’extrême droite, d’une part pour se démarquer de la gauche et des écologistes, d’autre part pour défendre une écologie « de bon sens », « populaire », une écologie qui s’opposerait à l’écologie hors sol des élites mondialistes incarnées entre autres par les dirigeants de l’Union européenne. Un domaine en particulier prend une grande importance, celle de la défense des mobilités individuelles, donc de la voiture. Or, il ne faut pas voir simplement ici de la démagogie anti-écologiste, car derrière la question des mobilités se joue la question de la représentation des classes populaires, de leurs besoins et de leur rapport à l’écologie. Dans un contexte de forte poussée du RN et de montée d’un anti-écologisme qui est entretenu bien au-delà de l’extrême droite officielle (« l’environnement, ça commence à bien faire » comme le disait Sarkozy en 2011), certaines mobilisations collectives sont propices à une lecture selon laquelle les classes populaires sont opposées aux mesures environnementales. Cela a bien sûr été le cas lors du mouvement du monde agricole de 2024 où la question des normes et réglementations a souvent pris le dessus sur les enjeux concernant le revenu des paysan·nes. Cela a également été le cas lors du mouvement des Gilets Jaunes où certains ont cru voir un mouvement anti-écologiste parce défendant la voiture, sans considérer que le rapport à la voiture des classes populaires en milieu péri-urbain ne relève pas tant d’un choix que d’une nécessité économique, en premier lieu pour travailler. Le RN s’est engouffré dans cette brèche, tant vis-à-vis des agriculteurs que des automobilistes, pour représenter les classes populaires comme rétives aux politiques écologistes, et dont le seul le RN serait à même de comprendre les aspirations. S’il s’agit là d’une stratégie politique opportuniste, cela ne peut laisser indifférente la gauche sociale et politique. En effet, cette idée selon laquelle les classes populaires seraient hostiles à l’écologie n’est pas propre au RN, on la retrouve y compris parfois à gauche. Cela renvoie notamment aux valeurs autour desquelles l’écologie mainstream s’est développée en France, sur les questions de consommation, de comportements vertueux, d’une certaine morale de vie fondée sur les styles de vie des classes moyennes et supérieures ; autrement dit, une écologie qui tourne le dos à la question sociale, à la dignité populaire, aux inégalités de classes (l’idée qu’on serait tous dans le même bateau) … L’écologie dominante apparaît dès lors comme la remise en cause de modes de vie populaires perçus de plus en plus comme illégitimes, ce qui permet à l’extrême droite de politiser efficacement des éléments du quotidien, le barbecue par exemple, pour se poser en représentant du peuple contre une écologie des élites.

Face à l’extrême droite, il ne faut rien céder quant à nos combats écologistes, mais il faut répondre à cette manipulation de la question écologiste : en montrant les intérêts communs aux classes populaires en termes de services publics, d’emploi et de travail, d’environnement sain… ; en partant du vécu concernant un certain nombre de problèmes sociaux et environnementaux (sécheresses, inondations, maladies professionnelles…) ; en insistant sur les inégalités environnementales et la responsabilité des gros pollueurs, des entreprises et des classes les plus riches quant à la dégradation des écosystèmes… ; en envisageant des alliances entre groupes sociaux qui sont aujourd’hui divisés par la question écologiste… Bref, d’immenses chantiers sont encore devant nous.

Un article écrit par Vincent Gay

Références

  • Jean-Baptiste Comby, Ecolos, mais pas trop : Les classes sociales face à l’enjeu environnemental, Raisons d’Agir, 2024.
  • Alain de Benoist, Décroissance contre illimitation. Penser l’écologie jusqu’au bout, Dalloz, 2018.
  • Zoé, Carle, « Contre-révolutions écologiques. Quand les droites dures investissent la défense de la nature ». Revue du Crieur, n° 8, 2017.
  • Zoé Carle, « ‘L’écologie à l’endroit’, ou l’extrême droite face à la question écologique », in Ugo Palheta (coord.), Extrême droite : la résistible ascension, Ed. Amsterdam, 2024.
  • Lucie Delaporte, « Action Écologie, autopsie d’une offensive anti-écolo issue de l’extrême droite », Mediapart, 19 janvier 2025.
  • Jean-Paul Gautier, « De la haine de l’écologie au greenwashing nationaliste ? Le RN et l’environnement », Contretemps, novembre 2021.

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org